Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 13 octobre 2023 par lequel le préfet de la Gironde a rejeté sa demande de délivrance d'un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.
Par un jugement n° 2306519 du 15 février 2024, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 1er mai 2024, M. A..., représenté par Me Foucard, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 15 février 2024 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 13 octobre 2023 du préfet de la Gironde ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Gironde de lui délivrer un titre de séjour mention " vie privée et familiale " dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard dans un délai de quinze jours suivant cette même notification, ou, à défaut, de réexaminer sa situation dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et de lui délivrer pendant le temps du réexamen de son dossier une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler ;
4°) de mettre à la charge de l'État la somme de 1 500 euros sur le fondement combiné des dispositions de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
Sur la légalité de la décision de refus de séjour :
- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'il remplissait les conditions pour se voir délivrer un titre de séjour sur ce fondement : il justifie de son âge par les documents d'état civil qu'il produit et du caractère réel et sérieux du suivi de sa formation :
--- d'une part, le seul fait d'avoir sollicité un visa sous une identité différente n'emporte pas fraude automatique des documents d'état-civil qu'il a présentés à l'appui de sa demande qui ont été authentifiés par les services de la police aux frontières et par les services consulaires bangladais en France ;
--- d'autre part, il justifie du caractère réel et sérieux de sa formation et il n'a plus aucun lien avec sa famille restée dans son pays d'origine ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste de ses conséquences sur sa situation personnelle ;
Sur la légalité de l'obligation de quitter le territoire français :
- elle est illégale du fait de l'illégalité de la décision de refus de séjour sur laquelle elle se fonde ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste de ses conséquences sur sa situation personnelle.
Par un mémoire en défense enregistré le 13 septembre 2024, le préfet de la Gironde conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens du requérant ne sont pas fondés.
M. A... a été admis à l'aide juridictionnelle totale par une décision n°2024/000733 du 11 avril 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme C... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... A..., de nationalité bangladaise, est entré irrégulièrement en France le 10 juin 2019, selon ses déclarations. Il a été placé auprès des services de l'aide sociale à l'enfance de la Gironde par une ordonnance de placement provisoire du 20 juin 2019, puis par un jugement du tribunal pour enfants du 6 décembre 2019. Le 22 février 2023, il a sollicité la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 13 octobre 2023, le préfet de la Gironde a refusé cette délivrance et a assorti ce refus d'une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et d'une décision fixant le pays de renvoi. M. A... relève appel du jugement du 15 février 2024 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande d'annulation de cet arrêté préfectoral.
Sur la légalité de l'arrêté contesté :
2. D'une part, aux termes de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire ou s'il entre dans les prévisions de l'article L. 421-35, l'étranger qui a été confié au service de l'aide sociale à l'enfance ou à un tiers digne de confiance au plus tard le jour de ses seize ans se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. Cette carte est délivrée sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de la formation qui lui a été prescrite, de la nature des liens de l'étranger avec sa famille restée dans son pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil ou du tiers digne de confiance sur son insertion dans la société française. ".
3. D'autre part, aux termes de l'article L. 811-2 du même code : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies à l'article 47 du code civil ", ce dernier disposant que " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.
4. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que, pour établir son identité et sa date de naissance au 3 janvier 2005, M. A... a transmis à l'administration, dans le cadre de l'instruction de sa demande, un " Birth registration certificate " établi au Bangladesh et un passeport n°EH0206889 délivré par la République du Bangladesh. Il ressort du rapport d'analyse technique du 4 mai 2023 établi par la cellule de lutte contre la fraude documentaire et à l'identité de la direction zonale sud-ouest de la police aux frontières que ces documents sont conformes. A contrario, il ressort des pièces du dossier que la consultation du fichier Visabio par les agents de préfecture chargés de l'instruction de sa demande de titre de séjour, a permis de constater que le requérant avait précédemment sollicité un visa auprès des autorités consulaires italiennes au Bangladesh en présentant un passeport n°BT0710337 sous une autre identité, au nom de Miah, et au prénom de B..., et en faisant état d'un âge sensiblement supérieur, avec une date de naissance au 30 août 2002. Le préfet a considéré que M. A... ne justifiait pas de son identité et que les documents qu'il avait produits au soutien de sa demande étaient entachés de fraude de ce seul fait, et a rejeté la demande de titre de séjour de l'intéressé. Toutefois, et alors qu'aucun autre élément n'est produit par la préfecture, cette seule circonstance ne peut suffire à invalider les documents produits par le requérant au soutien de sa demande qui ont été authentifiés par les services spécialisés de lutte contre la fraude documentaire. Par ailleurs, M. A... produit également une fiche d'enregistrement de son acte de naissance extraite du site internet de l'ambassade du Bangladesh à Paris dont le QR code permet de vérifier l'authenticité de son acte de naissance. Dans ces conditions, il ressort de l'ensemble des éléments produits par les parties que l'identité du requérant doit être regardée comme établie et qu'il justifie avoir été mineur lors de son entrée en France et, en particulier, avoir eu moins de seize ans lorsqu'il a été confié à l'aide sociale à l'enfance (ASE).
5. En second lieu, il ressort des pièces du dossier que M. A... justifie, par les certificats de scolarité et les attestations scolaires qu'il produit, du caractère réel et sérieux du suivi de la formation dans laquelle il s'est engagé, malgré des absences relevées par ses évaluateurs. En outre, il ressort de l'avis de sa structure d'accueil qu'il s'intègre au mieux dans la société française par le suivi rigoureux du parcours socio-professionnel qui lui est proposé. Enfin, bien que l'ensemble de sa famille réside au Bangladesh, il soutient, sans être contredit, n'avoir que peu de relations avec eux. Il ressort ainsi du rapport de l'ASE daté de janvier 2023 que son père est décédé lorsqu'il était jeune enfant, qu'il aurait été tué par son oncle, que son frère " a disparu " et que sa mère a organisé son départ en France pour le protéger de son oncle. Dans ces circonstances, M. A..., qui remplit l'ensemble des conditions prévues par l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour se voir délivrer un titre de séjour, est fondé à soutenir que la décision attaquée portant refus de séjour est entachée d'illégalité ainsi que, par voie de conséquence, celles portant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays de renvoi.
6. Il résulte de ce qui précède que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 13 octobre 2023 du préfet de la Gironde.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
7. Eu égard au motif d'annulation retenu, le présent arrêt implique nécessairement que le préfet de la Gironde délivre à M. A... un titre de séjour portant la mention "vie privée et familiale" d'une durée d'un an. Il y a lieu, en application de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, de lui enjoindre la délivrance du titre de séjour sollicité, dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
8. M. A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros à verser à Me Foucard à ce titre.
DECIDE :
Article 1err : Le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 15 février 2024 est annulé.
Article 2 : L'arrêté du préfet de la Gironde du 13 octobre 2023 est annulé.
Article 3 : Il est enjoint au préfet de la Gironde de délivrer à M. A... une carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" d'une durée d'un an, dans le délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à Me Foucard la somme de 1 200 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de M. A... est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., au préfet de la Gironde et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 19 novembre 2024 à laquelle siégeaient :
Mme Elisabeth Jayat, présidente de chambre,
M. Nicolas Normand, président assesseur,
Mme Héloïse Pruche-Maurin, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 décembre 2024.
La rapporteure,
Héloïse C...
La présidente,
Elisabeth Jayat
La greffière,
Virginie Santana
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 24BX01073