Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de la Martinique d'annuler la décision du 14 mai 2024 par laquelle le préfet de la Martinique l'a assignée à résidence pour une durée de quarante-cinq jours, avec obligation de pointage.
Par un jugement n° 2400339 du 21 mai 2024, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de la Martinique a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrée le 9 juillet 2024 et le 14 octobre 2024, Mme A..., représentée par Me Corin, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du magistrat désigné du tribunal administratif de la Martinique du 21 mai 2024 ;
2°) d'annuler la décision du 14 mai 2024 par laquelle le préfet de la Martinique l'a assignée à résidence pour une durée de quarante-cinq jours, avec obligation de pointage ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- la décision attaquée est insuffisamment motivée ;
- il n'a pas été procédé à un examen réel et sérieux de sa situation ;
- elle est entachée d'erreur de droit dès lors qu'il n'est pas établi qu'elle serait dans l'impossibilité de quitter immédiatement le territoire français et que son éloignement demeurerait une perspective raisonnable ;
- indépendamment de sa situation personnelle, l'éloignement vers Haïti est impossible compte tenu du climat d'extrême violence qui y règne ; ce climat suffit à considérer qu'elle serait en danger en cas de retour dans ce pays sans qu'elle ait besoin de démontrer un risque personnel.
La requête a été communiquée au préfet de la Martinique qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Par une décision du 13 août 2024 du bureau d'aide juridictionnelle, Mme A... a obtenu l'aide juridictionnelle totale.
Par une ordonnance du 19 août 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 23 septembre 2024 à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Caroline Gaillard a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté du préfet de la Martinique du 16 novembre 2023, Mme A..., ressortissante haïtienne née le 10 mars 1985, a fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français dans un délai de 30 jours, assortie d'une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an. Mme A..., qui s'est maintenue sur le territoire français, y a été interpellée le 14 mai 2024 pour un contrôle de son droit au séjour. Par une décision du même jour, le préfet de la Martinique l'a assignée à résidence pour une durée de quarante-cinq jours en lui faisant obligation de pointer une fois par semaine au commissariat de police de Fort-de-France. Mme A... a demandé au tribunal administratif de la Martinique de prononcer l'annulation de cette décision du 14 mai 2024. Elle relève appel du jugement par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de la Martinique a rejeté sa demande.
2. Aux termes de l'article L. 731-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut assigner à résidence l'étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français mais dont l'éloignement demeure une perspective raisonnable, dans les cas suivants : 1° L'étranger fait l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français, prise moins d'un an auparavant, pour laquelle le délai de départ volontaire est expiré ou n'a pas été accordé (...) ". Aux termes de l'article L. 732-3 de ce code : " L'assignation à résidence prévue à l'article L. 731-1 ne peut excéder une durée de quarante-cinq jours. / Elle est renouvelable une fois dans la même limite de durée ". Aux termes de l'article L. 731-3 du même code : " L'autorité administrative peut autoriser l'étranger qui justifie être dans l'impossibilité de quitter le territoire français ou ne pouvoir ni regagner son pays d'origine ni se rendre dans aucun autre pays, à se maintenir provisoirement sur le territoire en l'assignant à résidence jusqu'à ce qu'existe une perspective raisonnable d'exécution de son obligation, dans les cas suivants : /1° L'étranger fait l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français pour laquelle le délai de départ volontaire est expiré ou n'a pas été accordé (...) ".
3. Mme A... fait valoir qu'en l'absence de perspective raisonnable d'éloignement compte tenu de la situation de violence généralisée en Haïti, en particulier dans la région de Port-au-Prince d'où elle est originaire, elle ne pouvait faire l'objet d'une assignation à résidence sur le fondement du 1° de l'article L. 731-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
4. Il ressort des pièces versées aux débats par Mme A... qu'à la date de la décision attaquée, la situation que connaît Haïti se caractérise par un climat de violence généralisée se traduisant notamment par des affrontements opposant des groupes criminels armés entre eux et ces groupes à la police haïtienne et que cette violence atteint, à Port-au-Prince ainsi que dans les départements de l'Ouest et de l'Artibonite, un niveau d'une intensité exceptionnelle, entraînant un grand nombre de victimes civiles. A cet égard, le préfet de la Martinique, qui n'a pas produit de mémoire en appel, a relevé dans ses écritures de première instance que les " évènements récents " l'avaient conduit à prendre en compte " l'impossibilité actuelle d'éloigner tout individu vers Haïti ". Il ne ressort pas des pièces du dossier qu'en cas d'exécution d'office de la décision portant obligation de quitter le territoire français du 16 novembre 2023, l'intéressée serait en mesure de retourner dans son pays d'origine sans rejoindre ou traverser notamment Port-au-Prince. Dans ces conditions, même si la situation en Haïti pourrait évoluer, l'éloignement de Mme A... ne demeurait pas une perspective raisonnable à la date de la décision attaquée. Dès lors, en assignant Mme A... à résidence sur le fondement du 1° de l'article L. 731-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet de la Martinique a fait une inexacte application de ces dispositions.
5. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que Mme A... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de la Martinique a rejeté sa demande d'annulation. Il y a donc lieu d'annuler ce jugement et la décision du 14 mai 2024 par laquelle le préfet de la Martinique a assigné Mme A... à résidence pour une durée de quarante-cinq jours.
Sur les frais d'instance :
6. Mme A... bénéficie de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros à verser à Me Corin.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2400339 du 21 mai 2024 du magistrat désigné du tribunal administratif de la Martinique et la décision du 14 mai 2024 du préfet de la Martinique sont annulés.
Article 2 : L'Etat versera à Me Corin la somme de 1 200 euros au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A..., au ministre de l'intérieur et à Me Corin.
Copie en sera adressée au préfet de la Martinique et au ministre chargé de l'outre-mer.
Délibéré après l'audience du 7 novembre 2024 à laquelle siégeaient :
Mme Karine Butéri, présidente,
M. Stéphane Guéguein, président-assesseur,
Mme Caroline Gaillard, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 27 novembre 2024.
La rapporteure,
Caroline Gaillard
La présidente,
Karine Butéri
La greffière,
Virginie Guillout
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 24BX01672