Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... se disant MD Jakaria a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 7 février 2024 par lequel le préfet de Lot-et-Garonne lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de renvoi, lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an à compter de l'exécution de cette décision et l'a signalé aux fins de non-admission dans le système d'information Schengen.
Par un jugement n° 2401309 du 12 avril 2024, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux a annulé l'arrêté du 7 février 2024 et a enjoint au préfet de Lot-et-Garonne de procéder au réexamen de la situation de l'intéressé dans un délai de deux mois à compter de la notification de ce jugement.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 23 avril 2024, le préfet de Lot-et-Garonne demande à la cour d'annuler ce jugement du magistrat désigné du tribunal administratif de Bordeaux du 12 avril 2024 et de rejeter les conclusions de M.X se disant MD Jakaria présentées devant le premier juge.
Il soutient que :
- le jugement retient l'existence d'une erreur de fait alors qu'il ne disposait d'aucun élément pour retenir que l'intéressé aurait travaillé pendant l'examen de sa demande de protection internationale ;
- M.X se disant MD Jakaria n'a présenté aucune demande de titre de séjour ni n'a justifié de son identité ; les faits sur lesquels le jugement retient qu'il a commis une erreur ne sont pas du tout déterminants et n'auraient pas dû conduire à l'annulation de la décision prise.
Vu :
- les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de M. Stéphane Gueguein a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M.X se disant MD Jakaria, ressortissant bangladais né le 17 mars 1986, a déclaré être entré irrégulièrement sur le territoire français le 5 août 2022 et a sollicité, 10 août suivant, le bénéfice de l'asile. A la suite du rejet de sa demande par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) du 23 décembre 2023 confirmée par une décision de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) du 10 janvier 2024, le préfet de Lot-et-Garonne lui a, par un arrêté du 7 février 2024, fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de renvoi, lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an à compter de l'exécution de cette décision et l'a signalé aux fins de non-admission dans le système d'information Schengen. Le préfet de Lot-et-Garonne relève appel du jugement par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux a annulé cet arrêté.
Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal :
2. Il ressort des pièces du dossier que l'intéressé travaillait, à la date de la décision contestée, en qualité d'employé polyvalent dans la restauration rapide, en vertu d'un contrat à durée indéterminée conclu le 2 mai 2023 avec la société Jasmin BFR. Le moyen tiré de l'erreur de fait quant à la situation professionnelle de l'intéressé et à la précarité de sa situation financière est donc fondé et ce en dépit de la circonstance qu'il n'a déposé aucune demande de titre de séjour ni n'a justifié auprès de l'administration de la conclusion de ce contrat à durée indéterminée.
3. En revanche, contrairement à ce qu'a retenu le premier juge, il ressort également des pièces du dossier que le préfet de Lot-et-Garonne a principalement fondé sa décision sur la circonstance que M.X se disant MD Jakaria ne pouvait prétendre à la délivrance d'aucun titre de séjour de plein droit. L'intéressé ne pouvant prétendre à la délivrance de plein droit d'un titre de séjour mention " salarié " au seul motif de la conclusion d'un contrat à durée déterminée, l'erreur de fait commise par le préfet n'a eu aucun impact sur le sens de sa décision. Dès lors, le préfet de Lot-et-Garonne est fondé à soutenir que c'est à tort que le premier juge a accueilli ce moyen pour annuler l'arrêté du 7 février 2024.
4. Toutefois, il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M.X se disant MD Jakaria tant en première instance qu'en appel.
Sur les autres moyens invoqués par M.X se disant MD Jakaria :
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
5. En premier lieu, par un arrêté du préfet de Lot-et-Garonne en date du 21 août 2023, régulièrement publié au recueil des actes administratifs n° 47-2023-147 du même jour, librement accessible sur internet, M. Florent Farge, secrétaire général de la préfecture de Lot-et-Garonne, a reçu délégation aux fins de signer les décisions relevant du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, notamment de son livre VI, au nombre desquelles figure la décision attaquée. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'acte doit être écarté.
6. En deuxième lieu, la décision en litige, qui vise notamment les dispositions du 4° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, mentionne que la demande d'asile de M.X se disant MD Jakaria a été rejetée par une décision de la CNDA du 10 janvier 2024 régulièrement notifiée, qu'il est entré en France récemment et ne justifie d'aucun lien personnel et familial ancien, intense et stable en France, qu'il a vécu dans son pays d'origine jusqu'à ses 36 ans, qu'il ne justifie pas travailler, se trouve sans ressource en France et ne peut prétendre à la délivrance de plein droit d'aucun titre de séjour. Dans ces conditions, le préfet de Lot-et-Garonne, qui n'était pas tenu de détailler de façon exhaustive la situation personnelle de l'intéressé, a suffisamment motivé la décision en litige. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisante motivation de cette décision doit être écarté.
7. En troisième lieu, eu égard à la motivation retenue et à l'absence d'élément justifiant que le préfet de Lot-et-Garonne ait été préalablement averti de la situation professionnelle de M.X se disant MD Jakaria, la seule existence de l'erreur de fait quant à sa situation professionnelle et à la précarité de sa situation financière ne permet pas de considérer qu'il n'aurait pas été procédé à un examen réel et sérieux de la situation personnelle de l'intéressé. Le moyen tiré d'un défaut d'examen réel et sérieux doit donc être écarté.
8. En quatrième lieu, M.X se disant MD Jakaria, célibataire et sans enfant, réside en France depuis août 2022, soit depuis moins de deux ans à la date de la décision en litige. S'il est exact qu'il travaille, en vertu d'un contrat à durée indéterminée conclu 2 mai 2023, dans un secteur où les employeurs peinent à trouver des employés, il demeure que le préfet de Lot-et-Garonne, auprès duquel aucune demande de titre de séjour " salarié " n'a été déposée, n'a commis aucune erreur manifeste d'appréciation quant aux conséquences de sa décision sur la situation de l'intéressé en lui faisant obligation de quitter le territoire français.
9. En dernier lieu, ainsi qu'il a été dit précédemment, il ressort des pièces du dossier que le préfet de Lot-et-Garonne a principalement fondé sa décision sur la circonstance que M.X se disant MD Jakaria ne pouvait prétendre à la délivrance d'aucun titre de séjour de plein droit. L'intéressé ne pouvant prétendre à la délivrance de plein d'un titre de séjour mention " salarié " au seul motif de la conclusion d'un contrat à durée déterminée, l'erreur de fait commise par le préfet est sans incidence sur la décision en litige.
En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :
10. La décision fixant le pays de renvoi indique que M.X se disant MD Jakaria sera reconduit dans le pays dont il revendique avoir la nationalité et qu'il n'établit pas y être exposé à des traitements prohibés par la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisante motivation de cette décision doit être écarté.
En ce qui concerne la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :
11. Aux termes des dispositions de l'article L. 612-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque l'étranger n'est pas dans une situation mentionnée aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative peut assortir la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. / Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder deux ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français ". Aux termes des dispositions de l'article L. 612-10 de ce code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. / Il en est de même pour l'édiction et la durée de l'interdiction de retour mentionnée à l'article L. 612-8 ainsi que pour la prolongation de l'interdiction de retour prévue à l'article L. 612-11 ".
12. Il ressort des termes mêmes de ces dispositions que l'autorité compétente doit, pour décider de prononcer à l'encontre de l'étranger soumis à l'obligation de quitter le territoire français une interdiction de retour et en fixer la durée, tenir compte, dans le respect des principes constitutionnels, des principes généraux du droit et des règles résultant des engagements internationaux de la France, des quatre critères qu'elles énumèrent, sans pouvoir se limiter à ne prendre en compte que l'un ou plusieurs d'entre eux.
13. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que, pour prononcer l'interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an en litige, le préfet de Lot-et-Garonne a retenu que l'intéressé, qui n'avait pas fait l'objet d'une précédente mesure d'éloignement et dont le comportement ne troublait pas l'ordre public, résidait en France depuis peu de temps et n'y justifiait pas d'une particulière insertion sociale. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisante motivation de la décision contestée doit être écarté.
14. En second lieu, M.X se disant MD Jakaria n'est présent sur le territoire français que depuis août 2022, date à laquelle il soutenait être âgé de 36 ans, qu'il ne justifie ni de son identité ni d'une particulière insertion sociale en France et n'a déposé aucune demande de titre de séjour en dehors de la procédure d'admission à l'asile. Dans ces conditions, alors même que l'intéressé ne représente pas une menace pour l'ordre public et n'a pas fait l'objet d'une précédente mesure d'éloignement, la décision portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée limitée à un an n'est pas disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise. Le moyen tiré de l'erreur d'appréciation doit être écarté.
15. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de Lot-et-Garonne est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé l'arrêté du 7 février 2024. Par suite, ce jugement doit être annulé et, en l'absence de moyen permettant de fonder l'annulation de l'arrêté attaqué, la demande présentée par M.X se disant MD Jakaria devant le tribunal administratif de Bordeaux doit être rejetée.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2401309 du 12 avril 2024 du tribunal administratif de Bordeaux est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M.X se disant MD Jakaria devant le tribunal administratif de Bordeaux est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M.X se disant MD Jakaria et au ministre de l'intérieur
Copie en sera adressée au préfet de Lot-et-Garonne.
Délibéré après l'audience du 7 novembre 2024 à laquelle siégeaient :
Mme Karine Butéri, présidente,
M. Stéphane Gueguein, président-assesseur,
Mme Caroline Gaillard, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 novembre 2024.
Le rapporteur,
Stéphane Gueguein La présidente,
Karine Butéri
La greffière,
Virginie Guillout
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 24BX01013