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26/11/2024 | FRANCE | N°23BX00268

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 3ème chambre, 26 novembre 2024, 23BX00268


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... C... et Mme B... C... ont demandé au tribunal administratif de Poitiers de condamner la commune de Saint-Sulpice-de-Cognac à leur verser une somme totale de 210 000 euros en réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis à raison de l'arrêté du 28 juillet 2011 par lequel le maire de Saint-Sulpice-de-Cognac leur a délivré un permis de construire et de mettre à la charge de la commune une somme de 7 383,04 euros au titre des frais d'expertise ainsi qu'une somme d

e 8 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... C... et Mme B... C... ont demandé au tribunal administratif de Poitiers de condamner la commune de Saint-Sulpice-de-Cognac à leur verser une somme totale de 210 000 euros en réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis à raison de l'arrêté du 28 juillet 2011 par lequel le maire de Saint-Sulpice-de-Cognac leur a délivré un permis de construire et de mettre à la charge de la commune une somme de 7 383,04 euros au titre des frais d'expertise ainsi qu'une somme de 8 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 2002900 du 8 décembre 2022, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté cette demande et mis les frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 7 383,04 euros TTC, à la charge de M. et Mme C....

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 27 janvier 2023, M. et Mme C..., représentés par Me Firino Martell, demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 8 décembre 2022 du tribunal administratif de Pau ;

2°) de condamner la commune de Saint-Sulpice-de-Cognac à leur verser une somme totale de 210 000 euros en réparation de leurs préjudices financier et moral ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Saint-Sulpice-de-Cognac les frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 7 383,04 euros toutes taxes comprises (TTC).

4°) de mettre à la charge de la commune de Saint-Sulpice-de-Cognac une somme de 8 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- la responsabilité de la commune de Saint-Sulpice-de-Cognac est engagée à raison de l'arrêté du 28 juillet 2011 par lequel le maire de la commune leur a délivré un permis de construire une maison d'habitation ; en application de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme, le maire aurait dû refuser de leur délivrer cette autorisation de construire ou à tout le moins l'assortir de préconisations spéciales liées à la présence d'une carrière souterraine ; la commune avait connaissance, dès avant 2011, de l'existence de carrières rue des Essarts, et avait d'ailleurs alerté l'ancien propriétaire de la parcelle de la présence de cheminées d'extraction de pierres ; la connaissance de la présence de carrières sur le territoire communal est confirmée par le rapport d'expertise ;

- dès lors qu'ils n'étaient pas informés de la présence de carrières, aucune négligence fautive ne peut leur être opposée ; il ne peut notamment pas leur être reproché de ne pas avoir fait procéder à des études de sols ;

- leur maison, dont la quasi-totalité est située dans la zone de sécurité, est invendable et a perdu toute valeur vénale ; leur préjudice financier doit être fixé à 180 000 euros ;

- ils ont subi un préjudice moral qui doit être évalué à 30 000 euros ;

- les frais d'expertise doivent être mis à la charge de la commune.

Par un mémoire enregistré le 14 septembre 2023, la commune de Saint-Sulpice-de-Cognac, représentée par Me Drouineau, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de M. et Mme C... d'une somme de 8 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle n'a commis aucune faute de nature à engager sa responsabilité ; l'existence de la carrière n° 26 n'a été révélée qu'en 2014 ;

- les requérants, informés de l'existence de carrières souterraines à proximité de leur terrain, ont commis une faute en s'abstenant de réaliser toute étude des sols préalablement à la construction de leur maison d'habitation ;

- le préjudice financier invoqué trouve son origine dans l'existence même de la carrière n° 26 ; le préjudice moral invoqué n'est pas établi.

Par une ordonnance du 14 septembre 2023, la clôture d'instruction a été fixée, en dernier lieu, au 17 octobre 2023.

Un mémoire a été présenté pour M. et Mme C... le 20 octobre 2023, postérieurement à la clôture de l'instruction.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy,

- les conclusions de M. Julien Dufour,

- et les observations de Me Firino Martell, représentant M. et Mme C..., et E..., représentant la commune de Saint-Sulpice-de-Cognac.

Considérant ce qui suit :

1. Mme C... a acquis en 2005, sur le territoire de la commune de Saint-Sulpice-de-Cognac, la parcelle située 8 rue des Essarts, cadastrée section AV n° 883 et n° 885 (devenue n° 914). Par un arrêté du 28 juillet 2011, le maire de Saint-Sulpice-de-Cognac a délivré à M. et Mme C... un permis de construire une maison d'habitation sur cette parcelle. M. et Mme C... ont été informés, en 2014, de la présence, au droit de leur parcelle, d'une cavité souterraine correspondant à une ancienne carrière d'exploitation de calcaire. Le plan de prévention des risques naturels approuvé le 24 mars 2016 a classé cette ancienne carrière, référencée " carrière n° 26 ", en aléa fort d'effondrement en raison, en particulier, de son taux de défruitement de 93 %. Par une ordonnance du 26 mars 2019, le juge des référés du tribunal administratif de Poitiers a ordonné une expertise aux fins d'évaluer le risque d'effondrement, de dire si l'administration avait connaissance de ce risque et d'évaluer les préjudices subis par la propriété des époux C.... Estimant que le maire de la commune de Saint-Sulpice-de-Cognac avait commis une faute en leur délivrant le permis de construire du 28 juillet 2011 malgré le risque d'effondrement dû à la présence d'une cavité souterraine sous leur parcelle et s'abstenant d'assortir ce permis de prescriptions tendant à la réalisation de sondages sur ce terrain, M. et Mme C... ont demandé au tribunal administratif de Poitiers de condamner la commune à leur verser une somme totale de 210 000 euros en réparation de leurs préjudices financier et moral. Ils relèvent appel du jugement du 8 décembre 2022 par lequel le tribunal a rejeté cette demande et a mis à leur charge les frais de l'expertise ordonnée par le juge des référés du tribunal administratif de Poitiers.

Sur la responsabilité de la commune de Saint-Sulpice-de-Cognac :

2. Aux termes de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme applicable à la date de délivrance du permis de construire litigieux : " Le permis de construire peut être refusé ou n'être accordé que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales si les constructions, par leur situation ou leurs dimensions, sont de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique. Il en est de même si les constructions projetées, par leur implantation à proximité d'autres installations, leurs caractéristiques ou leur situation, sont de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique ". Ces dispositions ne font pas obligation de refuser le permis de construire dans le cas qu'elles prévoient. Lorsque le projet présenté risque de porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique mais qu'il est possible de prévenir un tel risque au moyen de prescriptions spéciales, ces dispositions ne permettent pas à l'autorité saisie de la demande de se borner à refuser le permis de construire sollicité, mais doivent la conduire à assortir sa délivrance de prescriptions spéciales destinées à pallier ce risque.

3. En premier lieu, il résulte de l'instruction, en particulier du rapport d'expertise, que la présence d'une cavité souterraine au droit de la parcelle des requérants ne faisait pas obstacle à ce que soit édifiée une maison d'habitation mais impliquait seulement l'adaptation du système de fondations par la mise en place de fondations profondes, assises sur le sol de la cavité souterraine, et d'un tubage dans la partie libre de la cavité. Dans ces conditions, M. et Mme C... ne sont pas fondés à soutenir que le maire de Saint-Sulpice-de-Cognac aurait commis une faute en n'opposant pas un refus à leur demande de permis de construire.

4. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction, en particulier de l'expertise ordonnée par le tribunal, que les études de carrières souterraines réalisées en 1998 et 2005 à Saint-Sulpice-de-Cognac, pour le compte du département de la Gironde, par le bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) portaient uniquement sur une bande de 25 mètres de part et d'autre de la route départementale n° 731 au niveau du lieu-dit " les Chaudrolles ", et n'ont ainsi pas répertorié les cavités souterraines situées au-delà de ce périmètre d'étude, notamment celle située au droit de la parcelle des requérants. Ceux-ci font valoir que le procès-verbal établi le 29 octobre 1894 par le service des mines de Bordeaux faisait état de carrières situées " au voisinage du Hameau de Chaudrolles " et occupant " une superficie de 20 hectares, formant une bande de 500 mètres de long sur 400 mètres de large ". Cependant, cette indication sur la superficie globale occupée par les carrières de calcaire ne suffit pas, à elle seule, à localiser précisément les différentes cavités souterraines, et par conséquent à identifier celle située au droit de la parcelle des requérants. Or, il résulte de l'instruction que ce n'est qu'à l'occasion de l'élaboration du plan de prévention des risques naturels (PPRN) prescrit le 24 avril 2012 sur la commune de Saint-Sulpice-de-Cognac que la cavité litigieuse a été répertoriée, en 2015. Ainsi que le relève le rapport d'expertise, l'existence de cette cavité a en effet été révélée par des relevés topographiques initiés à la suite d'effondrements survenus en 2014 au droit de trois puits d'aération situés, pour le premier, en limite de propriété de la parcelle de M. et Mme C... et, pour les deux autres, sur la parcelle voisine. Il résulte du rapport d'expertise que ces puits ont été remblayés majoritairement par des matériaux argileux et terreux, ainsi que par des déchets poubelliers pouvant être identifiés comme remontant aux années 1980/1990. Toutefois, la seule circonstance que les remblais comportent des déchets poubelliers ne permet ni d'affirmer que le remblaiement de ces puits aurait été réalisé par la commune, au titre de l'exercice de la police des déchets, ni par conséquent d'en déduire que la commune aurait eu connaissance dès les années 1980/1990 de l'existence de la cavité souterraine en cause. De même, la seule circonstance que M. D..., adjoint au maire et signataire du permis de construire délivré à M. et Mme C... réside actuellement rue des Essarts ne permet pas de considérer qu'il aurait été informé des opérations de remblaiement des puits de la carrière n° 26, et partant, de l'existence de cette cavité souterraine. Par ailleurs, si le certificat d'urbanisme délivré le 26 novembre 2003 à l'ancien propriétaire d'un vaste terrain incluant la parcelle ultérieurement acquise par les requérants mentionnait la nécessité de prendre des précautions particulières en raison de la proximité d'anciennes carrières souterraines et de puits remblayés, ce document ne comporte aucune indication sur l'existence d'une cavité souterraine au droit de la portion de terrain correspondant à leur parcelle. Enfin, eu égard à son imprécision, le courrier du Défenseur des droits du 30 mars 2020 produit par les requérants ne permet pas d'établir que le maire de Saint-Sulpice-de-Cognac aurait été informé, dès le mois de décembre 2010, de la localisation d'une carrière sous leur parcelle. Il ne résulte ainsi d'aucun élément de l'instruction qu'à la date du 28 juillet 2011 de délivrance d'un permis de construire à M. et Mme C..., le maire de Saint Sulpice-de-Cognac aurait eu connaissance de ce que le terrain d'assiette du projet était, pour partie, situé au-dessus d'une cavité souterraine. Par suite, il n'a commis aucune faute en s'abstenant d'assortir ce permis de prescriptions spéciales destinées à pallier un risque d'effondrement lié à la présence de cette cavité.

5. M. et Mme C... soutiennent enfin que, dès lors que le maire de Saint-Sulpice-de-Cognac avait à tout le moins connaissance de ce que le territoire communal comportait de nombreuses anciennes carrières de calcaire, en particulier dans le secteur, proche de leur parcelle, du lieu-dit " Les Chaudrolles ", il aurait dû les en informer et assortir le permis de construire d'une prescription tenant à la réalisation d'une étude de sols préalablement aux travaux d'édification de leur maison d'habitation. Cependant, la seule connaissance de l'existence de carrières souterraines à proximité de la parcelle en cause ne permettait pas à ladite autorité d'en déduire l'existence d'un risque avéré d'effondrement de cette parcelle et, par suite, d'atteinte à la sécurité publique au sens des dispositions précitées de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme. Au surplus, il ressort des mentions de l'acte authentique de vente que, lors de l'acquisition de la parcelle d'assiette du projet, les requérants ont été informés de " l'existence dans le secteur géographique du bien des présentés de cavités souterraines abandonnées dont la situation et les caractéristiques ne sont pas précisément identifiées ". En entreprenant des travaux de construction de leur maison d'habitation sans avoir préalablement procédé à une étude de sols, laquelle aurait permis d'adapter le système de fondations de la maison, les requérants ont dès lors commis une grave imprudence qui est à l'origine du dommage invoqué.

6. Il résulte de ce qui précède que M. et Mme C... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté leur demande tendant à la condamnation de la commune de Saint-Sulpice-de-Cognac à les indemniser.

Sur les frais d'expertise :

7. Les dispositions de l'article R. 761-1 du code de justice administrative posent

le principe que les dépens, tels que les frais d'expertise, sont mis à la charge de toute partie perdante. Elles permettent au juge d'y déroger " si les circonstances de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties ".

8. En l'espèce, les circonstances de l'affaire justifient le partage, demandé par M. et Mme C..., des frais de l'expertise ordonnée par le juge des référés du tribunal administratif de Poitiers. Il y a lieu de mettre ces frais, taxés et liquidés à la somme de 7 383,04 euros TTC, pour moitié à la charge de la commune de Saint-Sulpice-de-Cognac et pour moitié à la charge de M. et Mme C..., et de réformer, dans cette seule mesure, le jugement attaqué.

Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la commune de Saint-Sulpice-de-Cognac, qui n'a pas la qualité de partie perdante, le versement de quelque somme que ce soit au titre des frais exposés par M. et Mme C... et non compris dans les dépens.

10. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées sur le même fondement par la commune de Saint-Sulpice-de-Cognac.

DECIDE :

Article 1er : Les frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 7 383,04 euros TTC, sont mis pour moitié à la charge de la commune de Saint-Sulpice-de-Cognac et pour moitié à la charge de M. et Mme C....

Article 2 : Le jugement n° 2002900 du 8 décembre 2022 du tribunal administratif de Poitiers est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M. et Mme C... est rejeté.

Article 4 : Les conclusions présentées par la commune de Saint-Sulpice-de-Cognac au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C..., à Mme B... C... et à la commune de Saint-Sulpice-de-Cognac.

Délibéré après l'audience du 5 novembre 2024 à laquelle siégeaient :

M. Laurent Pouget, président,

Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, présidente-assesseure,

Mme Valérie Réaut, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 novembre 2024.

La rapporteure,

Marie-Pierre Beuve-Dupuy

Le président,

Laurent Pouget Le greffier,

Christophe Pelletier

La République mande et ordonne au préfet de la Charente, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 23BX00268


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23BX00268
Date de la décision : 26/11/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. POUGET
Rapporteur ?: Mme Marie-Pierre BEUVE-DUPUY
Rapporteur public ?: M. DUFOUR
Avocat(s) : FIRINO MARTELL THIERRY

Origine de la décision
Date de l'import : 01/12/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-11-26;23bx00268 ?
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