La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

26/11/2024 | FRANCE | N°22BX02074

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 5ème chambre, 26 novembre 2024, 22BX02074


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société Forces Motrices de Gurmençon a demandé au tribunal administratif de Pau d'annuler les articles 1er et 3 de l'arrêté du 3 mai 2019 par lequel le préfet des Pyrénées-Atlantiques a, d'une part, fixé la puissance maximale brute hydraulique du droit d'eau fondé en titre de la centrale hydroélectrique qu'elle exploite à 233 kilo Watt (kW) et, d'autre part, fixé le débit réservé à 5,5 mètres cubes par seconde, et de réformer l'article 1er de l'arrêté du 3 mai

2019 en fixant la consistance légale du droit d'eau fondé en titre à 692 kW ainsi que l'article ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Forces Motrices de Gurmençon a demandé au tribunal administratif de Pau d'annuler les articles 1er et 3 de l'arrêté du 3 mai 2019 par lequel le préfet des Pyrénées-Atlantiques a, d'une part, fixé la puissance maximale brute hydraulique du droit d'eau fondé en titre de la centrale hydroélectrique qu'elle exploite à 233 kilo Watt (kW) et, d'autre part, fixé le débit réservé à 5,5 mètres cubes par seconde, et de réformer l'article 1er de l'arrêté du 3 mai 2019 en fixant la consistance légale du droit d'eau fondé en titre à 692 kW ainsi que l'article 3 du même arrêté en fixant le débit réservé à 4 mètres cubes par seconde correspondant au débit minimum biologique.

Par un jugement n° 1901447 du 30 mai 2022, le tribunal administratif de Pau a rejeté la demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 22 juillet 2022 et 28 septembre 2023, la société Forces Motrices de Gurmençon, représentée par Me Larrouy-Castera, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1901447 du tribunal administratif de Pau du 30 mai 2022 ;

2°) d'annuler l'article 3 de l'arrêté préfectoral attaqué en tant qu'il fixe un débit minimal à maintenir dans le cours d'eau en aval de la prise d'eau de 5,5 m3/s et remplacer cette valeur par celle correspondant au débit minimum biologique soit 4 m3/s ;

3°) d'annuler l'article 1er dudit arrêté en tant qu'il fixe la consistance légale du droit d'eau fondé en titre à 233 kW et remplacer cette valeur par celle de 692 kW ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- c'est à tort que le tribunal a écarté sa demande tendant à bénéficier d'une consistance légale du droit d'eau fondé en titre de 692 kW en affirmant qu'aucune dérivation à fin d'irrigation n'apparaît sur le canal d'amenée figurant au cadastre napoléonien, en écartant les éléments produits et en faisant prévaloir dans l'établissement de la consistance légale l'état statistique établi par l'administration le 5 mars 1864 et enfin, en refusant de tenir compte des éléments issus du rapport du 8 octobre 1928 que le tribunal reproche de ne pas avoir produits, et des éléments techniques produits justifiant un débit dérivé de 7,5 m3/s ;

- elle justifie d'un droit d'irrigation établi avant l'abolition du régime féodal en 1789 puisque l'usage de l'irrigation est évoqué dans un mémoire du syndic de Gurmençon du 31 août 1778 en réponse au recensement de Noble Joseph de Paillette de 1770 ainsi que dans un acte de vente du site du 2 août 1850 de Madame C... à Messieurs Grat et Bergerot, antérieur à l'état statistique de 1864 ; en outre, il ressort d'un jugement du 19 mai 1824 que l'eau des fossés était réutilisée ensuite pour le fonctionnement de la papeterie ; l'état statistique de 1864 dont se prévaut l'administration ne mentionne pas l'ensemble des usages des eaux et notamment celui fait pour les " foulons à draps " qui était mentionné dans le dénombrement de sieur Joseph de Paillette ; le relevé de l'état statistique de 1890 est également incomplet car il ne mentionne que l'usage des moulins (nombre de paires de meules à la date de l'état) mais omet d'indiquer la papeterie et la prise d'eau pour l'irrigation ; s'agissant de la section de passage du vannage d'entrée, l'administration n'a pas apporté de preuve sur la capacité des ouvrages à dériver de l'eau ; les relevés réalisés dans les années 60 décrivent le vannage de prise d'eau qui était constitué de 2 vannes (également dessinées dans le profil en long de 1921) et avait une largeur totale de 3,15 m et une hauteur de passage maximal de 2,07 m ; le débit fondé en titre minimum est ainsi de 7,5 m3/s (pouvant être porté à 10/12 m3/s) ;

- l'administration ne justifie pas la fixation du débit réservé ; au contraire, la valeur retenue est entachée d'erreur manifeste d'appréciation compte tenu de la bonne fonctionnalité actuelle du tronçon court-circuité (TCC), de ce qu'aucune pression, notamment hydromorphologique et régulation des écoulements sur la masse d'eau n'est jugée significative, de ce que les paramètres physicochimiques généraux, biologiques et chimiques du Gave d'Aspe sont jugés en bon état et même très proches du très bon état, répondant aux objectifs de la DCE, de l'efficacité avérée des passes à poissons et des plans des grilles ichtyo compatibles dont le taux de survie atteint 100 % et de ce que les inventaires piscicoles ont montré une population plus dense dans le TCC que sur le gave non dérivé en amont, bénéficiant d'un effet " d'oasis " ; la valeur du débit réservé initialement fixée en 1982 satisfait aux exigences législatives, en " garantissant en permanence la vie, la circulation et la reproduction des espèces vivant dans les eaux [...] " (article L. 214-18 du code de l'environnement) ; la mesure GH 05 du PLAGEPOMI est satisfaite ;

- la décision méconnaît le SDAGE et les articles L. 110-1 et L. 211-1 du code de l'environnement qui imposent un juste équilibre entre protection du milieu biologique et impératif de développement de l'énergie verte ;

- seul le maintien de la valeur initiale du débit permettrait de préserver une partie du productible de la centrale exploitée par la société ;

- le préfet s'est placé en situation de compétence liée par les avis rendus par l'Agence française pour la biodiversité et l'Observatoire français pour la biodiversité.

Par un mémoire en défense, enregistré le 17 août 2023 le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés par la Société Forces Motrices de Gurmençon ne

sont pas fondés.

Par ordonnance du 2 octobre 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 20 octobre 2023 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'énergie ;

- le code de l'environnement ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. B...,

- les conclusions de M. Ellie, rapporteur public,

- les observations de Me Larrouy-Castera, représentant la société Forces Motrices de Gurmençon.

Considérant ce qui suit :

1. La société Forces Motrices de Gurmençon exploite une centrale hydroélectrique à Gurmençon sur le Gave d'Aspe qui bénéficie d'un droit fondé en titre d'une puissance estimée par l'administration à 233 kW et d'une autorisation environnementale pour 2 397 kW accordée pour une durée de 40 ans par un arrêté préfectoral du 9 juillet 1982. Le 19 février 2018, la société a déposé une demande, complétée le 15 octobre 2018, en vue d'obtenir le renouvellement de son autorisation d'utiliser l'énergie hydroélectrique du gave. Par arrêté du 3 mai 2019, le préfet des Pyrénées-Atlantiques a renouvelé l'autorisation d'exploiter pour une puissance maximale brute totale de 2 630 kW avec un débit minimal de 5,5 m3/s, supérieur à celui jusqu'alors en vigueur. La société Forces Motrices de Gurmençon relève appel du jugement du 30 mai 2022 par lequel le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande tendant à l'annulation des articles 1er et 3 de l'arrêté du 3 mai 2019 par lequel le préfet des Pyrénées-Atlantiques a, d'une part, fixé la puissance maximale brute hydraulique du droit d'eau fondé en titre de la centrale hydroélectrique qu'elle exploite à 233 kW et, d'autre part, fixé le débit réservé à 5,5 mètres cubes par seconde, et à la réformation de l'article 1er de l'arrêté du 3 mai 2019 en fixant la consistance légale du droit d'eau fondé en titre à 692 kW ainsi que l'article 3 du même arrêté en fixant le débit réservé à 4 mètres cubes par seconde correspondant au débit minimum biologique.

Sur les conclusions à fin d'annulation et de réformation :

2. Aux termes de l'article L. 214-10 du code de l'environnement : " Les décisions prises en application des articles L. 214-1 à L. 214-6 et L. 214-8 peuvent être déférées à la juridiction administrative dans les conditions prévues aux articles L. 181-17 à L. 181-18 ". En vertu de l'article L. 181-17 du même code, ces décisions sont soumises à un contentieux de pleine juridiction.

3. Il appartient au juge du plein contentieux, saisi d'un recours formé contre une décision de l'autorité administrative prise dans le domaine de l'eau, en application des articles L. 214-1 et suivants du code de l'environnement, d'apprécier le respect des règles de procédure régissant la demande dont l'autorité administrative a été saisie au regard des circonstances de fait et de droit en vigueur à la date de la décision prise par cette autorité. S'agissant des règles de fond, il appartient au juge du plein contentieux non d'apprécier la légalité de l'autorisation prise par l'autorité administrative dans le domaine de l'eau au vu des seuls éléments dont pouvait disposer cette autorité lorsqu'elle a statué sur la demande, mais de se prononcer lui-même sur l'étendue des obligations mises par cette autorité à la charge du bénéficiaire de l'autorisation au regard des circonstances de fait et de droit existant à la date à laquelle il statue.

En ce qui concerne la consistance légale du droit fondé en titre :

4. Sont regardées comme fondées en titre ou ayant une existence légale, les prises d'eau sur des cours d'eaux non domaniaux qui, soit ont fait l'objet d'une aliénation comme bien national, soit sont établies en vertu d'un acte antérieur à l'abolition des droits féodaux. Une prise d'eau est présumée établie en vertu d'un acte antérieur à l'abolition des droits féodaux dès lors qu'est prouvée son existence matérielle avant cette date.

5. Il résulte de l'instruction, et il n'est pas contesté, que le moulin de Gurmençon existait antérieurement au 4 août 1789 et qu'ainsi, son propriétaire est susceptible de bénéficier d'un droit de prise d'eau fondé en titre.

6. Aux termes, d'une part, de l'article L. 214-6 du code de l'environnement : " II.- Les installations, ouvrages et activités déclarés ou autorisés en application d'une législation ou réglementation relative à l'eau antérieure au 4 janvier 1992 sont réputés déclarés ou autorisés en application des dispositions de la présente section. Il en est de même des installations et ouvrages fondés en titre. (...) ". Aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'énergie : " Sous réserve des dispositions de l'article L. 511-4, nul ne peut disposer de l'énergie des marées, des lacs et des cours d'eau, quel que soit leur classement, sans une concession ou une autorisation de l'Etat. ". Aux termes de l'article L. 511-4 du même code : " Ne sont pas soumises aux dispositions du présent livre : / 1° Les usines ayant une existence légale ; (...) ". Aux termes de l'article L. 511-5 du même code : " Sont placées sous le régime de la concession les installations hydrauliques dont la puissance excède 4 500 kilowatts. / Les autres installations sont placées sous le régime de l'autorisation selon les modalités définies à l'article L. 531-1. / La puissance d'une installation hydraulique, ou puissance maximale brute, au sens du présent livre est définie comme le produit de la hauteur de chute par le débit maximum de la dérivation par l'intensité de la pesanteur. ".

7. Au titre, d'autre part, de la rubrique 3.1.1.0 de la nomenclature définie à l'article R. 214-1 du code de l'environnement, sont soumises à autorisation les " Installations, ouvrages, remblais et épis, dans le lit mineur d'un cours d'eau, constituant : / 1° Un obstacle à l'écoulement des crues (A) ; / 2° Un obstacle à la continuité écologique : / a) Entraînant une différence de niveau supérieure ou égale à 50 cm, pour le débit moyen annuel de la ligne d'eau entre l'amont et l'aval de l'ouvrage ou de l'installation (A) ; / b) Entraînant une différence de niveau supérieure à 20 cm mais inférieure à 50 cm pour le débit moyen annuel de la ligne d'eau entre l'amont et l'aval de l'ouvrage ou de l'installation (D) (...) ". Aux termes de l'article R. 214-18-1 du même code : " I. - Le confortement, la remise en eau ou la remise en exploitation d'installations ou d'ouvrages existants fondés en titre ou autorisés avant le 16 octobre 1919 pour une puissance hydroélectrique inférieure à 150 kW sont portés, avant leur réalisation, à la connaissance du préfet avec tous les éléments d'appréciation. / II. -Le préfet, au vu de ces éléments d'appréciation, peut prendre une ou plusieurs des dispositions suivantes : / 1° Reconnaître le droit fondé en titre attaché à l'installation ou à l'ouvrage et sa consistance légale ou en reconnaître le caractère autorisé avant 1919 pour une puissance inférieure à 150 kW ; (...) 3° Modifier ou abroger le droit fondé en titre ou l'autorisation en application des dispositions du II ou du II bis de l'article L. 214-4 ; (...). ".

8. Enfin, aux termes de l'article 3 de l'arrêté du 11 septembre 2015 fixant les prescriptions techniques générales applicables aux installations, ouvrages, épis et remblais soumis à autorisation ou à déclaration en application des articles L. 214-1 à L. 214-3 du code de l'environnement et relevant de la rubrique 3.1.1.0. de la nomenclature annexée à l'article R. 214-1 du code de l'environnement : " Les dispositions du présent arrêté sont applicables, sauf précision contraire, au confortement, à la remise en eau ou la remise en exploitation, dans les conditions prévues à l'article R. 214-18-1 du code de l'environnement, des ouvrages fondés en titre ou autorisés avant le 16 octobre 1919 pour une puissance hydroélectrique inférieure à 150 kW. / L'installation d'une puissance supplémentaire par rapport à la consistance légale reconnue ou la puissance autorisée avant le 16 octobre 1919 pour ces ouvrages ou installations est soumise à l'application de l'article L. 214-3 du code de l'environnement. / Pour l'application du présent article aux ouvrages et installations fondés, la puissance autorisée, correspondant à la consistance légale, est établie en kW de la manière suivante : / -sur la base d'éléments : états statistiques, tout élément relatif à la capacité de production passée, au nombre de meules, données disponibles sur des installations comparables, etc. ; / -à défaut, par la formule P (kW) = Qmax (m3/ s) × Hmax (m) × 9,81 établie sur la base des caractéristiques de l'ouvrage avant toute modification récente connue de l'administration concernant le débit dérivé, la hauteur de chute, la côte légale, etc. / Dans la formule ci-dessus, Qmax représente le débit maximal dérivé dans les anciennes installations, déterminé à partir des caractéristiques de la section de contrôle hydraulique du débit (selon les configurations des sites : section la plus limitante du canal d'amenée ou section de contrôle des anciens organes). Hmax représente la hauteur maximale de chute de l'installation comptée entre la cote normale de fonctionnement de la prise d'eau et celle de la restitution à la rivière pour un débit total du cours d'eau égal à la somme du débit maximal d'équipement et du débit réservé à l'aval. ".

9. Un droit fondé en titre conserve, en principe, la consistance légale qui était la sienne à l'origine. A défaut de preuve contraire, cette consistance est présumée conforme à sa consistance actuelle. Elle correspond, non à la force motrice utile que l'exploitant retire de son installation, compte tenu de l'efficacité plus ou moins grande de l'usine hydroélectrique, mais à la puissance maximale dont il peut, en théorie, disposer. S'il résulte des dispositions de l'article L. 511-4 du code de l'énergie, que les ouvrages fondés en titre ne sont pas soumis aux dispositions du livre V " Dispositions relatives à l'utilisation de l'énergie hydraulique " du code de l'énergie, leur puissance maximale est calculée en appliquant la même formule que celle qui figure au troisième alinéa de l'article L. 511-5 du code de l'énergie, c'est-à-dire en faisant le produit de la hauteur de chute par le débit maximum de la dérivation par l'intensité de la pesanteur.

10. Pour établir la consistance légale du droit d'eau fondé en titre de l'ouvrage à son origine et plus précisément le débit maximum de la dérivation, le préfet s'est fondé, d'une part, sur un état statistique établi par l'administration le 5 mars 1864 qui mentionne en colonnes 3 à 6 un droit d'irrigation et en colonnes 8 à 15 un droit d'utiliser la force motrice pour la papeterie et le moulin à farine, d'autre part, sur les études menées par M. A... en 1837, portant sur l'application de la mécanique aux machines les plus en usage mues par l'eau, et par M. D..., évaluant de 2 à 5 chevaux-vapeur l'énergie produite par paire de meules et de 25 à 35 % le rendement des roues horizontales et jusqu'à 60 % celui des roues verticales, pour retenir une puissance nette de 18 à 44 kW pour le moulin, 6 kW pour le foulon et 22 kW pour la papeterie, correspondant à un volume des eaux motrices de 0,64 m3/s pour le moulin à farine constitué de trois paires de meule et de 1,89 m3/s pour la papeterie, soit un débit dérivé total de 2,53 m3/s. Ces données ont été confortées par le rapport établi par l'Agence française pour la biodiversité le 14 janvier 2019 selon lequel le débit dérivé est estimé entre 1,4 et 2,2 m3/s sans pouvoir excéder 2,5 m3/s avant les modifications successives des ouvrages techniques du site.

11. La société affirme que cet état statistique est incomplet car il ne prend pas en compte un canal de dérivation aux fins d'irrigation dans le calcul de la consistance légale de la centrale dont résulte un débit dérivé de 7,5 m3/s. Toutefois et contrairement à ce qu'elle soutient, le dénombrement du Noble Joseph de Paillette de 1770 titulaire originel du droit fondé en titre, qui mentionne, en son article 21, " les eaux qui coulent dans l'étendue de ma directe " ne fait pas précisément mention d'un canal d'irrigation. De même, si l'extrait du cadastre napoléonien établi entre 1808 et 1850 désigne un site " papeterie " existant au bout du canal d'amenée dérivé de la rive gauche du Gave d'Aspe, avec un canal de restitution, à la sortie du site scindé en deux branches sur une partie, aucune dérivation à fin d'irrigation n'apparait sur le canal d'amenée figuré sur ce document. En tout état de cause, à supposer que l'extrait de la carte de Cassini jointe à l'appui de la demande de renouvellement de l'autorisation matérialise un canal dérivant pouvant éventuellement servir à des fins d'irrigation, la requérante ne rapporte pas la preuve de sa consistance et de son débit ni même que l'énergie de ce canal générerait une force motrice. De même, si dans un mémoire du syndic de Gurmençon du 31 août 1778, l'usage de l'irrigation des prairies est évoqué en réponse au recensement précité, cette seule assertion n'est pas de nature à démontrer que le droit fondé en titre intègre, dans la consistance légale du droit d'eau, le débit d'un canal de dérivation alors d'ailleurs, que comme le soutient le ministre devant le juge d'appel, une circulaire du ministre des travaux publics aux ingénieurs en chef des ponts et chaussées du 4 juillet 1878 précise que le chiffre de la colonne 13 " volume des eaux motrices " de l'état statistique " se confond sensiblement avec le volume des eaux ordinaires [...] sans pouvoir jamais le dépasser. ". Par ailleurs, si l'analyse produite par la requérante relative à la détermination de la consistance du droit fondé en titre mentionne que l'état statistique est incomplet car il ne mentionne que l'usage des moulins et omet d'indiquer la papeterie, les foulons et la prise d'eau pour l'irrigation, toutefois ce recensement fait expressément mention de la papeterie, du moulin à papier et du moulin à farine et a été établi sur la base du dénombrement du Noble de Joseph de Paillette du 28 juin 1870 qui indique qu'il " possède noblement, une maison (...) moulin à papier, moulin à farine et foulon. ". En outre, le rapport d'un ingénieur du 8 octobre 1928 dont se prévaut la requérante qui évalue la hauteur de chute à 9,40 mètres de chute, le débit dérivé à 7,5 m3 par seconde avec une hypothèse de vitesse d'eau de 1,6 m/s est dépourvu de force probante dès lors qu'il a été établi à la suite de nombreuses modifications de l'ouvrage en cause sur les 50 années précédentes et notamment la disparition du foulon, le remplacement de la papeterie par des cylindres et une machine à papier, le remplacement des parties boisées par de la maçonnerie, le remplacement de la papeterie par une centrale hydroélectrique et le comblement du canal de fuite originel présent sur la carte de Cassini sur toute sa partie aval. Pour les mêmes motifs, la requérante n'est pas fondée à critiquer les relevés réalisés dans les années 1960 par l'administration qui décrivent le vannage de prise d'eau constituée de 2 vannes. Enfin, ni le jugement du 19 mai 1824 selon lequel l'eau des fossés était réutilisée pour le fonctionnement de la papeterie ni l'acte de vente du site du 2 août 1850 de Madame C... à Messieurs Grat et Bergerot mentionnant un droit d'irrigation par une rigole qui a sa prise d'eau dans le canal d'arrivée, n'établissent davantage la consistance du débit revendiqué.

12. Il résulte de ce qui précède qu'en l'absence de preuve contraire, c'est par une exacte application des dispositions citées aux points 6 à 8 que le préfet des Pyrénées-Atlantiques a fixé, compte tenu d'une hauteur de chute de 9,40 m, la consistance initiale du droit de prise d'eau du moulin de Gurmençon à 233 kW. La société Forces Motrices de Gurmençon n'est donc pas fondée à demander que la consistance légale de ce droit soit fixée à 692 kW.

En ce qui concerne le débit réservé :

13. En premier lieu, aux termes de l'article L. 214-18 du code de l'environnement : " I.- Tout ouvrage à construire dans le lit d'un cours d'eau doit comporter des dispositifs maintenant dans ce lit un débit minimal garantissant en permanence la vie, la circulation et la reproduction des espèces vivant dans les eaux au moment de l'installation de l'ouvrage ainsi que, le cas échéant, des dispositifs empêchant la pénétration du poisson dans les canaux d'amenée et de fuite. / Ce débit minimal ne doit pas être inférieur au dixième du module du cours d'eau en aval immédiat ou au droit de l'ouvrage correspondant au débit moyen interannuel, évalué à partir des informations disponibles portant sur une période minimale de cinq années, ou au débit à l'amont immédiat de l'ouvrage, si celui-ci est inférieur. (...) ".

14. Par deux arrêtés du 7 octobre 2013, le préfet de la région Midi-Pyrénées, préfet coordonnateur du bassin Adour-Garonne, a inscrit le Gave d'Aspe à l'aval du pont d'Urdos et à l'amont du barrage d'Anglus, d'une part, sur la liste prévue au 1° du I de l'article L. 214-17 du code de l'environnement, des cours d'eau en très bon état écologique nécessitant une protection complète des poissons migrateurs et, d'autre part, sur celle prévue au 2° du I du même article, des cours d'eau dans lesquels il est nécessaire d'assurer la circulation des poissons migrateurs. Le Gave d'Aspe est également inscrit comme site Natura 2000 d'intérêt communautaire et zone naturelle d'intérêt écologique, faunistique et floristique sous la mention " le gave d'Aspe et le Lourdios (cours d'eau) ".

15. Le préfet a fixé le débit minimal à maintenir en aval immédiat de la prise d'eau de la centrale à 5,5 m³/s en prenant en compte les avis rendus les 28 mai 2018 et 14 janvier 2019 par l'Agence française pour la biodiversité (AFB) selon lesquels le débit réservé proposé par la pétitionnaire de 4 ou 4,8 m3 par seconde, soit 14 % du module, occasionnerait une dégradation marquée de l'habitat pour le saumon atlantique, qui constitue l'espèce cible prioritaire, de 7 % pour les alevins de saumon et de 23% pour les juvéniles par rapport à un étiage sévère (QMNA 5) tandis que l'exploitation est située à l'aval de la grande majorité des habitats des saumons atlantiques identifiés sur le Gave d'Aspe, contrôlant ainsi l'accès à des zones refuges de l'espèce, dans un contexte de changement climatique.

16. La société requérante revendique un débit réservé de 4 m3/s correspondant à 14% du module du cours d'eau en aval immédiat, et se prévaut à ce titre de deux documents en date de février et octobre 2018 rédigés par la société Eaucéa présentant les caractéristiques techniques de la demande de renouvellement de l'autorisation, qui soulignent notamment qu'un débit de 5,5 m3/s diminue la surface des zones favorables au saumon post-émergeant. Elle se prévaut dans ce cadre, de la bonne fonctionnalité actuelle du tronçon court-circuité (TCC), de ce qu'aucune pression, notamment hydromorphologique et régulation des écoulements sur la masse d'eau n'est jugée significative, de ce que les paramètres physicochimiques généraux, biologiques et chimiques du Gave d'Aspe sont jugés en bon état et même très proches du très bon état, de l'efficacité avérée des passes à poissons et des plans des grilles ichtyo compatibles dont le taux de survie atteint 100 % et de ce que les inventaires piscicoles ont montré une population plus dense dans le TCC que sur le gave non dérivé en amont, bénéficiant d'un effet " d'oasis ".

17. Toutefois, outre que ces éléments ne sont pas de nature à infirmer les avis précités particulièrement étayés rendus par l'Agence française pour la biodiversité que le préfet s'est appropriés dans l'arrêté qu'il a édicté sans s'estimer lié par ceux-ci, il ressort également d'un avis rendu par l'Office français de la biodiversité le 16 novembre 2020 que les données biologiques produites par le pétitionnaire ne permettent pas d'attester de l'absence d'impact dans le tronçon court-circuité avec le débit jusqu'alors dérivé et que la propre étude produite par la requérante à l'appui de sa demande de renouvellement dite de type " microhabitats " conduite dans le tronçon court-circuité permet de quantifier l'évolution des habitats favorables au saumon en fonction de l'augmentation du débit. De même, la mesure GH05 du plan de gestion des poissons migrateurs énonce que " Lorsque les tronçons courts-circuités sont particulièrement longs et représentent des enjeux biologiques forts, les valeurs de débit réservés doivent être, a minima, proches des débits caractéristiques d'étiage naturel ". Cet étiage naturel se situe en l'espèce autour de 7 m3/s, Enfin, selon le plan national d'actions 2021-2030 en faveur du desman des Pyrénées dont se prévaut le ministre, la zone de présence du desman s'étend au site de Gurmençon et cette espèce est désormais susceptible de fréquenter le site de l'installation hydroélectrique et le livre 4 d'un guide technique de recommandations pour la gestion du desman des Pyrénées et de ses habitats qui n'a certes pas de valeur réglementaire mais donne des indications sur l'espèce, préconise pour cette espèce un débit réservé de 25 % du module du cours d'eau qui est de 28 m3/s. Dans ces conditions, il ne résulte pas de l'instruction que le débit réservé de 5,5 m3 par seconde au droit de la centrale, retenu par le préfet, correspondrait à une évaluation excessive du débit garantissant en permanence la vie, la circulation et la reproduction des espèces vivant dans les eaux concernées.

18. En deuxième lieu, l'article L. 110-1 du code de l'environnement énonce que " le principe d'action préventive et de correction, par priorité à la source, des atteintes à l'environnement, en utilisant les meilleures techniques disponibles à un coût économiquement acceptable " et précise que ce principe " implique d'éviter les atteintes à la biodiversité et aux services qu'elle fournit ; à défaut, d'en réduire la portée ; enfin, en dernier lieu, de compenser les atteintes qui n'ont pu être évitées ni réduites, en tenant compte des espèces, des habitats naturels et des fonctions écologiques affectées ". Aux termes de l'article L. 211-1 du même code : " I.- Les dispositions des chapitres Ier à VII du présent titre ont pour objet une gestion équilibrée et durable de la ressource en eau ; cette gestion prend en compte les adaptations nécessaires au changement climatique et vise à assurer : (...) / 5° La valorisation de l'eau comme ressource économique et, en particulier, pour le développement de la production d'électricité d'origine renouvelable ainsi que la répartition de cette ressource ; (...) / 7° Le rétablissement de la continuité écologique au sein des bassins hydrographiques. (...) / II.- La gestion équilibrée doit permettre en priorité de satisfaire les exigences de la santé, de la salubrité publique, de la sécurité civile et de l'alimentation en eau potable de la population. Elle doit également permettre de satisfaire ou concilier, lors des différents usages, activités ou travaux, les exigences : / 1° De la vie biologique du milieu récepteur, et spécialement de la faune piscicole et conchylicole ; / 2° De la conservation et du libre écoulement des eaux et de la protection contre les inondations ; (...) ".

19. L'autorité administrative doit s'opposer aux installations, ouvrages, travaux et activités s'ils portent aux intérêts mentionnés à l'article L. 211-1 du code de l'environnement une atteinte telle qu'aucune prescription ne permettrait d'y remédier.

20. Il résulte des énonciations du point 17 du présent arrêt que des débits réservés trop faibles en aval de la centrale ne permettraient pas d'assurer en permanence la vie, la circulation et la reproduction des espèces du Gave, notamment le saumon. Si la société requérante soutient que la mise en œuvre effective du débit réservé de 5,5 m3/s la mettrait en grande difficulté économique, compte tenu des lourds investissements qu'elle a engagés et se prévaut, à ce titre, d'un document comptable établi par le cabinet ERF Conseil, il ne résulte toutefois pas de l'instruction que d'autres mesures aux conséquences économiques moindres pour l'exploitant permettraient d'atteindre le même résultat en termes de protection des espèces. Dès lors, alors même que cette situation serait de nature à diminuer la production d'une énergie renouvelable de 390 MWh par an, le préfet des Pyrénées-Atlantiques a exercé à juste titre les pouvoirs qu'il détient au titre de la police de l'eau pour assurer le respect des intérêts mentionnés aux articles L. 110-1 et L. 211-1 du code de l'environnement.

21. En troisième lieu, en vertu du XI de l'article L. 212-1 et de l'article L. 212-5-2 du code de l'environnement, les décisions administratives prises dans le domaine de l'eau, dont celles prises au titre de la police de l'eau en application des articles L. 214-1 et suivants du même code, sont soumises à une simple obligation de compatibilité avec le schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) et avec le plan d'aménagement et de gestion durable du schéma d'aménagement et de gestion des eaux (SAGE). Pour apprécier cette compatibilité, il appartient au juge administratif de rechercher, dans le cadre d'une analyse globale le conduisant à se placer à l'échelle du territoire pertinent pour apprécier les effets du projet sur la gestion des eaux, si l'autorisation ne contrarie pas les objectifs et les orientations fixés par le schéma, en tenant compte de leur degré de précision, sans rechercher l'adéquation de l'autorisation au regard de chaque orientation ou objectif particulier.

22. L'orientation D1 du schéma directeur de gestion et d'aménagement des eaux Adour Garonne tend à " équilibrer le développement de la production hydroélectrique et la préservation des milieux aquatiques ", l'orientation D33 tend " Pour les migrateurs amphihalins, [à] préserver et restaurer la continuité écologique et interdire la construction de tout nouvel obstacle " et l'orientation D34 tend à " préserver et restaurer les zones de reproduction des espèces amphihalines ".

23. Dès lors que la modification envisagée par l'arrêté attaqué n'est que d'1,5 m3/s sur le débit réservé de la centrale hydroélectrique en litige, une telle modification qui prend en compte la nécessité de préserver les intérêts écologiques n'est pas incompatible avec le schéma directeur de gestion et d'aménagement des eaux Adour Garonne en ce qu'il vise aussi au développement de la production hydroélectrique.

Sur les frais liés au litige :

24. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'a pas dans la présente instance, la qualité de partie perdante, la somme que la société Forces Motrices de Gurmençon demande au titre des frais qu'elle a exposés et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la société Forces Motrices de Gurmençon est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Forces Motrices de Gurmençon et à la ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques.

Une copie en sera adressée au préfet des Pyrénées-Atlantiques.

Délibéré après l'audience du 5 novembre 2024 à laquelle siégeaient :

Mme Elisabeth Jayat, présidente,

M. Nicolas Normand, président-assesseur,

Mme Héloïse Pruche-Maurin, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 novembre 2024.

Le rapporteur,

Nicolas B...

La présidente,

Elisabeth Jayat

La greffière,

Virginie Santana

La République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques, en ce qui la concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 22BX02074


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 22BX02074
Date de la décision : 26/11/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme JAYAT
Rapporteur ?: M. Nicolas NORMAND
Rapporteur public ?: M. ELLIE
Avocat(s) : CABINET LARROUY-CASTERA ET CADIOU

Origine de la décision
Date de l'import : 01/12/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-11-26;22bx02074 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award