Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme E... C... et la société libérale à responsabilité limitée (SELARL) Pharmacie Pierre Millet-Lacombe ont demandé au tribunal administratif de Limoges d'annuler l'arrêté du 8 septembre 2021 par lequel le directeur général de l'agence régionale de santé (ARS) Nouvelle-Aquitaine a autorisé le transfert de l'officine de pharmacie exploitée par la société à responsabilité limitée (SARL) unipersonnelle Pharmacie B... du 9, rue Pasteur à Nexon au " pôle Super U " route de la Meyze, sur le territoire de la même commune, et d'enjoindre à l'administration de procéder à la fermeture de la pharmacie B... à l'emplacement du transfert.
Par un jugement n° 2101801 du 12 décembre 2023, le tribunal a annulé l'arrêté
du 8 septembre 2021 et enjoint à l'ARS Nouvelle-Aquitaine de prendre toute mesure propre à assurer l'effectivité de cette annulation.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 27 décembre 2023 et un mémoire enregistré
le 19 juin 2024, la SARL Pharmacie B..., représentée par la SELARL CNPC Avocats, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter les demandes présentées par Mme C... et la SELARL Pharmacie Pierre Millet-Lacombe ;
3°) de mettre à la charge solidaire de Mme C... et de la SELARL Pharmacie Pierre Millet-Lacombe une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le transfert ne perturbe pas l'approvisionnement en médicaments de la population du quartier d'origine, comme l'a admis le tribunal ;
- la commune de Nexon comporte deux quartiers délimités par la route départementale, avec au nord le centre bourg, et au sud le " pôle Super U " où le transfert a été autorisé, et où se situent les zones constructibles ; afin d'évaluer la population du quartier d'accueil, il convient de tenir compte des populations saisonnières du festival " La Route du Cirque ", du camping de La Lande situé à Nexon et du camping municipal de Saint-Hilaire-les-Places ; le transfert permet de desservir la population résidente du quartier sud, ainsi que les populations des communes dépourvues de pharmacie de Saint-Hilaire-les-Places, Saint-Maurice-les-Brousses, Meilhac, Janailhac, Journac et Rilhac-Lastours, distantes en moyenne de 6,7 km de Nexon, de 11 km de La Meyze et de 15,6 km de Ladignac-le-Long, qui bénéficient d'un accès rapide à la nouvelle implantation ;
- les dispositions de l'article L. 5125-3 du code de la santé publique autorisent les transferts lorsqu'ils permettent une desserte en médicaments optimale au regard de la population résidente et du lieu d'implantation, ce qui est le cas dès lors que le lieu de transfert est aisément accessible par la route départementale n° 11 et par un cheminement piétonnier depuis le bourg de Nexon en utilisant le bas-côté, que le nouveau local bénéficie de nombreux emplacements de parking, qu'il est accessible aux personnes à mobilité réduite, et que ses locaux d'une superficie de 455,60 m² sont adaptés à l'activité et permettent le respect des bonnes pratiques.
Par des mémoires en intervention enregistrés le 4 janvier 2024 et le 4 juin 2024, Me Urbain, commissaire à l'exécution du plan de redressement de la SARL Pharmacie B..., représenté par Me Monpion, demande à la cour d'admettre son intervention, d'annuler le jugement du tribunal administratif de Limoges du 12 décembre 2023 et de rejeter la requête de Mme C... et de la SELARL Pharmacie Pierre Millet-Lacombe.
Il soutient que :
- son intervention au soutien des conclusions de la SARL Pharmacie B..., est recevable ;
- l'aménagement piétonnier est suffisant au regard des dispositions du 1° de
l'article L. 5125-3-2 du code de la santé publique, lesquelles ne doivent pas s'apprécier de façon stricte ou littérale, même si elles ne prévoient pas de dérogation explicite en faveur des zones rurales ; dès lors que la pharmacie B... est accessible aux personnes à mobilité réduite et propose des services de livraison au volant (drive) et de livraison à domicile, elle satisfait à la condition d'accessibilité ;
- comme l'a relevé la juge des référés de la cour, la circonstance que la population du quartier d'accueil pouvait s'approvisionner auparavant dans le bourg de Nexon et dans les communes voisines ne remet pas en cause l'amélioration de la desserte résultant d'une plus grande proximité pour certains habitants de la commune de Nexon, et le fait que le nombre d'habitants du quartier sud est inférieur à celui du quartier nord ne fait pas, par lui-même, obstacle au transfert, en l'absence de seuil minimum de population résidente pour un transfert au sein d'une même commune.
Par des mémoires en défense enregistrés le 26 mars 2024 et le 10 septembre 2024, Mme C... et la SELARL Pharmacie Pierre Millet-Lacombe, représentées par
la SELARL Sapone-Blaesi, concluent au rejet de la requête et demandent à la cour de mettre à la charge de la SARL Pharmacie B... une somme de 5 000 euros à verser à chacune d'elles au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles font valoir que :
- si les dispositions de l'article L. 5125-3 du code de la santé publique ont été modifiées par l'ordonnance du 3 janvier 2018, la condition de desserte optimale de la population résidente du quartier d'accueil est maintenue, et la définition du quartier n'a pas été modifiée ; en l'espèce, le quartier d'accueil défini par l'ARS, délimité par la route départementale n° 15 et le parc du château au nord, et par les limites communales au sud, à l'ouest et à l'est, a une superficie disproportionnée de plus de 18 km², alors que la route ne délimite pas deux unités cohérentes ; il inclut des hameaux du secteur n° 8 du plan des districts dont la population ne peut rejoindre le lieu du transfert sans passer par le centre bourg de Nexon ; la population de la partie sud de Nexon est estimée à 578 habitants, ce qui représente moins du quart de la population de la commune, et inclut en outre à tort les hameaux du secteur n° 8 ; la population des communes avoisinantes est déjà desservie dans des conditions satisfaisantes, notamment par les pharmacies de La Meyze et de Ladignac ; ainsi, le critère relatif à la population n'est pas rempli ;
- le trajet à pied du centre bourg au lieu de transfert, le long de la route départementale n° 11, n'est pas sécurisé en l'absence de trottoir, et l'accès par les transports en commun n'est pas assuré dès lors que le bus n'effectue que deux trajets par jour et s'arrête à plusieurs centaines de mètres ; comme l'a retenu la juge des référés de la cour pour rejeter la demande de suspension de l'exécution du jugement, le lieu d'implantation n'apparaît pas accessible sans danger par les piétons, et aucune dérogation aux dispositions de l'article L. 5125-3-2 du code de la santé publique relatif à l'accès par des aménagements piétonniers n'est prévu en faveur des zones rurales.
Par un mémoire en défense enregistré le 28 juin 2024, l'ARS Nouvelle-Aquitaine s'en remet intégralement aux écritures déposées par la SARL Pharmacie B... et par Me Urbain.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A...,
- les conclusions de Mme Isoard, rapporteure publique,
- et les observations de Me Marques, représentant la SARL Pharmacie B..., de Me Monpion, représentant Me Urbain, commissaire à l'exécution du plan de redressement de la SARL Pharmacie B..., celles de Me Sapone, représentant Mme C... et la SELARL Pharmacie Pierre Millet-Lacombe, et celle de M. D... représentant l'ARS.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., gérant de la SARL Pharmacie B..., a sollicité le 20 février 2014 l'autorisation de transférer son officine, située 9 rue Pasteur à Nexon (Haute-Vienne), vers un local neuf situé à 1,8 kilomètres de distance au " pôle Super U ", route de la Meyze, sur le territoire de la même commune. Ce transfert, initialement refusé par le directeur général de l'agence régionale de santé (ARS) d'Aquitaine, a été autorisé, après un recours hiérarchique de M. B..., par un arrêté de la ministre chargée de la santé du 9 décembre 2014. Le tribunal administratif de Limoges, saisi notamment par Mme C... et la SELARL Pharmacie Pierre Millet-Lacombe qui exploitent des pharmacies respectivement à La Meyze et Ladignac-le-Long, a annulé cet arrêté par un jugement n° 1500252 du 28 septembre 2017 au motif que le transfert ne permettait pas de répondre de façon optimale aux besoins du quartier d'accueil, et les appels de la SARL Pharmacie B... et de la ministre ont été rejetés par un arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux n° 17BX03256 du 8 février 2018. Une deuxième autorisation de transfert de la pharmacie B... sur le même emplacement, délivrée par un arrêté du directeur général de l'ARS Nouvelle-Aquitaine du 29 juin 2018, a été annulée à la demande de Mme C... et de la SELARL Pharmacie Pierre Millet-Lacombe par un jugement du tribunal administratif de Limoges n° 1801298 du 21 octobre 2020, au motif qu'en l'absence de toute modification de la situation de droit ou de fait, cette autorisation méconnaissait l'autorité de la chose jugée, et l'appel de la SARL Pharmacie B... a été rejeté par un arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux n° 20BX03756 du 4 mai 2021. Enfin, après examen
d'une nouvelle demande présentée sur le fondement des nouvelles dispositions de
l'article L. 5125-3 du code de la santé publique issues de l'ordonnance du 3 janvier 2018 relative à l'adaptation des conditions de création, transfert, regroupement et cession des officines de pharmacie, le directeur général de l'ARS Nouvelle-Aquitaine a délivré, le 8 septembre 2021, un troisième arrêté de transfert de la pharmacie B... sur le même emplacement. Mme C... et la SELARL Pharmacie Pierre Millet-Lacombe ont attaqué cet arrêté, et le tribunal administratif de Limoges l'a annulé par un jugement du 12 décembre 2023, au motif que le transfert ne permettait pas une desserte optimale au regard de la composition de la population du quartier d'accueil. La SARL Pharmacie B... relève appel de ce jugement.
Sur l'intervention de Me Urbain :
2. Me Urbain, commissaire à l'exécution du plan de redressement de la SARL Pharmacie B..., a intérêt au maintien de l'arrêté d'autorisation de transfert du 8 septembre 2021. Par suite, son intervention est recevable.
Sur l'appel de la SARL Pharmacie B... :
3. Aux termes de l'article L. 5125-3 du code de la santé publique dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2018-3 du 3 janvier 2018 : " Lorsqu'ils permettent une desserte en médicaments optimale au regard des besoins de la population résidente et du lieu d'implantation choisi par le pharmacien demandeur au sein d'un quartier défini à l'article L. 5125-3-1, d'une commune ou des communes mentionnées à l'article L. 5125-6-1, sont autorisés par le directeur général de l'agence régionale de santé, respectivement dans les conditions suivantes : / 1° Les transferts et regroupements d'officines, sous réserve de ne pas compromettre l'approvisionnement nécessaire en médicaments de la population résidente du quartier,
de la commune ou des communes d'origine (...) ". Aux termes de l'article L. 5125-3-2 du même code : " Le caractère optimal de la desserte en médicaments au regard des besoins prévu
à l'article L. 5125-3 est satisfait dès lors que les conditions cumulatives suivantes sont
respectées : / 1° L'accès à la nouvelle officine est aisé ou facilité par sa visibilité, par des aménagements piétonniers, des stationnements et, le cas échéant, des dessertes par les transports en commun ; / 2° Les locaux de la nouvelle officine remplissent les conditions d'accessibilité mentionnées aux articles L. 164-1 à L. 164-3 du code de la construction et de l'habitation, ainsi que les conditions minimales d'installation prévues par décret. Ils permettent la réalisation des missions prévues à l'article L. 5125-1-1 A du présent code et ils garantissent un accès permanent du public en vue d'assurer un service de garde et d'urgence ; / 3° La nouvelle officine approvisionne la même population résidente ou une population résidente jusqu'ici non desservie ou une population résidente dont l'évolution démographique est avérée ou prévisible au regard des permis de construire délivrés pour des logements individuels ou collectifs. "
4. Il appartient à l'autorité administrative d'apprécier les effets du transfert envisagé sur l'approvisionnement en médicaments du quartier d'origine et du quartier de destination de l'officine qui doit être transférée ainsi que, le cas échéant, des autres quartiers pour lesquels ce transfert est susceptible de modifier significativement l'approvisionnement en médicaments. La population résidente doit s'entendre, outre éventuellement de la population saisonnière, de la seule population domiciliée dans ces quartiers ou y ayant une résidence stable. L'administration peut toutefois tenir compte, pour apprécier cette population, des éventuels projets immobiliers en cours ou certains à la date de sa décision. Enfin, le caractère optimal de la réponse apportée par le projet de transfert ne saurait résulter du seul fait que ce projet apporte une amélioration relative de la desserte par rapport à la situation d'origine.
5. Le directeur général de l'ARS a retenu une délimitation de la commune
de Nexon (2 512 habitants en 2021) en deux quartiers séparés par la route départementale
n° 15 qui traverse le bourg d'ouest en est : un quartier nord comprenant l'essentiel du centre bourg, et un quartier sud incluant le reste du centre bourg, de vastes espaces agricoles, des hameaux et habitations dispersés, et une petite zone commerciale dite " pôle Super U ". L'arrêté du 8 septembre 2021 autorise le transfert de la pharmacie B... du 9 rue Pasteur, au centre bourg de Nexon dans le quartier nord, à 30 mètres de la seconde officine de la commune, au " pôle Super U " dans le quartier sud. Dès lors qu'il subsiste une pharmacie dans le quartier nord, l'approvisionnement en médicaments de la population n'y est pas compromis.
6. Il ressort des pièces du dossier que, d'une part, le transfert de la pharmacie B... a pour effet de lui faire desservir une population résidente autre que celle de son quartier d'origine. D'autre part, la population résidente du quartier d'accueil est constituée, outre de celle du sud du centre bourg proche de l'officine du quartier nord et éloignée de 1,8 km du lieu de transfert de la pharmacie B..., de hameaux représentant au total 578 habitants en 2019, répartis sur plus de trente sites et lieux-dits. Alors que le quartier sud ne comporte que peu de zones constructibles, l'existence de projets immobiliers en cours n'est pas démontrée par la production d'une liste de permis de construire accordés entre 2015 et 2019, et la population saisonnière invoquée du camping municipal et des gîtes touristiques n'apparaît pas significative. Il ne ressort pas des pièces du dossier que la population des hameaux n'aurait pas été desservie auparavant par les officines du centre-bourg et par celles des communes voisines, notamment celles exploitées par Mme C... et par la SELARL Pharmacie Pierre Millet-Lacombe. Dans ces circonstances, et alors même que la nouvelle implantation répond aux exigences des 1° et 2° de l'article L. 5125-3 du code de la santé publique, la condition définie au 3° n'était pas satisfaite par la décision
du 8 septembre 2021.
7. Il résulte de ce qui précède que la SARL Pharmacie B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a annulé l'arrêté du directeur général de l'ARS Nouvelle-Aquitaine du 8 septembre 2021.
Sur les frais exposés par les parties à l'occasion du litige :
8. La SARL Pharmacie B..., qui est la partie perdante, n'est pas fondée à demander l'allocation d'une somme au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre une somme à sa charge au titre des frais exposés par Mme C... et la SELARL Pharmacie Pierre Millet-Lacombe à l'occasion du présent litige.
DÉCIDE :
Article 1er : L'intervention de Me Urbain est admise.
Article 2 : La requête de la SARL Pharmacie B... est rejetée.
Article 3 : Les conclusions présentées par Mme C... et la SELARL Pharmacie
Pierre Millet-Lacombe au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative
sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL Pharmacie B..., à Mme E... C..., à la SELARL Pharmacie Pierre Millet-Lacombe, à l'agence régionale de santé Nouvelle-Aquitaine et à Me Philippe Urbain.
Délibéré après l'audience du 22 octobre 2024 à laquelle siégeaient :
M. Luc Derepas, président,
Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,
M. Antoine Rives, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 novembre 2024.
La rapporteure,
Anne A...
Le président,
Luc DerepasLa greffière,
Virginie Guillout
La République mande et ordonne à la ministre de la santé et de l'accès aux soins en ce qui la concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23BX03216