Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de la Gironde a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner solidairement le centre hospitalier universitaire (CHU) de Bordeaux et son assureur la société hospitalière d'assurance mutuelle (SHAM) à lui verser la somme de 74 086,37 euros au titre des frais et débours exposés pour le compte de son assurée sociale Mme B..., ainsi que la somme de 1 091 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.
Par un jugement n° 2002389 du 21 juin 2022, le tribunal a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 22 août 2022, la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de la Gironde, représentée par Me Boussac-Di Pace, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 21 juin 2022 ;
2°) de condamner solidairement le CHU de Bordeaux et la SHAM à lui rembourser la somme de 74 086,37 euros correspondant aux débours qu'elle a exposés pour le compte de Mme B... ;
3°) de condamner solidairement le CHU de Bordeaux et la SHAM à lui verser l'indemnité forfaitaire de gestion d'un montant de 1 114 euros ;
4°) de mettre à la charge solidaire du CHU de Bordeaux et de la SHAM la somme
de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que la somme de 13 euros au titre des droits de plaidoirie.
Elle soutient que :
- c'est à tort que le tribunal a écarté tout manquement fautif au cours de la prise en charge chirurgicale de Mme B..., le 7 octobre 2011 ; il s'est borné à constater que l'expert avait affirmé que les soins prodigués avaient été réalisés conformément aux données de la science et aux règles de l'art, sans examiner si, comme elle le soutenait, il ne décrivait toutefois pas implicitement un manquement fautif ;
- certains éléments développés dans le rapport d'expertise permettent pourtant de caractériser l'existence d'une faute ; celui-ci relève notamment une insuffisance de résection de la tête cubitale à l'origine d'un conflit ulno-lunarien et de douleurs ainsi qu'une lésion iatrogène occasionnée au cours de l'intervention, elle-même à l'origine d'une " perte de chance de 10 % " ; l'expert évoque d'ailleurs explicitement la notion de " responsabilité " ;
- si l'expert affirme certes que l'aggravation de l'état de santé de Mme B... entre la première et la seconde réunion d'expertise n'est pas imputable à la lésion iatrogène, cette circonstance n'implique toutefois pas que le CHU soit exonéré de sa responsabilité à raison des conséquences dommageables en lien avec la lésion iatrogène fautive ;
- la responsabilité du CHU de Bordeaux est ainsi engagée, en application des dispositions de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique ;
- elle produit un relevé de ses débours ainsi qu'une attestation d'imputabilité de son médecin conseil, dont l'indépendance est consacrée par les dispositions des articles R. 315-2,
L. 221-1 5° et L. 315-2 du code de la sécurité sociale, dont il ressort que les prestations en relation avec les fautes commises dans la prise en charge s'élèvent à 74 086,37 euros.
Par un mémoire en défense enregistré le 28 mars 2024, le CHU de Bordeaux et la SHAM, devenue société Relyens Mutual Insurance, représentés par la SELARL Le Prado, Gilbert, concluent au rejet de la requête et à ce que la somme de 2 500 euros soit mise à la charge de la CPAM de la Gironde au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- la responsabilité du CHU de Bordeaux n'est pas engagée à raison de l'intervention du 7 octobre 2011 ; le premier rapport d'expertise du 5 mai 2014 conclut que l'intervention
du 7 octobre 2011 a été réalisée selon les règles de l'art ; s'il est apparu une lésion iatrogène, d'ailleurs qualifiée de " minime ", l'expert n'en détermine pas l'origine avec certitude et celle-ci relève davantage d'un " aléa thérapeutique " faisant partie intégrante de cette chirurgie, à l'origine d'une perte de chance de 10 % pour la patiente d'éviter la survenance d'une complication ; le second rapport d'expertise du 20 février 2018 ne fait pas davantage ressortir l'existence d'une faute dans la réalisation du geste chirurgical ;
- l'expert a également et successivement écarté l'hypothèse que cette lésion puisse être à l'origine de l'aggravation de l'état de santé de Mme B..., de l'intervention corrective du professeur E..., ou encore des douleurs et du déficit d'extension du 5ème doigt dont elle souffre ;
- la caisse omet de tenir compte dans le montant de ses prétentions du taux de perte de chance de 10 % qu'elle invoque.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A...,
- les conclusions de Mme Isoard, rapporteure publique,
- et les observations de Me Bouyx, représentant la CPAM de la Gironde, et de Mme B....
Considérant ce qui suit :
1. Mme C... B..., née le 1er janvier 1971, exerçait la profession de chauffeur routier au sein du réseau de transport régional jusqu'à son licenciement pour inaptitude prononcé le 17 octobre 2010, l'intéressée étant atteinte d'une ténosynovite des fléchisseurs communs superficiels. Elle a subi le 7 octobre 2011 une intervention chirurgicale au CHU de Bordeaux comprenant une neurolyse du nerf ulnaire au niveau du coude droit ainsi qu'une arthroscopie du poignet droit. Estimant que cette prise en charge s'était déroulée dans des conditions fautives, Mme B... a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux le 18 juin 2013 en vue d'obtenir la réalisation d'une expertise. Par une ordonnance du 9 janvier 2014, le docteur D..., chirurgien orthopédique et traumatologique, a été désigné en qualité d'expert. Il a déposé son rapport le 5 mai suivant, alors que Mme B... n'était pas encore consolidée. En raison d'une aggravation de son état, Mme B... a, le 10 mars 2016, de nouveau saisi le juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux, lequel a ordonné la réalisation d'une seconde expertise, confiée au même médecin, qui a rendu son rapport le 20 février 2018. La CPAM de la Gironde relève appel du jugement du 21 juin 2022 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à ce que le CHU de Bordeaux et son assureur la SHAM soient condamnés à lui rembourser la somme de 74 086,37 euros au titre des frais qu'elle a exposés pour le compte de Mme B..., en lien avec des fautes commises par le CHU de Bordeaux au cours de l'intervention du 7 octobre 2011.
Sur les conclusions de la CPAM de la Gironde :
2. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. ".
3. Aux termes des dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale : " Lorsque, sans entrer dans les cas régis par les dispositions législatives applicables aux accidents du travail, la lésion dont l'assuré social ou son ayant droit est atteint est imputable à un tiers, l'assuré ou ses ayants droit conserve contre l'auteur de l'accident le droit de demander la réparation du préjudice causé, conformément aux règles du droit commun, dans la mesure où ce préjudice n'est pas réparé par application du présent livre. / Les caisses de sécurité sociale sont tenues de servir à l'assuré ou à ses ayants droit les prestations prévues par le présent livre, sauf recours de leur part contre l'auteur responsable de l'accident dans les conditions ci-après. / Les recours subrogatoires des caisses contre les tiers s'exercent poste par poste sur les seules indemnités qui réparent des préjudices qu'elles ont pris en charge, à l'exclusion des préjudices à caractère personnel. ".
4. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise du 5 mai 2014, que Mme B... a subi une intervention chirurgicale le 7 octobre 2011 en raison d'une douleur persistante au poignet droit consécutive à un accident de travail survenu le 16 avril 2010. L'intervention a consisté en une neurolyse du nerf ulnaire au coude et une arthroscopie du poignet, laquelle a révélé une lésion du ligament triangulaire et un conflit ulno-carpien. Une résection partielle de la tête de l'ulna a alors été réalisée selon la technique dite de " Wafer ". Les suites opératoires ont été marquées par des douleurs importantes, une limitation fonctionnelle sévère, ainsi que par une suspicion d'un syndrome algodystrophique (ou syndrome douloureux régional complexe). Les examens complémentaires n'ont pas confirmé de manière certaine le syndrome douloureux régional complexe mais ont mis au jour une lésion iatrogène minime sur la fossette lunairienne du radius, occasionnée au cours de l'intervention du 7 octobre 2011, laquelle est due, selon l'expert, soit à l'action de l'arthroscope soit, plus vraisemblablement, à celle du shaver. Ils ont également montré une insuffisance de la résection de la tête de l'ulna, justifiant une intervention chirurgicale de reprise le 12 novembre 2013.
5. En réponse à la question du tribunal visant à déterminer si des erreurs, manquements ou négligences avaient été commis lors du déroulement de l'intervention chirurgicale
du 7 octobre 2011, l'expert a indiqué dans son rapport du 5 mai 2014, qu'il n'avait été " retrouvé aucun manquement, erreur ou négligence dans (...) le déroulement de l'intervention chirurgicale en excluant l'apparition d'une lésion iatrogène minime sur le radius ". S'il a chiffré à 10 % l'incidence de cette lésion minime sur les souffrances ultérieures, lesquelles tenaient essentiellement par ailleurs à un syndrome douloureux régional complexe, il a indiqué que " l'insuffisance de résultat n'est pas critiquable, et fait partie intégrante de la pratique chirurgicale ", ce qui doit être regardé comme qualifiant un aléa thérapeutique non fautif et un échec thérapeutique de l'opération. Par ailleurs, si une insuffisance de résection de la tête cubitale avait été constatée, l'expert a affirmé que cela pouvait expliquer l'insuffisance de résultat sur les lésions initiales, mais non l'évolution ultérieurement constatée. Ainsi, en l'absence de caractérisation d'une faute du centre hospitalier en lien avec les préjudices, la caisse n'est pas fondée à soutenir que sa responsabilité serait engagée à son égard pour les débours exposés.
6. Il en résulte que la CPAM de la Gironde n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.
Sur les frais exposés à l'occasion du litige :
7. La CPAM de la Gironde, partie perdante, n'est pas fondée à demander l'allocation d'une somme au titre des frais de l'instance, y compris les droits de plaidoirie. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la CPAM de la Gironde une somme de 800 euros à verser au CHU de Bordeaux et à la société Relyens Mutual Insurance au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la CPAM de la Gironde est rejetée.
Article 2 : La CPAM de la Gironde versera une somme de 800 euros au CHU de Bordeaux et à la société Relyens Mutual Insurance au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la caisse primaire d'assurance maladie de la Gironde, au centre hospitalier universitaire de Bordeaux, à la société Relyens Mutual Insurance et à Mme C... B.... Copie en sera adressée au Dr D..., expert.
Délibéré après l'audience du 22 octobre 2024, à laquelle siégeaient :
M. Luc Derepas, président de la Cour,
Mme Catherine Girault, présidente de chambre,
M. Antoine Rives, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 novembre 2024.
Le rapporteur,
Antoine A...
Le président,
Luc DerepasLa greffière,
Virginie Guillout
La République mande et ordonne à la ministre de la santé et de l'accès aux soins en ce qui la concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22BX02301