Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme E... A..., née D... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'ordonner une expertise médicale afin d'évaluer l'étendue des préjudices résultant d'une vaccination obligatoire contre l'hépatite B, et de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à lui verser une provision de 200 000 euros à valoir sur l'indemnisation de ses préjudices.
Par un jugement n° 2004181 du 21 juin 2022, le tribunal a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 15 juillet 2022 et des mémoires enregistrés le
19 décembre 2022 et le 19 janvier 2024, Mme A... représentée par Me Jegu, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'ordonner une expertise médicale afin d'évaluer ses préjudices ;
3°) de condamner l'ONIAM à lui verser une provision de 200 000 euros à valoir sur l'indemnisation de ses préjudices, avec intérêts au taux légal et capitalisation de ces intérêts ;
4°) de mettre à la charge de l'ONIAM une somme de 2 500 euros au titre
de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les entiers dépens de l'instance.
Elle soutient que :
- la vaccination contre l'hépatite B, effectuée le 8 août 2006, a été pratiquée dans le cadre de son entrée en faculté de médecine et revêtait un caractère obligatoire ;
- cette vaccination n'a pas été précédée d'une sérologie de l'hépatite B, qui aurait permis de vérifier la nécessité ou non de cette injection ;
- elle avait déjà reçu plusieurs doses du vaccin Engerix B entre 1995 et 1997 ;
- le lien de causalité entre le lupus dont elle a été atteinte et la vaccination doit être reconnu comme établi au regard d'un faisceau d'indices ; elle conteste les conclusions du rapport d'expertise rédigé par les docteurs Franck et Biscay, qui, tout en mentionnant plusieurs cas de lupus post-vaccinal dans la littérature scientifique, concluent, dans le cas d'espèce, à l'absence de lien de causalité scientifiquement démontré ;
- des publications scientifiques sérieuses, y compris celles mentionnées par les experts, signalent des cas de lupus survenus après la vaccination contre l'hépatite B, notamment une étude de 1999 qui recense 22 cas de maladies auto-immunes survenues après la vaccination, dont deux cas d'exacerbation de lupus ; une autre étude de 2009 évoque 10 cas de lupus chronologiquement associés à la vaccination ;
- les experts n'ont retenu aucun antécédent médical avant la vaccination, ni personnel ni familial, qui aurait pu expliquer l'apparition d'une maladie auto-immune telle que le lupus ;
- contrairement, d'une part, aux conclusions des experts mandatés par l'ONIAM, qui fixent l'apparition des premiers symptômes de lupus à mars 2008 et, d'autre part, à ce qu'a jugé le tribunal, ses premiers symptômes sont apparus dès le mois d'août 2006, ils étaient caractérisés par une asthénie sévère et des douleurs musculaires et articulaires et se sont aggravés au fil des mois ; elle a consulté deux médecins le 21 août 2006, le 2 décembre 2006 puis le 9 décembre 2006, qui ont constaté la réalité de ces symptômes et prescrit des anti-inflammatoires ; c'est à tort que le tribunal a écarté le tableau chronologique qu'elle avait produit en première instance, faisant état de consultations médicales et de prescriptions pharmaceutiques, et qui corroborait la survenue rapide des symptômes après la vaccination ; elle produit en appel deux certificats de son médecin traitant, qui attestent de la prescription d'anti-inflammatoires non stéroïdiens dès le 21 août 2006, soit 13 jours après la vaccination, pour des douleurs articulaires, ainsi que d'Oméoprazole le 25 août 2006 ;
- en mars 2008, elle a de nouveau consulté son médecin, qui a cette fois évoqué une mononucléose infectieuse en raison de la présence de ganglions cervicaux et d'une sérologie positive au virus d'Epstein-Barr ; le tableau clinique s'est alors considérablement aggravé, avec une asthénie sévère, une altération générale de son état de santé, et des douleurs articulaires persistantes, nécessitant un traitement par anti-inflammatoires et corticostéroïdes ; en décembre 2008, lors d'un séjour à Orléans, elle a été hospitalisée en urgence pour une péricardite aiguë ;
- si le diagnostic de lupus érythémateux systémique a été posé tardivement, en avril 2009, ce délai ne permet pas d'exclure la reconnaissance d'un lien de causalité dès lors que des symptômes évocateurs de lupus sont apparus dès août 2006 et que le diagnostic de maladies auto-immunes comme le lupus peut prendre plusieurs années, en raison de la nature complexe et évolutive des symptômes ; par ailleurs, le diagnostic de mononucléose est postérieur au déclenchement de son lupus ;
- l'expertise sollicitée revêt un caractère d'utilité alors que les experts de l'ONIAM n'ont pas examiné ses préjudices ; elle invoque des préjudices physiques, psychiques et professionnels et demande une provision de 200 000 euros pour les préjudices qu'elle a déjà subis.
Par un mémoire en défense enregistré le 13 octobre 2022, l'ONIAM, représenté par
Me Birot, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre les dépens à la charge de Mme A....
Il fait valoir que :
- le caractère obligatoire de la vaccination n'est pas contesté ;
- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, il n'existe aucune probabilité scientifiquement démontrée d'un lien de causalité entre la pathologie présentée par Mme A... et la vaccination dont elle a bénéficié ;
- la première consultation médicale postérieure à la vaccination, le 9 décembre 2006, mentionne des contractures musculaires, sans lien avec des douleurs articulaires typiques du lupus ;
- il ne ressort pas du dossier médical de la patiente que celle-ci aurait consulté un médecin entre le 9 décembre 2006 et le 10 mars 2008 ; au décours de cette dernière consultation, il a été constaté des adénopathies cervicales justifiant un bilan biologique qui a mis en évidence un syndrome inflammatoire important, ce qui a finalement abouti au diagnostic de lupus en décembre 2008 à la suite d'une endocardite ; les premiers signes d'apparition de la pathologie doivent donc être datés au 10 mars 2008, soit 21 mois après l'injection ;
- le tableau des médicaments délivrés en 2006 et 2007 pour des douleurs articulaires présumées concerne des prescriptions indiquées pour le traitement des douleurs menstruelles ou musculaires, sans lien avec des symptômes évocateurs de lupus ;
- il ressort par ailleurs de la littérature scientifique et médicale que le virus d'Epstein-Barr (mononucléose infectieuse), est un des facteurs environnementaux de la maladie lupique ; or, Mme A... a présenté une sérologie positive pour la mononucléose infectieuse
le 28 mars 2008, ce qui peut expliquer le déclenchement de son lupus ;
- la mesure d'expertise sollicitée est dépourvue d'utilité.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. B...,
- les conclusions de Mme Isoard, rapporteure publique,
- et les observations de Me Jegu, représentant Mme A..., et celles de Me Desvergnes, représentant l'ONIAM.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A... a subi trois injections d'un vaccin contre le virus de l'hépatite B
les 27 décembre 1995, 2 septembre 1996 et 14 mai 1997. Alors qu'elle s'apprêtait à commencer des études de médecine, elle a reçu, le 8 août 2006 une injection de rappel de ce vaccin, dans le cadre de l'obligation vaccinale instituée par les dispositions du quatrième alinéa de l'article L. 3111-4 du code de la santé publique. Au cours du mois d'avril 2009, le diagnostic de lupus avec manifestation articulaire a été posé. Mme A..., qui impute le déclenchement de cette pathologie à l'injection du 8 août 2006, a saisi l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) d'une demande d'indemnisation. Le 10 décembre 2019, l'ONIAM, en se fondant sur le rapport d'expertise établi par les docteurs Franck et Biscay, a rejeté cette demande au motif que le lien de causalité entre le lupus et la vaccination n'était pas établi. Mme A... relève appel du jugement
du 21 juin 2022 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa requête tendant à la condamnation de l'ONIAM à l'indemniser, à titre provisionnel, des préjudices qu'elle estime avoir subis à la suite de sa vaccination contre l'hépatite B et à ce que soit ordonnée, avant dire droit, une expertise médicale pour évaluer l'ampleur de ces préjudices.
Sur le bien-fondé du jugement :
2. Aux termes des dispositions du quatrième alinéa de l'article L. 3111-4 du code de la santé publique : " Tout élève ou étudiant d'un établissement préparant à l'exercice des professions médicales et des autres professions de santé dont la liste est déterminée par arrêté du ministre chargé de la santé, qui est soumis à l'obligation d'effectuer une part de ses études dans un établissement ou organisme public ou privé de prévention ou de soins, doit être immunisé contre les maladies mentionnées à l'alinéa premier du présent article. "
3. Aux termes de l'article L. 3111-9 du code de la santé publique : " Sans préjudice des actions qui pourraient être exercées conformément au droit commun, la réparation intégrale des préjudices directement imputables à une vaccination obligatoire pratiquée dans les conditions mentionnées au présent chapitre, est assurée par l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales institué à l'article L. 1142-22, au titre de la solidarité nationale (...) "
4. Lorsqu'il est saisi d'un litige individuel portant sur les conséquences pour la personne concernée d'une vaccination obligatoire en vertu du code de la santé publique, il appartient au juge, pour écarter toute responsabilité de la puissance publique, non pas de rechercher si le lien de causalité entre l'administration du vaccin et les différents symptômes attribués à l'affection dont souffre l'intéressé est ou non établi, mais de s'assurer, au vu du dernier état des connaissances scientifiques en débat devant lui, qu'il n'y a aucune probabilité qu'un tel lien existe. Il lui appartient ensuite, soit, s'il est ressorti qu'en l'état des connaissances scientifiques en débat devant lui il n'y a aucune probabilité qu'un tel lien existe, de rejeter la demande indemnitaire, soit, dans l'hypothèse inverse, de procéder à l'examen des circonstances de l'espèce et de ne retenir l'existence d'un lien de causalité entre les vaccinations subies par l'intéressé et les symptômes qu'il a ressentis que si ceux-ci sont apparus, postérieurement à la vaccination, dans un délai normal pour ce type d'affection, ou se sont aggravés à un rythme et une ampleur qui n'étaient pas prévisibles au vu de son état de santé antérieur ou de ses antécédents et, par ailleurs, qu'il ne ressort pas du dossier qu'ils peuvent être regardés comme résultant d'une autre cause que ces vaccinations.
5. Il résulte des éléments de littérature médicale versés au dossier que, dès les années 1990, l'hypothèse d'un lien causal entre la vaccination contre l'hépatite B et l'apparition du lupus érythémateux systémique ou diffus a été suggérée, en raison de plusieurs cas cliniques rapportés ou publiés faisant état d'affections lupiques chronologiquement associées à l'administration d'un vaccin contre l'hépatite B. Il a alors été suggéré que cet effet secondaire indésirable pourrait résulter d'une stimulation, spécifique ou non, du système immunitaire par l'antigène HBs, composant principal du vaccin contre l'hépatite B. Si, ainsi qu'il ressort de l'article " Lupus érythémateux systémique et risque de la vaccination contre l'hépatite B : du niveau de preuve à la prescription ", publié en 2000 à la revue de médecine interne, cette explication biologique a ultérieurement été écartée et que le niveau de preuve de l'existence d'une association entre le lupus érythémateux systémique et la vaccination contre l'hépatite B est très faible, le dernier état des connaissances scientifiques ne permet toutefois pas d'exclure toute probabilité s'agissant d'un tel lien, eu égard notamment aux multiples cas cliniques documentés. Il y a lieu, dès lors, de rechercher l'existence d'un lien de causalité entre l'affection lupique présentée par Mme A... et l'injection d'un rappel de vaccin contre l'hépatite B, le 8 août 2006, au regard des circonstances de l'espèce.
6. Il résulte de l'instruction, et notamment de l'article d'Agmon-Levin et al. " Ten cases of systemic lupus erythematosus related to hepatitis B vaccine ", publié en 2009 au Journal of Autoimmunity que, chez les patients étudiés ayant fait l'objet d'une vaccination contre l'hépatite B puis ayant déclaré un lupus, la période de latence moyenne observée entre l'injection et l'apparition de symptômes auto-immuns était de 56,3 jours, avec des valeurs extrêmes comprises entre quelques jours et un an. Mme A... indique avoir ressenti dès le mois d'août 2006 une asthénie sérieuse et des douleurs musculaires et articulaires. Toutefois, le docteur C..., médecin généraliste consulté le 9 décembre 2006, a seulement constaté " des douleurs musculaires scapulaires dans un contexte anxiogène " tandis que le rapport d'expertise établi par un médecin rhumatologue fait état quant à lui, outre les douleurs scapulaires et musculaires, de signes généraux à type d'asthénie mais pas de douleurs articulaires, lesquelles constituent le symptôme principal du lupus. En produisant un certificat rédigé par son médecin traitant plus de seize ans après les faits, des attestations de deux de ses amies peu circonstanciées sur ce point ainsi qu'un tableau chronologique de ses symptômes qu'elle a elle-même élaboré, l'intéressée n'établit pas que ses douleurs musculaires auraient été accompagnées de troubles articulaires dans les suites de l'injection. S'il est vrai que les symptômes musculaires figurent au nombre de ceux auxquels sont fréquemment exposés les patients lupiques, ce symptôme aspécifique coïncidait chronologiquement avec sa rentrée universitaire en première année de médecine, de sorte qu'il ne peut être exclu qu'il puisse être rattaché à ce contexte particulier, d'ailleurs évoqué par le docteur C....
7. Il résulte en outre du dossier médical de l'appelante que celle-ci n'a de nouveau consulté un médecin que le 10 mars 2008, pour des plaintes d'adénopathies cervicales isolées. Le bilan biologique réalisé au décours de cette consultation a mis en évidence un syndrome inflammatoire et une sérologie positive pour la mononucléose infectieuse. Or, l'étude de Harley et al. publiée en 2006 au Bulletin of the NYU Hospital for Joint Diseases, citée par les médecins de l'ONIAM dans leur note médicale, a suggéré qu'une telle infection, en ce qu'elle entraîne la production d'anticorps dirigés contre l'antigène nucléaire-1 du virus d'Epstein-Barr (EBNA-1), pourrait constituer un facteur déclenchant du lupus. Par suite, le déclenchement du lupus de Mme A..., diagnostiqué au cours du mois d'avril 2009, peut être regardé comme résultant d'une autre cause que sa vaccination. En outre, à supposer même que les premiers signes évocateurs de la maladie lupique de Mme A..., en particulier le syndrome inflammatoire déjà mentionné et une péricardite aigüe, objectivée en décembre 2018, ne trouvaient pas leur cause dans la mononucléose infectieuse, il ne résulte pas de l'instruction que les symptômes qui leur sont associés soient apparus dans le délai mentionné par l'étude de 2009 publiée au Journal of Autoimmunity, soit un an au maximum, permettant de retenir un lien de causalité entre la vaccination contre l'hépatite B et le lupus systémique érythémateux. Dans ces conditions, eu égard à l'ensemble de ces éléments, c'est à bon droit que les premiers juges ont écarté l'existence d'un tel lien de causalité.
8. Il s'ensuit que, sans qu'il soit besoin d'ordonner une nouvelle expertise, Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.
Sur les frais exposés par les parties à l'occasion du litige :
9. Mme A..., qui est la partie perdante, n'est pas fondée à demander l'allocation d'une somme au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
10. Aux termes de l'article R. 3111-30 du code de la santé publique : " L'office national prend en charge le coût des expertises, sous réserve du remboursement exigible à l'occasion des actions subrogatoires visées à l'article L. 3111-9. " L'expertise diligentée par l'ONIAM antérieurement à la demande de Mme A... devant le tribunal n'a pas le caractère de dépens au sens de l'article R. 761-1 du code de justice administrative. Par suite, la demande de l'ONIAM tendant à ce que soient mis à la charge de la requérante des dépens, en l'espèce inexistants, ne peut qu'être rejetée.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.
Article 2 : La demande de l'ONIAM tendant à ce que des dépens soient mis à la charge
de Mme A... est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... D... épouse A..., et à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.
Délibéré après l'audience du 22 octobre 2024 à laquelle siégeaient :
M. Luc Derepas, président,
Mme Catherine Girault, présidente de chambre,
M. Antoine Rives, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 novembre 2024.
Le rapporteur,
Antoine B...
Le président,
Luc DerepasLa greffière,
Virginie Guillout
La République mande et ordonne à la ministre de la santé et de l'accès aux soins en ce qui la concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22BX01851