Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société AM Trust Underwriters DAC a demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe d'annuler le titre exécutoire n° 2040/450 du 4 février 2020 d'un montant de
83 277,96 euros émis à son encontre par l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM).
Dans la même instance, l'ONIAM a demandé, à titre reconventionnel, de condamner la société AM Trust Underwriters DAC à lui verser les intérêts au taux légal à compter du
10 mars 2020 avec capitalisation des intérêts sur la somme de 83 277,96 euros, ainsi que la somme de 12 491,69 au titre de la pénalité prévue à l'article L. 1142-15 du code de la santé publique, et d'appeler la caisse générale de sécurité sociale de la Guadeloupe en déclaration de jugement commun.
Par un jugement n° 2000378 du 3 mars 2022, le tribunal administratif de la Guadeloupe a annulé le titre exécutoire du 4 février 2020 à hauteur du surplus de la somme de 49 966,78 euros et a déchargé la société Am Trust International Underwriters Dac de la somme de 33 311,18 euros.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 5 mai 2022 et des mémoires enregistrés les
2 novembre 2023 et 3 mai 2024, la société AM Trust Underwriters DAC et la société Bothnia International Insurance Compagny Limited, qui lui a succédé dans ses droits et obligations, représentées par Me Fabre, demandent à la cour, dans le dernier état de leurs écritures :
1°) d'annuler le jugement du 3 mars 2022 ;
2°) d'annuler le titre exécutoire n° 2040/450 du 4 février 2020 d'un montant
de 83 277,96 euros ;
3°) de rejeter les demandes de l'ONIAM ;
4°) de mettre à la charge de l'ONIAM la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et les " entiers dépens ".
Elles soutiennent que :
- la société Bothnia International Insurance Company Limited vient aux droits de la société AM Trust Underwriters DAC en application d'un contrat de transfert de portefeuille homologué par la Haute Cour irlandaise le 4 juillet 2023 ;
- la preuve d'une faute imputable au centre hospitalier universitaire (CHU) de la Guadeloupe en lien direct et certain avec les préjudices de Mme E... n'est pas rapportée ; le tribunal a, à juste titre, écarté un tel lien s'agissant de l'intervention du 19 septembre 2012 dès lors qu'à cette date, la patiente ne présentait aucun signe neurologique justifiant une imagerie par résonance magnétique (IRM) ; l'expert n'a retenu aucun manquement commis par le CHU de la Guadeloupe à l'occasion de la prise en charge du 19 septembre 2012 ;
- le tribunal a en revanche retenu à tort que l'indisponibilité de l'IRM au sein du CHU à la date d'apparition des premiers signes de souffrance médullaire engageait sa responsabilité ; le schéma régional ne prévoit qu'une seule IRM au sein du CHU, et son indisponibilité temporaire en raison de pièces à changer ne saurait être regardée comme fautive ;
- la circonstance que l'IRM ait été indisponible à la date d'apparition des premiers signes de cette souffrance est indifférente dès que Mme E... n'était plus prise en charge par le CHU mais par le Dr A..., neurochirurgien de l'établissement, dans le cadre d'une consultation privée et par la clinique des Eaux Claires ; or, aucune IRM ne lui a été prescrite au cours de ces prises en charge ;
- si la commission de conciliation et d'indemnisation (CCI) a qualifié l'indisponibilité temporaire de l'IRM comme un " manquement ", cette analyse est erronée car une IRM est un matériel fragile qui nécessite une maintenance régulière, et des pannes sont possibles, surtout en Guadeloupe où les délais de réparation peuvent être plus longs ; en l'espèce, l'indisponibilité de ce matériel entre le 10 ou 15 septembre 2012 et le 9 octobre 2012 était due à des pannes nécessitant des pièces spécifiques et le schéma régional d'organisation des soins ne prévoyait la présence que d'une seule IRM ; en tout état de cause, les praticiens ont toujours la possibilité d'adresser leurs patients à un cabinet privé pour la réalisation des examens urgents et la clinique des Eaux Claires disposait d'une IRM ;
- le demande de l'ONIAM tendant à l'application de la pénalité prévue par les dispositions de l'article L.1142-15 du code de la santé publique doit être rejetée dès lors qu'il était justifié d'un motif légitime pour ne pas suivre l'avis de la CCI.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 3 octobre 2023 et 13 juin 2024, l'ONIAM, représenté par Me Fitoussi, conclut, par la voie de l'appel incident :
1°) à la réformation du jugement du 3 mars 2022 en ce qu'il a annulé partiellement le titre exécutoire n° 2040/450 du 4 février 2020 et qu'il a rejeté ses demandes reconventionnelles ;
2°) à titre principal, au rejet de la demande de la société AM Trust Underwriters DAC ou, à titre subsidiaire, à la condamnation de cette société à lui verser la somme de
83 277,96 euros qu'il a servie à Mme E... ;
3°) à la condamnation de la société AM Trust Underwriters DAC à lui verser les intérêts au taux légal sur la somme de 83 277,96 euros à compter du 10 mars 2020, avec capitalisation des intérêts à compter du 11 mars 2021 ;
4°) à la condamnation de la société AM Trust Underwriters DAC à lui verser la somme la somme de 12 491,69 euros correspondant à 15% de la somme de 83 277,96 euros, au titre de la pénalité prévue par les dispositions de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique ;
5°) à ce que la caisse générale de sécurité sociale de la Guadeloupe soit appelée en déclaration de jugement commun ;
6°) à ce que soit mise à la charge de la société AM Trust Underwriters DAC la somme de 3 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- il appartient à la cour d'examiner en priorité les moyens mettant en cause le bien-fondé du titre exécutoire contesté ;
- sa créance est fondée ; si l'indisponibilité de l'IRM était sans lien avec les préjudices subis par Mme E..., l'expert n'en n'aurait pas fait mention dans son rapport ; or, celui-ci a mentionné que la réalisation d'un tel examen était " techniquement difficile voire impossible " ;
- ainsi que l'a relevé le tribunal, Mme E... aurait dû bénéficier d'une IRM dès
le 19 septembre 2012 à l'occasion de sa prise en charge au service des urgences, a fortiori dès lors qu'elle faisait état d'une aggravation brutale de ses lombalgies ; l'établissement du diagnostic n'a pas été possible dès cette date, du fait de l'indisponibilité de ce matériel, ce qui a entraîné un retard de prise en charge ;
- l'indisponibilité de l'IRM n'a pas été temporaire mais durable, comme le confirme le rapport d'expertise ; le CHU aurait dû diriger Mme E... vers un autre établissement pour réaliser cet examen ; le fait que l'IRM ait été hors service pendant plusieurs jours caractérise un défaut d'organisation de l'établissement de santé, à l'origine d'une perte de chance pour la patiente ;
- comme l'a reconnu la CCI, et contrairement à ce qu'a estimé le tribunal, la responsabilité du CHU de la Guadeloupe est engagée à hauteur de 25 % des 30 % de perte de chance retenus par la CCI ;
- le titre exécutoire contesté est régulier ; d'une part, il est compétent pour émettre des titres exécutoires en vue du recouvrement des sommes versées à une victime, conformément à l'article L.1142-15 du code de la santé publique ; d'autre part, ces dispositions n'imposent pas que la transaction conclue avec la victime soit portée à la connaissance de l'assureur défaillant préalablement à l'émission d'un titre exécutoire ; en l'espèce cette information résulte des mentions portées sur le titre exécutoire en litige, qui vise le protocole transactionnel conclu avec Mme E... ; l'assureur a disposé de la possibilité de contester les sommes mises à sa charge au cours de la procédure de recouvrement amiable de l'avis des sommes à payer et n'a ainsi été privé d'aucune garantie ;
- le Conseil d'État juge que l'annulation d'un titre exécutoire pour un motif de régularité en la forme n'implique pas nécessairement, compte tenu de la possibilité d'une régularisation par l'administration, l'extinction de la créance litigieuse ; cette jurisprudence lui ouvre la possibilité de solliciter la condamnation du débiteur au remboursement des indemnités versées en cas d'annulation d'un titre exécutoire pour vice de forme ; ainsi, si la Cour devait annuler le titre exécutoire contesté en se fondant sur un tel motif, il est fondé à solliciter la condamnation de la société AM Trust à rembourser les sommes versées à Mme E... en application du protocole transactionnel conclu le 8 novembre 2019 ;
- en outre, la société AM Trust ayant reçu le titre exécutoire le 10 mars 2020, il est fondé à demander que la somme de 83 277,96 euros, à laquelle cette société sera condamnée dans l'hypothèse d'une annulation du titre exécutoire pour vice de forme, soit assortie des intérêts au taux légal compter de cette date, avec capitalisation de ces intérêts à compter du 11 mars 2021 ;
- compte tenu des termes clairs du rapport d'expertise quant à la responsabilité du CHU de la Guadeloupe, il est fondé, contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, à solliciter la condamnation de la société AM Trust au paiement de la pénalité de 15 % prévue à l'article
L. 1142-15 du code de la santé publique, soit un montant de 12 491,69 euros ;
- bien que l'absence d'appel en cause des tiers payeurs n'entache pas d'irrégularité l'arrêt à intervenir, il est de bonne administration de la justice d'y procéder.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. C...,
- les conclusions de Mme Isoard, rapporteure publique,
- et les observations de Me Tordjman, représentant la compagnie Bothnia International Insurance Company Limited venant aux droits de la société AM Trust Underwriters DAC.
Considérant ce qui suit :
1. Le 19 septembre 2012, Mme E..., alors âgée de 47 ans, a été prise en charge au service des urgences du centre hospitalier universitaire (CHU) de la Guadeloupe en raison de lombalgies mécaniques récurrentes depuis 2005. Elle a été autorisée à regagner son domicile le lendemain. Les 24 et 26 septembre suivant, elle a consulté le Dr A..., neurochirurgien au CHU puis, face à l'aggravation de ses douleurs, s'est rendue le 27 septembre au service d'accueil des urgences de la clinique des Eaux Claires, où elle a été notamment prise en charge par le Dr B..., neurochirurgien. Le 28 septembre, une volumineuse hernie discale thoracique symptomatique en T9/T10, associée à un hypersignal intramédullaire témoignant d'une souffrance sévère de la moelle épinière, a été mise en évidence par IRM. Mme E... a été admise en urgence au bloc opératoire, où une lamino-arthrectomie au niveau T10/T11 a été réalisée, ainsi qu'une exérèse partielle de la hernie discale. À son réveil, elle a présenté une paraplégie sensitivo-motrice complète. Le 5 octobre 2012, elle a été transférée à la clinique de Choisy pour entamer une rééducation, avant d'être hospitalisée au centre Calvé de Berck-sur-Mer de décembre 2012 à décembre 2013. Elle souffre d'une paraplégie complète, spastique, douloureuse, affectant à la fois les fonctions sensitives et motrices de niveau clinique Th10, accompagnée de troubles vésico-sphinctériens et génitaux. Son état a été déclaré consolidé le 2 décembre 2014.
2. Saisie par Mme E... le 14 mai 2014, la CCI a, par un avis du 22 octobre 2015 éclairé notamment par une expertise du 10 mai 2015 réalisée par le Dr D..., neurochirurgien, conclu à une perte de chance de 30 % d'éviter les séquelles qu'elle présente du fait de manquements imputables à parts égales au CHU de la Guadeloupe, au Dr A..., au Dr B... et à la clinique des Eaux Claires. Le 1er avril 2016, la société AM Trust Underwriters DAC, assureur du CHU de la Guadeloupe, a refusé de suivre l'avis de la CCI et de faire une offre d'indemnisation à
Mme E.... L'ONIAM, conformément aux dispositions de l'article L.1142-15 du code de la santé publique, s'est substitué à l'assureur et a versé à la victime une indemnité de 83 277,96 euros dans le cadre d'un protocole transactionnel signé le 8 novembre 2019, représentant 25 % de l'indemnité correspondant à la perte de chance de 30 % imputée à l'ensemble des intervenants, soit 7,5 % du préjudice. Le 4 février 2020, l'ONIAM a émis à l'encontre de l'assureur du CHU un titre exécutoire, reçu le 10 mars 2020, d'un montant de 83 277,96 euros. La société AM Trust Underwriters DAC et la société Bothnia International Insurance Company Limited, venant aux droits de la première, relèvent appel du jugement du 3 mars 2022 par lequel le tribunal administratif de la Guadeloupe a annulé le titre exécutoire du 4 février 2020 à hauteur du surplus de la somme de 49 966,78 euros et a déchargé la société Am Trust International Underwriters Dac de la somme de 33 311,18 euros. Par la voie de l'appel incident, l'ONIAM demande la réformation du jugement du 3 mars 2022 en ce qu'il a annulé partiellement le titre exécutoire du 4 février 2020, la condamnation de la société AM Trust Underwriters DAC à lui verser la somme de 83 277,96 euros ainsi que les intérêts au taux légal à compter du 10 mars 2020 avec capitalisation des intérêts en cas d'annulation du titre exécutoire pour un motif de régularité, la condamnation de cette même société à lui verser la somme de 12 491,69 euros au titre de la pénalité prévue par l'article
L. 1142-15 du code de la santé publique, et à ce que soit appelée en déclaration de jugement commun la caisse générale de sécurité sociale de la Guadeloupe.
Sur la mise en cause de la caisse générale de sécurité sociale de la Guadeloupe :
3. Lorsqu'il a versé une indemnité à la victime en application de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique, il appartient à l'ONIAM, s'il a connaissance du versement à cette victime de prestations mentionnées à l'article 29 de la loi du 5 juillet 1985 tendant à l'amélioration de la situation des victimes d'accidents de la 'circulation et à l'accélération des procédures d'indemnisation, d'informer les tiers payeurs concernés afin de leur permettre de faire valoir leurs droits auprès du tiers responsable, de son assureur ou du fonds institué à l'article L. 426-1 du code des assurances. Il incombe également à l'office d'informer les tiers payeurs, le cas échéant, de l'émission d'un titre exécutoire à l'encontre du débiteur de l'indemnité ainsi que des décisions de justice rendues sur le recours formé par le débiteur contre ce titre.
4. En revanche, il ne résulte ni de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale ni d'aucune autre disposition législative ou réglementaire que les tiers payeurs ayant servi des prestations à la victime en raison de l'accident devraient être appelés en la cause lorsque le débiteur saisit le juge administratif d'une opposition au titre exécutoire. Par suite les conclusions présentées par l'ONIAM tendant à ce que la Cour appelle en déclaration d'arrêt commun la caisse générale de sécurité sociale de la Guadeloupe doivent être rejetées.
Sur le bien-fondé du titre exécutoire en litige :
5. Aux termes du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute.(...) ". Aux termes du premier alinéa de l'article L. 1142-14 du même code : " Lorsque la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales estime qu'un dommage relevant du premier alinéa de l'article L. 1142-8 engage la responsabilité d'un professionnel de santé, d'un établissement de santé, d'un service de santé ou d'un organisme mentionné à l'article L. 1142-1 ou d'un producteur d'un produit de santé mentionné à l'article L. 1142-2, l'assureur qui garantit la responsabilité civile ou administrative de la personne considérée comme responsable par la commission adresse à la victime ou à ses ayants droit, dans un délai de quatre mois suivant la réception de l'avis, une offre d'indemnisation visant à la réparation intégrale des préjudices subis dans la limite des plafonds de garantie des contrats d'assurance " et aux termes de l'article L. 1142-15 de ce code : " En cas de silence ou de refus explicite de la part de l'assureur de faire une offre, ou lorsque le responsable des dommages n'est pas assuré ou la couverture d'assurance prévue à l'article L. 1142-2 est épuisée ou expirée, l'office institué à l'article L. 1142-22 est substitué à l'assureur. / (...) / L'acceptation de l'offre de l'office vaut transaction au sens de l'article 2044 du code civil. La transaction est portée à la connaissance du responsable et, le cas échéant, de son assureur ou du fonds institué à l'article L. 426-1 du code des assurances. / L'office est subrogé, à concurrence des sommes versées, dans les droits de la victime contre la personne responsable du dommage ou, le cas échéant, son assureur ou le fonds institué à l'article
L. 426-1 du même code. Il peut en outre obtenir remboursement des frais d'expertise. / En cas de silence ou de refus explicite de la part de l'assureur de faire une offre, ou lorsque le responsable des dommages n'est pas assuré, le juge, saisi dans le cadre de la subrogation, condamne, le cas échéant, l'assureur ou le responsable à verser à l'office une somme au plus égale à 15 % de l'indemnité qu'il alloue. / Lorsque l'office transige avec la victime, ou ses ayants droit, en application du présent article, cette transaction est opposable à l'assureur ou, le cas échéant, au fonds institué au même article L. 426-1 du code des assurances ou au responsable des dommages sauf le droit pour ceux-ci de contester devant le juge le principe de la responsabilité ou le montant des sommes réclamées. Quelle que soit la décision du juge, le montant des indemnités allouées à la victime lui reste acquis ".
6. Aux termes de l'article L. 6154-1 du même code dans sa version applicable au litige :
" Dès lors que l'exercice des missions de service public définies à l'article L. 6112-1 dans les conditions prévues à l'article L. 6112-3 n'y fait pas obstacle, les praticiens statutaires exerçant à temps plein dans les établissements publics de santé sont autorisés à exercer une activité libérale dans les conditions définies au présent chapitre ". En vertu de l'article L. 6154-2 du même code, l'activité libérale peut comprendre des consultations, des actes et des soins en hospitalisation et s'exerce exclusivement au sein des établissements dans lesquels les praticiens ont été nommés ou, dans le cas d'une activité partagée, dans l'établissement où ils exercent la majorité de leur activité publique, sous la triple condition que cet article énonce. Les modalités de la prise en charge du patient en secteur d'activité libérale sont alors réglées en particulier par les dispositions des articles R. 6154-6 du code de la santé publique concernant les frais de séjour, R. 6154-7 concernant les indications relatives aux règles applicables du fait de ce choix ainsi qu'à l'expression écrite du choix et par un renvoi aux dispositions de l'article R. 1112-23 du même code, qui rend impossible le transfert d'un patient, admis dans un secteur d'activité libérale ou en secteur public, dans l'autre secteur.
7. Alors que les rapports qui s'établissent entre les praticiens hospitaliers exerçant une activité libérale dans les conditions définies par les dispositions citées au point 6 et leurs patients traités à ce titre relèvent du droit privé, la responsabilité de l'établissement public de santé dans lequel le patient a été pris en charge dans le cadre de l'activité libérale du praticien peut néanmoins être engagée dès lors que les dommages invoqués sont imputables à un mauvais fonctionnement du service public résultant soit d'une mauvaise installation des locaux, soit d'un matériel défectueux, soit d'une faute commise par un agent de l'établissement mis à disposition du praticien exerçant à titre libéral.
8. En premier lieu, il résulte de l'instruction, en particulier du rapport du médecin neurochirurgien missionné par la CCI, que Mme E..., alors âgée de 47 ans, s'est présentée le 19 septembre 2012 au service des urgences du CHU de la Guadeloupe pour un tableau de lombalgies aiguës, qu'elle a décrites comme s'aggravant brutalement sans circonstance déclenchante particulière. L'expert a déduit de l'anamnèse de Mme E... réalisée au cours des opérations d'expertise que le personnel médical a réalisé un examen neurologique dit " de débrouillage ", qui a révélé un signe de Lasègue à 30 degrés à droite, mais sans qu'aucun déficit neurologique sensitivo-moteur ne soit objectivé. Si Mme E... a indiqué au cours des secondes opérations d'expertises qu'elle éprouvait également ce jour-là des difficultés pour uriner, cet élément n'a néanmoins été corroboré par aucune des pièces portées à la connaissance de l'expert et ne ressort pas davantage des pièces versées à l'instruction. Il a alors été porté le diagnostic de discopathie lombaire, une pathologie dont l'intéressée était atteinte depuis 2005, documentée par une IRM réalisée le 7 novembre 2011, ce qui a justifié la prescription d'un traitement symptomatique. Mme E... a été autorisée à regagner son domicile le lendemain de sa prise en charge. S'il est constant qu'à ce stade, aucune investigation radiologique par imagerie médicale n'avait été menée, il résulte toutefois des conclusions de l'expert que l'absence de signes neurologiques et de souffrance médullaire n'imposaient pas une telle prescription.
9. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction que dans les jours qui ont suivi son admission au service des urgences, l'état de Mme E... s'est sensiblement dégradé, la conduisant à consulter le 24 septembre 2012 le Dr A..., neurochirurgien au CHU de Pointe-à-Pitre. Il est constant que cette consultation s'est déroulée dans le cadre de l'activité libérale qu'exerçait celui-ci au sein de l'établissement. Le Dr A... a constaté la présence de douleurs exacerbées en position assise, debout ou lors de la marche ainsi qu'un signe de Lasègue positif, mais il n'a, là encore, pas relevé de troubles moteurs, sensitifs ou sphinctériens associés à une souffrance médullaire. Il n'a ainsi pas retenu d'indication opératoire, et a programmé une infiltration lombaire le 5 octobre suivant tout en adjoignant, dans l'attente, un traitement morphinique à celui déjà en cours. Dans les suites de cette consultation, Mme E... a téléphoné le 26 septembre au Dr A... pour l'informer de la poursuite de l'aggravation de son état, lui signalant, outre une faiblesse au niveau du membre inférieur droit, des troubles sphinctériens. Cette communication a été retranscrite dans le dossier du Dr A..., où il est indiqué : " membre inférieur droit faible, troubles sphinctériens ' doit me rappeler pour résultat scanner demain aux Eaux Claires ". Selon l'expert, cette date doit être retenue comme celle de la probable apparition des premiers signes de compression médullaire, rendant impérative la réalisation en urgence d'une IRM de la moelle thoraco-lombaire pour préciser l'étiologie de cette souffrance et orienter la prise en charge thérapeutique. Cependant, selon les conclusions de l'expert, le Dr A... n'a pas exprimé le souhait de réexaminer Mme E..., préférant attendre les résultats d'un scanner lombaire, examen qui, selon ses conclusions, était inadapté à la situation et n'aurait pas permis de poser un diagnostic. Ainsi, l'indication d'une IRM n'ayant pas été posée dans le cadre de son exercice libéral par ce praticien, qui aurait pu envoyer sa patiente réaliser cet examen en secteur privé, où il a finalement eu lieu, l'assureur du CHU de Bordeaux est fondé à soutenir qu'il ne saurait être considéré, contrairement à ce qu'ont fait les premiers juges, que le retard de prise en charge trouverait son origine, même pour partie, dans l'indisponibilité du matériel au sein du CHU de la Guadeloupe. Par suite, aucun fait fautif imputable au service public hospitalier, en lien avec le dommage subi par Mme E..., ne peut être retenu.
10. Il résulte de ce qui précède que les requérantes sont fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Guadeloupe n'a annulé le titre exécutoire contesté qu'à hauteur " du surplus de la somme de 49 966,78 euros " et a seulement déchargé la société AM Trust Underwriters DAC de l'obligation de payer cette somme. Il s'ensuit que les conclusions d'appel incident présentées par l'ONIAM ne peuvent en tout état de cause qu'être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge des requérantes, qui ne sont pas les parties perdantes dans la présente instance, la somme demandée par l'ONIAM au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'ONIAM la somme de 1 500 euros demandée par la société Bothnia International Insurance Company Limited venant aux droits de la société AM Trust Underwriters DAC, sur le fondement des mêmes dispositions.
12. En l'absence de dépens dans la présente instance, les conclusions de la requérante tendant à ce qu'ils soient mis à la charge de l'ONIAM sont sans objet et par suite irrecevables.
DECIDE :
Article 1er : Le titre exécutoire n° 2020/450 du 4 février 2020 est annulé.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de la Guadeloupe du 2 mars 2022 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Les conclusions de l'ONIAM sont rejetées.
Article 4 : L'ONIAM versera à la société à la société Bothnia International Insurance Company Limited, venant aux droits de la société AM Trust Underwriters DAC, la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Bothnia International Insurance Company Limited, à la société AM Trust Underwriters DAC, et à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales. Copie en sera adressée au centre hospitalier universitaire de la Guadeloupe.
Délibéré après l'audience du 22 octobre 2024, à laquelle siégeaient :
M. Luc Derepas, président de la cour,
Mme Catherine Girault, présidente de chambre,
M. Antoine Rives, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 novembre 2024.
Le rapporteur,
Antoine C...
Le président,
Luc Derepas
La greffière,
Virginie Guillout
La République mande et ordonne à la ministre de la santé et de l'accès aux soins, en ce qui la concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22BX01290