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07/11/2024 | FRANCE | N°22BX00914

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 4ème chambre, 07 novembre 2024, 22BX00914


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. E... a demandé au tribunal administratif de La Réunion d'annuler l'arrêté du 21 août 2019 par lequel le préfet de La Réunion a ordonné la suppression de l'installation de stockage de déchets inertes qu'il exploite sur le territoire de la commune de Saint-Pierre ainsi que la décision du 9 octobre 2019 portant rejet du recours gracieux formé le 2 septembre 2019 à l'encontre de cet arrêté.



Par un jugement n° 1901544 du 12 janvier 2022, le tribunal a

dministratif de La Réunion a annulé l'arrêté du 21 août 2019 et la décision du 9 octobre 2019.



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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... a demandé au tribunal administratif de La Réunion d'annuler l'arrêté du 21 août 2019 par lequel le préfet de La Réunion a ordonné la suppression de l'installation de stockage de déchets inertes qu'il exploite sur le territoire de la commune de Saint-Pierre ainsi que la décision du 9 octobre 2019 portant rejet du recours gracieux formé le 2 septembre 2019 à l'encontre de cet arrêté.

Par un jugement n° 1901544 du 12 janvier 2022, le tribunal administratif de La Réunion a annulé l'arrêté du 21 août 2019 et la décision du 9 octobre 2019.

Procédure devant la cour :

Par un recours et un mémoire complémentaire enregistrés les 18 mars et 2 mai 2022, le ministre de la transition écologique demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 12 janvier 2022 du tribunal administratif de La Réunion ;

2°) de rejeter la demande de M. C....

Il soutient que :

- le jugement est entaché d'une insuffisance de motivation ;

- le jugement est entaché d'une erreur de droit ; la finalité agricole de l'opération de terrassement ayant conduit au dépôt des déchets en litige n'est pas caractérisée au regard de l'article L.541-32 du code de l'environnement, d'autant que le remblai réalisé avec les déchets en litige accueille deux bâtiments, l'un à usage d'habitation, l'autre à usage de garage ;

- M. C... ne fait état d'aucun élément sérieux permettant d'établir que les déchets déposés ne présenteraient aucun risque de pollution des sols ;

- le jugement est entaché d'une erreur d'appréciation ; le préfet de la Réunion pouvait indifféremment désigner comme destinataires la société de terrassement, qui a le statut d'entreprise individuelle, ou M. C....

Par un mémoire en défense, enregistré le 1er juillet 2022, M. C..., représenté par Me Hankwan, conclut au rejet de la requête et demande qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Par une ordonnance du 2 novembre 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 1er décembre 2023 à 12h00.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- le code de l'urbanisme ;

- l'arrêté du 12 décembre 2014 relatif aux prescriptions générales applicables aux installations du régime de l'enregistrement relevant de la rubrique n° 2760 de la nomenclature des installations classées pour la protection de l'environnement ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Bénédicte Martin,

- et les conclusions de Mme Pauline Reynaud, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. Le 11 octobre 2017, M. C..., qui a pour activité principale la réalisation de travaux de terrassement et de travaux préparatoires, a déposé une déclaration préalable de construction, travaux, installations et aménagements sur une parcelle située sur le territoire de la commune de Saint-Pierre (La Réunion), classée en zone agricole. Le 12 mars 2018, à l'occasion d'une visite inopinée, l'inspection des installations classées a constaté que le terrain avait été remblayé avec des déchets inertes et non inertes sur une hauteur de plus de 2 mètres et une superficie de 6 000 m². Par un arrêté du 5 septembre 2018, le préfet de La Réunion a mis en demeure l'entreprise C... Iswaran Jean-Charles de régulariser sa situation administrative d'installation de stockage de déchets. A la suite d'une visite et d'un contrôle sur pièces réalisés les 11 et 19 juillet 2019 par l'inspectrice de l'environnement, à l'issue desquels l'absence de respect des prescriptions de l'arrêté de mise en demeure du 5 septembre 2018 a été constatée, le préfet de La Réunion a, par arrêté du 21 août 2019, ordonné la suppression de l'installation de stockage de déchets inertes exploitée par M. C... sur le territoire de la commune de Saint-Pierre. Le ministre de la transition écologique relève appel du jugement du 12 janvier 2022 par lequel le tribunal administratif de La Réunion a annulé l'arrêté du 21 août 2019 ainsi que la décision du 9 octobre 2019 rejetant le recours gracieux formé le 2 septembre 2019 contre cet arrêté.

Sur les motifs d'annulation retenus par le tribunal :

2. Aux termes de l'article L. 171-7 du code de l'environnement, dans sa rédaction applicable au litige : " I. Indépendamment des poursuites pénales qui peuvent être exercées, lorsque des installations ou ouvrages sont exploités, des objets et dispositifs sont utilisés ou des travaux, opérations, activités ou aménagements sont réalisés sans avoir fait l'objet de l'autorisation, de l'enregistrement, de l'agrément, de l'homologation, de la certification ou de la déclaration requis en application du présent code, ou sans avoir tenu compte d'une opposition à déclaration, l'autorité administrative compétente met l'intéressé en demeure de régulariser sa situation dans un délai qu'elle détermine, et qui ne peut excéder une durée d'un an. (...) / II. S'il n'a pas été déféré à la mise en demeure à l'expiration du délai imparti, (...) l'autorité administrative ordonne la fermeture ou la suppression des installations ou ouvrages, la cessation de l'utilisation ou la destruction des objets ou dispositifs, la cessation définitive des travaux, opérations, activités ou aménagements et la remise des lieux dans un état ne portant pas préjudice aux intérêts protégés par le présent code (...) ".

3. Il résulte des dispositions de l'article L. 171-11 du code de l'environnement que les décisions prises en application des articles L. 171-7, L. 171-8 et L. 171-10 de ce code, au titre des contrôles administratifs et mesures de police administrative en matière environnementale, sont soumises à un contentieux de pleine juridiction. Il appartient au juge de ce contentieux de pleine juridiction de se prononcer sur l'étendue des obligations mises à la charge des exploitants par l'autorité compétente au regard des circonstances de fait et de droit existant à la date à laquelle il statue.

4. En premier lieu, l'activité de travaux de terrassements courants et de travaux préparatoires est exercée par M. C... sous forme d'entreprise individuelle et non de société. Toutefois, alors que la mise en demeure du 5 septembre 2018, a été adressée à la " société C... Iswaran Jean-Charles ", l'administration a pu légalement, sur le fondement de l'article L. 171-7 du code de l'environnement, ordonner à M. C... en sa qualité d'entrepreneur individuel, la suppression de l'activité de stockage de déchets inertes qu'il exploitait.

5. En second lieu, et d'une part, l'article R. 421-23 du code de l'urbanisme soumet à déclaration préalable, à moins qu'ils ne soient nécessaires à l'exécution d'un permis de construire, les affouillements et exhaussements du sol dont la hauteur, s'il s'agit d'un exhaussement, ou la profondeur dans le cas d'un affouillement, excède deux mètres et qui portent sur une superficie supérieure ou égale à cent mètres carrés. Toutefois, l'article R. 425-25 du même code dispense de la déclaration préalable l'affouillement ou l'exhaussement du sol soumis à déclaration, enregistrement ou à autorisation en application des chapitres Ier et II du titre Ier du livre V ou du chapitre Ier du titre IV du livre V du code de l'environnement.

6. D'autre part, aux termes de l'article L. 541-32 du code de l'environnement : " Toute personne valorisant des déchets pour la réalisation de travaux d'aménagement, de réhabilitation ou de construction doit être en mesure de justifier auprès des autorités compétentes de la nature des déchets utilisés et de l'utilisation de ces déchets dans un but de valorisation et non pas d'élimination./ Dans le cadre de ces travaux, l'enfouissement et le dépôt de déchets sont interdits sur les terres agricoles, à l'exception de la valorisation de déchets à des fins de travaux d'aménagement ou de la valorisation de déchets autorisés à être utilisés comme matières fertilisantes ou supports de culture. ". Selon l'article 2 de l'arrêté du 12 décembre 2014 relatif aux prescriptions générales applicables aux installations du régime de l'enregistrement relevant de la rubrique n° 2760 de la nomenclature des ICPE, l'installation de stockage de déchets inertes se distingue de l'installation de dépôt de déchets, valorisés en conformité avec les articles L. 541-31 et suivants du code de l'environnement.

7. Une opération peut être qualifiée de valorisation de déchets lorsque ces déchets remplissent une fonction utile, en se substituant à l'usage d'autres matériaux qui auraient dû être utilisés pour remplir cette fonction.

8. Il résulte de l'instruction que M. C... a déposé le 11 octobre 2017 une demande de non opposition à déclaration préalable ayant pour objet des travaux d'affouillements ou d'exhaussements du sol d'une hauteur d'environ 3 mètres sur une surface de 6 000 m² sur la parcelle cadastrée section CS n°330, située en zone agricole de protection forte, en vue de " la remise en place d'une culture du foin et ainsi pour la mécanisation et de la recette ", laquelle a fait l'objet d'un certificat de non opposition du maire de la commune de Saint-Pierre du 21 novembre 2017. Le 12 mars 2018, à l'occasion d'une visite inopinée, l'inspection des installations classées a constaté que le terrain avait été remblayé avec des déchets inertes et non inertes sur une hauteur de plus de 2 mètres et une superficie de 6 000 m², et par un arrêté du 5 septembre 2018, le préfet de La Réunion a mis en demeure l'entreprise C... de régulariser sa situation administrative d'installation de stockage de déchets. Le 2 septembre 2019, Mme B..., exploitante agricole et mère de M. C..., a déposé une demande de permis de construire trois serres de 500 m² chacune sur la même parcelle pour la culture de légumes. Le 15 septembre 2019, a également été déposée pour la même parcelle une demande de permis de construire un hangar agricole monopente photovoltaïque à l'usage de l'exploitation agricole de Mme B....

9. M. C... soutient que les travaux ont eu pour objet d'aplanir le terrain qui était en pente et de le porter au niveau du chemin d'accès, afin d'y installer des serres et un bâtiment d'élevage et de faciliter le travail agricole. Il produit l'audit environnemental des sols réalisé à sa demande en novembre 2018 par le laboratoire d'analyse et de contrôle SGEC, qui relève que " la zone concernée était à l'origine une pente d'environ 5 % orientée vers le Nord-Ouest. L'apport de remblais l'a aujourd'hui transformée en plateau a une cote topographique située aux alentours de +22 m A... ". Toutefois, alors que l'arrêté du 5 septembre 2018 par lequel le préfet de La Réunion a mis en demeure l'entreprise C... de régulariser sa situation administrative indiquait à l'intéressé que la régularisation pouvait consister en la justification que le stockage de déchets correspondait à une valorisation, en transmettant au préfet dans le délai de deux mois les éléments justifiant l'utilité de l'aménagement réalisé à partir des déchets et sa nécessité au regard du projet agricole prévu, l'intéressé n'a transmis aucun justificatif de l'utilité de cet aménagement pour l'activité agricole alléguée, et le rapport de visite d'inspection et de contrôle sur pièces de l'inspection des installations classées pour la protection de l'environnement du 22 juillet 2019 relève que l'inspection n'a constaté aucune activité agricole sur la parcelle, mais la présence de deux constructions dont l'une était affectée à l'habitation. De même, il ne résulte pas de l'instruction que la topographie initiale de la parcelle nécessitait un remblaiement d'une telle importance pour y mener une activité agricole et que l'opération ainsi réalisée était utile à cette activité. Peu importe à cet égard que les matériaux utilisés ne présentent aucun caractère de dangerosité. Par suite, en l'absence de démonstration de l'utilité des remblais pour l'aménagement de la parcelle, l'opération en cause ne peut être regardée comme relevant d'une action de valorisation de déchets au sens de l'article L. 541-32 du code de l'environnement, mais comme une installation de stockage de déchets relevant de la rubrique n° 2760 et soumise au régime de l'enregistrement en application de l'article 2 de l'arrêté du 12 décembre 2014.

10. Il résulte de ce qui précède que le ministre est fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges se sont fondés, pour annuler l'arrêté du 21 août 2019 et la décision du 9 octobre 2019 rejetant le recours gracieux formé le 2 septembre 2019 contre cet arrêté, sur la méconnaissance des articles L. 171-7 et L. 541-32 du code de l'environnement. Il y a lieu pour la cour, saisie du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués tant en appel qu'en première instance par M. C... à l'appui de ses conclusions à fin d'annulation.

Sur l'autre moyen invoqué en première instance par M. D... :

11. Le préfet de La Réunion a pu, sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 171-7 du code de l'environnement, considérer que l'intimé devait être regardé comme exploitant de fait du site, en dépit des circonstances qu'il n'a la qualité ni de propriétaire, ni d'exploitant de la parcelle servant de terrain d'assiette au stockage. Par suite, le moyen tiré de l'erreur de fait doit être écarté.

12. Il résulte de tout ce qui précède le ministre de la transition écologique et solidaire est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de La Réunion a annulé l'arrêté du 21 août 2019 ainsi que la décision du 9 octobre 2019 rejetant le recours gracieux formé le 2 septembre 2019 contre cet arrêté.

Sur les frais liés à l'instance :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande M. D... en application de ces dispositions.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1901544 du 12 janvier 2022 du tribunal administratif de La Réunion est annulé.

Article 2 : La demande de M. D... devant le tribunal administratif de La Réunion est rejetée.

Article 3 : Les conclusions de M. D... tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques et à M. F.... Copie sera communiquée au préfet de La Réunion.

Délibéré après l'audience du 17 octobre 2024 à laquelle siégeaient :

Mme Frédérique Munoz-Pauziès, présidente,

Mme Bénédicte Martin, présidente-assesseure,

Mme Lucie Cazcarra, première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 7 novembre 2024.

La rapporteure,

Bénédicte MartinLa présidente,

Frédérique Munoz-PauzièsLa greffière,

Laurence Mindine

La République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

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N° 22BX00914


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22BX00914
Date de la décision : 07/11/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme MUNOZ-PAUZIES
Rapporteur ?: Mme Bénédicte MARTIN
Rapporteur public ?: Mme REYNAUD
Avocat(s) : SCP MOREAU NASSAR HAN KWAN

Origine de la décision
Date de l'import : 17/11/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-11-07;22bx00914 ?
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