Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de la Guyane d'annuler l'arrêté du 3 octobre 2022 par lequel le préfet de la Guyane a refusé de l'admettre au séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi, ainsi que d'enjoindre au préfet, à titre principal, de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", à titre subsidiaire, de procéder au réexamen de sa demande, sous astreinte de 200 euros par jour de retard.
Par un jugement n° 2300014 du 15 février 2024, le tribunal administratif de la Guyane a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 21 mai 2024, Mme A... B..., représentée par Me Taiebi, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de la Guyane du 15 février 2024 ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet de la Guyane du 3 octobre 2022 ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Guyane, à titre principal, de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " ou, à titre subsidiaire, de procéder au réexamen de sa demande tendant à la délivrance d'un tel titre de séjour, sous astreinte de 200 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le tribunal administratif de la Guyane a fait une erreur d'appréciation de sa situation au regard de son droit à une vie privée et familiale tel qu'il est garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dans la mesure où la situation d'insécurité qui règne en Haïti fait obstacle à ce qu'elle puisse y avoir une vie familiale normale ;
- l'arrêté est insuffisamment motivé ;
- le préfet a méconnu son droit d'être entendu tel qu'il est garanti par l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation dans l'application de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans la mesure il a omis de prendre en compte la scolarité de ses enfants depuis 2016 pour l'ainé et depuis 2020 pour le cadet, critère pourtant visé par la circulaire du 28 novembre 2012 ;
- l'arrêté porte une atteinte disproportionnée à son droit de mener une vie privée et familiale normale tel qu'il est garanti par l'article 8 de la convention européenne des droits de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors qu'elle a en France le centre de ses intérêts personnels et que sa mère et sa fratrie y vit régulièrement.
Le préfet de la Guyane, auquel la requête a été régulièrement notifiée, n'a pas produit d'observations.
Par une ordonnance du 10 juillet 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 10 septembre 2024 à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Valérie Réaut a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., de nationalité haïtienne, née le 12 avril 1989, est entrée en France le 22 février 2016 selon les mentions du récépissé de sa demande de titre de séjour. Par un arrêté du 3 octobre 2022, le préfet de la Guyane a refusé de l'admettre au séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. Elle relève appel du jugement du 15 février 2024 par lequel le tribunal administratif de la Guyane a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté préfectoral du 3 octobre 2022.
2. En premier lieu, à l'appui du moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'arrêté en litige, l'appelante ne se prévaut devant la cour d'aucun élément de fait ou de droit nouveau par rapport à l'argumentation développée en première instance et ne critique pas utilement la réponse apportée par le tribunal administratif de la Guyane sur ce moyen. Par suite, il y a lieu d'écarter ce moyen par adoption du motif pertinemment retenu par le tribunal administratif.
3. En deuxième lieu, le préfet de la Guyane a énoncé les considérations de droit et de fait qui sont le fondement du refus de délivrance du titre de séjour sollicité, satisfaisant ainsi aux exigences des articles L. 211-2 et L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration. Il est à cet égard sans incidence que l'arrêté du 3 octobre 2022 mentionne une date erronée d'entrée en France de la requérante.
4. En troisième lieu, si, aux termes de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions et organes de l'Union. / Ce droit comporte notamment : / - le droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre ; (...) ", il résulte de la jurisprudence de la Cour de Justice de l'Union européenne que cet article s'adresse non pas aux États membres mais uniquement aux institutions, organes et organismes de l'Union. Par suite, le moyen tiré de leur méconnaissance par une autorité d'un État membre est inopérant. Toutefois, il résulte également de la jurisprudence de la Cour de Justice que le droit d'être entendu fait partie intégrante du respect des droits de la défense, principe général du droit de l'Union. Ce droit se définit comme celui de toute personne de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue au cours d'une procédure administrative avant l'adoption de toute décision susceptible d'affecter de manière défavorable ses intérêts. Il ne saurait cependant être interprété en ce sens que l'autorité nationale compétente est tenue, dans tous les cas, d'entendre l'intéressé lorsque celui-ci a déjà eu la possibilité de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur la décision en cause. Par ailleurs, une atteinte au droit d'être entendu n'est susceptible d'affecter la régularité de la procédure à l'issue de laquelle une décision faisant grief est prise que si la personne concernée a été privée de la possibilité de présenter des éléments pertinents qui auraient pu avoir une influence sur le contenu de la décision. En l'espèce, d'une part Mme B... a pu être entendue avant qu'intervienne la décision refusant de lui délivrer un titre de séjourne, et d'autre part elle ne justifie d'aucun élément propre à sa situation qu'elle aurait été privée de faire valoir et qui, si elle avait été en mesure de l'invoquer préalablement, aurait été de nature à influer sur le sens de la décision attaquée. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du droit d'être entendu doit être écarté.
5. En quatrième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". L'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose : " L'étranger qui n'entre pas dans les catégories prévues aux articles L. 423-1, L. 423-7, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21 et L. 423-22 ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, et qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. Les liens mentionnés au premier alinéa sont appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'étranger, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République. ".
6. Pour soutenir que le refus de séjour qui lui a été opposé méconnaitrait les stipulations et dispositions précitées, Mme B... se prévaut de l'ancienneté de sa présence en France, de la scolarité suivie par ses deux enfants, âgés de 12 et 5 ans à la date de l'arrêté contesté, qui serait interrompue en cas de retour en Haïti où la situation sécuritaire est préoccupante, ainsi que de ses attaches familiales en France.
7. Il ressort des pièces du dossier que Mme B... est entrée irrégulièrement en France le 11 février 2016 et s'y est maintenu durant les années qui ont précédé sa demande de titre de séjour présentée le 11 janvier 2022. Elle vit seule avec ses deux jeunes enfants, sans travail, et elle est éloignée des membres de sa famille qui résident régulièrement en France métropolitaine. Par ailleurs, elle ne peut utilement se prévaloir des orientations de la circulaire du 28 novembre 2012 relatives à la prise en compte de la scolarité des enfants, laquelle est dépourvue de valeur réglementaire. Au vu de ces éléments, la requérante n'établissant ni l'intensité ni la stabilité de ses liens privés et familiaux en Guyane, le préfet de la Guyane n'a pas porté au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des buts en vue desquels l'arrêté attaqué a été pris. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doivent être écartés.
8. En dernier lieu, pour les mêmes motifs que ceux qui viennent d'être énoncés au point précédent, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet de la Guyane aurait commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de l'arrêté du 3 octobre 2022 sur la situation de Mme B....
9. Il résulte de ce qui précède que, bien que la situation actuelle en Haïti fasse obstacle à l'exécution de la décision fixant cet Etat comme pays d'éloignement, Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Guyane a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté du 3 octobre 2022. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et celles tendant à l'application des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de la Guyane.
Délibéré après l'audience du 15 octobre 2024 à laquelle siégeaient :
M. Laurent Pouget, président,
Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, présidente-assesseure,
Mme Valérie Réaut, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 5 novembre 2024.
La rapporteure,
Valérie Réaut
Le président,
Laurent Pouget Le greffier,
Christophe Pelletier
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N° 24BX01230 2