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04/11/2024 | FRANCE | N°22BX02711

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 3ème chambre, 04 novembre 2024, 22BX02711


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La commune de Loudenvielle a demandé au tribunal administratif de Pau d'annuler la décision du 22 décembre 2017 par laquelle le préfet des Hautes-Pyrénées a refusé de procéder à la résiliation de la convention signée avec la société Electricité de France (EDF) le 12 février 2007 et de résilier la concession hydroélectrique de Loudenvielle.



Par un jugement n° 1800378 du 19 août 2022, le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande.

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Procédure devant la cour :



Par une requête enregistrée le 10 octobre 2022, la commune de Loude...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La commune de Loudenvielle a demandé au tribunal administratif de Pau d'annuler la décision du 22 décembre 2017 par laquelle le préfet des Hautes-Pyrénées a refusé de procéder à la résiliation de la convention signée avec la société Electricité de France (EDF) le 12 février 2007 et de résilier la concession hydroélectrique de Loudenvielle.

Par un jugement n° 1800378 du 19 août 2022, le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 10 octobre 2022, la commune de Loudenvielle, représentée par son maire en exercice et ayant pour avocat Me Lerat, demande à la cour :

1°) à titre préalable, d'inviter la Commission européenne, sur le fondement de l'article R. 625-3 du code de justice administrative, à donner son avis sur la conformité au droit de l'Union européenne du renouvellement et du maintien de la concession de Loudenvielle ;

2°) d'annuler le jugement du 19 août 2022 du tribunal administratif de Pau ;

3°) d'enjoindre à l'Etat de communiquer les mises en demeure adressées par la Commission européenne le 22 octobre 2015 et le 7 mars 2019 ;

4°) d'annuler la décision du 22 décembre 2017 par laquelle le préfet des Hautes-Pyrénées a refusé de procéder à la résiliation de la convention signée avec la société EDF ;

5°) de prononcer la résiliation de cette convention ;

6°) à titre subsidiaire, d'ordonner toutes les mesures de régularisation nécessaires pour assurer l'application de la redevance prévue à l'article L. 523-2 du code de l'énergie depuis l'origine et, à défaut, ordonner la résiliation de la concession de Loudenvielle ;

7°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761 1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

En ce qui concerne la régularité du jugement :

- il est entaché d'une insuffisance de motivation en méconnaissance de l'article L. 9 du code de justice administrative ; le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure de renouvellement de la concession de Loudenvielle, qui n'était pas inopérant, aurait dû faire l'objet d'une motivation précise et circonstanciée ; les premiers juges n'ont pas fait apparaitre une analyse des critères de qualification d'une aide d'Etat s'agissant du moyen tiré de l'existence d'une aide d'Etat au profit de la société EDF ;

- il est fondé sur un moyen, qui n'était pas d'ordre public, relevé d'office par les premiers juges sans qu'ils aient préalablement averti les parties en méconnaissance de l'article R. 611-7 du code de justice administrative ;

En ce qui concerne le bien-fondé du jugement :

- il est entaché d'une erreur de droit et d'une erreur d'appréciation, dès lors que le renouvellement de gré à gré de la concession de Loudenvielle, en méconnaissance des règles de publicité et de mise en concurrence, constitue un vice d'une particulière gravité justifiant que la concession soit résiliée ;

- il est entaché d'une erreur de fait, dès lors que le ministère de l'industrie et de l'aménagement du territoire a pris une décision en date du 22 août 1989 afin de procéder au renouvellement de la concession de Loudenvielle, en application du 2ème alinéa de l'article 13 de la loi du 16 octobre 1919 ; c'est à tort que les premiers juges ont estimé que le non-paiement par la société EDF de la redevance prévue par l'article L. 523-2 du code de l'énergie ne constituait pas une aide d'Etat, ce même si la cour considérait que la concession ait été prorogée en application du 2ème alinéa de l'article 13 de la loi du 16 octobre 1919.

Par un mémoire en défense enregistré le 1er juin 2023, la société EDF, représentée par l'AARPI Baker et Mckenzie, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 8 000 euros soit mise à la charge de la commune de Loudenvielle au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- la requête est irrecevable, dès lors que la commune est dépourvue d'un intérêt à agir ;

- la commune ne démontre pas en quoi la décision attaquée la lèse dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine ;

- l'intérêt dont elle se prévaut est purement financier, par opposition à l'intérêt général qui s'attache à la poursuite de la concession ;

- le préjudice allégué par la commune est purement hypothétique, dès lors qu'aucune règle ni aucun principe ne lui confère le droit de bénéficier d'une part de la redevance instituée par l'article L. 523-2 du code de l'énergie ;

- à supposer que l'atteinte alléguée par la commune soit effective, elle reste indirecte et mineure ;

- la commune ne conteste aucune clause de la convention pouvant avoir une portée réglementaire ;

- la demande de communication des mises en demeure adressées par la Commission européenne est inutile ; ces documents ne sont pas communicables ;

- les conclusions tendant à inviter la Commission européenne à donner son avis sur la conformité au droit de l'Union européenne du renouvellement et du maintien de la concession de Loudenvielle sur le fondement de l'article R. 625-3 du code de justice administrative sont irrecevables et dépourvues d'utilité ;

En ce qui concerne la régularité du jugement attaqué :

- le jugement est suffisamment motivé, dès lors que le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure de renouvellement de la concession de Loudenvielle et celui tiré de l'existence d'une aide d'Etat au profit de la société EDF sont inopérants ;

- l'interprétation faite par les premiers juges ne constitue pas un moyen relevé d'office mais une simple réponse à l'argumentation présentée par la commune ;

En ce qui concerne le bien-fondé du jugement attaqué :

- les moyens soulevés sont inopérants et en tout état de cause infondés.

Par un mémoire en défense enregistré le 19 janvier 2024, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

- la requête est irrecevable, dès lors que la commune est dépourvue d'un intérêt à agir ;

- les moyens soulevés sont inopérants ;

- il n'y a pas lieu d'inviter la Commission européenne à produire des observations ;

- la demande de communication des mises en demeure adressées par la Commission européenne est inutile ; la communication de ces documents doit être précédée d'une consultation de la Commission européenne.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'énergie ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Vincent Bureau,

- les conclusions de M. Julien Dufour, rapporteur public.

- et les observations de Me de Saint-Pern, représentant la société EDF.

Considérant ce qui suit :

1. Par un décret du 4 décembre 1930, l'Etat a concédé l'exploitation des ouvrages hydroélectriques de Loudenvielle à la société des produits azotés. A compter de la nationalisation de l'électricité et du gaz par la loi du 8 avril 1946, l'exploitation de cette concession de Loudenvielle a été confiée à la société EDF. Le 14 février 2007, le préfet des Hautes-Pyrénées a renouvelé la concession au profit de la société EDF, portant son terme au 31 décembre 2047. Le 21 novembre 2017, la commune de Loudenvielle a demandé au préfet des Hautes-Pyrénées la résiliation de la concession hydroélectrique de Loudenvielle. Par une décision du 22 décembre 2017, le préfet des Hautes-Pyrénées a refusé de procéder à cette résiliation. La commune de Loudenvielle relève appel du jugement du 19 août 2022 par lequel le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande d'annulation de la décision du 22 décembre 2017 et de résiliation de la concession hydroélectrique de Loudenvielle.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ".

3. Les premiers juges, qui n'étaient pas tenus de répondre à tous les arguments invoqués par la commune de Loudenvielle, ont suffisamment répondu au moyen tiré de l'irrégularité de la procédure de renouvellement de la concession de Loudenvielle en l'absence de publicité et de mise en concurrence, et à celui tiré de l'existence d'une aide d'Etat au profit de la société EDF, en écartant ces moyens comme inopérants aux motifs que, d'une part, la commune ne pouvait utilement soutenir que la concession avait été irrégulièrement attribuée à la société EDF sans mise en concurrence dans la mesure où elle ne se prévalait d'aucune circonstance particulière impliquant que le juge du contrat mette fin à l'exécution de la concession et que, d'autre part, la commune ne pouvait utilement soutenir qu'une aide d'Etat a été accordée à la société EDF du fait de la mise en œuvre du 2° du III de l'article 33 de la loi du 30 décembre 2006 de finances rectificative pour 2006 dès lors que la concession doit être regardée comme ayant été prorogée en application du 3ème alinéa de l'article 13 de la loi du 16 octobre 2019.

4. En second lieu, il appartient au juge administratif de se prononcer sur le bien-fondé des moyens dont il est saisi et, le cas échéant, d'écarter de lui-même, quelle que soit l'argumentation du défendeur, un moyen qui lui paraît infondé, au vu de l'argumentation présentée par le requérant au soutien de ses prétentions. En statuant ainsi, le juge ne relève pas d'office un moyen qu'il serait tenu de communiquer aux parties en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative.

5. En l'espèce, le tribunal a pu, sans entacher son jugement d'irrégularité, écarter l'argumentation de la requérante fondée sur l'existence d'une aide d'Etat au profit de la société EDF en se fondant, ainsi qu'il a été dit, sur son caractère inopérant au motif que la concession doit être regardée comme ayant été prorogée en application du 3ème alinéa de l'article 13 de la loi du 16 octobre 2019, alors même que ce motif de rejet n'était pas invoqué en défense par la société EDF et le préfet des Hautes-Pyrénées, et qu'il n'avait pas non plus été préalablement communiqué aux parties.

Sur la fin de non-recevoir opposée à la demande de première instance par la société EDF et le ministre de la transition écologique :

6. Aux termes de l'article L. 523-2 du code de l'énergie : " Pour toute nouvelle concession hydroélectrique, y compris lors d'un renouvellement, il est institué, à la charge du concessionnaire, au profit de l'Etat, une redevance proportionnelle aux recettes de la concession. Les recettes résultant de la vente d'électricité sont établies par la valorisation de la production aux prix constatés sur le marché, diminuée, le cas échéant, des achats d'électricité liés aux pompages. Les autres recettes sont déterminées selon des modalités définies par arrêté du ministre chargé de l'énergie. Le taux de cette redevance ne peut excéder un taux plafond, déterminé, pour chaque concession, par l'autorité concédante dans le cadre de la procédure de mise en concurrence. (...) Pour l'application du présent article, le taux de la redevance est fixé en tenant compte, dans l'évaluation de l'équilibre économique de la concession, des volumes et des prix de vente de l'électricité que le concessionnaire s'engage à céder (...) Un tiers de la redevance est affecté aux départements sur le territoire desquels coulent les cours d'eau utilisés, l'éventuelle répartition entre plusieurs départements étant proportionnelle à la puissance moyenne hydraulique devenue indisponible dans les limites de chaque département du fait de l'usine. Un douzième de la redevance est affecté aux communes sur le territoire desquelles coulent les cours d'eau utilisés (...) ".

7. Un tiers à un contrat administratif susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par une décision refusant de faire droit à sa demande de mettre fin à l'exécution du contrat est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction tendant à ce qu'il soit mis fin à l'exécution du contrat. S'agissant d'un contrat conclu par une collectivité territoriale ou un groupement de collectivités territoriales, cette action devant le juge du contrat est également ouverte aux membres de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné ainsi qu'au représentant de l'Etat dans le département.

8. La commune de Loudenvielle se prévaut d'un intérêt financier tenant à ce que la concession au bénéfice d'EDF a pour conséquence de la priver des recettes fiscales dont elle aurait dû bénéficier en application des dispositions de l'article L. 523-2 du code de l'énergie. Toutefois, il résulte des termes même de ces dispositions que la redevance mise à la charge du concessionnaire est proportionnelle aux recettes de la concession, lesquelles résultent de la vente d'électricité dans un contexte renouvelé de mise en concurrence des candidats. Le taux de la redevance, qui dépend de l'équilibre économique de la concession, est fixé en tenant compte des volumes et des prix de vente de l'électricité que le concessionnaire s'engage à céder. Il s'ensuit que le montant de la redevance dépend des bénéfices retirés par le concessionnaire des installations hydroélectriques, lesquels présentent par définition un caractère aléatoire et peuvent même être nuls compte tenu des risques inhérents à l'exploitation d'une concession. Dans ces conditions, la commune n'établit pas que la poursuite de l'exécution de la convention litigieuse est susceptible d'emporter des conséquences significatives sur ses finances ou son patrimoine et, dès lors, ne justifie pas d'une lésion suffisamment directe et certaine de ses intérêts pour lui permettre de demander au juge du contrat la résiliation de cette convention.

9. Par suite, il y a lieu d'accueillir la fin de non-recevoir opposée à la demande de première instance de la commune de Loudenvielle par la société EDF et le ministre de la transition écologique.

10. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'inviter la Commission européenne à donner son avis sur la conformité au droit de l'Union européenne du renouvellement et du maintien de la concession de Loudenvielle, que la commune de Loudenvielle n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent également être rejetées.

11. Enfin, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la commune de Loudenvielle une somme de 1 500 euros au profit de la société EDF, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la commune de Loudenvielle est rejetée.

Article 2 : La commune de Loudenvielle versera à la société EDF la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Loudenvielle, à la société EDF et à la ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques.

Délibéré après l'audience du 1er octobre 2024, à laquelle siégeaient :

M. Laurent Pouget, président,

Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, présidente-assesseure,

M. Vincent Bureau, conseiller,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 novembre 2024.

Le rapporteur,

Vincent Bureau

Le président,

Laurent Pouget

Le greffier,

Christophe Pelletier

La République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 22BX02711


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 22BX02711
Date de la décision : 04/11/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. POUGET
Rapporteur ?: M. Vincent BUREAU
Rapporteur public ?: M. DUFOUR
Avocat(s) : SCP BAKER ET MCKENZIE

Origine de la décision
Date de l'import : 10/11/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-11-04;22bx02711 ?
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