Vu la procédure suivante :
Procédure antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe d'annuler l'arrêté du 14 avril 2023 par lequel le préfet de la Guadeloupe a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.
Par un jugement n° 2300592 du 23 janvier 2024, le tribunal administratif de la Guadeloupe a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 14 mars 2024, M. B..., représenté par Me Sanchez Rodriguez, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 23 janvier 2024 du tribunal administratif de la Guadeloupe ;
2°) d'annuler l'arrêté du 14 avril 2023 du préfet de la Guadeloupe ;
3°) d'enjoindre au préfet de réexaminer sa situation dans un délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'État le versement à son conseil d'une somme de 1 200 euros sur le fondement combiné des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Il soutient que :
Sur la décision portant refus de délivrer un titre de séjour :
- elle est illégale dès lors que le préfet s'est estimé lié par le sens de l'avis du collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et est entachée d'erreur manifeste d'appréciation dès lors que son état de santé justifie son maintien sur le territoire français ;
Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle, qu'il s'agisse de son état de santé ou de sa vie privée ainsi que de son état de victime, une enquête pénale étant en cours suite à l'agression qu'il a subie ; il doit pouvoir rester sur le territoire français pour faire valoir ses droits dans cette procédure ;
Sur la décision fixant le délai de départ volontaire :
- elle est illégale du fait de l'illégalité de la décision d'obligation de quitter le territoire ;
Sur la décision fixant le pays de renvoi :
- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales compte tenu de la situation de violence généralisée en Haïti, et ce alors qu'il a demandé l'asile en France.
Par une ordonnance du 26 juin 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 2 septembre 2024.
Un mémoire en défense a été enregistré pour le préfet de la Guadeloupe le 30 septembre 2024, postérieurement à la clôture d'instruction et non communiqué.
M. B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision n° 2024/000517 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Bordeaux du 19 mars 2024.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme C... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant haïtien, né le 20 juin 1996, est entré illégalement en France le 24 décembre 2018, d'après ses déclarations. Le 9 mai 2022, il a demandé un titre de séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par arrêté du 14 avril 2023, le préfet de la Guadeloupe a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné. L'intéressé relève appel du jugement du 23 mars 2024 par lequel le tribunal administratif de la Guadeloupe a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 14 avril 2023.
Sur la décision portant refus de délivrer un titre de séjour :
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qui, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. La décision de délivrer cette carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. (...) ".
3. En vertu de ces dispositions, le collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dont l'avis est requis préalablement à la décision du préfet relative à la délivrance de la carte de séjour prévue à l'article L. 425-9, doit émettre son avis dans les conditions fixées par l'arrêté du 27 décembre 2016, au vu notamment du rapport médical établi par un médecin de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. S'il est saisi, à l'appui de conclusions tendant à l'annulation de la décision de refus, d'un moyen relatif à l'état de santé du demandeur, aux conséquences de l'interruption de sa prise en charge médicale ou à la possibilité pour lui d'en bénéficier effectivement dans le pays dont il est originaire, il appartient au juge administratif de prendre en considération l'avis médical rendu par le collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. Si le demandeur entend contester le sens de cet avis, il appartient à lui seul de lever le secret relatif aux informations médicales qui le concernent, afin de permettre au juge de se prononcer en prenant en considération l'ensemble des éléments pertinents, notamment l'entier dossier du rapport médical au vu duquel s'est prononcé le collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), en sollicitant sa communication, ainsi que les éléments versés par le demandeur au débat contradictoire.
4. Par un avis du 7 novembre 2022, le collège de médecins de l'OFII, sur lequel le préfet s'est appuyé pour prendre sa décision, a indiqué que si l'état de santé de M. B... nécessite une prise en charge médicale, le défaut d'une telle prise en charge ne devrait pas entrainer de conséquences d'une exceptionnelle gravité, M. B... pouvant par ailleurs voyager sans risque vers son pays d'origine.
5. Il ressort des pièces du dossier, en particulier des certificats médicaux produits par le requérant que ce dernier a subi le 6 avril 2021 une éviscération de l'œil droit, et qu'il est monophtalme de l'œil gauche. Si l'intéressé soutient qu'il est en attente d'une prothèse définitive, et que cet équipement n'est pas disponible dans son pays d'origine, cette circonstance, si elle corroborée par un certificat médical daté du 12 décembre 2023, n'est toutefois pas de nature à permettre d'estimer que le défaut de prise en charge de son état de santé pourrait entrainer des conséquences d'une exceptionnelle gravité. Il en est de même des suites opératoires (ablation de broches) d'une fracture de la main, au demeurant postérieures à la décision contestée. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté. Dans les circonstances de l'espèce, il ne ressort pas davantage des pièces du dossier que le préfet aurait entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation par rapport à la gravité de son état de santé.
6. En deuxième lieu, contrairement à ce que soutient le requérant, il ne ressort d'aucun des éléments du dossier que le préfet de la Guadeloupe se serait à tort cru lié par l'avis du collège de médecins du service médical de l'OFII rendu le 7 novembre 2022. Par suite, ce moyen doit être également écarté.
Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :
7. En premier lieu, dans les circonstances détaillées au point 5, M. B... n'est pas fondé à soutenir que la décision portant obligation de quitter le territoire français le visant serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences au regard de son état de santé.
8. En deuxième lieu, d'une part, si M. B... se prévaut de sa relation avec une ressortissante haïtienne et de la naissance de cette union de jumeaux le 25 septembre 2023, il n'apporte, en dehors d'une attestation de domiciliation établie selon ses propres déclarations lors du dépôt de sa demande d'asile, aucun élément au soutien de ces allégations, ni aucun élément de nature à attester de la réalité de l'établissement d'une vie privée et familiale en Guadeloupe. S'agissant, d'autre part, du statut de victime dont il se prévaut, suite à une agression subie (vol en réunion) le 10 mai 2023, cette circonstance, à supposer que l'enquête pénale soit toujours en cours, ne suffit pas à faire regarder la mesure d'éloignement contestée comme entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle. Par suite, ce moyen doit être écarté dans toutes ses branches.
9. Il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que l'obligation de quitter le territoire français serait illégale. Il appartient toutefois à l'administration de ne pas mettre à exécution une obligation de quitter le territoire français si un changement dans les circonstances de droit ou de fait a pour conséquence de faire obstacle à la mesure d'éloignement. Le statut actuel de M. B... de demandeur d'asile, acquis postérieurement à la décision attaquée, dont la légalité s'apprécie à la date à laquelle elle a été prise, est ainsi susceptible de faire obstacle à l'exécution de la décision.
Sur la décision fixant le délai de départ volontaire :
10. Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de ce que cette décision serait illégale du fait de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français doit être écarté.
Sur la décision fixant le pays de renvoi :
11. Aux termes de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950. ". L'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales prévoit que : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
12. Si aucun élément ne permet de considérer qu'à la date de la décision contestée, à laquelle doit être appréciée sa légalité, M. B... aurait été personnellement exposé, en cas de retour dans son pays, à des risques portant atteinte aux droits protégés par l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la situation actuelle en Haïti fait toutefois obstacle à l'exécution de la décision fixant cet État comme pays de renvoi, eu égard à ces stipulations de l'article 3 de de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
13. Il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Guadeloupe a rejeté sa demande. Par suite, ses conclusions aux fins d'injonction ainsi que celles présentées sur le fondement combiné des dispositions de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être écartées.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur.
Copie pour information en sera délivrée au préfet de la Guadeloupe.
Délibéré après l'audience du 1er octobre 2024 à laquelle siégeaient :
Mme Elisabeth Jayat, présidente,
M. Nicolas Normand, président-assesseur,
Mme Héloïse Pruche-Maurin, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 octobre 2024.
La rapporteure,
Héloïse C...La présidente,
Elisabeth Jayat
La greffière,
Virginie Santana
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 24BX00666