Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société l'Armement Korrigan, société à responsabilité limitée (SARL), a demandé au tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon de condamner l'Etat à lui verser une indemnité d'un montant de 323 189,74 euros, assortie des intérêts au taux légal et de la capitalisation des intérêts, en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de l'illégalité des décisions lui imposant des quotas individuels de pêche au concombre de mer (holoturie) pour les saisons 2018 et 2019.
Par un jugement n° 2100399 du 28 juillet 2022, le tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon a, d'une part, condamné l'Etat à verser à la SARL l'Armement Korrigan une indemnité d'un montant de 13 037,98 euros, assortie des intérêts de retard au taux légal à compter du 17 mars 2021 et de la capitalisation des intérêts échus à la date du 8 avril 2022, et, d'autre part, rejeté le surplus de sa demande.
Procédure devant la cour :
I/ Par une requête enregistrée le 17 août 2022 sous le n° 22BX02289, le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire demande à la cour de réformer le jugement n° 2100399 du tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon en tant qu'il a condamné l'Etat à verser à la SARL l'Armement Korrigan une indemnité d'un montant de 13 037,98 euros, outre les intérêts et leur capitalisation.
Il soutient que :
- l'illégalité fautive des décisions préfectorales des 7 juin 2019, 30 septembre 2019 et 1er octobre 2019 ne permet pas de déduire que le préfet aurait octroyé des possibilités de pêche plus élevées au Keravel SP768084 dès lors que la définition du quota de concombre de mer aurait été réalisée par l'autorité compétente visée à l'article R. 954-9 du code rural et de la pêche maritime à savoir le ministre chargé des pêches maritimes ; d'une part, si ce ministre avait fixé les possibilités de pêche de l'archipel en 2019, il aurait pu définir des quotas de pêche globale annuelle inférieurs aux 1 500 tonnes qui avaient été fixés par le préfet dès lors que l'IFREMER recommandait pour l'année en cause la mise en œuvre de captures inférieures à 1 200 tonnes exprimées en poids brut ; d'autre part, la société n'établit pas que le préfet lui aurait nécessairement accordé un volume de captures de concombres de mer supérieur aux possibilités de pêche octroyé par les décisions précitées en faisant application des critères visés à l'article R. 954-9 dudit code ;
- à supposer que ce préjudice soit regardé comme matériellement établi, c'est à tort que le tribunal a retenu la période comprise entre le 23 octobre et le 30 novembre 2019 pour évaluer le manque à gagner puisque le navire ne pouvait pas sortir en mer entre le 1er et le 30 novembre 2019 dès lors qu'il ne disposait pas du permis de navigation, sur la période du 31 mars 2016 au 8 juillet 2019, mentionné à l'article 110.11 de la division 110 du règlement annexé à l'arrêté du 23 novembre 1987 relatif à la sécurité des navires et que l'arrêté préfectoral n° 302 du 29 mai 2019 modifié par l'arrêté préfectoral n° 601 du 20 septembre 2019 avait ouvert la saison de pêche au concombre de mer 2019 entre le 1er juin et le 30 novembre 2019 ; si le navire a bénéficié d'un permis provisoire à compter du 8 juillet 2019 et jusqu'au 30 juillet 2019 en 2ème catégorie restreinte et limité à la 4ème catégorie de navigation, ce permis ne l'autorisait pas à accéder aux gisements de concombres situés à plus de 5 km des côtes de Saint-Pierre-et-Miquelon ; si un permis de navigation valable a été délivré au navire à compter du 29 juillet et jusqu'au 31 octobre 2019, le tribunal a tenu compte d'une période d'indemnisation comprise entre le 23 octobre et le 30 novembre 2019 en estimant que ce navire aurait pu poursuivre ses débarquements en procédant à un maximum de trois livraisons supplémentaires dans les conditions moyennes des cinq livraisons intervenues entre le 16 août et le 23 octobre 2019 alors que depuis le 1er novembre 2019, le navire ne disposait plus de permis de navigation ; enfin, rien n'indique que le navire aurait réalisé entre le 23 et le 31 octobre 2019 des débarquements supplémentaires de concombres de mer présentant des caractéristiques identiques aux livraisons effectuées entre le 16 août et le 23 octobre 2019 si l'on considère notamment que les conditions météorologiques étaient particulièrement défavorables.
Par un mémoire en défense, enregistré le 29 novembre 2022, la SARL L'armement Korrigan, représentée par Me Blazy, conclut :
1°) au rejet de la requête ;
2°) par la voie de l'appel incident, à la réformation du jugement du 28 juillet 2022 en ce qu'il a limité son préjudice indemnisable à la somme de 13 037,98 euros, à titre principal à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 323 189,74 euros et à titre subsidiaire, à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 207 497,36 euros outre les intérêts de droit et leur capitalisation ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les illégalités fautives commises en 2018 et 2019 engagent la responsabilité de l'Etat étant précisé que l'erreur de droit retenue par le tribunal administratif de Saint-Pierre et Miquelon pour annuler la décision du 7 juin 2019 en ce que le préfet ne pouvait pas répartir les quotas entre les différents navires faute de fixation d'un quota global par le ministre chargé des pêches maritimes aurait pu aussi être retenue pour annuler la décision du 2 juillet 2018 ;
- alors que par arrêté préfectoral n° 302 en date du 14 juin 2018, le préfet de Saint-Pierre-et-Miquelon a ouvert la pêche au concombre de mer du 15 juin 2018 au 15 novembre 2018, ce n'est que le 2 juillet 2018 que le préfet devait lui faire connaitre une réponse à sa demande d'autorisation de pêche présentée le 12 février 2018, laquelle consistait à donner un accord de principe pour les tonnages demandés en poissons de fond et crabes des neiges, à réduire le tonnage à 50 tonnes pour les coquilles et 50 tonnes pour les pétoncles d'Islande, et surtout, à limiter à 20 tonnes seulement le tonnage de pêche du concombre de mer ; en outre, le tonnage de concombres de mer de 20 tonnes accordé à l'Armement, qui représentait seulement 1,43% du quota total disponible de 1 400 tonnes nettes (soit 2 068 tonnes en poids vifs) était totalement insuffisant pour envisager le recrutement d'un équipage, au regard de la faiblesse des revenus associés à ce quota et de l'importance des quotas accordés aux autres bateaux ; ce quota était d'ailleurs discriminatoire au regard des quotas accordés à d'autres navires, tels que notamment le Tommy-Evan, qui s'était vu attribuer 400 tonnes de quotas pour 2018, alors qu'il présentait des capacités officielles de chargement et techniques inférieures ; il en est résulté une perte de bénéfice qu'elle évalue, compte-tenu de ses charges, à la somme de 151 775,35 euros ;
- les premiers juges ont, par un raisonnement artificiel, fait une appréciation inexacte du lien de causalité entre le préjudice allégué par l'exposante et l'illégalité de la décision du préfet du 2 juillet 2018 lui accordant les quotas de pêche ; contrairement à ce qu'ont jugé les premiers juges, en l'état de la décision illégale du préfet de Saint-Pierre-et-Miquelon du 2 juillet 2018, l'Armement Korrigan ne pouvait pas armer le Keravel et réaliser une campagne de pêche, en raison d'une part, de l'absence de quotas disponibles en suffisance pour l'espèce essentielle du moment, d'autre part, du caractère tardif de la décision et enfin du caractère légitime de son choix de privilégier la pêche aux concombres de mer ; il est déraisonnable d'imaginer armer un navire et recruter un équipage pour réaliser une campagne de pêche rapportant un chiffre d'affaires de 20 400 euros, un bénéfice pour l'armateur de moins de 8 000 euros et une part de pêche de 8 568 euros pour trois marins ou 9 792 euros pour quatre marins ; cette indemnisation est conforme à la demande exprimée par l'Armement le 12 février 2018 sur le fondement de l'article R. 954-8 du code rural et de la pêche maritime en ce qu'elle comportait l'estimation des captures prévues de concombres de mer, soit 400 tonnes ; subsidiairement, si la cour devait considérer que l'Armement Korrigan n'aurait pu pêcher 400 tonnes de concombre de mer malgré sa demande en ce sens et ses capacités techniques, et ce compte tenu de la ressource disponible et de la présence d'autres navires de pêche artisanale, la cour pourrait alors considérer que l'Armement Korrigan aurait pu pêcher 280 tonnes nettes de concombre de mer, correspondant au total des 1 400 tonnes nettes de concombres de mer capturées sur l'archipel cette année-là conformément au quota de 1 400 tonnes fixé illégalement par le préfet, divisé par 5, soit le nombre de navires demandeurs, et par suite lui accorder 106 120 euros (280 tonnes x bénéfice de 0,379/kg euros) ;
- les décisions fautives de 2019 qui résultent de ce que le préfet de Saint-Pierre et Miquelon n'était pas compétent pour fixer des quotas de pêche individuels en l'absence d'arrêté ministériel fixant un quota global présentent un lien de causalité avec le préjudice subi ;
- la circonstance selon laquelle le permis de navigation du Keravel accordé le 29 juillet 2019 comportait une date de validité jusqu'au 31 octobre 2019 est sans incidence puisque le navire devait nécessairement terminer sa campagne de pêche au plus tard le 31 octobre 2019 compte tenu du faible quota de pêche aux concombres de mer qui lui a été accordé ; les marins du Keravel ont souhaité, fort logiquement, restreindre leur période de cotisation au régime de sécurité sociale des marins (l'ENIM) en l'absence de perspective de pêche au-delà du 31 octobre ; le renouvellement du permis de navigation n'a donc pas été demandé ; le Bureau Veritas avait délivré le 3 mai 2019 un certificat national de franc-bord valable jusqu'au 30 mars 2020 et la visite du technicien ANFR à l'origine de la délivrance de l'autorisation en date du 29 juillet 2019 est intervenue courant 2019 ; il convient donc bien d'évaluer le préjudice subi par l'Armement Korrigan pour la campagne de pêche au concombre de mer de 2019 en considération de sa capacité à naviguer et à prendre la mer jusqu'à la fin de la campagne de pêche du concombre de mer, soit le 30 novembre 2019, et non pas jusqu'au 31 octobre 2019 seulement ;
- c'est à tort que le tribunal s'est fondé sur la fréquence des marées du Keravel entre le 16 août et le 23 octobre 2019 pour évaluer le préjudice subi par l'Armement Korrigan entre le 23 octobre 2019 et la fin de la campagne de pêche le 30 novembre 2019 ; en effet, si le Keravel n'a effectué et livré que cinq marées de concombre de mer à l'usine de traitement de Saint-Pierre-et-Miquelon entre 29 juillet 2019, date à laquelle il a obtenu son permis de navigation, et le 23 octobre 2019, c'est en raison de la faiblesse du tonnage imposé, 60 tonnes, qui ne nécessitait aucunement, pour l'équipage, de rapprocher les marées compte tenu de la période de pêche autorisée (jusqu'au 30 novembre 2019) et de la durée de validité de son permis (31 octobre 2019) ; sur cette période de près de trois mois, le Keravel a effectué cinq marées, jusqu'à épuisement de son quota, soit une marée toutes les deux semaines et demi en moyenne ; il est certain que si les perspectives de pêche avaient été plus importantes, comme demandé, l'équipage aurait organisé différemment la campagne ; les marées auraient été plus nombreuses et leur fréquence plus rapide ; par conséquent, ce qui est déterminant en l'espèce, c'est la capacité du navire à sortir en mer, à charger et débarquer 15 tonnes de concombre de mer à chaque sortie et le nombre de marées qu'il est capable d'opérer dans un temps donné ; il était en capacité de charger 15 tonnes en poids brut de captures par marée ; il pourrait même être considéré que cette pêche aurait pu être réalisée dès le 1er juin 2019, date d'ouverture de la pêche, car si la décision du préfet accordant les quotas avait été prise plus tôt, l'Armement Korrigan aurait pu faire les démarches nécessaires à l'obtention du permis de navigation bien avant ; la visite ANFR n'a pu être faite en même temps que celle des autres armements et elle a été effectuée le 29 juillet 2019 seulement à l'occasion d'une nouvelle visite sur le territoire de l'agent habilité à y procéder ; il était parfaitement possible, pour le Keravel, d'organiser 27 marées, de 24 à 48 heures chacune, pendant la période de pêche du concombre de mer, et même entre le 29 juillet seulement et le 30 novembre 2019 à un rythme plus soutenu ; en outre, la ressource ne manquait pas et les conditions de prélèvement de l'espèce sont aisées, ce qui limite les risques à chaque sortie en mer ; seules des conditions météorologiques particulièrement dures peuvent être un obstacle ; l'évaluation du préjudice sur la base d'une règle de trois effectuée par le tribunal est erronée car les premiers tonnages pêchés supportent plus de charges et de frais fixes que les tonnages suivants, de sorte que le coût marginal baisse dans le temps ; en particulier ce bénéfice tient compte du coût de fabrication de la drague qui, naturellement, ne doit pas être pris en compte par la suite ; il ressort clairement des éléments justificatifs des recettes et des charges ainsi que du tableau récapitulatif fournis par l'Armement Korrigan que le bénéfice au kilo escompté sur 400 tonnes de pêche de concombre de mer en 2019 (171 414 : 400 000 = 0,428 €/kg) est supérieur au bénéfice au kilo réalisé sur 63,137 tonnes (21 730 : 63 137 = 0,344 €/kg) ;
- subsidiairement, si la cour devait considérer que l'Armement Korrigan n'aurait pu pêcher 400 tonnes de concombre de mer malgré sa demande en ce sens en janvier et ses capacités techniques, et ce compte tenu de la ressource disponible et de la présence d'autres navires de pêche artisanale, la cour pourrait alors considérer que l'Armement Korrigan aurait pu pêcher 300 tonnes nettes de concombre de mer, correspondant au total des 1 500 tonnes nettes de concombres de mer capturées sur l'archipel cette année-là conformément au quota de 1 400 tonnes fixé illégalement par le préfet, divisé par 5, soit le nombre de navires demandeurs, et par suite lui accorder 101 377,36 euros (236 tonnes x bénéfice de 0,428/kg euros).
Par ordonnance du 24 juillet 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 14 septembre 2023 à 12 heures.
II/ Par une requête enregistrée le 27 octobre 2022 sous le n° 22BX02769 et un mémoire enregistré le 9 mars 2023, la SARL l'Armement Korrigan, représentée par Me Blazy, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2100399 du 28 juillet 2022 du tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon en ce qu'il a limité son préjudice indemnisable à la somme de 13 037,98 euros ;
2°) à titre principal, de condamner l'Etat à lui verser la somme de 323.189,74 euros, avec les intérêts de droit et leur capitalisation ou, subsidiairement, de condamner l'Etat à lui verser la somme de 207 497,36 euros outre les intérêts de droit et leur capitalisation ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les illégalités fautives commise en 2018 et 2019 engagent la responsabilité de l'Etat ;
- alors que par arrêté préfectoral n° 302 en date du 14 juin 2018, le préfet de Saint-Pierre-et-Miquelon a ouvert la pêche au concombre de mer du 15 juin 2018 au 15 novembre 2018, ce n'est que le 2 juillet 2018 que le préfet devait lui faire connaitre une réponse à sa demande d'autorisation de pêche présentée le 12 février 2018, laquelle consistait à donner un accord de principe pour les tonnages demandés en poissons de fond et crabes des neiges, à réduire le tonnage à 50 tonnes pour les coquilles et 50 tonnes pour les pétoncles d'Islande, et surtout, à limiter à 20 tonnes seulement le tonnage de pêche du concombre de mer ; en outre, le tonnage de concombres de mer de 20 tonnes accordé à l'Armement, qui représentait seulement 1,43% du quota total disponible de 1 400 tonnes nettes (soit 2 068 tonnes en poids vifs) était totalement insuffisant pour envisager le recrutement d'un équipage, au regard de la faiblesse des revenus associés à ce quota et de l'importance des quotas accordés aux autres bateaux ; ce quota était d'ailleurs discriminatoire au regard des quotas accordés à d'autres navires, tels que notamment le Tommy-Evan, qui s'était vu attribuer 400 tonnes de quotas pour 2018, alors qu'il présentait des capacités officielles de chargement et techniques inférieures ; il en est résulté une perte de bénéfice qu'elle évalue, compte-tenu de ses charges, à la somme de 151 775,35 euros ;
- les premiers juges ont, par un raisonnement artificiel, fait une appréciation inexacte du lien de causalité entre le préjudice allégué par l'exposant et l'illégalité de la décision du préfet du 2 juillet 2018 lui accordant les quotas de pêche ; contrairement à ce qu'ont jugé les premiers juges, en l'état de la décision illégale du préfet de Saint-Pierre-et-Miquelon du 2 juillet 2018, l'Armement Korrigan ne pouvait pas armer le Keravel et réaliser une campagne de pêche, en raison d'une part, de l'absence de quotas disponibles en suffisance pour l'espèce essentielle du moment, d'autre part, du caractère tardif de la décision et enfin du caractère légitime de son choix de privilégier la pêche aux concombres de mer ; il est déraisonnable d'imaginer armer un navire et recruter un équipage pour réaliser une campagne de pêche rapportant un chiffre d'affaires de 20 400 euros, un bénéfice pour l'armateur de moins de 8 000 euros et une part de pêche de 8 568 euros pour trois marins ou 9 792 euros pour quatre marins ; cette indemnisation est conforme à la demande exprimée par l'Armement le 12 février 2018 sur le fondement de l'article R. 954-8 du code rural et de la pêche maritime en ce qu'elle comportait l'estimation des captures prévues de concombres de mer, soit 400 tonnes ; subsidiairement, si la cour devait considérer que l'Armement Korrigan n'aurait pu pêcher 400 tonnes de concombre de mer malgré sa demande en ce sens et ses capacités techniques, et ce compte tenu de la ressource disponible et de la présence d'autres navires de pêche artisanale, la cour pourrait alors considérer que l'Armement Korrigan aurait pu pêcher 280 tonnes nettes de concombre de mer, correspondant au total des 1 400 tonnes nettes de concombres de mer capturées sur l'archipel cette année-là conformément au quota de 1 400 tonnes fixé illégalement par le préfet, divisé par 5, soit le nombre de navires demandeurs, et par suite lui accorder 106 120 euros (280 tonnes x bénéfice de 0,379/kg euros) ;
- les décisions fautives de 2019 qui résultent de ce que le préfet de Saint-Pierre-et- Miquelon n'était pas compétent pour fixer des quotas de pêche individuels en l'absence d'arrêté ministériel fixant un quota global présentent un lien de causalité avec le préjudice subi ;
- la circonstance selon laquelle le permis de navigation du Keravel accordé le 29 juillet 2019 comportait une date de validité jusqu'au 31 octobre 2019 est sans incidence puisque le navire devait nécessairement terminer sa campagne de pêche au plus tard le 31 octobre 2019 compte tenu du faible quota de pêche aux concombres de mers qui lui a été accordé ; les marins du Keravel ont souhaité, fort logiquement, restreindre leur période de cotisation au régime de sécurité sociale des marins (l'ENIM) en l'absence de perspective de pêche au-delà du 31 octobre ; le renouvellement du permis de navigation n'a donc pas été demandé ; le Bureau Veritas avait délivré le 3 mai 2019 un certificat national de franc-bord valable jusqu'au 30 mars 2020 et la visite du technicien ANFR à l'origine de la délivrance de l'autorisation en date du 29 juillet 2019 est intervenue courant 2019 ; il convient donc bien d'évaluer le préjudice subi par l'Armement Korrigan pour la campagne de pêche au concombre de mer de 2019 en considération de sa capacité à naviguer et à prendre la mer jusqu'à la fin de la campagne de pêche du concombre de mer, soit le 30 novembre 2019, et non pas jusqu'au 31 octobre 2019 seulement ;
- c'est à tort que le tribunal s'est fondé sur la fréquence des marées du Keravel entre le 16 août et le 23 octobre 2019 pour évaluer le préjudice subi par l'Armement Korrigan entre le 23 octobre 2019 et la fin de la campagne de pêche le 30 novembre 2019 ; en effet, si le Keravel n'a effectué et livré que cinq marées de concombre de mer à l'usine de traitement de Saint-Pierre-et-Miquelon entre 29 juillet 2019, date à laquelle il a obtenu son permis de navigation, et le 23 octobre 2019, c'est en raison de la faiblesse du tonnage imposé, 60 tonnes, qui ne nécessitait aucunement, pour l'équipage, de rapprocher les marées compte tenu de la période de pêche autorisée (jusqu'au 30 novembre 2019) et de la durée de validité de son permis (31 octobre 2019) ; sur cette période de près de trois mois, le Keravel a effectué cinq marées, jusqu'à épuisement de son quota, soit une marée toutes les deux semaines et demi en moyenne ; il est certain que si les perspectives de pêche avaient été plus importantes, comme demandé, l'équipage aurait organisé différemment la campagne ; les marées auraient été plus nombreuses et leur fréquence plus rapide ; par conséquent, ce qui est déterminant en l'espèce, c'est la capacité du navire à sortir en mer, à charger et débarquer 15 tonnes de concombre de mer à chaque sortie et le nombre de marées qu'il est capable d'opérer dans un temps donné ; il était en capacité de charger 15 tonnes en poids brut de captures par marée ; il pourrait même être considéré que cette pêche aurait pu être réalisée dès le 1er juin 2019, date d'ouverture de la pêche, car si la décision du préfet accordant les quotas avait été prise plus tôt, l'Armement Korrigan aurait pu faire les démarches nécessaires à l'obtention du permis de navigation bien avant ; la visite ANFR n'a pu être faite en même temps que celle des autres armements et elle a été effectuée le 29 juillet 2019 seulement à l'occasion d'une nouvelle visite sur le territoire de l'agent habilité à y procéder ; il était parfaitement possible, pour le Keravel, d'organiser 27 marées, de 24 à 48 heures chacune, pendant la période de pêche du concombre de mer, et même entre le 29 juillet seulement et le 30 novembre 2019 à un rythme plus soutenu ; en outre, la ressource ne manquait pas et les conditions de prélèvement de l'espèce sont aisées, ce qui limite les risques à chaque sortie en mer ; seules des conditions météorologiques particulièrement dures peuvent être un obstacle ; l'évaluation du préjudice sur la base d'une règle de trois effectuée par le tribunal est erronée car les premiers tonnages pêchés supportent plus de charges et de frais fixes que les tonnages suivants, de sorte que le coût marginal baisse dans le temps ; en particulier ce bénéfice tient compte du coût de fabrication de la drague qui, naturellement, ne doit pas être pris en compte par la suite ; il ressort clairement des éléments justificatifs des recettes et des charges ainsi que du tableau récapitulatif fournis par l'Armement Korrigan que le bénéfice au kilo escompté sur 400 tonnes de pêche de concombre de mer en 2019 (171 414 : 400 000 = 0,428 €/kg) est supérieur au bénéfice au kilo réalisé sur 63,137 tonnes (21 730 : 63 137 = 0,344 €/kg) ;
- subsidiairement, si la cour devait considérer que l'Armement Korrigan n'aurait pu pêcher 400 tonnes de concombre de mer malgré sa demande en ce sens en janvier et ses capacités techniques, et ce compte tenu de la ressource disponible et de la présence d'autres navires de pêche artisanale, la cour pourrait alors considérer que l'Armement Korrigan aurait pu pêcher 300 tonnes nettes de concombre de mer, correspondant au total des 1 500 tonnes nettes de concombres de mer capturées sur l'archipel cette année-là conformément au quota de 1 400 tonnes fixé illégalement par le préfet, divisé par 5, soit le nombre de navires demandeurs, et par suite lui accorder 101 377,36 euros (236 tonnes x bénéfice de 0,428/kg euros).
Par un mémoire en défense, enregistré le 9 janvier 2023, le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire conclut au rejet de la requête et par la voie de l'appel incident, à la réformation du jugement du 28 juillet 2022 en ce qu'il a condamné l'Etat à verser à la SARL l'Armement Korrigan une indemnité d'un montant de 13 037,98 euros, outre les intérêts et leur capitalisation.
Pour l'année 2018, il soutient que les moyens ne sont pas fondés.
Pour l'année 2019, il soutient que :
- l'illégalité fautive des décisions préfectorales des 7 juin 2019, 30 septembre 2019 et 1er octobre 2019 ne permet pas de déduire que le préfet aurait octroyé des possibilités de pêche plus élevées au Keravel SP768084 dès lors que la définition du quota de concombre de mer aurait été réalisée par l'autorité compétente visée à l'article R. 954-9 du code rural et de la pêche maritime à savoir le ministre chargé des pêches maritimes ; d'une part, si ce ministre avait fixé les possibilités de pêche de l'archipel en 2019, il aurait pu définir des quotas de pêche globale annuelle inférieurs aux 1 500 tonnes qui avaient été fixés par le préfet dès lors que l'IFREMER recommandait pour l'année en cause la mise en œuvre de captures inférieures à 1 200 tonnes exprimées en poids brut ; d'autre part, la société n'établit pas que la société lui aurait nécessairement accordé un volume de captures de concombres de mer supérieur aux possibilités de pêche octroyé par les décisions précitées en faisant application des critères visés à l'article R. 954-9 dudit code ;
- à supposer que ce préjudice soit regardé comme matériellement établi, c'est à tort que le tribunal a retenu la période comprise entre le 23 octobre et le 30 novembre 2019 pour évaluer le manque à gagner puisque le navire ne pouvait pas sortir en mer entre le 1er et le 30 novembre 2019 dès lors qu'il ne disposait pas du permis de navigation, sur la période du 31 mars 2016 au 8 juillet 2019, mentionné à l'article 110.11 de la division 110 du règlement annexé à l'arrêté du 23 novembre 1987 relatif à la sécurité des navires et que l'arrêté préfectoral n° 302 du 29 mai 2019 modifié par l'arrêté préfectoral n° 601 du 20 septembre 2019 avait ouvert la saison de pêche au concombre de mer 2019 entre le 1er juin et le 30 novembre 2019 ; si le navire a bénéficié d'un permis provisoire à compter du 8 juillet 2019 et jusqu'au 30 juillet 2019 en 2ème catégorie restreinte et limité à la 4ème catégorie de navigation, ce permis ne l'autorisait pas à accéder aux gisements de concombres situés à plus de 5 km des côtes de Saint-Pierre-et-Miquelon ; si un permis de navigation valable a été délivré au navire à compter du 29 juillet et jusqu'au 31 octobre 2019, le tribunal a tenu compte d'une période d'indemnisation comprise entre le 23 octobre et le 30 novembre 2019 en estimant que ce navire aurait pu poursuivre ses débarquements en procédant à un maximum de trois livraisons supplémentaires dans les conditions moyennes des cinq livraisons intervenues entre le 16 août et le 23 octobre 2019 alors que depuis le 1er novembre 2019, le navire ne disposait plus de permis de navigation ; enfin, rien n'indique que le navire aurait réalisé entre le 23 et le 31 octobre 2019 des débarquements supplémentaires de concombres de mer présentant des caractéristiques identiques aux livraisons effectuées entre le 16 août et le 23 octobre 2019 si l'on considère notamment que les conditions météorologiques étaient particulièrement défavorables.
Par ordonnance du 12 juillet 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 29 septembre 2023 à 12 heures.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- le code rural et de la pêche maritime ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A...,
- les conclusions de M. Ellie, rapporteur public,
- les observations de Me Blazy représentant la SARL l'Armement Korrigan.
Considérant ce qui suit :
1. La société à responsabilité limitée (SARL) l'Armement Korrigan exerce une activité de pêche sur l'archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon. Elle a sollicité, le 12 février 2018, la délivrance d'une licence de pêche pour son navire dénommé le Keravel SP 768084 au titre de la saison 2018 pour un volume de 400 tonnes de concombres de mer. Par décision du 2 juillet 2018, le préfet de Saint-Pierre-et-Miquelon a fait partiellement droit à sa demande en autorisant des quotas individuels de pêche limités, notamment, à 20 tonnes pour le concombre de mer (holoturie). Par un jugement n° 1800039 devenu définitif du 16 juillet 2019, le tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon a partiellement annulé cette décision, en tant qu'elle limite à 20 tonnes le quota de pêche de concombre de mer. Au titre de la saison 2019, la société a sollicité, le 16 janvier 2019, la délivrance d'une licence de pêche pour le même navire pour un volume de 400 tonnes de concombres de mer ramené à 240 tonnes dans une nouvelle demande en date du 27 mai 2019. Par décision du 7 juin 2019, le préfet de Saint-Pierre-et-Miquelon a fait partiellement droit à cette demande en zone 2 et autorisé deux demi-quotas individuels de pêche de 20 tonnes de concombre de mer chacun, soit une quantité totale de 40 tonnes. A la suite du recours gracieux formé par la société, le préfet de Saint-Pierre-et-Miquelon a, par deux nouvelles décisions des 30 septembre 2019 et 1er octobre 2019, confirmé l'attribution des deux demi-quotas de pêche initiaux d'un total de 40 tonnes de concombre de mer et attribué un quota supplémentaire de pêche de 20 tonnes de concombre de mer. Par un jugement n° 1900697 devenu définitif du 24 novembre 2020, le tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon a annulé ces trois décisions. La SARL l'Armement Korrigan a alors formé une demande indemnitaire préalable par un courrier daté du 16 mars 2021 qui a été rejetée par le préfet le 21 mai 2021. Par un jugement n° 2100399 du 28 juillet 2022, le tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon a, d'une part, condamné l'Etat à verser à la SARL l'Armement Korrigan une indemnité d'un montant de 13 037,98 euros, assortie des intérêts de retard au taux légal à compter du 17 mars 2021 et de la capitalisation des intérêts échus à la date du 8 avril 2022, et, d'autre part, rejeté le surplus de sa demande qui tendait au versement d'une indemnité totale de 323 189,74 euros.
2. Par une requête enregistrée sous le n° 22BX02289, le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire demande à la cour de réformer le jugement n° 2100399 du tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon en tant qu'il a condamné l'Etat à verser à la SARL l'Armement Korrigan une indemnité d'un montant de 13 037,98 euros, outre les intérêts et leur capitalisation en réparation des préjudices subis du fait de l'illégalité des décisions préfectorales lui imposant des quotas individuels de pêche au concombre de mer pour la saison 2019. Par la voie de l'appel incident, la SARL l'Armement Korrigan en demande la réformation en ce qu'il a limité son préjudice indemnisable à la somme de 13 037,98 euros, et demande la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 323 189,74 euros ou, subsidiairement, de 207 497,36 euros outre les intérêts de droit et leur capitalisation. Par une seconde requête enregistrée sous le n° 22BX02769, la SARL l'Armement Korrigan relève appel de ce même jugement en ce qu'il a limité son préjudice indemnisable à la somme de 13 037,98 euros et demande subsidiairement, la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 323 189,74 euros ou, subsidiairement, de 207 497,36 euros outre les intérêts de droit et leur capitalisation. Par la voie de l'appel incident, le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire en demande la réformation en ce qu'il a condamné l'Etat à verser à la SARL l'Armement Korrigan une indemnité d'un montant de 13 037,98 euros, outre les intérêts et leur capitalisation. Il y a lieu de joindre ces requêtes, qui présentent à juger des questions semblables et ont fait l'objet d'une instruction commune, pour y statuer par un seul arrêt.
Sur la responsabilité de l'Etat :
En ce qui concerne la faute :
3. L'article L. 921-1 du code rural et de la pêche maritime dispose : " Dans le respect des objectifs mentionnés à l'article L. 911-2 (...) l'exercice de la pêche maritime embarquée à titre professionnel ou de loisir (...) peuvent être soumis à la délivrance d'autorisations. / Ces autorisations ont pour objet de permettre à une personne physique ou morale pour un navire déterminé, d'exercer ces activités pendant des périodes, dans des zones, pour des espèces ou groupe d'espèces et, le cas échéant, avec des engins et pour des volumes déterminés (...) ". L'article L. 921-2 du même code dispose : " Les autorisations mentionnées à l'article L. 921-1 sont délivrées par l'autorité administrative ou sous son contrôle, pour une durée déterminée, en tenant compte des trois critères suivants : / ' l'antériorité des producteurs ; / ' les orientations du marché ; / ' les équilibres économiques (...) ". L'article R. 954-7 du même code dispose : " Le nombre des autorisations susceptibles d'être accordées est fixé par l'autorité désignée à l'article R.* 911-3 en tenant compte : / 1° Des prélèvements totaux des captures autorisées dans les eaux définies à l'article R. 953-1 et de leur répartition en quotas comme il est dit à l'article R. 954-8 ; / 2° Des conditions antérieures d'exercice de la pêche dans lesdites eaux ; / 3° De la longueur, de la puissance ou du tonnage des navires au profit desquels les autorisations sont demandées ; / 4° De l'intérêt de l'exploitation de ces navires pour les besoins économiques et sociaux de l'archipel. ". L'article R. 954-9 du même code dispose : " Pour assurer la gestion et la conservation des ressources halieutiques dans les eaux territoriales et la zone économique de Saint-Pierre-et-Miquelon, le ministre chargé des pêches maritimes et de l'aquaculture marine, peut, par arrêté pris après avis de l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer, fixer par période de douze mois des prélèvements totaux de captures autorisés. / Le ministre peut répartir ces prélèvements en un quota affecté aux pêcheurs français et un ou plusieurs quotas affectés aux pêcheurs étrangers. Il détermine les espèces ou groupes d'espèces soumis aux dispositions du présent article. / Lorsque de tels quotas ont été établis, l'autorité mentionnée à l'article R.* 911-3 peut, par arrêté, les répartir entre les différents navires auxquels il a délivré des autorisations. Cette répartition se fait selon les mêmes critères que ceux prévus pour l'attribution des autorisations. ". L'article R. 911-3 du même code auquel il est ainsi renvoyé dispose : " (...) II. - Dans les autres collectivités territoriales d'outre-mer et en Nouvelle-Calédonie, l'autorité administrative de l'Etat compétente pour prendre celles des mesures d'application du présent livre qui relèvent de la compétence de l'Etat est, sauf dérogation particulière : / (...) 2° A Saint-Pierre-et-Miquelon, le préfet ; (...) ".
4. En premier lieu, ainsi que l'a relevé le tribunal, " par un jugement n° 1800039 du 16 juillet 2019, devenu définitif suite au désistement du ministre de l'agriculture et de l'alimentation de l'instance d'appel dont la cour administrative d'appel de Bordeaux a donné acte par ordonnance n° 19BX03848 du 8 janvier 2020, le tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon a partiellement annulé la décision du préfet de Saint-Pierre-et-Miquelon du 2 juillet 2018 faisant en partie droit à la demande d'autorisations de pêche déposée par la SARL l'Armement Korrigan pour la saison 2018, en tant qu'elle limite à 20 tonnes le quota de pêche de concombre de mer, au motif d'une erreur de droit commise par l'autorité administrative qui a fondé cette limitation sur un seul des critères, à savoir le critère d'antériorité, qui sont prévus par les articles L. 921-2 et R. 954-7 du code rural et de la pêche maritime. Ce jugement d'annulation est revêtu de l'autorité absolue de la chose jugée, laquelle s'attache tant à son dispositif qu'au motif qui en constitue le soutien nécessaire (...) " et " par un jugement n° 1900697 devenu définitif du 24 novembre 2020, le tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon a annulé les trois décisions du préfet de Saint-Pierre-et-Miquelon des 7 juin 2019, 30 septembre 2019 et 1er octobre 2019 limitant à un total de 60 tonnes les quotas de pêche de concombre de mer délivrés à la SARL l'Armement Korrigan au titre de la campagne de pêche 2019, au motif de l'exception d'illégalité de l'arrêté préfectoral n° 302 du 29 mai 2019 fixant un total des captures de concombre de mer fixé pour l'année 2019 sur lequel il se fondait, lequel arrêté préfectoral était lui-même entaché d'incompétence. Ce jugement d'annulation est revêtu de l'autorité absolue de la chose jugée, laquelle s'attache tant à son dispositif qu'au motif qui en constitue le soutien nécessaire. ". Le ministre ne conteste pas devant le juge d'appel la pertinence de ces motifs retenus à bon droit par le tribunal. Les quotas de pêche imposés à la requérante par le préfet de Saint-Pierre-et-Miquelon pour les saisons 2018 et 2019 s'agissant du concombre de mer sont donc entachés des illégalités fautives précitées. Ces fautes n'ouvrent toutefois droit à indemnité que dans la mesure où la SARL l'Armement Korrigan justifie d'un préjudice direct et certain imputable à ces illégalités fautives.
En ce qui concerne le lien de causalité :
5. En premier lieu, s'il résulte de l'instruction qu'en 2018, la société requérante n'a pas sollicité le permis de navigation dont la délivrance était pourtant un préalable nécessaire au démarrage d'une campagne de pêche, faisant ainsi le choix de ne pas armer son navire pour cette année-là, toutefois, alors que par arrêté préfectoral n° 302 en date du 14 juin 2018, le préfet de Saint-Pierre-et-Miquelon avait ouvert la pêche au concombre de mer dès le 15 juin 2018 et ce jusqu'au 15 novembre 2018, ce n'est que le 2 juillet 2018 que le préfet a donné une autorisation de pêche à la demande présentée le 12 février 2018. Cette autorisation était au surplus limitée à la pêche de 50 tonnes de morue, 50 tonnes de raie et carrelet, 5 tonnes de crabes des neiges, 50 tonnes de coquilles Saint-Jacques et pétoncles d'Islande et 20 tonnes de concombres de mer alors qu'il résulte de l'instruction, que le tonnage de concombres de mer de 20 tonnes accordé à l'armement Korrigan, espèce à forte valeur ajoutée selon des rapports de l'Institut d'émission des départements d'Outre-Mer de 2018-2019 expliquant que l'archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon s'est progressivement structuré autour de cette pêche au concombre de mer, ce jusqu'à représenter 87,8 % et 90,0 % des prises respectivement en 2018 et 2019, était manifestement insuffisant pour envisager le recrutement d'un équipage, au regard de la faiblesse des revenus associés à ce quota. Le choix de la requérante a donc été contraint par l'insuffisance, au regard du total des captures autorisées, fixé à 1 400 tonnes pour 2018, du quota de pêche de 20 tonnes de concombre de mer qui lui a été illégalement imposé. Si le ministre soutient encore que la société n'établit pas que le préfet lui aurait nécessairement accordé un volume de captures de concombres de mer supérieur aux possibilités de pêche octroyé par les décisions précitées en faisant application des critères visés à l'article R. 954-9 du code rural et de la pêche maritime il ne produit lui-même aucun élément permettant d'estimer que des quotas légalement attribués auraient, en tout état de cause, été limités à 20 tonnes alors que, notamment, le navire Tommy-Evan, qui présentait des capacités officielles de chargement et techniques inférieures au Keravel s'était vu attribuer 400 tonnes de quotas pour 2018. Il suit de là que la requérante est fondée à soutenir qu'il existe un lien de causalité entre la décision illégale fautive et le préjudice qu'elle invoque sur la période courant du 14 juin au 30 novembre 2018 et que c'est par suite, à tort, que le tribunal n'a pas retenu ce lien.
6. En second lieu, il résulte de l'instruction qu'à compter du 29 juillet 2019, la société requérante, qui disposait d'un certificat national de franc-bord depuis le 7 mai 2019, a obtenu la délivrance d'un permis autorisant la navigation jusqu'à une distance de 60 milles des côtes, et a pu dès lors lancer sa campagne de pêche au concombre de mer du Keravel. Ainsi qu'il a été précédemment indiqué, les trois décisions précitées du préfet de Saint-Pierre-et-Miquelon des 7 juin 2019, 30 septembre 2019 et 1er octobre 2019 ont illégalement limité à un total de 60 tonnes les quotas de pêche de concombres de mer délivrés à la SARL l'Armement Korrigan au titre de la campagne de pêche 2019. Si le ministre soutient que s'il avait fixé les possibilités de pêche de l'archipel en 2019, il aurait pu définir des quotas de pêche globale annuelle inférieurs aux 1 500 tonnes qui avaient été fixés par le préfet dès lors que l'IFREMER recommandait pour l'année en cause, dans son document de février 2019 portant diagnostic sur l'holothurie de la zone économique exclusive Saint-Pierre-et-Miquelon et recommandations de gestion, la mise en œuvre de captures inférieures à 1 200 tonnes exprimées en poids brut, cette circonstance, à la supposée avérée, et au demeurant totalement hypothétique, ne suffit pas à exclure que le quota personnel à attribuer à l'armement Korrigan, n'aurait pas pu dépasser 60 tonnes alors que 5 navires seulement ont obtenu un quota de prélèvement sur la campagne 2019. Si le ministre soutient encore que le permis de navigation délivré le 29 juillet 2019 expirait le 31 octobre 2019 et que cette circonstance est de nature à écarter la responsabilité de l'Etat sur la période courant du 1er au 30 novembre 2019, ce constat est toutefois sans incidence puisque l'Armement Korrigan, compte tenu du faible quota de pêche aux concombres de mers qui lui a été accordé, avait un intérêt économique à dérouler sa période de pêche sur une durée réduite pour limiter ses charges de fonctionnement. Enfin, si le tribunal a limité la période de responsabilité de l'Etat à la période du 23 octobre au 30 novembre 2019 en estimant que la société n'avait subi aucun préjudice lié aux décisions illégales avant le 23 octobre 2019 dès lors qu'elle avait réalisé jusqu'à cette date cinq livraisons de concombres de mer, atteignant ainsi à cette même date le quota de 60 tonnes qui lui avait été fixé, il résulte de l'instruction que la société requérante aurait pu organiser sa campagne de pêche différemment si elle avait obtenu des quotas de pêche supérieurs en augmentant le nombre et la fréquence des marées avant le 23 octobre 2019. Il suit de là que la requérante est fondée à soutenir qu'il existe un lien de causalité entre la décision illégale fautive et le préjudice qu'elle invoque sur la période du 29 juillet au 30 novembre 2019 et que c'est par suite, à tort, que le tribunal n'a retenu ce lien que sur la période courant du 23 octobre 2019 au 30 novembre 2019, date de clôture de la saison de pêche.
En ce qui concerne l'évaluation des préjudices :
7. En premier lieu, au regard des caractéristiques du Keravel, notamment de son poids maximum de cargaison égal à 15 tonnes, ainsi que des modalités d'organisation de sa campagne de pêche, en particulier de la fréquence et des tonnages des livraisons de concombre de mer qu'elle a déchargées en 2019 à l'usine de traitement et de transformation de Saint-Pierre-et-Miquelon et de la drague qu'elle avait construite spécialement pour la pêche au concombre de mer, il y a lieu d'estimer que le navire était en mesure, pendant la période de responsabilité de l'Etat sur l'année 2018 de livrer 27 chargements de captures de concombre de mer et il ne résulte d'aucun élément de l'instruction que l'application des critères légaux d'attribution des quotas n'aurait pas permis la délivrance à la société de l'autorisation à hauteur de 400 tonnes qu'elle avait demandées. Compte-tenu des justificatifs de recettes et de charges produits par la société requérante, en particulier de l'attestation de l'expert-comptable du 24 février 2021 et des tableaux établis par cet expert dont il résulte que le bénéfice au kilogramme escompté sur 400 tonnes de pêche de concombre de mer en 2019 est de 0,428 euros, et compte tenu encore de ce que le prix du kg de concombre de mer était de 1,020 euros en 2018 contre 1,21 euros en 2019, il sera fait une juste appréciation de la perte de bénéfice subie par la SARL l'Armement Korrigan en l'évaluant à la somme de 151 775,35 euros.
8. En second lieu, au regard des caractéristiques du navire Keravel mentionnées au point 7 du présent arrêt, il y a lieu d'estimer que ce navire était en mesure, pendant la période de responsabilité de l'Etat sur l'année 2019 de livrer 27 chargements supplémentaires de captures de concombre de mer présentant des caractéristiques identiques aux livraisons qu'elle avait effectuées entre le 16 août 2019 et le 23 octobre 2019. Compte-tenu des justificatifs de recettes et de charges produits par la société requérante, en particulier l'attestation de l'expert-comptable du 24 février 2021 et les tableaux établis par cet expert dont il résulte que le bénéfice au kilogramme escompté sur 400 tonnes de pêche de concombre de mer en 2019 est de 0,428 euros, et de ce que l'Armement Korrigan n'a demandé en dernier lieu à pêcher que 240 tonnes de concombres de mer, il sera fait une juste appréciation de la perte de bénéfice subie par la SARL l'Armement Korrigan en l'évaluant à la somme de 77 040 euros.
9. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon a condamné l'Etat à verser à la SARL l'Armement Korrigan une indemnité d'un montant de 13 037,98 euros et que la SARL l'Armement Korrigan est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon a rejeté à hauteur de 215 777,37 euros, le surplus de ses conclusions indemnitaires.
Sur les intérêts :
11. L'article 1231-6 du code civil dispose : " Les dommages et intérêts dus à raison du retard dans le paiement d'une obligation de somme d'argent consistent dans l'intérêt au taux légal, à compter de la mise en demeure (...) ".
12. La SARL l'Armement Korrigan a droit aux intérêts au taux légal correspondant à l'indemnité de 215 777,37 euros à compter du 17 mars 2021, date de réception de sa demande préalable par les services de la préfecture de Saint-Pierre-et-Miquelon.
Sur la capitalisation des intérêts :
13. L'article 1343-2 du code civil dispose : " Les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, produisent intérêt si le contrat l'a prévu ou si une décision de justice le précise. ". Pour l'application de ces dispositions, la capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond. Cette demande prend toutefois effet au plus tôt à la date à laquelle elle est enregistrée et pourvu qu'à cette date il s'agisse d'intérêts dus au moins pour une année entière. Le cas échéant, la capitalisation s'accomplit à nouveau à l'expiration de chaque échéance annuelle ultérieure sans qu'il soit besoin de formuler une nouvelle demande.
14. En l'espèce, la capitalisation des intérêts a été demandée pour la première fois par la SARL l'Armement Korrigan à l'occasion du dépôt de son mémoire complémentaire devant le tribunal de Saint-Pierre-et-Miquelon, enregistré le 8 avril 2022. A cette date, il était dû au moins une année d'intérêts sur la somme de 215 777,37 euros. Dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil, il y a lieu de faire droit à la demande de capitalisation des intérêts, à compter du 8 avril 2022, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date.
Sur les frais liés au litige :
15. Il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la société l'Armement Korrigan et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : L'indemnité que l'Etat a été condamné à verser à la société l'Armement Korrigan par le jugement du tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon du 28 juillet 2022 est augmentée de la somme de 215 777,37 euros assortie des intérêts de retard au taux légal à compter du 17 mars 2021. Les intérêts échus à la date du 8 avril 2022, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date, seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 2 : Le jugement n° 2100399 du 28 juillet 2022 du tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon condamnant l'Etat à verser à la SARL l'Armement Korrigan une indemnité d'un montant de 13 037,98 euros est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à la société l'Armement Korrigan la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la ministre de l'agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt, à la ministre du partenariat avec les territoires et de la décentralisation et à la SARL l'Armement Korrigan.
Copie en sera adressée pour information au ministre auprès du Premier ministre, chargé des outre-mer et au préfet de Saint-Pierre-et-Miquelon.
Délibéré après l'audience du 1er octobre 2024 à laquelle siégeaient :
Mme Elisabeth Jayat, présidente,
M. Nicolas Normand, président-assesseur,
Mme Clémentine Voillemot, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 octobre 2024.
Le rapporteur,
Nicolas A...
La présidente,
Elisabeth Jayat
La greffière,
Virginie Santana
La République mande et ordonne à la ministre de l'agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt et à la ministre du partenariat avec les territoires et de la décentralisation, chacune en ce qui la concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 22BX02289, 22BX02769