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08/10/2024 | FRANCE | N°24BX00241

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 5ème chambre, 08 octobre 2024, 24BX00241


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme C... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 15 mars 2023 par lequel le préfet de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français et lui a interdit de retourner sur le territoire français pendant une durée de deux ans.



Par un jugement n° 2301724 du 20 septembre 2023, le magistrat désigné du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour :



Par une requête et un mémoire complémentaire enregistrés les 31 janvier...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 15 mars 2023 par lequel le préfet de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français et lui a interdit de retourner sur le territoire français pendant une durée de deux ans.

Par un jugement n° 2301724 du 20 septembre 2023, le magistrat désigné du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire complémentaire enregistrés les 31 janvier et 7 février 2024, Mme C..., représentée par Me Foucard, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n°2301724 du tribunal administratif de Bordeaux du 20 septembre 2023 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 15 mars 2023 du préfet de la Gironde ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Gironde de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", dans un délai d'un mois suivant la notification de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 150 euros par jour de retard, ou, à défaut, de procéder au réexamen de sa situation dans le même délai d'un mois, et de lui remettre, dans l'attente, dans un délai de 15 jours, un récépissé l'autorisant à travailler ;

4°) de mettre à la charge de l'État la somme de 1 500 euros à verser à son conseil au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique et au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

En ce qui concerne le refus de séjour :

- la décision contestée méconnaît les dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle dès lors que la décision de refus de séjour a pour effet de priver ses enfants de la présence auprès d'eux de l'un de leurs parents ;

En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :

- elle est illégale du fait de l'illégalité de la décision de refus de séjour ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;

- la décision contestée porte atteinte à l'intérêt supérieur de ses enfants tel que garanti par les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant dès lors que les enfants ne peuvent la suivre ou rester en France sans être séparés d'un de leurs parents ;

En ce qui concerne l'interdiction de retour sur le territoire français :

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant.

Par un mémoire en défense enregistré le 29 avril 2024, le préfet de la Gironde conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens ne sont pas fondés.

Mme C... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision n°2023/009592 du 9 novembre 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme E... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme C..., de nationalité marocaine, est entrée en France le 29 octobre 2017 munie d'un visa de court séjour. Le 19 janvier 2018, elle a sollicité son admission au séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 9 mai 2019, qu'elle a contesté par des recours rejetés par le tribunal et la cour administrative d'appel de Bordeaux, la préfète de la Gironde a refusé de faire droit à sa demande, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Mme C... n'a pas exécuté cette mesure d'éloignement et a de nouveau sollicité, le 12 novembre 2020, son admission au séjour sur le fondement des dispositions des articles L. 423-23 et L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Le silence gardé par la préfète de la Gironde pendant quatre mois sur cette demande a fait naître une décision implicite de rejet le 12 mars 2021, annulée pour défaut de motivation par le tribunal administratif de Bordeaux dans un jugement du 16 novembre 2022. En exécution de l'injonction adressée en ce sens par le tribunal, le préfet de la Gironde a procédé au réexamen de sa situation et a, par un arrêté du 15 mars 2023, refusé de l'admettre au séjour, l'a obligée à quitter le territoire français et lui a interdit de retourner sur le territoire français pendant deux ans. Mme C... relève appel du jugement du 20 septembre 2023 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande d'annulation de cet arrêté préfectoral.

Sur les conclusions en annulation :

2. Aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces stipulations, que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant.

3. Mme C... soutient que les décisions de refus de séjour et d'obligation de quitter le territoire français ainsi que l'interdiction de retour sur le territoire français contestées portent une atteinte excessive à l'intérêt supérieur de ses enfants, âgés de 2 et 5 ans à la date de l'arrêté litigieux, garanti par l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant dès lors qu'elles ont pour conséquence de les séparer de leur père, dont il est constant qu'il réside régulièrement sur le territoire français et que sa vie y est établie. Il ressort des pièces du dossier que Mme C... s'est mariée au B... le 19 janvier 2017 avec M. D..., ressortissant marocain, titulaire d'une carte de résident pluriannuelle en France, que deux enfants sont nés de cette union en France, avant que le couple ne se sépare. Dans le cadre de cette séparation, le juge aux affaires familiales du tribunal judiciaire de Libourne a fixé, par un jugement du 16 mars 2021, les modalités de garde alternée des deux enfants, en prévoyant leur résidence habituelle au domicile de Mme C..., et, à défaut d'accord amiable autre entre les parents, le droit de garde de M. D... un week-end sur deux et la moitié des vacances scolaires. Il ressort des documents produits par Mme C..., et notamment des attestations concordantes et réitérées sur trois années (2021, 2022 et 2023) de la directrice de l'école maternelle de son premier enfant et de l'assistante maternelle de son deuxième fils que M. D... vient chercher ces derniers un vendredi sur deux. Il ressort également des photographies produites, bien que peu circonstanciées, que M. D... emmène ses fils en voyage, notamment en compagnie de sa première fille issue d'une autre union, éléments de nature à corroborer l'exercice effectif par ce dernier de son droit de garde une semaine sur deux lors des vacances scolaires. Dans ces conditions, et contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, la décision refus de séjour contestée, ainsi que la mesure d'éloignement prise pour son application, qui entrainent le départ de Mme C... et de ses deux enfants au B..., ont pour conséquence de priver les enfants de la présence régulière de leur père dès lors que ce dernier, dont il n'est pas soutenu qu'il n'ait pas vocation à rester établi en France, exerce effectivement son droit de garde un week-end sur deux, circonstances impossibles à maintenir en cas de départ des enfants au B.... Par suite, Mme C... est fondée à soutenir que les décisions contestées portent atteinte à l'intérêt supérieur de ses enfants en méconnaissance des stipulations précitées de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

4. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme C... est fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

5. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution (...) ".

6. Eu égard au motif d'annulation retenu, l'exécution du présent arrêt implique nécessairement la délivrance à Mme C... d'une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ". Par suite, il y a lieu d'enjoindre au préfet de la Gironde de délivrer ce titre dans le délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt. En revanche, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

7. Mme C... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros à verser à Me Foucard.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 20 septembre 2023 est annulé.

Article 2 : L'arrêté de la préfète de la Gironde du 15 mars 2023 est annulé.

Article 3 : Il est enjoint au préfet de la Gironde de délivrer à Mme C... une carte de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de trois mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : L'Etat versera à Me Foucard la somme de 1 200 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... C..., au préfet de la Gironde et au ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 17 septembre 2024 à laquelle siégeaient :

Mme Elisabeth Jayat, présidente de chambre,

M. Nicolas Normand, président assesseur,

Mme Héloïse Pruche-Maurin, première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 octobre 2024.

La rapporteure,

Héloïse E...

La présidente,

Elisabeth Jayat

La greffière,

Virginie Santana

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

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N° 24BX00241


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 24BX00241
Date de la décision : 08/10/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme JAYAT
Rapporteur ?: Mme Héloïse PRUCHE-MAURIN
Rapporteur public ?: M. ELLIE
Avocat(s) : FOUCARD

Origine de la décision
Date de l'import : 13/10/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-10-08;24bx00241 ?
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