Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de C... d'annuler l'arrêté du 21 juillet 2023 par lequel le préfet de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.
Par un jugement n° 2305529 du 14 décembre 2023, le tribunal a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 17 janvier 2024, M. A..., représenté par Me Hugon, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 14 décembre 2023 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 21 juillet 2023 du préfet de la Gironde ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Gironde de lui délivrer une carte de séjour temporaire avec autorisation de travail dans un délai de quinze jours à compter de la notification de la décision à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, ou subsidiairement de réexaminer sa situation, sous les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 813 euros sur le fondement des articles L 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Il soutient que :
- les termes de l'arrêté attaqué révèlent un défaut d'examen particulier de sa demande ;
- l'arrêté est entaché d'erreur manifeste d'appréciation dans l'application des dispositions de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le tribunal, en rejetant le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour le seul motif lié qu'il " ne dispose d'aucun lien véritablement intense en France et n'établit pas l'existence d'un quelconque obstacle à ce qu'il regagne son pays d'origine " a entaché son jugement d'une erreur de droit ;
- l'arrêté porte une atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale, en méconnaissance de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- l'obligation de quitter le territoire français est dépourvue de base légale compte tenu de l'illégalité du refus de titre de séjour ;
- il en va de même de la décision fixant le pays de renvoi.
Par un mémoire enregistré le 23 avril 2024, le préfet de la Gironde conclut au rejet de la requête, en renvoyant à ses écritures de première instance.
Par une décision du 1er février 2024 du bureau d'aide juridictionnelle, M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
Par une ordonnance du 27 mars 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 13 mai 2024 à 12h00.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile :
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Laurent Pouget,
- et les observations de Me Hugon, représentant M. A....
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant guinéen, est entré sur le territoire français le 21 novembre 2020 à l'âge de seize ans, selon ses déclarations. Il a fait l'objet d'un placement auprès du service de l'aide sociale à l'enfance du département de la Gironde par un jugement du tribunal pour enfants de C... du 27 septembre 2021. Pris en charge par ce service, il a intégré une formation pour devenir monteur en installation sanitaire. Le 17 décembre 2022, M. A... a sollicité la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui lui a été refusé par un arrêté du préfet de la Gironde du 21 juillet 2023, l'obligeant par ailleurs à quitter le territoire français dans le délai de trente jours en fixant le pays de destination. M. A... relève appel du jugement du 14 décembre 2023 par lequel le tribunal administratif de C... a rejeté sa demande d'annulation de cet arrêté.
Sur la légalité de l'arrêté du 21 juillet 2023 :
2. Aux termes de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " A titre exceptionnel, l'étranger qui a été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans et qui justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle peut, dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " ou " travailleur temporaire ", sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. ".
3. D'une part, aux termes de l'article L. 811-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. (...) ". Selon les dispositions de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ".
4. Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis. Ce faisant, il lui appartient d'apprécier les conséquences à tirer de la production par l'étranger d'une carte consulaire ou d'un passeport dont l'authenticité est établie ou n'est pas contestée, sans qu'une force probante particulière puisse être attribuée ou refusée par principe à de tels documents.
5. Pour refuser de délivrer le titre de séjour sollicité par M. A... sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet de la Gironde s'est fondé, notamment, sur l'absence de caractère probant des documents d'état civil présentés à l'appui de sa demande, dont il résulte que l'intéressé est né le 9 juin 2004. Le préfet s'est référé pour ce faire à un rapport d'analyse du service de la fraude documentaire de la direction zonale de la police aux frontières du 14 février 2023 constatant l'authenticité du jugement supplétif n° 1356 produit par M. A... mais relevant que celui-ci avait présenté un autre jugement supplétif lors de son évaluation de minorité. Le requérant expose cependant qu'il n'a pris conscience du caractère apocryphe du premier document, fourni par sa tante, que lorsque les autorités guinéennes en ont refusé la légalisation, et qu'il a alors entrepris lui-même des démarches afin d'obtenir du tribunal d'instance de Conakry II un jugement authentique, lequel a cette fois été légalisé par les autorités guinéennes. Au surplus, M. A... a fait intervenir un huissier de justice et certifier le document par le chef du greffe du tribunal de première instance de Conakry. Dans ces conditions, les mentions de ce document font foi et établissent la réalité de la minorité de M. A... lorsqu'il a été confié à l'aide sociale à l'enfance, contrairement à ce qu'a estimé le préfet de la Gironde.
6. D'autre part, il ressort des pièces du dossier que M. A..., au moment du dépôt de sa demande de titre de séjour en décembre 2022, préparait un diplôme de certificat d'aptitude professionnelle " Monteur en installation sanitaire ", qu'il suivait en alternance avec un contrat d'apprentissage signé avec la société " Chantier naval Couach ". Il a obtenu la validation de son diplôme en juin 2023 avec 14,43 de moyenne générale et 15,13 en ce qui concerne les épreuves professionnelles. Son employeur atteste de ce que " Monsieur A... a toujours été très impliqué dans son travail au quotidien, il a su faire preuve d'adaptabilité d'esprit d'initiative et d'un réel engagement tout au long de son apprentissage. Il est très apprécié par ses collègues de travail car il est très consciencieux et attentif aux remarques qui lui sont faites pour l'amélioration de son travail. Il s'est rapidement intégré à la vie de l'entreprise. ". Ledit employeur a manifesté le souhait de lui proposer un contrat de travail à durée indéterminée. En outre, la note sociale établie par la structure d'accueil indique que M. A... se montre " acteur de son projet en France, il fait preuve d'engagement et met en place les démarches nécessaires au bon déroulement de sa prise en charge. Ce jeune homme s'est intégré à la société française et en respecte les lois et les valeurs fondamentales ".
7. Dans ces conditions, et alors même que M. A..., qui expose que son père est décédé et qu'il a fui le foyer de son beau-père, n'est pas pour autant dépourvu de toute attache familiale dans son pays d'origine, le préfet de la Gironde a commis une erreur manifeste d'appréciation en refusant de lui délivrer un titre de séjour en application des dispositions citées au point 2.
8. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de la décision par laquelle le préfet de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour. L'illégalité de cette décision entraîne, par voie de conséquence, celles des décisions subséquentes portant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de renvoi.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
9. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public (...) prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. La juridiction peut également prescrire d'office cette mesure. ".
10. Le motif d'annulation de l'arrêté en litige retenu ci-dessus implique nécessairement qu'il soit prescrit au préfet de la Gironde de délivrer à M. A... le titre de séjour sollicité sur le fondement de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais d'instance :
11. M. A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761- du code de justice administrative. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Hugon, avocate de M. A..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Hugon d'une somme de 1 200 euros.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de C... n° 2305529 du 14 décembre 2023 et l'arrêté du préfet de la Gironde du 21 juillet 2023 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Gironde de délivrer à M. A... un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans le délai de deux mois suivant la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Me Hugon une somme de 1 200 euros, en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Hugon renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. A... est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., à Me Lucile Hugon, au ministre de l'intérieur et des outre-mer, et au préfet de la Gironde.
Délibéré après l'audience du 17 septembre 2024 à laquelle siégeaient :
M. Laurent Pouget, président,
Mme Valérie Réaut, première conseillère,
M. Vincent Bureau, conseiller,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 octobre 2024.
La première conseillère,
Valérie Réaut
Le président-rapporteur,
Laurent Pouget La greffière,
Caroline Brunier
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 24BX00125