Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 26 mai 2023 par lequel le préfet de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de renvoi et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de deux ans.
Par un jugement n° 2303411 du 3 octobre 2023, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour administrative d'appel :
Par une requête, enregistrée le 8 janvier 2024, M. A..., représenté par Me Duten, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 3 octobre 2023 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 26 mai 2023 du préfet de la Gironde ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Gironde de lui délivrer un titre de séjour mention " vie privée et familiale " dans un délai d'un mois suivant la notification de l'arrêt à intervenir et de le munir, dans l'attente d'une autorisation provisoire de séjour, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'État une somme de 2 000 euros en application des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le refus de titre de séjour est entaché d'incompétence de son auteur ;
- cette décision a été prise en méconnaissance des dispositions de l'article L. 412-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; sa présence en France ne constitue pas une menace pour l'ordre public ;
- la commission du titre de séjour a émis un avis défavorable sur la base d'éléments erronés ;
- sa situation familiale et personnelle justifiait son admission exceptionnelle au séjour ;
- la décision de refus de séjour a été prise en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- cette décision a été prise en méconnaissance des stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- cette décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de sa situation ;
- l'obligation de quitter le territoire français a été prise en méconnaissance des dispositions du 3° et du 4° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- cette décision a été prise en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- cette décision a été prise en méconnaissance des stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- cette décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de sa situation ;
- l'interdiction de retour sur le territoire français est privée de base légale ;
- cette décision est entachée d'une erreur d'appréciation ;
- cette décision a été prise en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- cette décision a été prise en méconnaissance des stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
Par un mémoire en défense enregistré le 18 avril 2024, le préfet de la Gironde conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens invoqués par M. A... ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 5 avril 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 21 mai 2024.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle à 55 % par une décision du 23 novembre 2023.
Des pièces ont été enregistrées pour M. A... le 16 septembre 2024, soit après la clôture de l'instruction, et n'ont pas été communiquées.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy,
- et les observations de Me Lavallée, représentant M. A....
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant marocain né le 12 mai 1967, est entré en France le 1er janvier 2000 sous couvert d'un visa court séjour. Il s'est marié le 27 octobre 2001 avec une ressortissante française, dont il a divorcé le 28 octobre 2005. Il a épousé le 14 décembre 2005 Mme C..., ressortissante marocaine. Deux filles sont nées de cette union, Nada le 21 avril 2007 et Lina le 30 août 2011. Mme C..., Nada et Lina ont rejoint M. A... en France en 2013. M. A... a été mis en possession, à partir du 5 mai 2014, d'une carte de séjour temporaire puis d'une carte de séjour pluriannuelle. Par un arrêté du 26 mai 2023, le préfet de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour au motif que sa présence en France constituait une menace pour l'ordre public, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de renvoi et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de deux ans. M. A... relève appel du jugement du 3 octobre 2023 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...) 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. "
3. Il ressort des pièces du dossier que M. A... réside habituellement en France depuis 2000, soit une durée de présence sur le territoire français de 23 ans à la date de l'arrêté, dont 9 ans en situation régulière. Son épouse est titulaire d'un titre de séjour et ses filles, scolarisées en classes de seconde et de sixième à la date de l'arrêté, résident et suivent leur scolarité en France depuis 2013. Il ressort aussi des pièces du dossier, en particulier de ses avis d'impôt sur le revenu et de ses bulletins de paie, que M. A... a régulièrement travaillé en France en qualité d'intérimaire et occupe depuis le 28 février 2022 un emploi de maçon sous couvert d'un contrat de travail à durée indéterminée. Il ressort par ailleurs du jugement correctionnel du tribunal judiciaire de Bordeaux du 17 décembre 2020 que M. A... a été condamné à une peine de deux mois d'emprisonnement avec sursis probatoire pendant un an et six mois pour des faits, commis le 17 octobre 2020, de violences suivies d'une incapacité de travail d'un jour commises sur sa fille aînée, Nada. Son casier judiciaire ne comporte toutefois aucune autre condamnation et il produit une attestation de son épouse selon laquelle cet acte de violence a constitué un fait isolé. Il ressort en outre de cette attestation et des témoignages de plusieurs membres de la famille de M. A... qu'il est impliqué dans l'éducation de ses filles. Dans ces conditions, eu égard au caractère isolé de cette atteinte à l'ordre public, et compte tenu de l'intensité et de l'ancienneté des liens privés et familiaux de M. A... en France, le refus de séjour contesté a porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale au sens de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Les décisions lui faisant obligation de quitter le territoire français, fixant le pays de renvoi et lui faisant interdiction de retour sur le territoire français, contenues dans l'arrêté en litige, sont par voie de conséquence privées de base légale.
4. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
5. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution ". Aux termes de l'article L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Si l'obligation de quitter le territoire français est annulée, (...) l'étranger est muni d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce que l'autorité administrative ait à nouveau statué sur son cas (...) ".
6. Eu égard au motif d'annulation ci-dessus retenu, l'exécution du présent arrêt implique d'enjoindre au préfet de la Gironde de délivrer un titre de séjour mention " vie privée et familiale " à M. A.... Il y a lieu de lui enjoindre d'y procéder dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt et de le munir, dans l'attente, d'une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler. En revanche, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais d'instance :
7. M. A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle au taux de 55 %. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros à verser à Me Duten.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2303411 du 3 octobre 2023 du tribunal administratif de Bordeaux et l'arrêté du préfet de la Gironde du 26 mai 2023 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Gironde de délivrer à M. A... un titre de séjour mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et, dans cette attente, de le munir d'une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler.
Article 3 : L'Etat versera à Me Duten une somme de 1 200 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, sous réserve qu'elle renonce à percevoir la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., à Me Axelle Duten, au préfet de la Gironde et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré après l'audience du 17 septembre 2024 à laquelle siégeaient :
M. Laurent Pouget, président,
Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, présidente-assesseure,
Mme Valérie Réaut, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 octobre 2024.
La rapporteure,
Marie-Pierre Beuve Dupuy
Le président,
Laurent Pouget La greffière,
Caroline Brunier
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
2
N° 24BX00039