Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme D... B... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux, par deux requêtes, d'annuler la décision par laquelle le préfet de la Gironde a implicitement refusé de faire droit à la demande de titre de séjour qu'elle a présentée le 21 juillet 2022 puis l'arrêté du 21 septembre 2023 par lequel le préfet a expressément refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.
Par un jugement nos 2303792 et 2305915 du 18 mars 2024, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé l'arrêté du 21 septembre 2023, enjoint au préfet de la Gironde de délivrer à Mme B... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois et mis à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros à verser à l'avocat de l'intéressée en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 12 avril 2024, le préfet de la Gironde demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 18 mars 2024 ;
2°) de rejeter la demande présentée par Mme B... devant le tribunal.
Il soutient que c'est à tort que les premiers juges ont estimé que l'arrêté du 21 septembre 2023 méconnaissait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales compte tenu de la durée et des conditions de séjour de l'intéressée en France.
Par un mémoire en défense enregistré le 11 juillet 2024, Mme B..., représentée par Me Foucard, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que les moyens de la requête du préfet ne sont pas fondés et réitère les moyens soulevés devant le tribunal administratif.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Kolia Gallier,
- et les observations de Mme A..., représentant le préfet de la Gironde.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., ressortissante camerounaise née le 10 octobre 1979, a sollicité la délivrance, le 21 juillet 2022, d'un titre de séjour sur le fondement des articles L. 425-9, L. 423-23 et L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Le silence gardé par le préfet de la Gironde a fait naitre une décision implicite de rejet à laquelle s'est substitué l'arrêté du 21 septembre 2023 portant refus de séjour, obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et détermination du pays de destination. Mme B... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux l'annulation de ces décisions. Par jugement du 18 mars 2024, le tribunal a annulé l'arrêté du préfet de la Gironde du 21 septembre 2023, enjoint au préfet de délivrer à Mme B... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois et mis à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros à verser à l'avocat de l'intéressée en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Le préfet de la Gironde relève appel de ce jugement.
Sur le moyen d'annulation retenu par les premiers juges :
2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui. "
3. Il ressort des pièces du dossier que Mme C... est la mère d'un enfant de nationalité italienne, né le 18 janvier 2012, dont un jugement du tribunal de Turin du 29 juillet 2020 a prévu que ses parents assureraient une garde partagée. Si la résidence permanente et principale de l'enfant est située au domicile de sa mère, le jugement précise que le père dispose d'un droit de voir et de garder son enfant et qu'il a donné son accord au déménagement de Mme C... en France, en région Nouvelle Aquitaine, l'éloignement depuis Turin permettant l'organisation de visites mensuelles. Les justificatifs produits par l'intéressée permettent d'établir qu'elle accompagne effectivement et régulièrement son enfant voir son père en Italie. Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier que Mme C..., qui indique être entrée en France le 6 septembre 2020, a conclu un pacte civil de solidarité le 5 septembre 2022 avec un ressortissant français qu'elle a épousé le 9 septembre 2023. Elle justifie, par les pièces qu'elle produit, d'une vie commune depuis le mois de septembre 2021 avec cet homme, son fils étant désormais rattaché à sa complémentaire santé, et expose qu'il tient désormais une place essentielle dans sa vie et celle de son enfant, en raison notamment de la grave pathologie dont elle est atteinte. Au regard de l'ensemble de ces éléments et dans les circonstances très particulières de l'espèce, le préfet de la Gironde a porté au droit de Mme B... au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport au but en vue duquel l'arrêté litigieux a été édicté. C'est ainsi à juste titre que les premiers juges ont accueilli le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
4. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Gironde n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé l'arrêté du 21 septembre 2023.
Sur les frais liés au litige :
5. Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat, qui est la partie perdante dans la présente instance, une somme de 1 200 euros à verser à l'avocat de Mme B..., sous réserve que ce-dernier renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
DECIDE :
Article 1er : La requête du préfet de la Gironde est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à Me Foucard la somme de 1 200 euros au titre des dispositions combinées des articles L.761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer, à Mme D... B... et à Me Foucard.
Copie en sera adressée au préfet de la Gironde.
Délibéré après l'audience du 12 septembre 2024 à laquelle siégeaient :
Mme Evelyne Balzamo, présidente,
Mme Béatrice Molina-Andréo, présidente-assesseure,
Mme Kolia Gallier, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 octobre 2024.
La rapporteure,
Kolia GallierLa présidente,
Evelyne Balzamo
La greffière,
Sylvie Hayet
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 24BX00945 2