Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 26 octobre 2023 par lequel le préfet de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.
Par un jugement n° 2306437 du 15 février 2024, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 12 avril 2024, M. A..., représenté par Me Hugon, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux ;
2°) d'annuler l'arrêté du 26 octobre 2023 du préfet de la Gironde ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Gironde de lui délivrer une carte de séjour temporaire dans un délai de quinze jours à compter de la notification de la décision à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard et à défaut de procéder au réexamen de sa situation dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte en lui délivrant, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler ;
4°) de mettre à la charge de l'État une somme de 1 800 euros, à verser à son conseil, au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- la décision de refus de séjour est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors que les éléments dont il se prévaut établissent sa minorité lors de sa prise en charge par les services de l'aide sociale à l'enfance le 11 juin 2001 ; en cas de doute sur l'authenticité de son état civil, le préfet devait se rapprocher des autorités maliennes conformément aux dispositions de l'article 1er du décret du 24 décembre 2015 relatif aux modalités de vérification d'un acte de l'état civil étranger, ce qui n'a pas été fait ; il remplit également la condition de suivre réellement et sérieusement une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle depuis plus de six mois ; sa structure d'accueil a émis un avis positif quant à son insertion ;
- le refus de séjour est également entaché d'une erreur d'appréciation au regard des dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile compte tenu de sa durée et de ses conditions de séjour ;
- cette décision méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;
- la décision d'éloignement est dépourvue de base légale en raison de l'illégalité de la décision de refus de séjour.
Par un mémoire en défense enregistré le 2 septembre 2024, le préfet de la Gironde conclut au rejet de la requête et indique s'en remettre à ses écritures de première instance.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 5 mars 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention franco-malienne sur la circulation et le séjour des personnes, signée à Bamako le 26 septembre 1994, publiée par décret n° 96-1088 du 9 décembre 1996 ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Kolia Gallier,
- et les observations de Me Hugon, représentant M. A..., et de Mme C..., représentant le préfet de la Gironde.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant malien, indique être entré en France au mois de décembre 2020 et a sollicité le 1er septembre 2022, auprès des services de la préfecture de Gironde, son admission au séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 26 octobre 2023, le préfet de la Gironde a refusé de lui délivrer le titre de séjour sollicité, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination. M. A... relève appel du jugement du 15 février 2024 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Aux termes de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " A titre exceptionnel, l'étranger qui a été confié à l'aide sociale à l'enfance ou à un tiers digne de confiance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans et qui justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle peut, dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " ou " travailleur temporaire ", sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil ou du tiers digne de confiance sur l'insertion de cet étranger dans la société française. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. " Lorsqu'il examine une demande d'admission exceptionnelle au séjour en qualité de " salarié " ou " travailleur temporaire ", présentée sur le fondement de ces dispositions, le préfet vérifie tout d'abord que l'étranger est dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, qu'il a été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et dix-huit ans, qu'il justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle et que sa présence en France ne constitue pas une menace pour l'ordre public. Il lui revient ensuite, dans le cadre du large pouvoir dont il dispose, de porter une appréciation globale sur la situation de l'intéressé, au regard notamment du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française.
3. Aux termes de l'article R. 431-10 du même code : " L'étranger qui demande la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour présente à l'appui de sa demande : 1° Les documents justifiants de son état civil ; 2° Les documents justifiants de sa nationalité ; (...). / La délivrance du premier récépissé et l'intervention de la décision relative au titre de séjour sollicité sont subordonnées à la production de ces documents. (...) ". L'article L. 811-2 du même code dispose : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil ". L'article 47 du code civil prévoit que : " Tout acte de l'état civil des français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité (...) ".
4. La délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile est subordonnée au respect des conditions de fond qu'il prévoit mais également au respect, par les justificatifs de son état civil, de la condition de l'année de son dix-huitième anniversaire. A cet égard, la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis. Ce faisant, il lui appartient d'apprécier les conséquences à tirer de la production par l'étranger d'une carte consulaire ou d'un passeport dont l'authenticité est établie ou n'est pas contestée, sans qu'une force probante particulière puisse être attribuée ou refusée par principe à de tels documents.
5. Il ressort des pièces du dossier que M. A... a produit à l'appui de sa demande de titre de séjour un extrait d'un jugement supplétif du tribunal civil de Bamako du 9 septembre 2021, un acte de naissance de la même date, un extrait d'acte de naissance, une carte d'identité consulaire datée du 29 septembre 2021 et un passeport du 17 décembre 2021. Pour estimer que ces documents ne sont pas de nature à établir l'état civil de l'intéressé et sa date de naissance, le préfet de la Gironde a retenu, en s'appuyant sur un rapport technique d'analyse documentaire réalisé par la direction zonale de la police aux frontières du 16 février 2023, que ces documents étaient entachés de fraude. S'agissant du jugement supplétif du 9 septembre 2021, ce rapport indique qu'un tel document n'offre aucune sécurité puisqu'il s'agit d'un imprimé personnalisé à la main facile à reproduire. La police aux frontières relève l'absence de mention de transcription dans les registres sur ce document et la circonstance qu'une carte d'identité consulaire et le passeport ayant été délivrés sur la base d'un acte de naissance du 10 septembre 2020, ce jugement supplétif postérieur " n'a pas lieu d'être ", l'identité de l'intéressé ayant été précédemment déclarée. Toutefois, de tels éléments, alors que le rapport relève que les tampons, qui confèrent la légitimité au document, sont corrects, ne sont pas à eux seuls de nature à faire douter de l'authenticité du jugement supplétif produit par M. A.... Or, ce jugement, qui constitue le justificatif originel à partir duquel doivent être établis l'ensemble des documents d'état civil et d'identité des ressortissants maliens, permet, à lui seul, d'attester de l'identité de l'intéressé et, notamment, de sa date de naissance. Par ailleurs, si le préfet de la Gironde indique avoir signalé une fraude à l'identité au tribunal judiciaire de Bordeaux dans le cadre de l'article 40 du code de procédure pénale, il ne produit aucun élément relatif aux suites données à ce signalement. En outre, le requérant produit, pour la première fois en appel, un nouvel extrait d'acte de naissance du 12 décembre 2023, la copie certifiée conforme du premier volet de son acte de naissance et une carte d'identité biométrique délivrée le 13 mai 2023, autant de documents qui confirment son état civil et sa date de naissance le 30 septembre 2004. Dans ces conditions, le préfet de la Gironde ne pouvait légalement rejeter la demande de délivrance d'un titre de séjour présentée par M. A... sur le fondement des dispositions de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile au motif que celui-ci ne justifiait pas de son état civil. Pour les mêmes motifs, le préfet de la Gironde a entaché l'arrêté litigieux d'une erreur manifeste d'appréciation en retenant que M. A... ne remplissait pas la condition, fixée par ces mêmes dispositions, d'avoir été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans.
6. Si l'arrêté mentionne, par ailleurs, que M. A... ne justifie pas être isolé en cas de retour dans son pays d'origine, l'intéressé indique sans être contredit que son père est décédé et que sa mère, qui se désintéresse de lui, l'a envoyé travailler chez un oncle en Algérie en 2015. Dans ces conditions, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'intéressé aurait conservé des liens intenses avec sa mère et son frère demeurés au Mali, pays qu'il a quitté au plus tard à l'âge de 15 ans. Par suite, alors qu'il n'est pas contesté que le requérant remplit les autres conditions fixées par l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et qu'il ressort des pièces du dossier que l'intéressé a poursuivi un parcours d'étude et professionnel de qualité, qu'il donne pleine satisfaction à l'entreprise qui l'emploie en tant qu'apprenti et qui souhaite le recruter en contrat à durée indéterminée après l'obtention de son certificat d'aptitude professionnelle en boulangerie, le préfet de la Gironde a commis une erreur manifeste d'appréciation en refusant de lui délivrer un titre de séjour sur le fondement de ces dispositions. Par suite, les décisions du même jour par lesquelles le préfet de la Gironde lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit d'office à l'expiration de ce délai, doivent être annulées par voie de conséquence.
7. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux sa rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
8. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. (...) "
9. L'annulation de l'arrêté du 26 octobre 2023 prononcée par le présent arrêt implique, eu égard à ses motifs, et alors qu'il ne résulte pas de l'instruction qu'une modification de la situation de droit ou de fait y ferait obstacle, qu'il soit enjoint au préfet de la Gironde de délivrer à M. A... une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " ou " travailleur temporaire ". Il y a lieu de lui enjoindre d'y procéder dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
10. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'État une somme de 1 200 euros à verser à Me Hugon au titre des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Bordeaux n° 2306437 du 15 février 2024 et l'arrêté du préfet de la Gironde du 26 octobre 2023 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Gironde, sous réserve d'un changement dans la situation de droit ou de fait, de délivrer à M. A... une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " ou " travailleur temporaire " dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'État versera à Me Hugon la somme de 1 200 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., au préfet de la Gironde, au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Me Hugon.
Délibéré après l'audience du 12 septembre 2024 à laquelle siégeaient :
M. Evelyne Balzamo, présidente,
Mme Béatrice Molina-Andréo, présidente-assesseure,
Mme Kolia Gallier, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 octobre 2024.
La rapporteure,
Kolia GallierLa présidente,
Evelyne Balzamo
La greffière,
Sylvie Hayet
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 24BX00923 2