Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. E... A... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 13 octobre 2023 par lequel le préfet de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi, et d'enjoindre au préfet de lui délivrer un titre de séjour.
Par un jugement n° 2306182 du 22 février 2024, le tribunal a annulé l'arrêté du 13 octobre 2023 et a enjoint au préfet de délivrer un titre de séjour à M. A... sur le fondement des dispositions de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 18 mars 2024, le préfet de la Gironde demande à la cour d'annuler ce jugement et de rejeter la demande présentée par M. A... devant le tribunal.
Il soutient que :
- à l'appui de sa demande de titre, l'intéressé a produit une copie du registre d'état-civil et un document intitulé " To whom it may concern " sous l'identité de E... A... né le 1er septembre 2003, mais la consultation du fichier Visabio a permis d'établir qu'il avait sollicité un visa auprès des autorités françaises à Calcutta le 19 septembre 2019 en présentant un passeport au nom de Anil Hoom Choudhury né le 1er février 2002 ; contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, la fiabilité des informations du fichier Visabio ne saurait être remise en cause, et elles suffisent à établir que les documents d'état-civil produits à l'appui de la demande de titre de séjour sont entachés de fraude ; en outre, ces documents ont été analysés par la cellule fraude documentaire de la direction zonale de la police aux frontières, laquelle a conclu à leur caractère frauduleux au vu du résultat de la consultation du fichier Visabio, et le tribunal n'a pas tenu compte de ce que la légalisation des documents produits sous l'identité de Masud A... n'authentifie pas leur contenu et de ce que la fraude corrompt tout, alors qu'il n'apporte pas de précisions sur l'explication donnée par l'intéressé quant au caractère frauduleux de l'obtention de son visa ;
- l'intéressé, dont la date de naissance réelle est le 1er février 2002, a été confié aux services de l'aide sociale à l'enfance à l'âge de 18 ans ; le caractère réel et sérieux de sa formation n'est pas de nature à lui ouvrir un droit au séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dont il ne remplit pas la condition d'âge ; en outre, il ne démontre pas être isolé dans son pays d'origine, et eu égard à la fraude commise, il ne justifie pas d'une insertion durable dans la société française.
Par un mémoire en défense enregistré le 3 juin 2024, M. A..., représenté par Me Hugon, conclut à titre principal au rejet de la requête, et demande à titre subsidiaire à la cour d'annuler l'arrêté du 13 octobre 2023, d'enjoindre au préfet de la Gironde de lui délivrer une carte de séjour temporaire dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, ou à défaut de réexaminer sa situation dans le même délai et sous la même astreinte et de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler, et de mettre à la charge de l'Etat le versement au profit de son conseil d'une somme de 1 813 euros, toutes taxes et droit de plaidoirie compris, au titre des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Il fait valoir que :
- la requête est manifestement dépourvue de fondement, ne critique pas le raisonnement du tribunal administratif et doit être rejetée sur le fondement des dispositions de
l'article R. 222-1 du code de justice administrative ;
- la consultation du fichier Visabio n'est qu'un élément du faisceau d'indices permettant d'évaluer l'âge d'un jeune au moment de sa prise en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance ; en l'espèce, le service fraude documentaire de la police aux frontières a conclu à la conformité des documents d'état-civil présentés, sa minorité a été admise lors de sa prise en charge par l'aide sociale à l'enfance, il a expliqué lors d'un entretien avec son éducatrice que le visa avait été obtenu par un passeur sur présentation d'un faux passeport, et dans son rapport
de 2022 relatif aux mineurs non accompagnés, la défenseure des droits a souligné que les passeurs donnent aux mineurs de faux documents avec la date de naissance d'une personne majeure pour tenter d'obtenir des visas ; c'est ainsi à bon droit que le tribunal a jugé que la présomption d'authenticité des actes d'état-civil n'était pas renversée ;
- il justifie du caractère réel et sérieux de sa formation et de ses capacités d'insertion dans la société française ;
- à titre subsidiaire, si la cour annulait le jugement du tribunal, il maintient l'ensemble des conclusions et moyens soulevés en première instance.
Par ordonnance du 4 juin 2024, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu
au 4 août 2024.
Un mémoire en réplique présenté par le préfet de la Gironde a été enregistré
le 29 août 2024.
M. A... a été maintenu de plein droit au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 25 avril 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B...,
- et les observations de Mme D... C..., consultante juridique, régulièrement munie d'un pouvoir, représentant le préfet de la Gironde.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., se disant né le 1er septembre 2003 et de nationalité bangladaise, a déclaré être entré en France le 25 décembre 2019. Il a été confié au service de l'aide sociale à l'enfance du département de la Gironde par une ordonnance du juge des enfants du 27 février 2020, puis a bénéficié de contrats " jeune majeur " successifs à compter du 1er septembre 2021, en dernier lieu jusqu'au 1er mars 2024. Le 21 décembre 2022, il a sollicité la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 13 octobre 2023, le préfet de la Gironde a rejeté sa demande au motif que les conditions relatives à l'âge n'étaient pas remplies dès lors que son état-civil ne pouvait être regardé comme établi, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. Le préfet relève appel du jugement du 22 février 2024 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a annulé cet arrêté et lui a enjoint de délivrer à M. A... le titre de séjour sollicité.
2. D'une part, aux termes de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " A titre exceptionnel, l'étranger qui a été confié à l'aide sociale à l'enfance ou à un tiers digne de confiance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans et qui justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle peut, dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " ou " travailleur temporaire ", sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil ou du tiers digne de confiance sur l'insertion de cet étranger dans la société française. La condition prévue à
l'article L. 412-1 n'est pas opposable. "
3. D'autre part, l'article L. 811-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit que la vérification des actes d'état civil étrangers doit être effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil, lequel dispose que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.
4. Il ressort des pièces du dossier que dans le cadre de l'instruction de la demande de titre de séjour, le préfet de la Gironde a transmis pour analyse technique à la cellule fraude documentaire de la direction zonale de la police aux frontières les justificatifs d'état-civil présentés par l'intéressé, un certificat de naissance et un document intitulé " To whom it may concern " qui constitue une attestation de notoriété du maire de son village. Le rapport a retenu une conformité du formalisme, des mentions préimprimées et des marques de validation de l'autorité administrative, la présence d'une légalisation obligatoire, et une absence de trace d'altération frauduleuse des mentions biographiques. Pour conclure, en contradiction avec ces constats, que les actes d'état-civil au nom de E... A... né le 1er septembre 2003 présentaient un caractère frauduleux, ce rapport s'est exclusivement fondé sur ce que la consultation du fichier Visabio avait révélé que l'intéressé avait sollicité un visa auprès du consulat de France à Calcutta le 19 septembre 2019, sous l'identité de Anil Hoom Choudhury né le 1er février 2002, de nationalité indienne. Contrairement à ce que soutient le préfet de la Gironde, cette seule circonstance ne suffit pas à établir que cette dernière identité serait authentique, et que celle figurant sur les documents présentés à l'appui de la demande de titre de séjour serait nécessairement frauduleuse.
5. Dès lors que les dispositions de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne subordonnent pas la délivrance du titre de séjour qu'elles prévoient à une entrée régulière des mineurs sur le territoire, lesquels peuvent obtenir, comme le préfet en a d'ailleurs informé l'intéressé, un visa de régularisation sur place, la fraude constatée pour la délivrance d'un visa en Inde, lequel au demeurant n'a pas été utile à l'intéressé qui n'est finalement pas entré en France sous couvert de ce visa, ne peut être invoquée par le préfet pour refuser ce titre.
6. Si le préfet soutient en outre que l'intéressé ne démontrerait pas être isolé dans son pays d'origine, il ne ressort pas des pièces du dossier que M. A... entretiendrait des relations avec sa famille résidant au Bengladesh, et son insertion professionnelle dans le cadre
du CAP cuisine qu'il a suivi assidûment n'est pas contestée.
7. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Gironde n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a annulé son arrêté du 13 octobre 2023
et lui a enjoint de délivrer un titre de séjour à M. A... sur le fondement des dispositions
de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du préfet de la Gironde est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié au préfet de la Gironde, à M. E... A...,
à Me Hugon et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 10 septembre 2024 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, présidente,
Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,
M. Antoine Rives, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 octobre 2024.
La rapporteure,
Anne B...
La présidente,
Catherine GiraultLa greffière,
Virginie Guillout
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 24BX00694