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24/09/2024 | FRANCE | N°22BX02269

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 3ème chambre, 24 septembre 2024, 22BX02269


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société EDEIS Concessions a demandé au tribunal administratif de Poitiers de condamner le syndicat mixte de l'aéroport de Poitiers-Biard à lui verser la somme de 182 950,27 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 21 juillet 2020, en réparation des préjudices imputables, selon elle, à son éviction irrégulière du contrat de concession conclu pour l'exploitation de l'aéroport de Poitiers-Biard pour la période 2020-2031.



Par un jug

ement n° 2002019 du 14 juin 2022, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté cette demande.



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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société EDEIS Concessions a demandé au tribunal administratif de Poitiers de condamner le syndicat mixte de l'aéroport de Poitiers-Biard à lui verser la somme de 182 950,27 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 21 juillet 2020, en réparation des préjudices imputables, selon elle, à son éviction irrégulière du contrat de concession conclu pour l'exploitation de l'aéroport de Poitiers-Biard pour la période 2020-2031.

Par un jugement n° 2002019 du 14 juin 2022, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 12 août 2022 et 16 novembre 2023, la société EDEIS Concessions, représentée par Me Ayache, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 14 juin 2022 du tribunal administratif de Poitiers ;

2°) de condamner le syndicat mixte de l'aéroport de Poitiers-Biard à lui verser la somme de 182 950,27 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 21 juillet 2020 ;

3°) de mettre à la charge du syndicat mixte de l'aéroport de Poitiers-Biard une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la concession a été attribuée à la société d'exploitation et d'action locale pour les aéroports régionaux (SEALAR) en méconnaissance du principe de spécialité territoriale des établissements publics ; ce principe, applicable aux chambres de commerce et d'industrie (CCI), implique qu'elles ne peuvent, même par l'intermédiaire de filiales, exercer leurs compétences en-dehors de leur ressort territorial ; en application de l'article L. 710-1 du code de commerce, l'objet social des sociétés filiales des CCI territoriales doit être conforme à la spécialité de ces établissements ; le syndicat mixte de l'aéroport de Poitiers-Biard était ainsi tenu de rejeter la candidature de la SEALAR ;

- la substitution de la SEALAR au groupement solidaire candidat au cours de la procédure de passation méconnaît le principe d'intangibilité des candidatures, applicable aux contrats de concession ; la société nouvellement créée est à responsabilité limitée, ce qui a pour effet de modifier les rapports de solidarité et les garanties offertes à l'autorité concédante ; la SEALAR est bien une personne morale distincte du groupement initialement candidat ;

- le syndicat mixte de l'aéroport de Poitiers-Biard aurait dû s'assurer, en application du principe d'égalité de traitement et de libre concurrence, que l'offre financière de la SEALAR incluait l'ensemble des coûts directs et indirects et ne reposait pas sur le bénéfice d'un avantage découlant des ressources ou des moyens attribués à une CCI au titre de sa mission de service public ; les CCI, qui ont notamment pour mission la gestion d'équipements portuaires et aéroportuaires, sont financées par la taxe pour frais de chambre et bénéficient d'une garantie illimitée de l'Etat, de sorte qu'elles disposent d'un avantage concurrentiel ; de plus, en l'espèce, des locaux ont été mis à dispositions de la SEALAR sans contrepartie ;

- elle n'était pas dépourvue de toute chance de se voir attribuer la concession et avait même une chance sérieuse ; elle doit en conséquence être indemnisée des frais de présentation de son offre, qui se sont élevés à la somme totale de 182 950,27 euros.

Par un mémoire, enregistré le 20 septembre 2023, le syndicat mixte de l'aéroport de Poitiers-Biard, représenté par Me Briec, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de la société EDEIS Concessions d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens invoqués par la société appelante ne sont pas fondés.

Un mémoire a été produit pour la société EDEIS Concessions le 2 septembre 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de commerce ;

- l'ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016 ;

- le décret n° 2016-86 du 1er février 2016 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy,

- les conclusions de M. Julien Dufour, rapporteur public,

- les observations de Me Michellet, représentant la société EDEIS Concessions ;

- et les observations de Me Guihard, représentant le syndicat mixte de l'aéroport Poitiers-Biard.

Considérant ce qui suit :

1. Par un avis publié le 13 mars 2019 au bulletin officiel des annonces des marchés publics (BOAMP), le syndicat mixte de l'aéroport de Poitiers-Biard (SMAPB), chargé de la gestion de l'aéroport de Poitiers-Biard depuis le 1er janvier 2007, a engagé une consultation en vue de la conclusion d'un contrat de concession d'une durée de cinq ans pour la gestion et l'exploitation de l'aéroport. La société EDEIS Concessions s'est portée candidate. Par un courrier du 18 octobre 2019, le SMAPB l'a informée du rejet de son offre et de l'attribution du contrat de concession à la société d'exploitation et d'action locale pour les aéroports régionaux (SEALAR), constituée entre les sociétés Ingénierie Services France Ouest (INSFO), TPF Ingénierie et Chambre de commerce et d'industrie Marseille-Provence (CCIMP) Infrastructures. Le contrat de concession a été signé le 30 octobre 2019. Estimant avoir été irrégulièrement évincée de ce contrat, la société EDEIS Concessions a demandé au tribunal administratif de Poitiers de condamner le SMAPB à lui allouer une somme de 182 950,27 euros en réparation du préjudice tenant aux frais de présentation de son offre. Elle relève appel du jugement du 14 juin 2022 par lequel le tribunal a rejeté cette demande.

Sur les conclusions à fin d'indemnisation :

2. En vue d'obtenir réparation de ses droits lésés, le concurrent évincé a la possibilité de présenter devant le juge du contrat des conclusions indemnitaires, à titre accessoire ou complémentaire à ses conclusions à fin de résiliation ou d'annulation du contrat. Il peut également engager un recours de pleine juridiction distinct, tendant exclusivement à une indemnisation du préjudice subi à raison de l'illégalité de la conclusion du contrat dont il a été évincé.

3. En premier lieu, aux termes de l'article L. 710-1 du code de commerce : " Les établissements du réseau des chambres de commerce et d'industrie ont chacun, en leur qualité de corps intermédiaire de l'Etat, une fonction de représentation des intérêts de l'industrie, du commerce et des services auprès des pouvoirs publics ou des autorités étrangères (...). / A cet effet, chaque établissement du réseau peut assurer, par tous moyens, y compris par des prestations de services numériques, et dans le respect, le cas échéant, des schémas sectoriels qui lui sont applicables : (...) 5° Une mission de création et de gestion d'équipements, en particulier portuaires et aéroportuaires (...) / Ils peuvent, avec l'accord de l'autorité de tutelle, participer à la création et au capital de sociétés civiles et de sociétés par actions dont l'objet social entre dans le champ de leurs missions. Ils peuvent participer dans les mêmes conditions à la création de groupements d'intérêt public ou privé ainsi qu'à toute personne morale de droit public ". Par ailleurs, le principe de spécialité qui régit les établissements publics leur interdit d'exercer des activités étrangères à leur mission, sauf si ces activités en constituent le complément normal et si elles sont directement utiles à l'établissement.

4. Il résulte de l'instruction que le contrat de concession en litige a été attribué à la SEALAR, qui a pour actionnaires la société TPF Ingénierie, la société Ingénierie Services Forces Ouest (INSFO), filiale à 100% de la chambre de commerce et d'industrie (CCI) Bretagne-Ouest, et la société CCIMP Infrastructures, filiale à 100 % de la CCI Marseille-Provence.

5. D'une part, le contrat ayant été attribué non pas aux CCI Bretagne-Ouest et Marseille-Provence mais à une société de droit privé, la société EDEIS Concessions ne peut utilement se prévaloir de la méconnaissance du principe de spécialité territoriale applicable auxdites CCI.

6. D'autre part, l'article L. 710-1 du code de commerce autorise les CCI à participer à la création et au capital de sociétés de droit privé à la seule condition que l'objet social de ces sociétés entre dans le champ de leurs missions. Or, en vertu des dispositions de ce même article, la gestion d'équipements aéroportuaires entre dans le champ des missions des CCI. La société appelante n'est dès lors pas fondée à soutenir que la création et la détention partielle de la société attributaire du contrat par des sociétés filiales de CCI méconnaitrait ces dispositions.

7. En deuxième lieu, aux termes de l'article 24 du décret du 1er février 2016 relatif aux contrats de concession, applicable au litige : " Les groupements d'opérateurs économiques sont autorisés à se porter candidats. Pour la présentation d'une candidature ou d'une offre, l'autorité concédante ne peut exiger que le groupement d'opérateurs économiques ait une forme juridique déterminée. Toutefois, le groupement retenu peut être contraint de revêtir une telle forme lorsque le contrat de concession lui a été attribué, si cette transformation est nécessaire pour la bonne exécution du contrat. Dans ce cas, la forme qui sera imposée après attribution est mentionnée dans les documents de la consultation. "

8. Il résulte de l'instruction qu'un groupement conjoint et solidaire composé de la société TPF Ingénierie, de la société INFSO et de la société CCIMP Infrastructures s'est initialement porté candidat au contrat de concession litigieux. Au cours de la procédure de passation du contrat, ces mêmes sociétés ont constitué une société par actions simplifiées de droit privé, la société SEALAR, qui s'est substituée au groupement en qualité de candidate au contrat. La société EDEIS Concessions persiste à soutenir en appel que cette substitution de la SEALAR au groupement de sociétés était contraire au principe d'intangibilité de la candidature d'un groupement d'opérateurs économiques prévu à l'article R. 2142-26 du code de la commande publique.

9. Toutefois, la procédure de passation du contrat ayant été lancée avant le 1er avril 2019, elle n'était pas soumise aux dispositions invoquées du code de la commande publique mais seulement à celles du décret du 1er février 2016 relatif aux contrats de concession, en particulier celles précitées de son article 24. De plus, eu égard à l'identité entre les trois sociétés membres du groupement initialement candidat et les trois sociétés actionnaires de la SEALAR s'étant substituée à ce groupement, il ne résulte pas de l'instruction que cette substitution aurait été de nature à fausser l'appréciation portée sur les mérites de cette candidature et, par conséquent, à compromettre le principe d'égal accès à la commande publique.

10. En dernier lieu, lorsqu'une personne publique est candidate à l'attribution d'un contrat de concession, il appartient à l'autorité concédante, dès lors que l'équilibre économique de l'offre de cette personne publique diffère substantiellement de celui des offres des autres candidats, de s'assurer, en demandant la production des documents nécessaires, que l'ensemble des coûts directs et indirects a été pris en compte pour la détermination de cette offre, afin que ne soient pas faussées les conditions de la concurrence. Saisi d'un moyen en ce sens, il incombe au juge du contrat de vérifier que le contrat n'a pas été attribué à une personne publique qui a présenté une offre qui, faute de prendre en compte l'ensemble des coûts exposés, a faussé les conditions de la concurrence.

11. En l'espèce, d'une part, l'offre retenue ayant été présentée, non pas par des CCI, mais par une société de droit privé dont les actionnaires sont également des sociétés de droit privé, il n'appartenait pas au SMAPB de vérifier que cette offre incluait bien l'ensemble des coûts directs et indirects ou ne reposait pas sur le bénéfice d'un avantage découlant des ressources ou des moyens attribués à une personne publique au titre de sa mission de service public. D'autre part, il n'est pas établi que l'offre financière de la SEALAR aurait substantiellement différé de celles des autres candidats et, en particulier, de celle de la société EDEIS Concessions, ni même que les sociétés filiales de la société attributaire auraient tiré de leur appartenance à des CCI des avantages de nature à fausser le libre jeu de la concurrence.

12. Eu égard à ce qui été dit ci-dessus, la société EDEIS Concessions n'est pas fondée à soutenir qu'elle aurait été irrégulièrement évincée du contrat en cause à raison des irrégularités affectant l'offre de la société attributaire. Ses conclusions tendant à l'indemnisation du préjudice qu'elle impute à son éviction irrégulière de ce contrat ne peuvent, dès lors, qu'être rejetées.

13. Il résulte de ce qui précède que la société EDEIS Concessions n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande.

Sur les frais liés au litige :

14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du SMAPB, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande la société EDEIS Concessions au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société EDEIS Concessions une somme de 1 500 euros à verser au SMAPB en application des mêmes dispositions.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la société EDEIS Concessions est rejetée.

Article 2 : La société EDEIS Concessions versera au syndicat mixte de l'aéroport de Poitiers-Biard une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société EDEIS Concessions et au syndicat mixte de l'aéroport de Poitiers-Biard.

Délibéré après l'audience du 3 septembre 2024 à laquelle siégeaient :

M. Laurent Pouget, président,

Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, présidente-assesseure,

M. Vincent Bureau, conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 septembre 2024.

La rapporteure,

Marie-Pierre Beuve Dupuy

Le président,

Laurent Pouget Le greffier,

Christophe Pelletier

La République mande et ordonne au préfet de la Vienne en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 22BX02269


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 22BX02269
Date de la décision : 24/09/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. POUGET
Rapporteur ?: Mme Marie-Pierre BEUVE-DUPUY
Rapporteur public ?: M. DUFOUR
Avocat(s) : ERNST & YOUNG SOCIETE D'AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 29/09/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-09-24;22bx02269 ?
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