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11/07/2024 | FRANCE | N°22BX01293

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 2ème chambre, 11 juillet 2024, 22BX01293


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler la décision du directeur du centre hospitalier de Jonzac du 19 novembre portant exclusion temporaire

de fonctions pour une durée de 1 jour et de mettre à la charge du centre hospitalier la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Par un jugement n° 2100213 du 8 mars 2022, la magistrate désignée par le président du tribunal admini

stratif de Poitiers a annulé la décision contestée et mis à la charge du centre hospitalier une somm...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler la décision du directeur du centre hospitalier de Jonzac du 19 novembre portant exclusion temporaire

de fonctions pour une durée de 1 jour et de mettre à la charge du centre hospitalier la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 2100213 du 8 mars 2022, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Poitiers a annulé la décision contestée et mis à la charge du centre hospitalier une somme de 1 300 euros au titre des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 6 mai 2022, le centre hospitalier de Jonzac, représenté par Me Drouineau, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter la demande de M. A....

Il soutient que :

- si le tribunal a retenu l'existence de propos dénigrants à l'égard d'une patiente en salle de réveil, il n'en a pas tiré les conséquences en matière de proportionnalité de la sanction ;

- un infirmier doit faire preuve de discrétion professionnelle et de respect de la pudeur du patient, conformément à sa fiche de poste, et M. A... avait suivi toutes les formations utiles ;

- les propos tenus étaient inadaptés et incompatibles avec les obligations de probité et de dignité d'un fonctionnaire ; l'intéressé n'a pas pris en compte le ressenti de la patiente, laquelle a porté plainte au pénal ; il a reconnu un comportement habituel consistant à " charrier les patients " pour " faire rigoler les gens ", ce qui n'est pas admissible dans un établissement hospitalier, particulièrement en salle de réveil où les patients sont spécialement vulnérables ;

-la dimension pédagogique de la sanction a été anéantie par le jugement du tribunal.

Par un mémoire en défense, enregistré le 17 mai 2023, M. A..., représenté par Me Denis, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge du centre hospitalier de Jonzac d'une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- ses états de service sont excellents et il n'avait jamais fait l'objet de sanctions ;

- il n'a jamais désigné la patiente par l'expression " la slave " et ne s'est pas moqué de son physique, ce qui d'ailleurs n'est pas retenu dans la sanction ; cette personne avait subi des injections de morphine en fin d'intervention, ce qui a pu altérer son souvenir et sa compréhension des choses ;

- une conversation générale sur les prêts bancaires avec l'autre infirmier et l'une des patientes en salle de réveil, qui travaillait dans une banque, n'est pas constitutive d'une faute ;

- l'invitation à la cantonade à " assister à un dîner de cons " n'était dirigée contre personne et visait seulement de façon humoristique, peut-être maladroite, le contexte sanitaire de l'épidémie de Covid-19 ;

- la sanction est donc disproportionnée ;

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;

- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière ;

- le décret n° 89-822 du 7 novembre 1989 relatif à la procédure disciplinaire applicable aux fonctionnaires de la fonction publique hospitalière ;

- le décret n°2016-1605 du 25 novembre 2016 portant code de déontologie des infirmiers ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme B...,

- les conclusions de Mme Charlotte Isoard, rapporteure publique,

- et les observations de Me Porchet, représentant le centre hospitalier de Jonzac.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... a été recruté en 2012 comme infirmier par le centre hospitalier de Jonzac, d'abord par contrat à durée déterminée, puis à durée indéterminée, et titularisé le 1er août 2014. Il exerçait ses fonctions depuis 2015 en salle de surveillance post-interventionnelle du bloc opératoire. En août 2020, une patiente s'est plainte auprès du directeur de l'hôpital de son attitude à son égard en salle de réveil, et a déposé plainte à la gendarmerie pour injure non publique en raison du sexe. La direction a alors demandé aux deux infirmiers mentionnés par la patiente un rapport circonstancié sur les faits dénoncés, et a saisi le conseil de discipline. Celui-ci a proposé le 3 novembre 2020 d'infliger un avertissement à M. A.... Le centre hospitalier de Jonzac relève appel du jugement du 8 mars 2022 par lequel la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Poitiers a annulé comme disproportionnée

la sanction d'exclusion temporaire pour une durée d'un jour qu'il avait prononcée

le 19 novembre 2020.

2. Aux termes de l'article 81 de la loi du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière : " Les sanctions disciplinaires sont réparties en quatre groupes : / Premier groupe : L'avertissement, le blâme, l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée maximale de trois jours ; (...). " Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.

3. Aux termes de l'article R. 4312-11 du code de la santé publique : " L'infirmier doit écouter, examiner, conseiller, éduquer ou soigner avec la même conscience toutes les personnes quels que soient, notamment, leur origine, leurs mœurs, leur situation sociale ou de famille, leur croyance ou leur religion, leur handicap, leur état de santé, leur âge, leur sexe, leur réputation, les sentiments qu'il peut éprouver à leur égard ou leur situation vis-à-vis du système de protection sociale. /Il leur apporte son concours en toutes circonstances. /Il ne doit jamais se départir d'une attitude correcte et attentive envers la personne prise en charge. " L'article R. 4311-2 du même code indique que " Les soins infirmiers, préventifs, curatifs ou palliatifs, intègrent qualité technique et qualité des relations avec le malade. " Enfin,

l'article L. 1110-2 du même code affirme : " La personne malade a droit au respect de sa dignité. "

4. Pour infliger à M. A... une exclusion de fonctions d'une journée, le directeur du centre hospitalier de Jonzac a indiqué en premier lieu que l'intéressé " reconnaît avoir eu une conversation d'ordre privé avec son collègue portant sur des prêts immobiliers " en salle de réveil. M. A... indique que cette conversation était d'ordre général en relation avec une patiente travaillant dans une banque, et ne concernait pas sa situation personnelle. Comme l'a reconnu le tribunal, une telle conversation ne constituait pas une faute de nature à justifier une sanction.

5. Le directeur a relevé en deuxième lieu que M. A... reconnaît utiliser l'humour et la plaisanterie, en citant les dires de l'intéressé : " c'est notre manière de fonctionner au réveil, de faire rigoler les gens, par notre humour de les charrier pour qu'ils puissent mieux vivre le passage au bloc mais jamais avec une intention de méchanceté ", en troisième lieu qu'il a reconnu avoir dit " j'invitais tout le monde à assister à un dîner de cons " en référence à l'épidémie de Covid, mais sans aucun lien avec la patiente qui a porté plainte, et en quatrième lieu qu'il avait reconnu avoir fait preuve de maladresse, manqué de discrétion et fait " une ou deux blagues qui ont été mal interprétées. " Ainsi, contrairement à ce que soutient l'intéressé, la sanction n'est pas seulement fondée sur la conversation sur les prêts précitée et l'invitation à un " dîner de cons ", mais également sur les plaisanteries douteuses à l'égard de la patiente. Il ressort de la plainte de celle-ci auprès du directeur de l'hôpital, qui est précise dans les termes employés et ne peut être regardée comme reflétant un état de conscience affecté par les injections subies en fin d'opération, que M. A... a fait des observations désobligeantes sur son physique et lancé des plaisanteries déplacées qu'elle ne pouvait qu'interpréter comme la visant directement. Enfin, l'invitation à un " dîner de cons ", que la patiente a prise pour une insulte personnelle, était, même adressée à l'ensemble de la salle et dans le contexte de l'épidémie de Covid et dans le souci de faire rire, parfaitement inappropriée. La circonstance que la plainte pénale ait été classée sans suite pour " infraction insuffisamment caractérisée " ne faisait pas obstacle à ce que le directeur prenne en compte les faits dénoncés, qui sont suffisamment établis alors que l'intéressée a été remontée dans sa chambre en larmes et que l'un des deux infirmiers est venu lui présenter des excuses. Ces faits présentent, comme l'a reconnu le tribunal, un caractère fautif.

6. En dépit des bons états de service et des compétences de M. A... en matière de soins, le directeur du centre hospitalier de Jonzac n'a pas pris une sanction disproportionnée en prononçant à raison de son comportement à l'égard de la plaignante une exclusion temporaire d'une journée. Le centre hospitalier de Jonzac est donc fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal a retenu un tel moyen pour annuler cette décision.

7. Il appartient à la cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, de se prononcer sur l'autre moyen soulevé par M. A... à l'encontre de la décision du 19 novembre 2020.

8. Contrairement à ce que soutient M. A..., la décision, qui vise la loi n°83-634

du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, la loi n° 86-33 du

9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière et le décret n° 89-822 du 7 novembre 1989 relatif à la procédure disciplinaire applicable aux fonctionnaires de la fonction publique hospitalière, et cite les dispositions du code de la santé publique mentionnées ci-dessus au point 3, comporte les considérations de droit sur lesquelles elle se fonde. Elle est par suite suffisamment motivée.

9. Il résulte de ce qui précède que le centre hospitalier de Jonzac est fondé à demander l'annulation du jugement du tribunal administratif de Poitiers.

10. Les dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du centre hospitalier de Jonzac, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande M. A... au titre des frais qu'il a exposés.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du 8 mars 2022 est annulé.

Article 2 : La demande de M. A... devant le tribunal et le surplus de ses conclusions d'appel sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au centre hospitalier de Jonzac et à M. C... A....

Délibéré après l'audience du 2 juillet 2024 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, président,

Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,

M. Olivier Cotte, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 juillet 2024.

La présidente-assesseure,

Anne Meyer

La présidente, rapporteure,

Catherine B...

La greffière,

Virginie Guillout

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités en ce qui la concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

22BX01293


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22BX01293
Date de la décision : 11/07/2024

Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: Mme Catherine GIRAULT
Rapporteur public ?: Mme ISOARD
Avocat(s) : CABINET DROUINEAU 1927

Origine de la décision
Date de l'import : 14/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-07-11;22bx01293 ?
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