Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Bénédicte Martin a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. D... et Mme C..., sa compagne, ressortissants nigérians, respectivement nés en 1982 et 1996, déclarent être entrés en France pour l'un le 24 février 2014, pour l'autre, le 6 avril 2017, pour y solliciter l'asile. Leurs demandes d'asile ont été rejetées par des décisions de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) du 28 septembre 2015 et du 15 juillet 2019, confirmées par des décisions de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) du 20 avril 2016 et du 31 janvier 2020. M. D... a été admis au séjour en qualité d'étranger malade du 7 février 2020 au 6 juillet 2022. Le 17 mai 2022, M. D... a présenté une demande de renouvellement de son titre de séjour en se prévalant de son état de santé. Mme C... s'est vue délivrer des autorisations provisoires de séjour pendant la durée de validité du titre de séjour de son compagnon. Le 8 septembre 2022, Mme C... a sollicité le renouvellement de cette autorisation. Par deux arrêtés des 10 octobre et 6 décembre 2022, la préfète de la Gironde leur a refusé la délivrance d'un titre de séjour, leur a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. M. D... et Mme C... relèvent appel du jugement du 1er juin 2023 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté leurs demandes tendant à l'annulation de ces deux arrêtés.
Sur la jonction :
2. Les requêtes enregistrées sous les n°s 23BX02700 et 23BX02701 concernent la situation d'un couple de ressortissants étrangers, présentent à juger des questions similaires et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour y statuer par un seul arrêt.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
En ce qui concerne la décision de refus de titre de séjour opposée à M. D... :
3. En premier lieu, aux termes de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qui, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. /La décision de délivrer cette carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. Sous réserve de l'accord de l'étranger et dans le respect des règles de déontologie médicale, les médecins de l'office peuvent demander aux professionnels de santé qui en disposent les informations médicales nécessaires à l'accomplissement de cette mission. Les médecins de l'office accomplissent cette mission dans le respect des orientations générales fixées par le ministre chargé de la santé. /Si le collège de médecins estime dans son avis que les conditions précitées sont réunies, l'autorité administrative ne peut refuser la délivrance du titre de séjour que par une décision spécialement motivée. (...) ".
4. Sous réserve des cas où la loi attribue la charge de la preuve à l'une des parties, il appartient au juge administratif saisi de l'affaire, au vu des pièces du dossier et compte tenu, le cas échéant, de l'abstention d'une des parties à produire les éléments qu'elle est seule en mesure d'apporter et qui ne sauraient être réclamés qu'à elle-même, d'apprécier si l'état de santé d'un étranger nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve de l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi et de la possibilité d'y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, sauf circonstance humanitaire exceptionnelle. La partie qui justifie d'un avis du collège de médecins du service médical de l'OFII qui lui est favorable doit être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence ou l'absence d'un état de santé de nature à justifier la délivrance ou le refus d'un titre de séjour. Dans ce cas, il appartient à l'autre partie, dans le respect des règles relatives au secret médical, de produire tous éléments permettant d'apprécier l'état de santé de l'étranger et, le cas échéant, l'existence ou l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi et la possibilité d'en bénéficier effectivement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si l'état de santé d'un étranger justifie la délivrance d'un titre de séjour dans les conditions ci-dessus rappelées, se détermine au vu de ces échanges contradictoires.
5. Par son avis du 21 septembre 2022, le collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) a considéré que l'état de santé de M. D... nécessite une prise en charge médicale dont le défaut ne devrait pas entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qu'il peut voyager sans risque dans son pays d'origine. Dans ces conditions, le collège n'était pas tenu de se prononcer sur la possibilité pour M. D... de bénéficier d'un accès effectif à un traitement approprié dans son pays d'origine.
6. M. D... conteste l'analyse du collège de médecins de l'OFII en produisant des certificats médicaux des 23 juin 2022 et 14 avril 2023, établis par une psychiatre-psychothérapeute et anthropologue, qui indiquent qu'il souffre d'une psychopathologie sévère de schizophrénie avec hallucinations et idées suicidaires, nécessitant un suivi depuis le mois de juin 2017 et un traitement médicamenteux. Si ces certificats, dont le second est postérieur à la décision attaquée, évoquent le risque majeur de passage à l'acte en cas de retour dans le pays d'origine, du fait d'un accès aux soins défectueux " voire impossible ", ils ne permettent pas d'établir qu'à la date de la décision en litige, le défaut de prise en charge médicale était susceptible d'entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité. En outre, si l'intéressé fait état du lien qui existerait entre sa pathologie et des événements traumatisants vécus au Nigéria, il n'apporte pas d'éléments suffisants de nature à établir la réalité de tels événements, que la Cour nationale du droit d'asile, dans sa décision du 20 avril 2016, a, au demeurant, estimé non justifiés. Dans ces conditions, aucun élément versé au dossier ne permet de remettre en cause l'avis du collège des médecins de l'OFII, que la préfète s'est appropriée, et l'appelant n'est, dès lors, pas fondé à soutenir que la décision refusant de lui délivrer un titre de séjour est entachée d'une erreur de fait et résulte d'une inexacte application des dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
7. En second lieu, M. D... et Mme C... se prévalent de leur intégration en France où se trouve désormais leur noyau familial, après la naissance à Bordeaux le 30 juillet 2020 de leur fille. Ils soutiennent ainsi qu'ils disposent d'un appartement, que M. D... exerce une activité professionnelle et que Mme C... fréquente des associations à caractère social et suit avec sa fille une psychothérapie mère-enfant depuis le 16 juin 2020. Toutefois, par ces éléments, les intéressés ne peuvent être regardés comme ayant tissé en France des liens privés, familiaux et professionnels tels qu'ils auraient vocation à bénéficier d'un droit au séjour. Il ressort des pièces du dossier que M. D... produit seulement trois fiches de paye de septembre à novembre 2022 et que Mme C... ne produit aucune pièce de nature à justifier de son insertion sociale. Il n'est pas établi qu'ils seraient dépourvus d'attaches personnelles ou familiales au Nigeria, pays dans lequel ils ont respectivement vécu jusqu'à l'âge de 32 ans et de 21 ans et où résident, s'agissant de M. D..., sa fratrie et ses deux enfants, et s'agissant de Mme C..., ses parents et sa fratrie. Dès lors, en refusant à M. D... la délivrance d'un titre de séjour, la préfète de la Gironde n'a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts poursuivis et n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation.
En ce qui concerne la décision de refus de titre de séjour opposée à Mme C... :
8. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que le 8 septembre 2022, Mme C... a sollicité auprès de la préfecture de Gironde le renouvellement de son autorisation provisoire de séjour pour des raisons liées à l'état de santé de son compagnon. Il résulte de ce qui précède au point 6 que la préfète de la Gironde n'a pas méconnu les dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en refusant à M. D... un titre de séjour sur ce fondement. Dans ces conditions, le moyen tiré de l'illégalité du refus de titre de séjour opposé à M. D... doit être écarté.
9. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui n'entre pas dans les catégories prévues aux articles L. 423-1, L. 423-7, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21 et L. 423-22 ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, et qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1./ Les liens mentionnés au premier alinéa sont appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'étranger, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine./L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République. " et aux termes des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
10. Pour les motifs énoncés au point 7, en refusant à Mme C... la délivrance d'un titre de séjour, la préfète de la Gironde n'a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts poursuivis et n'a, dès lors, ni méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ni les dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
11. En troisième et dernier lieu, aux termes de l'article 3 paragraphe 1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces stipulations que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant.
12. La décision de refus de séjour n'a ni pour objet, ni pour effet de séparer Mme C... de sa fille, ni de séparer cette dernière de son père. Par suite, la préfète de la Gironde, en prenant la décision contestée, n'a pas méconnu les stipulations précitées de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :
13. En premier lieu, eu égard à ce qui vient d'être dit sur la légalité des décisions de refus de séjour, les requérants ne sont pas fondés à demander l'annulation par voie de conséquence de la décision leur faisant obligation de quitter le territoire français.
14. En second lieu, les requérants soutiennent que leur petite fille encourt des risques personnels en cas de retour au Nigéria, du fait des pratiques de mutilation sexuelle dont ont été victimes Mme C... et sa sœur, ainsi que sa petite fille excisée à l'âge de trois mois et qui en serait morte en 2015. Toutefois, les appelants, dont les demandes d'asile ont d'ailleurs été rejetées par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides puis par la Cour nationale du droit d'asile, n'établissent par aucun élément probant la réalité et l'actualité des craintes qu'ils allèguent pour leur enfant en cas de retour au Nigéria. Au demeurant, l'OFPRA a, le 28 juillet 2021, rejeté la demande d'asile présentée pour leur fille B..., de même que la CNDA, dans sa décision du 18 mai 2022, au motif de déclarations insuffisamment étayées et personnalisées sur les pressions susceptibles d'être exercées par l'entourage familial et sur l'impossibilité des parents de protéger l'enfant d'une telle mutilation. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant doit être écarté.
En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :
15. Pour les motifs exposés au point qui précède, le moyen tiré de la méconnaissance du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant doit être écarté.
16. Il résulte de tout ce qui précède que M. D... et Mme C... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté leurs demandes tendant à l'annulation des arrêtés des 10 octobre et 6 décembre 2022.
Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :
17. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions à fin d'annulation, n'appelle aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte présentées par M. D... et Mme C... ne peuvent être accueillies.
Sur les frais liés au litige :
18. L'Etat n'étant pas la partie perdante dans la présente instance, les conclusions présentées par M. D... et Mme C... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi susvisée du 10 juillet 1991 doivent être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : Les requêtes de M. D... et de Mme C... sont rejetées.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... D..., à Mme A... C... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera communiquée au préfet de la Gironde.
Délibéré après l'audience du 25 juin 2024 à laquelle siégeaient :
Mme Evelyne Balzamo, présidente,
Mme Bénédicte Martin, présidente-assesseure,
Mme Pauline Reynaud, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 9 juillet 2024.
La rapporteure,
Bénédicte MartinLa présidente,
Evelyne Balzamo
Le greffier,
Christophe Pelletier
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 23BX02700, 23BX02701