Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 29 mars 2023 par lequel le préfet de la Gironde lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de renvoi et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an.
Par un jugement n° 2302118 du 29 juin 2023, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 11 janvier 2024 et le 16 mai 2024, Mme B..., représentée par Me Perrin, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet de la Gironde du 29 mars 2023 ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Gironde de réexaminer son dossier dans un délai d'un mois à compter de la notification de la décision à intervenir et de lui délivrer, dans l'attente une autorisation provisoire de séjour, sous astreinte de 150 euros par jour de retard et à défaut de procéder au réexamen de sa situation dans les mêmes conditions ;
4°) de mettre à la charge de l'État une somme de 1 800 euros, à verser à son conseil, au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- l'arrêté est entaché d'un défaut de motivation, notamment en ce qu'il omet de viser l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant, ce qui méconnait l'article L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration ;
- il méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entaché d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle compte tenu de la nécessité de poursuivre ses soins à Bordeaux, de demeurer auprès de sa fille scolarisée, des liens qu'elle a noués sur le territoire français et des violences intrafamiliales dont elle a été victime dans son pays d'origine ; la réponse du jugement à ce moyen est entachée d'erreurs de droit et de fait ;
- il méconnaît également l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant et est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de ses stipulations ; la réponse du jugement à ce moyen est entachée d'erreurs de droit et de fait ;
- il méconnaît les dispositions du 9° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de ces dispositions dès lors que l'interruption de ses soins entrainera des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qu'un traitement approprié n'est pas disponible dans son pays d'origine ; la réponse du jugement à ce moyen est entachée d'erreur de droit, de fait et d'une contradiction de motif ;
- la décision portant interdiction de retour est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation et la réponse du tribunal à ce moyen d'une erreur de droit.
Par un mémoire en défense enregistré le 7 mai 2024, le préfet de la Gironde conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- la requête est tardive ;
- il s'en remet à ses écritures de première instance sur le fond.
Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 21 septembre 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention internationale des droits de l'enfant ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de Mme Kolia Gallier a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., ressortissante congolaise née le 2 juillet 1981, indique être entrée en France le 25 juin 2021 et a présenté une demande d'asile le 2 août 2021. Cette demande a été rejetée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 20 décembre 2021, confirmée par une décision de la Cour nationale du droit d'asile du 22 février 2023. Par un arrêté du 29 mars 2023, le préfet de la Gironde lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination et l'a interdite de retour sur le territoire français pour une durée d'un an. Mme B... relève appel du jugement du 29 juin 2023 par lequel la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
2. Hormis dans le cas où le juge de première instance a méconnu les règles de compétence, de forme ou de procédure qui s'imposaient à lui et a ainsi entaché son jugement d'une irrégularité, il appartient au juge d'appel, non d'apprécier le bien-fondé des motifs par lesquels le juge de première instance s'est prononcé sur les moyens qui lui étaient soumis, mais de se prononcer directement sur les moyens dirigés contre la décision administrative contestée dont il est saisi dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel. La requérante ne peut donc utilement se prévaloir des erreurs de droit et des erreurs d'appréciation qu'aurait commis la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Bordeaux pour demander l'annulation du jugement attaqué.
3. L'arrêté en litige vise les textes dont il est fait application, notamment les articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que les dispositions utiles du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et expose les circonstances de fait propres à la situation personnelle de Mme B... sur lesquelles le préfet de la Gironde s'est fondé pour édicter l'arrêté litigieux. Dans ces conditions, cet arrêté, qui comporte l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement, est suffisamment motivé. La circonstance que l'arrêté, qui mentionne la présence en France de la fille de la requérante, ne vise pas l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant est sans incidence sur le caractère suffisant de cette motivation.
4. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
5. Mme B... expose que sa fille, entrée en France une année avant elle, était, à la date de l'arrêté attaqué, en CE2 après avoir suivi dans la même école les classes de CP et CE1. Elle indique, pour ce qui la concerne, être entrée en France au mois de juin, après avoir quitté la République démocratique du Congo en 2019 et avoir séjourné en Turquie puis en Grèce, et être bien intégrée en France où elle s'est notamment engagée dans le domaine associatif. Elle ajoute être suivie sur le plan psychiatrique en raison de l'inceste dont elle a été victime durant son enfance et des viols et sévices subis à l'âge adulte, qui l'ont conduit à rompre tout lien avec sa famille dans son pays d'origine, à l'exception de sa grand-mère décédée depuis. S'il ressort, il est vrai, des pièces produites que les efforts et l'attitude de la fille de Mme B... sont grandement appréciés par ses enseignants et camarades et que sa mère, qui produit au dossier de nombreuses attestations de soutien de ses proches, a noué avec son entourage des relations de qualité, il ressort des pièces du dossier qu'elle n'était en France que depuis moins de deux ans à la date de l'arrêté attaqué et que sa cellule familiale, sur le territoire français, est réduite à sa fille qui a vocation à suivre sa mère. Dans ces conditions, eu égard à la durée et aux conditions de séjour de l'intéressée en France, le préfet n'a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport au but en vue duquel l'arrêté litigieux a été édicté. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées doit être écarté. Pour les mêmes motifs, doit également être écarté le moyen tiré de l'erreur manifeste qu'aurait commis le préfet dans leur application.
6. Aux termes du premier paragraphe de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant du 26 janvier 1990 : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".
7. Ainsi qu'il a été indiqué ci-dessus, si les pièces versées au dossier attestent de la réussite scolaire de la fille de Mme B... et de ce qu'elle est très appréciée par ses enseignants et camarades, il ne ressort des pièces du dossier aucun obstacle à ce qu'elle accompagne sa mère dans son pays d'origine où il n'est pas contesté qu'elle pourra poursuivre sa scolarité. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations précitées ainsi que celui tiré de l'erreur manifeste d'appréciation commise par le préfet dans leur application doit être écarté.
8. Aux termes de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa version applicable à l'espèce : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français : (...) / 9° L'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. (...) ".
9. Il ressort des certificats médicaux produits au dossier que Mme B... bénéficie d'un suivi psychologique régulier depuis le mois d'octobre 2021, dispensé par l'équipe mobile de psychiatrie et précarité du centre hospitalier Charles Perrens de Bordeaux avec nécessité d'un suivi psychiatrique mis en place à partir du mois de janvier 2022 en raison d'un état de stress post-traumatique complexe dans un contexte d'inceste dans l'enfance et d'un viol avec séquestration à l'âge adulte, état qui s'est compliqué d'une dépression majeure d'intensité sévère. Elle bénéficie en outre d'un accompagnement par un institut médico-psychosocial spécialisé dans la prise en charge globale des femmes et des filles survivantes de mutilations sexuelles et de mariage forcé. Toutefois, il ne ressort pas des pièces du dossier que le défaut de prise en charge médicale pouvait, à la date de l'arrêté attaqué, entrainer des conséquences d'une exceptionnelle gravité, le seul certificat médical faisant état d'idées suicidaires avec un risque de passage à l'acte en cas d'interruption du suivi et du traitement étant postérieur de près de 10 mois à l'arrêté attaqué. Dans ces conditions, les moyens tirés de la méconnaissance des dispositions précitées et de l'erreur manifeste qu'aurait commis le préfet dans leur application doit être écarté.
10. Aux termes de l'article L. 612-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa version applicable au litige : " Lorsque l'étranger n'est pas dans une situation mentionnée aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative peut assortir la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. / Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder deux ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français. " L'article L. 613-8 du même code prévoit : " Lorsqu'un étranger faisant l'objet d'une interdiction de retour édictée en application de l'article L. 612-8 justifie, au plus tard deux mois suivant l'expiration du délai de départ volontaire dont il a bénéficié, avoir satisfait à son obligation de quitter le territoire français dans le délai imparti, l'interdiction de retour est abrogée. (...) ".
11. Ainsi que cela est précisé dans la décision contestée, l'interdiction de retour sur le territoire français édictée par le préfet de la Gironde à l'encontre de Mme B... sur le fondement de l'article L. 612-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile aurait été, en application des dispositions précitées et sauf décision motivée contraire susceptible de recours, automatiquement abrogée si l'intéressée avait exécuté la mesure d'éloignement édictée à son encontre dans le délai de trente jours qui lui était imparti ou dans un délai de deux mois suivant l'expiration de ce délai. Au regard de ces éléments et alors que Mme B... n'a d'autre attache familiale en France que sa fille mineure qui a vocation à demeurer avec elle, le préfet de la Gironde n'a pas commis d'erreur d'appréciation en interdisant à l'intéressée le retour sur le territoire français pour une durée d'un an.
12. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée par le préfet, que Mme B... n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande. Sa requête doit, par suite, être rejetée en toutes ses conclusions.
DECIDE :
Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée au préfet de la Gironde.
Délibéré après l'audience du 13 juin 2024 à laquelle siégeaient :
M. Jean-Claude Pauziès, président,
Mme Christelle Brouard-Lucas, présidente-assesseure,
Mme Kolia Gallier, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 juillet 2024.
La rapporteure,
Kolia GallierLe président,
Jean-Claude Pauziès
La greffière,
Marion Azam Marche
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 24BX00071 2