Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... A... B... a demandé au tribunal administratif de Pau d'annuler l'arrêté du 20 novembre 2023 par lequel la préfète des Landes lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi et a prononcé à son encontre une mesure d'interdiction de circulation sur le territoire français pour une durée d'un an.
Par un jugement n° 2303047 du 10 janvier 2024, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Pau a annulé l'arrêté du 20 novembre 2023 de la préfète des Landes.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 30 janvier 2024, le préfet des Landes demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 10 janvier 2024 de la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Pau ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. A... B... devant le tribunal administratif de Pau.
Il soutient que :
- le jugement, qui n'a pas été rendu à l'issue d'une procédure contradictoire, est irrégulier ; le tribunal s'est fondé sur le jugement du 6 décembre 2023 accordant un aménagement de peine à M. A... B... sans lui avoir communiqué cette pièce, et alors que la requête de l'intéressé ne faisait pas état d'un tel aménagement ; de plus, les pièces qui lui ont été transmises par le tribunal le 22 décembre 2023 étaient illisibles ;
- c'est à tort que le tribunal a estimé que l'obligation de quitter le territoire français méconnaissait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'obligation de quitter le territoire français a été compétemment signée par la secrétaire générale de la préfecture ;
- cette décision est motivée en droit comme en fait ;
- la motivation de cette décision révèle qu'il a été procédé à un examen sérieux de la situation de l'intéressé ;
- M. A... B... n'ayant pas respecté l'obligation d'enregistrement auprès du maire de sa commune de résidence, il est réputé résider en France depuis moins de trois mois et ne peut dès lors se prévaloir d'un droit au séjour sur le fondement de l'article L. 233-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- M. A... B..., qui ne travaille pas et ne justifie pas de ressources suffisantes, ne bénéficie pas du droit de séjourner en France pour une durée supérieure à trois mois ;
- la présence de l'intéressé en France constitue une menace réelle, actuelle et grave pour un intérêt fondamental de la société au sens du 2° de l'article L. 251-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la condition d'urgence prévue à l'article L. 251-3 était en l'espèce satisfaite, de sorte que le refus de départ volontaire n'a pas été pris en méconnaissance de ces dispositions ;
- la décision fixant le pays de renvoi n'est pas privée de base légale ;
- l'interdiction de circulation sur le territoire français pour une durée d'un an n'est pas privée de base légale ;
- cette décision procède d'une exacte application des dispositions de l'article L. 251-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- cette décision ne méconnaît pas les stipulations des articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire enregistré le 20 mai 2024, M. A... B..., représenté par Me Leplat, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de l'Etat d'une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens invoqués par le préfet des Landes ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... B..., de nationalité portugaise, est entré en France en 2006 selon ses déclarations. Par un arrêté du 20 novembre 2023, la préfète des Landes lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi et a prononcé à son encontre une mesure d'interdiction de circulation sur le territoire français pour une durée d'un an. Le préfet des Landes relève appel du jugement du 10 janvier 2024 par lequel la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Pau a annulé cet arrêté.
2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
3. M. A... B... réside en France depuis plusieurs années selon ses déclarations, y dispose d'attaches familiales, en particulier ses trois enfants, et entretient une relation avec une ressortissante française dont l'un des fils, âgé de 15 ans, est atteint d'autisme. Toutefois, en se bornant à produire deux fiches de paie établies en novembre et décembre 2022 et des attestations peu circonstanciées de ses enfants, l'intéressé n'établit pas l'ancienneté alléguée de sa présence en France. Ses enfants sont majeurs et il n'apporte pas d'élément particulier sur les liens qu'il entretiendrait avec ces derniers. Il ne produit pas davantage d'élément sur l'ancienneté et l'intensité de sa relation avec une ressortissante française ou sur son investissement auprès du fils de cette dernière. Il ressort en outre de la fiche pénale produite par le préfet des Landes que M. A... B... a été condamné, par un jugement du 10 mars 2020 du tribunal correctionnel de Mont-de-Marsan, à une peine d'emprisonnement de 12 mois pour des faits de violences habituelles commis sur sa compagne et son fils, alors mineur de 15 ans, et d'agression sexuelle sur sa compagne. Il a de nouveau été condamné, par un jugement du 25 février 2021 du tribunal correctionnel de Toulouse, à une peine d'emprisonnement de 9 mois dont 6 mois assortis d'un sursis probatoire de 2 ans pour des faits de violence aggravée. Il a enfin été condamné, par un jugement de juge de l'application des peines du tribunal judiciaire de Mont-de-Marsan, à une peine de deux mois d'emprisonnement en révocation partielle de son sursis probatoire, au motif qu'il avait méconnu l'interdiction assortissant ce sursis probatoire d'entrer en relation avec sa compagne. Dans ces conditions, et alors même que, par un jugement du 6 décembre 2023, postérieur à l'arrêté en litige, le juge d'application des peines du tribunal judiciaire de Mont-de-Marsan l'a autorisé à exécuter le reliquat de sa peine sous le régime de la semi-liberté et a supprimé son obligation de s'abstenir d'entrer en relation avec sa compagne, M. A... B... a gravement porté atteinte à l'ordre public et ne justifie ainsi pas de son insertion au sein de la société française. Dans les circonstances de l'espèce, en lui faisant obligation de quitter le territoire français et interdiction de circulation sur le territoire français pour une durée d'un an, la préfète des Landes n'a pas porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale.
4. Il résulte de ce qui précède que le préfet les Landes est fondé à soutenir que c'est à tort que la première juge a accueilli le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations précitées de de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales pour annuler l'arrêté en litige.
5. Il appartient toutefois à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés en première instance par M. A... B... à l'encontre de cet arrêté.
6. Aux termes de l'article L. 251-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative compétente peut, par décision motivée, obliger les étrangers dont la situation est régie par le présent livre, à quitter le territoire français lorsqu'elle constate les situations suivantes : (...) 2° Leur comportement personnel constitue, du point de vue de l'ordre public ou de la sécurité publique, une menace réelle, actuelle et suffisamment grave à l'encontre d'un intérêt fondamental de la société (...) ". Il appartient à l'autorité administrative, qui ne saurait se fonder sur la seule existence d'une infraction à la loi, d'examiner, d'après l'ensemble des circonstances de l'affaire, si la présence de l'intéressé sur le territoire français est de nature à constituer une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société française, ces conditions étant appréciées en fonction de sa situation individuelle, notamment de la durée de son séjour en France, de sa situation familiale et économique et de son intégration. Aux termes de l'article L. 251-3 du même code : " Les étrangers dont la situation est régie par le présent livre disposent, pour satisfaire à l'obligation qui leur a été faite de quitter le territoire français, d'un délai de départ volontaire d'un mois à compter de la notification de la décision. /L'autorité administrative ne peut réduire le délai prévu au premier alinéa qu'en cas d'urgence et ne peut l'allonger qu'à titre exceptionnel ". Aux termes de l'article L. 251-4 de ce code : " L'autorité administrative peut, par décision motivée, assortir la décision portant obligation de quitter le territoire français édictée sur le fondement des 2° ou 3° de l'article L. 251-1 d'une interdiction de circulation sur le territoire français d'une durée maximale de trois ans ".
7. Eu égard, d'une part, à la situation personnelle et familiale de M. A... B... telle que décrite au point 3, d'autre part à la gravité et au caractère réitéré des faits délictueux commis par l'intéressé, la préfète des Landes a pu, sans commettre d'erreur d'appréciation, estimer que le comportement personnel de l'intéressé constituait une menace réelle, actuelle et suffisamment grave à l'encontre de la sécurité publique, qui constitue un intérêt fondamental de la société au sens des dispositions précitées, et prononcer en conséquence à son encontre une obligation de quitter le territoire français assortie d'un interdiction de circuler sur le territoire français pour une durée d'un an.
8. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet des Landes est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Pau a annulé son arrêté du 20 novembre 2023.
9. Enfin, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'a pas la qualité de partie perdante dans la présente instance, le versement de quelque somme que ce soit au titre des frais exposés par M. A... B... et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2303047 du 10 janvier 2024 de la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Pau est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. A... B... devant le tribunal administratif de Pau est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au préfet des Landes, à M. C... A... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré après l'audience du 28 mai 2024 à laquelle siégeaient :
M. Laurent Pouget, président,
Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, présidente-assesseure,
M. Manuel Bourgeois, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 juin 2024.
La rapporteure,
Marie-Pierre Beuve-Dupuy
Le président,
Laurent Pouget Le greffier,
Anthony Fernandez
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 24BX00225