La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

18/06/2024 | FRANCE | N°22BX01512

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 3ème chambre, 18 juin 2024, 22BX01512


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société Luminance a demandé au tribunal administratif de La Réunion de condamner la société Aéroport de La Réunion Roland Garros (ARRG) à lui verser la somme totale de 684 587,51 euros en réparation des préjudices que lui a causé la résiliation de la convention d'occupation temporaire du domaine public dont elle était titulaire.



Par un jugement n° 2001072 du 1er avril 2022, le tribunal administratif de La Réunion a rejeté cette demande.
>

Procédure devant la cour :



Par une requête enregistrée le 1er juin 2022 et des mémoires e...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Luminance a demandé au tribunal administratif de La Réunion de condamner la société Aéroport de La Réunion Roland Garros (ARRG) à lui verser la somme totale de 684 587,51 euros en réparation des préjudices que lui a causé la résiliation de la convention d'occupation temporaire du domaine public dont elle était titulaire.

Par un jugement n° 2001072 du 1er avril 2022, le tribunal administratif de La Réunion a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 1er juin 2022 et des mémoires enregistrés les 23 juin 2023 et 24 mars 2024, la société Luminance, représentée par Me Grozdoff, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de La Réunion du 1er avril 2022 ;

2°) de condamner la société Aéroport de La Réunion Roland Garros (ARRG) à lui verser la somme totale de 670 125,50 euros, assortie des intérêts au taux légal avec capitalisation à compter de la réception de sa demande indemnitaire, en réparation des préjudices que lui a causé la résiliation de la convention d'occupation temporaire du domaine public dont elle était titulaire ;

3°) à titre subsidiaire, d'enjoindre à la société ARRG de lui restituer la somme de 47 667,51 euros mise à sa charge par le jugement attaqué, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de la société ARRG une somme de 5 000 euros au titre des frais exposés pour l'instance.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué est insuffisamment motivé ;

- elle n'a commis aucune faute dans l'exécution de ses prestations ;

- le dépôt de garantie aurait dû lui être restitué en application de l'article 32 de la convention d'autorisation d'occupation temporaire, qui prime sur l'article 27 du cahier des clauses et conditions générales (CCCG) ;

- elle ne demeure redevable d'aucune redevance trimestrielle dès lors qu'au regard des bouleversements apportés à son activité, la société ARRG avait annulé une précédente redevance trimestrielle garantie et avait donné un accord de principe à un ajustement de cette redevance au titre de l'année 2017 ;

- l'auteur de la décision de résiliation n'était pas compétent pour la signer ;

- cette décision n'a pas été précédée d'une mise en demeure, en méconnaissance des stipulations de l'article 39 du CCCG et des droits de la défense ;

- cette décision est insuffisamment motivée ;

- elle n'a pas été mise à même de consulter son dossier en méconnaissance des dispositions de l'article L. 122-2 du code des relations entre le public et l'administration ;

- il n'est pas établi qu'elle aurait manqué de dynamisme commercial dès lors que les modifications des conditions d'exécution du contrat ne lui ont pas permis de réaliser les objectifs prévus ;

- la résiliation du contrat présente un caractère disproportionné au regard des fautes qui lui sont reprochées ;

- le motif d'intérêt général invoqué est insuffisamment explicité et est infondé ;

- elle a droit à l'indemnisation de son entier préjudice ;

- elle justifie de la réalité et du montant de ce préjudice.

Par des mémoires enregistrés les 14 octobre 2022, 01 février 2024 et 16 avril 2024, la société ARRG, représentée par Me K'jan, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 500 euros soit mise à la charge de la société Luminance au titre des frais exposés pour l'instance.

Elle soutient que les moyens invoqués ne sont pas fondés.

Une note en délibéré a été enregistré pour la société Luminance le 30 mai 2024.

Vu le code de justice administrative.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. A...,

- les conclusions de Mme Le Bris, rapporteure publique,

- et les observations de Me Grozdoff, représentant la société Luminance, et de Me Meyer, représentant la société Aéroport de La Réunion Roland Garros.

Considérant ce qui suit :

1. Par une convention signée le 11 mars 2015, la société Aéroport de La Réunion Roland Garros (ARRG), en sa qualité d'autorité gestionnaire de cet aéroport, a autorisé la société Luminance à occuper différents emplacements situés sur le domaine public aéroportuaire destinés à l'implantation de supports publicitaires, et à y exercer une activité de régie publicitaire pour une durée de huit ans. Par une décision du 18 juin 2020, le président du directoire de la société ARRG a toutefois prononcé la résiliation de cette convention à compter du 1er septembre 2020, aux torts de la société Luminance et, subsidiairement, pour un motif d'intérêt général. Par une demande préalable datée du 6 août 2020, la société Luminance a réclamé à la société ARRG le versement d'une somme totale de 560 125,50 euros en réparation des préjudices que lui a causés cette résiliation. Cette demande a été rejetée par une décision du 28 août 2020. La société Luminance relève appel du jugement du 1er avril 2022 par lequel le tribunal administratif de La Réunion a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la société ARRG à lui verser la somme de 684 587,51 euros en réparation de ses préjudices et l'a, en revanche, condamnée à verser à cette société une somme de 47 667,51 euros au titre de redevances impayées.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. La société Luminance ne peut utilement soutenir, à l'appui de son moyen tiré de ce que le jugement attaqué serait insuffisamment motivé au regard des dispositions de l'article L.9 du code de justice administrative, que les premiers juges ont commis des erreurs d'appréciation et " ont dénaturé les faits " qui leur étaient soumis dès lors que ces griefs, à les supposer établis, n'ont pas trait à la motivation de ce jugement ni, plus généralement, à sa régularité, mais à son bien-fondé.

Sur la régularité formelle de la résiliation :

3. Si la société Luminance soutient que la décision de résiliation du 18 juin 2020 est irrégulière, les irrégularités formelles qui affecteraient cette décision, à les supposer avérées, auraient pour seul effet de faire obstacle à ce que soient mises à sa charge les conséquences onéreuses de cette résiliation, ainsi que l'ont relevé les premiers juges, mais demeureraient sans incidence sur son droit à indemnité. Or il est constant que la société ARRG n'a pas mis à la charge de sa cocontractante le remboursement de dépenses qu'elle aurait engagées du fait de la résiliation. Les moyens tenant aux vices de formes qui affecteraient la décision de résiliation sont donc inopérants.

Sur le bien-fondé de la résiliation pour faute :

4. Aux termes de l'article 39 de la convention d'occupation temporaire du domaine public : " La présente autorisation peut être révoquée d'office dans les conditions prévues à l'article 27 du CCCG. (...) / L'autorisation peut être révoquée, un mois après une mise en demeure par simple lettre recommandée restée sans effet ". Aux termes de l'article 27 du cahier des clauses des autorisations d'occupation et d'utilisation du domaine public délivrées par les concessionnaires d'aérodromes (CCCG) : " Faute pour le titulaire de se conformer à l'une quelconque de ses obligations générales ou particulières, son autorisation peut être révoquée d'office. / La révocation intervient après une simple mise en demeure par lettre recommandée restée sans effet dans le délai imparti qui, sauf cas d'urgence, n'est pas inférieur à quinze jours. Elle est prononcée par décision du gestionnaire sans qu'il soit nécessaire de remplir aucune formalité devant les tribunaux, elle a son plein effet à compter du jour de la notification de cette décision par lettre recommandée. / Cette décision fixe le délai imparti au Titulaire pour évacuer les lieux. / Le titulaire, non seulement ne peut prétendre à aucune indemnité, mais encore n'a pas droit au remboursement des redevances payées d'avance, et le dépôt de garantie qui a pu être exigé de lui reste acquis au gestionnaire à titre de dommages et intérêts sans préjudice des paiements à effectuer par eux de toutes sommes qu'il peut rester devoir au gestionnaire ".

5. En premier lieu, aux termes de l'article 30 de la convention d'occupation temporaire du domaine public : " En contrepartie de l'autorisation d'occupation accordée de par la présente convention, le titulaire s'engage à verser au gestionnaire, une redevance variable correspondant à un pourcentage du chiffre d'affaires réalisé par le titulaire ". L'article 23 de la même convention précise que " En cas d'exécution de travaux par le Gestionnaire, le Titulaire devra souffrir, sans indemnité, toutes les servitudes actives et passives qui pourraient lui être imposées par le Gestionnaire pour l'exécution de travaux sur l'aérodrome. "

6. Il résulte de l'instruction que la société Luminance a décidé unilatéralement de ne pas s'acquitter d'une cotisation trimestrielle au titre de l'année 2017, d'un montant de 47 667,51 euros. Pour justifier ce manquement à ses obligations contractuelles, la société appelante fait valoir qu'en raison des travaux affectant son activité au sein de l'aéroport, elle avait précédemment été exemptée du paiement d'une redevance trimestrielle en 2016 et soutient, mais sans l'établir, que l'autorité gestionnaire aurait donné son accord de principe à une exemption identique au titre de l'année 2017. Toutefois, il résulte de l'instruction que, par une lettre datée du 8 avril 2019, la société ARRG lui a, au contraire, rappelé qu'en application des stipulations précitées de l'article 23 de la convention d'occupation temporaire, la réalisation de travaux au sein de l'aéroport, qui était annoncée dans le règlement de consultation de la procédure de passation, ne lui ouvrait droit à aucune indemnité et lui a confirmé les refus oraux qui avaient été précédemment opposés à sa demande d'exemption d'un trimestre de redevance pour l'année 2017. Enfin, si par une lettre du 6 mars 2020 la société gestionnaire de l'aéroport a accordé à la société Luminance un délai de quinze jours pour respecter ses obligations en la matière, il est constant que la société appelante ne s'était toujours pas acquittée de cette redevance à la date à laquelle la société ARRG a décidé de résilier la convention en cause.

7. En second lieu, aux termes de l'article 3.5 de la convention d'occupation temporaire : " (...) le titulaire effectuera tous les investissements nécessaires de façon continue pendant toute la durée de l'autorisation accordée de sorte que, dans les installations existantes ou nouvellement aménagées, les matériels d'exploitation, équipements techniques et mobiliers soient maintenus en parfait état de fonctionnement, d'aspect et de conformité et fournissent les meilleures performances disponibles sur le marché (...) ".

8. A supposer même que, comme le soutient la société requérante, les dysfonctionnements récurrents et durables des dalles numériques présentes dans le hall de l'aéroport, dont elle ne conteste pas la matérialité, trouveraient leur origine dans l'installation, par la société ARRG, d'extracteurs d'air dont le fonctionnement était de nature à accélérer l'oxydation de ces supports publicitaires, il lui appartenait néanmoins, dans le cadre de l'obligation de moyens mise à sa charge par les stipulations précitées de l'article 3.5 de la convention, d'assurer la maintenance de ces dalles afin qu'elles demeurent en bon état de fonctionnement. Or la société Luminance, qui ne pouvait ignorer l'existence de risques spécifiques d'oxydation causés par la proximité de la mer et ne conteste d'ailleurs pas qu'elle en avait été alertée dans le cadre du règlement de consultation, n'établit ni même ne soutient que les dysfonctionnements relevés ne pouvaient être ni prévenus ni corrigés. Dans ces conditions, la récurrence de ces dysfonctionnements caractérise également un manquement de la société appelante à ses obligations contractuelles.

9. Eu égard à la gravité des fautes contractuelles ainsi commises, notamment au manquement de la société appelante à s'acquitter de la redevance mise à sa charge en contrepartie de l'autorisation d'occuper le domaine public, de nature à justifier la révocation d'office de cette autorisation en application des stipulations précitées de l'article 27 du CCCG, et sans qu'il soit nécessaire de se prononcer sur les autres griefs invoqués par la société ARRG, la société Luminance n'est pas fondée à soutenir que la décision du 18 juin 2020 prononçant la résiliation pour faute de la convention du 11 mars 2015 serait infondée ou disproportionnée. Par voie de conséquence, elle n'est pas davantage fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté sa demande d'indemnisation des préjudices que cette décision lui a causés.

Sur la restitution du dépôt de garantie et le paiement des redevances :

10. Les stipulations de l'article 27 du CCCG, citées au point 3 du présent arrêt, prévoient qu'en cas de révocation pour faute de l'autorisation temporaire d'occupation, le dépôt de garantie qui a pu être exigé du titulaire reste acquis au gestionnaire à titre de dommages et intérêts. Toutefois, les stipulations de l'article 32 de la convention d'occupation temporaire prévoient au contraire que : " A l'expiration de la convention ou si elle prenait fin avant le terme prévu pour quelque cause que ce soit, le dépôt de garantie serait restitué au Titulaire dans un délai maximal de 3 mois à compter du jour de l'établissement de l'état des lieux contradictoire de restitution des biens occupés, déduction faite de toutes sommes restant dues au Gestionnaire. " En outre, l'exposé préalable de cette convention précise qu'elle constitue les conditions particulières du contrat et que : " les clauses de la présente convention prévalent sur celles du CCCG en cas de divergence sur les points communs traités par l'une et l'autre. "

11. Il résulte de la combinaison des stipulations précitées de la convention que la société Luminance est fondée à soutenir que, nonobstant le caractère fautif de la résiliation de la convention, il appartenait à la société ARRG de lui restituer le dépôt de garantie, d'un montant de 43 750 euros, sous réserve des sommes restant dues à la société gestionnaire au titre de l'exécution du contrat.

12. Dès lors que, ainsi qu'il a été exposé précédemment, la société Luminance est redevable à la société ARRG du paiement de la somme de 47 667,51 euros au titre de la redevance du 4ème trimestre 2017, sa dette à l'égard de cette société s'élève en définitive à 3 917,51 euros.

13. Il résulte de tout ce qui précède que la société Luminance est seulement fondée à demander la réformation du jugement attaqué en tant qu'il l'a condamnée à verser à la société ARRG une somme supérieure à 3 917,51 euros.

14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la somme que demande la société ARRG soit mise à la charge de la société Luminance, qui n'est pas la partie perdante pour l'essentiel dans la présente instance. Il y a lieu en revanche, dans les circonstances de l'espèce et en application des mêmes dispositions, de mettre à la charge de la société ARRG une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés pour l'instance par la société Luminance.

DÉCIDE :

Article 1er : La société Luminance est condamnée à verser à la société ARRG la somme de 3 917,51 euros.

Article 2 : Le jugement n° 2001072 du 1er avril 2022 du tribunal administratif de La Réunion est réformé en tant qu'il est contraire au présent arrêt.

Article 3 : La société ARRG versera à la société Luminance une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Luminance et à la société la société Aéroport de La Réunion Roland Garros

Délibéré après l'audience du 28 mai 2024 à laquelle siégeaient :

M. Laurent Pouget, président,

Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, présidente-assesseure,

M. Manuel Bourgeois, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 18 juin 2024.

Le rapporteur,

Manuel A...

Le président,

Laurent PougetLe greffier,

Anthony Fernandez

La République mande et ordonne au préfet de La Réunion en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N°22BX01512 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 22BX01512
Date de la décision : 18/06/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. POUGET
Rapporteur ?: M. Manuel BOURGEOIS
Rapporteur public ?: Mme LE BRIS
Avocat(s) : GROZDOFF

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-06-18;22bx01512 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award