Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe d'annuler l'arrêté du 23 novembre 2022 par lequel le préfet de la Guadeloupe a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai de trente jours, a fixé le pays de destination et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an.
Par un jugement n° 2201416 du 18 septembre 2023, le tribunal administratif de la Guadeloupe a annulé l'arrêté du 23 novembre 2022.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 1er décembre 2023, le préfet de la Guadeloupe demande à la cour d'annuler le jugement n°2201416 du tribunal administratif de la Guadeloupe du 18 septembre 2023 et de rejeter la demande de M. A....
Il soutient que M. A... ne remplissait pas les conditions pour se voir délivrer un titre de séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors que son arrivée sur le territoire français est récente, qu'il ne justifie pas s'être vu délivrer un visa de long séjour tel que prévu par les dispositions de l'article L. 412-1, qu'il n'établit pas l'intensité des liens qu'il partage avec son père qu'il a rejoint en dehors de la procédure spécifique de regroupement familial.
Par des mémoires enregistrés les 4 et 27 février 2024, M. A..., représenté par Me Djimi, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de l'Etat d'une somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et à ce qu'il soit enjoint à l'Etat de lui délivrer une carte de séjour mention " vie privée et familiale ", sous astreinte de 100 euros par jour de retard.
Il soutient que l'arrêté contesté méconnaît les dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entaché d'une erreur manifeste de ses conséquences sur sa situation personnelle.
M. A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 1er février 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Héloïse Pruche-Maurin,
- et les observations de M. B... A....
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., de nationalité haïtienne, né le 6 novembre 2003, est entré irrégulièrement sur le territoire guadeloupéen le 15 décembre 2018, d'après ses déclarations. Il a sollicité la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile le 5 avril 2022. Par arrêté du 23 novembre 2022, le préfet de la Guadeloupe a rejeté sa demande de titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination et l'a interdit de retour sur le territoire français pour une durée d'un an. Par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Guadeloupe a, sur la demande de M. A..., annulé cet arrêté. Par la présente requête, l'Etat demande l'annulation de ce jugement et le rejet de la demande de M. A....
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui n'entre pas dans les catégories prévues aux articles L. 423-1, L. 423-7, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21 et L. 423-22 ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, et qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. Les liens mentionnés au premier alinéa sont appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'étranger, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République. ".
3. Il ressort des pièces du dossier que M. A... entre dans les catégories d'étrangers qui sont susceptibles de bénéficier du regroupement familial. Par suite, et alors que l'article L. 423-23 s'applique aux étrangers n'entrant pas dans les catégories " qui ouvrent droit au regroupement familial ", le préfet de la Guadeloupe est fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont fondé l'annulation de l'arrêté contesté sur la méconnaissance de ces dispositions qui ne s'appliquaient pas au demandeur.
4. Toutefois, il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A... devant le tribunal administratif de la Guadeloupe.
Sur la légalité de l'arrêté du 23 novembre 2022 :
5. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentale : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. " Pour l'application de ces dispositions, l'étranger qui invoque la protection due à son droit au respect de sa vie privée et familiale en France doit apporter toute justification permettant d'apprécier la réalité, l'intensité et la stabilité de ses liens personnels et familiaux effectifs en France au regard de ceux qu'il a conservés dans son pays d'origine. La circonstance que l'étranger relèverait, à la date de cet examen, des catégories ouvrant droit au regroupement familial ne saurait, par elle-même, intervenir dans l'appréciation portée par l'administration sur la gravité de l'atteinte à la situation de l'intéressé. L'autorité administrative peut en revanche tenir compte le cas échéant, au titre des buts poursuivis par la mesure litigieuse, de ce que le ressortissant étranger en cause ne pouvait légalement entrer en France pour y séjourner qu'au seul bénéfice du regroupement familial et qu'il n'a pas respecté cette procédure.
6. Il ressort des pièces du dossier que M. A... est entré en 2018 sur le territoire guadeloupéen à l'âge de 15 ans pour rejoindre son père. Dès l'année scolaire 2018/2019, il a entamé une formation en vue d'obtenir un certificat d'apprentissage professionnelle (CAP) spécialité électricien dans un lycée professionnel situé à Gourbeyre, qu'il a suivie avec assiduité pour obtenir le diplôme en juin 2020, puis s'est inscrit en filière baccalauréat professionnel spécialité " métiers de l'électricité et de ses environnements connectés " qu'il a obtenu en juin 2022 avec mention Bien. Souhaitant poursuivre ses études par l'obtention d'un brevet technique supérieur (BTS) en électrotechnique, il a été admis pour l'année 2022/2023 dans un lycée d'Argenteuil (académie de Versailles) mais a conclu finalement, en décembre 2022, une convention de formation par apprentissage avec une entreprise située à Basse-Terre en Guadeloupe. Il démontre ainsi, malgré son jeune âge, avoir fourni des efforts certains pour s'intégrer dans la société française et s'assurer un avenir professionnel dans son domaine d'apprentissage. Il ressort par ailleurs des pièces du dossier que son père, titulaire d'une carte de séjour pluriannuelle valable jusqu'au 22 février 2024, a ouvert, depuis l'année 2021, un salon de coiffure sur le territoire de la commune de Capesterre-Belle-Eau et qu'il a hébergé son fils à son arrivée en Guadeloupe jusqu'en 2022, comme en attestent l'ensemble des bulletins scolaires, relevés de notes et attestations de scolarité produits, adressés à son domicile. Ainsi, et quand bien même M. A... a pris un hébergement distinct à compter de l'année 2022/2023, pour, selon ses dires, se rapprocher de son lieu de travail dans le cadre de son contrat d'apprentissage, il ressort des pièces du dossier qu'il entretient des liens étroits et réguliers avec son père. Ainsi, dans les circonstances particulières de l'espèce, et quand bien même sa mère réside en Haïti, compte tenu du jeune âge de M. A... lors de son arrivée en France, des liens familiaux dont il dispose sur le territoire français, et de la durée de sa présence en France, soit quatre ans à la date de l'arrêté attaqué, ce dernier est fondé à soutenir que la décision en litige a porté une atteinte excessive à son droit au respect de sa vie privée et familiale et a méconnu les stipulations précitées des articles 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme.
7. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Guadeloupe n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Guadeloupe a annulé l'arrêté du 23 novembre 2022. Par suite sa requête doit être rejetée.
Sur les frais liés à l'instance :
8. M. A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 1er février 2024. Par suite, et dès lors que son avocat n'a pas demandé de versement au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, les conclusions qu'il présente en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La requête du préfet de la Guadeloupe est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de M. A... tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Une copie en sera adressée au préfet de la Guadeloupe.
Délibéré après l'audience du 21 mai 2024 à laquelle siégeaient :
Mme Elisabeth Jayat, présidente de chambre,
Mme Karine Butéri, présidente assesseure,
Mme Héloïse Pruche-Maurin, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 juin 2024.
La rapporteure,
Héloïse Pruche-Maurin
La présidente,
Elisabeth Jayat
La greffière,
Virginie Santana
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 23BX02953