Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler l'arrêté du 26 janvier 2023 par lequel le préfet de la Charente-Maritime a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et lui a fait interdiction de retourner sur le territoire français pendant une durée d'un an.
Par un jugement n° 2300356 du 20 juin 2023, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire complémentaire enregistrés les 21 juillet 2023 et 5 février 2024, M. B..., représenté par Me Marques-Melchy, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n°2300356 du tribunal administratif de Poitiers du 20 juin 2023 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 26 janvier 2023 du préfet de la Charente-Maritime ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Charente-Maritime de lui délivrer un titre de séjour dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'État la somme de 1 500 euros à verser à son conseil au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique et au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
Sur la régularité du jugement attaqué :
- les premiers juges ont relevé d'office le motif de refus tiré de ce qu'il présenterait une menace à l'ordre public, que le préfet n'avait pas opposé et dont il ne s'était pas prévalu en défense en première instance, sans mettre en mesure les parties d'en discuter ;
Sur la légalité de l'arrêté du 14 février 2023 :
En ce qui concerne l'arrêté dans son ensemble :
- il est insuffisamment motivé ;
En ce qui concerne le refus de titre de séjour :
- il a été pris à l'issue d'une procédure irrégulière en l'absence de saisine de la commission des titres de séjour en méconnaissance des dispositions des articles L. 423-22 et L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- il remplissait les conditions pour se voir délivrer un titre de séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, il ne présente pas une menace pour l'ordre public, il justifie de son âge par les documents d'état civil qu'il produit et du caractère réel et sérieux du suivi de sa formation ;
- la décision contestée porte une atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale en méconnaissance de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'article 8 de de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- elle porte une atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale en méconnaissance de l'article 8 de de la convention européenne des droits de l'homme ;
En ce qui concerne la décision portant interdiction de retour pour une durée d'un an :
- elle est illégale du fait de l'illégalité de la décision d'éloignement qu'elle accompagne ;
- elle porte une atteinte manifestement excessive au droit au respect de sa vie privée.
La requête a été communiquée au préfet de la Charente-Maritime qui n'a pas produit de mémoire dans la présente instance.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision n°2023/008190 du 14 septembre 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme E... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., de nationalité guinéenne, est entré en France en janvier 2019 et a été placé auprès des services de l'aide sociale à l'enfance de la Gironde. Le 15 mars 2021, il a sollicité la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 26 janvier 2023, le préfet de la Charente-Maritime a refusé cette délivrance et a assorti ce refus d'une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et d'une décision fixant le pays de renvoi. M. B... relève appel du jugement du 20 juin 2023 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande d'annulation de cet arrêté préfectoral.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Il ressort des termes de l'arrêté contesté que pour refuser le titre de séjour sollicité par M. B... sur le fondement de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet de la Charente-Maritime s'est fondé sur le caractère frauduleux des documents d'état civil produits à l'appui de sa demande. Il ressort de cette même décision que le préfet a opposé, " au surplus ", un autre motif de refus tiré de ce que M. B... présentait une menace à l'ordre public dès lors qu'il était " défavorablement connu des forces de sécurité pour cession ou offre de stupéfiants à une personne en vue de sa consommation personnelle, commis le 14 février 2020 à la C... ". Il ressort des termes du jugement attaqué, et notamment de ses points 9 et 10, que les premiers juges ont confirmé la légalité de ce dernier motif et considéré " à supposer que le préfet aurait commis une erreur de fait et une erreur d'appréciation en remettant en cause l'authenticité des documents d'état civil ", que ce dernier aurait pris la même décision s'il s'était fondé sur ce seul motif tiré de la menace à l'ordre public. Ce faisant, ils ont exercé leur office de juge. Par suite, le moyen tiré de ce que le jugement serait irrégulier dès lors que les premiers juges auraient relevé un moyen d'office, sans en informer les parties, doit être écarté.
Sur les conclusions en annulation :
3. Aux termes de l'article L. 432-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La délivrance d'une carte de séjour temporaire ou pluriannuelle ou d'une carte de résident peut, par une décision motivée, être refusée à tout étranger dont la présence en France constitue une menace pour l'ordre public. ".
4. Il ressort des pièces du dossier que M. B... a été déclaré coupable par un jugement du juge des enfants au tribunal pour enfants de A... C... du 5 mars 2021 d'usage illicite de stupéfiants, faits commis entre le 1er janvier et le 14 février 2020 alors qu'il était mineur, et non, comme indiqué par les premiers juges, de cession de produits stupéfiants à autrui en vue de sa consommation personnelle, et qu'il n'a été prononcé à son encontre qu'une admonestation. Il ne ressort d'aucune autre pièce du dossier qu'il puisse être reproché à M. B..., depuis son entrée sur le territoire français, d'autres faits délictueux. Par suite, compte tenu de la faible gravité de l'infraction commise et de l'absence de réitération des faits, le préfet ne pouvait légalement opposer à la demande de titre de séjour présentée par M. B... le motif tiré de ce qu'il représentait une menace pour l'ordre public.
5. En troisième lieu, d'une part aux termes de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire ou s'il entre dans les prévisions de l'article L. 421-35, l'étranger qui a été confié au service de l'aide sociale à l'enfance ou à un tiers digne de confiance au plus tard le jour de ses seize ans se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. Cette carte est délivrée sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de la formation qui lui a été prescrite, de la nature des liens de l'étranger avec sa famille restée dans son pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil ou du tiers digne de confiance sur son insertion dans la société française. ".
6. D'autre part, aux termes de l'article L. 811-2 du même code : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies à l'article 47 du code civil ", ce dernier disposant que " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. Lorsqu'est produit devant l'administration un acte d'état civil émanant d'une autorité étrangère qui a fait l'objet d'une légalisation, sont en principe attestées la véracité de la signature apposée sur cet acte, la qualité de celui qui l'a dressé et l'identité du sceau ou timbre dont cet acte est revêtu. En cas de doute sur la véracité de la signature, sur l'identité du timbre ou sur la qualité du signataire de la légalisation, il appartient à l'autorité administrative de procéder, sous le contrôle du juge, à toutes vérifications utiles pour s'assurer de la réalité et de l'authenticité de la légalisation. En outre, la légalisation se bornant à attester de la régularité formelle d'un acte, la force probante de celui-ci peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. Par suite, en cas de contestation de la valeur probante d'un acte d'état civil légalisé établi à l'étranger, il revient au juge administratif de former sa conviction en se fondant sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis. Ce faisant, il lui appartient d'apprécier les conséquences à tirer de la production par l'étranger d'une carte consulaire ou d'un passeport dont l'authenticité est établie ou n'est pas contestée, sans qu'une force probante particulière puisse être attribuée ou refusée par principe à de tels documents.
7. Comme indiqué au point 2, il ressort des termes de l'arrêté contesté que, pour refuser de délivrer le titre de séjour sollicité par M. B... sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet de la Charente-Maritime s'est fondé sur l'absence de caractère probant des documents d'état civil présentés à l'appui de sa demande.
8. D'une part, il ressort des pièces du dossier que, pour établir son identité et sa date de naissance au 18 mai 2003, M. B... a transmis à l'administration, dans le cadre de l'instruction de sa demande, un jugement supplétif n° 34685 du 15 novembre 2019 et un extrait du registre de l'état civil n° 10457 de la République de Guinée. Pour contester l'authenticité de ces différents documents, le préfet de la Charente-Maritime s'est appuyé sur un rapport d'analyse technique du 4 août 2021 établi par la cellule de lutte contre la fraude documentaire et à l'identité de la direction zonale sud-ouest de la police aux frontières. Selon ce rapport, le jugement supplétif du 15 novembre 2019 comporte plusieurs anomalies tenant tout d'abord à la personne à l'origine de la requête, ensuite à l'article du code civil guinéen cité qui serait erroné (modifié en août 2019 alors que le jugement supplétif date de novembre 2019) et, enfin, au cachet du chef de greffe qui n'est pas apposé sur le timbre fiscal mais en dessous de ce dernier. Le service conclut à un avis très défavorable sur l'authenticité de ce document. S'agissant de l'extrait du registre d'état civil, ce dernier reçoit un avis défavorable en conséquence d'avoir été établi sur le fondement du jugement supplétif. Pour contester les termes de ce rapport, dont le préfet s'est approprié les conclusions, M. B... justifie de la légalisation par les services consulaires du jugement supplétif et de l'extrait du registre de l'état civil en question En outre, il produit une carte consulaire établie par les services consulaires de Guinée à Paris mentionnant la même date de naissance que les documents précités. Il produit en appel un passeport guinéen délivré le 23 janvier 2023 et valable jusqu'au 23 janvier 2028 mentionnant toujours la date de naissance du 18 mai 2003. Il ne ressort par ailleurs pas des pièces du dossier que les autorités guinéennes aient été saisies aux fins de contre-vérification des documents d'état civil produits par M. B... lors de l'instruction de sa demande, tandis que l'authenticité du nouveau document produit en appel n'est pas remise en cause. Ainsi, et alors d'ailleurs que sa minorité n'a pas été en débat lors de son placement à l'aide sociale à l'enfance et dans tous les actes judiciaires qui ont suivi, il ressort de l'ensemble des éléments produits par les parties que l'identité du requérant doit être regardée comme établie et qu'il justifie avoir été mineur lors de son entrée en France et, en particulier, avoir été âgé de seize à dix-huit ans lorsqu'il a été confié à l'aide sociale à l'enfance (ASE).
9. D'autre part, il ressort des pièces du dossier que M. B... justifie, par les nombreuses attestations qu'il produit, du caractère réel et sérieux du suivi de la formation dans laquelle il s'est engagé. En outre, il ressort de l'avis de sa structure d'accueil qu'il s'intègre au mieux dans la société française par le suivi rigoureux du parcours socio-professionnel qui lui est proposé. Enfin, bien que l'ensemble de sa famille réside en Guinée, il soutient, sans être contredit, n'avoir que peu de relations avec eux. Il ressort ainsi du rapport de l'ASE daté de février 2023 qu'il n'a pas connu ses parents, que son père est décédé lorsqu'il était jeune enfant et que sa mère l'a confié à son oncle maternel. Dans ces conditions, M. B..., qui remplit l'ensemble des conditions prévues par l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour se voir délivrer un titre de séjour, est fondé à soutenir que la décision attaquée est entachée d'illégalité.
10. Il résulte de ce qui précède que la décision du 26 janvier 2023 par laquelle le préfet de Charente-Maritime a refusé à M. B... la délivrance d'un titre séjour doit être annulée ainsi que, par voie de conséquence, les décisions portant obligation de quitter le territoire français, fixant le pays de renvoi et portant interdiction de retour pour une durée d'un an.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
11. Eu égard au motif d'annulation retenu, le présent arrêt implique nécessairement que le préfet de Charente-Maritime délivre à M. B... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an. Il y a lieu, en application de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, de lui enjoindre la délivrance du titre de séjour sollicité, dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
12. M. B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros à verser à Me Marques-Melchy.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Poitiers du 20 juin 2023 est annulé.
Article 2 : L'arrêté du préfet de la Charente-Maritime du 26 janvier 2023 est annulé.
Article 3 : Il est enjoint au préfet de Charente-Maritime de délivrer à M. B... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, dans le délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à Me Marques-Melchy la somme de 1 200 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B... est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... B..., au préfet de la Charente-Maritime et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré après l'audience du 21 mai 2024 à laquelle siégeaient :
Mme Elisabeth Jayat, présidente de chambre,
Mme Karine Butéri, présidente assesseure,
Mme Héloïse Pruche-Maurin, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 juin 2024.
La rapporteure,
Héloïse E...
La présidente,
Elisabeth Jayat
La greffière,
Virginie Santana
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 23BX02074