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11/06/2024 | FRANCE | N°22BX00715

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 5ème chambre, 11 juin 2024, 22BX00715


Vu la procédure suivante :



Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 28 février 2022 et 31 octobre 2023, la société EE Sud Vienne, représentée par Me Guinot et Me Gauthier, demande à la cour :



1°) d'annuler l'arrêté du 27 décembre 2021 par lequel la préfète de la Vienne a rejeté sa demande d'autorisation environnementale relative à une installation de production d'électricité à partir de l'énergie mécanique du vent comprenant quatre éoliennes et deux postes de livraison, sur le territoire des communes de

Magné et Champagné-Saint-Hilaire (Vienne) ;



2°) à titre principal, de délivrer l'auto...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 28 février 2022 et 31 octobre 2023, la société EE Sud Vienne, représentée par Me Guinot et Me Gauthier, demande à la cour :

1°) d'annuler l'arrêté du 27 décembre 2021 par lequel la préfète de la Vienne a rejeté sa demande d'autorisation environnementale relative à une installation de production d'électricité à partir de l'énergie mécanique du vent comprenant quatre éoliennes et deux postes de livraison, sur le territoire des communes de Magné et Champagné-Saint-Hilaire (Vienne) ;

2°) à titre principal, de délivrer l'autorisation sollicitée en l'assortissant le cas échéant des prescriptions de nature à prévenir tout danger ou inconvénient que pourrait présenter l'installation projetée ;

3°) subsidiairement, d'enjoindre au préfet de délivrer l'autorisation sollicitée, dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ou, à défaut, de réexaminer sa demande, dans le même délai, sous astreinte de 250 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'arrêté attaqué est entaché d'incompétence négative dès lors que la préfète s'est estimée liée par l'avis défavorable au projet du commissaire enquêteur et des communes, qui ne sont pourtant que des avis simples ;

- le préfète ne pouvait légalement fonder son refus sur le motif tiré de l'absence d'acceptation locale du projet ;

- le motif tiré de l'atteinte portée par le projet aux chiroptères est erroné compte tenu des mesures d'évitement et de réduction qu'elle a proposées qui rendent l'impact résiduel non significatif ;

- le motif tiré de l'atteinte au paysage et au patrimoine bâti est erroné dès lors que le projet ne porte pas atteinte au château de la Roche, inscrit au titre des monuments historiques, et ne crée aucun effet de surplomb sur des bâtiments.

Par un mémoire enregistré le 16 janvier 2023, le ministre de la transition écologique de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Héloïse Pruche-Maurin;

- les conclusions de M. Sébastien Ellie, rapporteur public ;

- et les observations de Mme A... B..., représentant la société EE Sud Vienne et mandatée par elle.

Une note en délibéré a été enregistrée le 22 mai 2024, présentée par Me Guinot et Me Gauthier représentants la société EE Sud Vienne.

Considérant ce qui suit :

1. Le 15 janvier 2020, la société EE Sud Vienne a déposé une demande d'autorisation environnementale pour l'installation et l'exploitation d'un parc éolien composé de quatre éoliennes, d'une hauteur en bout de pale de 180 m, et deux postes de livraison, sur le territoire des communes de Magné et Champagné-Saint-Hilaire (Vienne). Par un arrêté du 27 décembre 2021, la préfète de la Vienne a rejeté cette demande d'autorisation environnementale. La société EE Sud Vienne demande l'annulation de cet arrêté.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. Il résulte de l'instruction que pour refuser à la société EE Sud Vienne l'autorisation sollicitée, la préfète de la Vienne doit être regardée comme ayant opposé, d'une part, l'atteinte aux intérêts protégées par l'article L. 511-1 du code de l'environnement et plus spécifiquement l'atteinte à la protection des paysages et au patrimoine bâti, à la commodité du voisinage et à la biodiversité et notamment aux chiroptères, et d'autre part, l'absence d'acceptation locale du projet.

En ce qui concerne le moyen tiré de l'incompétence négative :

3. Contrairement à ce que le ministre soutient en défense, la préfète doit être entendue, compte tenu des termes de l'arrêté attaqué, comme ayant opposé un motif de refus tiré de ce que le projet en litige ne faisait l'objet d'aucune acceptation locale et qu'un tel projet ne pouvait pour cette raison " prospérer " traduisant " un manque de concertation préalable et de considération de la population locale ". Pour autant, il ne résulte d'aucun élément de l'instruction que, si elle les a effectivement pris en compte pour se déterminer, la préfète se serait estimée liée par les avis défavorables du commissaire enquêteur et de 10 des 13 conseils municipaux des communes situées dans un rayon de 6 km et consultés dans le cadre de l'enquête publique. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence négative dont serait entaché l'arrêté attaqué doit être écarté.

En ce qui concerne la légalité du motif tiré de l'absence d'acceptation locale :

4. S'il résulte de l'instruction, comme il vient d'être dit, que pour rejeter la demande d'autorisation sollicitée, la préfète s'est notamment fondée sur l'opposition de la population locale concernée par le projet litigieux, un tel motif ne se rattache à aucun des intérêts mentionnés par les dispositions des articles L. 181-3, L. 211-1 et L. 511-1 du code de l'environnement. Il est, par suite, insusceptible de fonder légalement un refus d'autorisation d'implanter et d'exploiter un parc éolien. Par suite, la requérante est fondée à soutenir qu'en se fondant, pour refuser l'autorisation sollicitée, sur cette opposition locale, la préfète a commis une erreur de droit.

En ce qui concerne l'atteinte aux intérêts visés par l'article L. 511-1 du code de l'environnement :

5. Aux termes de l'article L. 512-1 du code de l'environnement : " Sont soumises à autorisation les installations qui présentent de graves dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés à l'article L. 511-1. / L'autorisation, dénommée autorisation environnementale, est délivrée dans les conditions prévues au chapitre unique du titre VIII du livre Ier ". Aux termes de l'article L. 511-1 du même code : " Sont soumis aux dispositions du présent titre (...), les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, soit pour l'utilisation économe des sols naturels, agricoles ou forestiers, soit pour l'utilisation rationnelle de l'énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique (...) ".

6. Dans l'exercice de ses pouvoirs de police administrative en matière d'installations classées pour la protection de l'environnement, il appartient à l'autorité administrative d'assortir l'autorisation d'exploiter délivrée en application de l'article L. 512-1 du code de l'environnement des prescriptions de nature à assurer la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du même code, en tenant compte des conditions d'installation et d'exploitation précisées par le pétitionnaire dans le dossier de demande, celles-ci comprenant notamment les engagements qu'il prend afin d'éviter, réduire et compenser les dangers ou inconvénients de son exploitation pour ces intérêts. Ce n'est que dans le cas où il estime, au vu d'une appréciation concrète de l'ensemble des caractéristiques de la situation qui lui est soumise et du projet pour lequel l'autorisation d'exploitation est sollicitée, que même l'édiction de prescriptions ne permet pas d'assurer la conformité de l'exploitation aux dispositions de l'article L. 511-1 du code de l'environnement, qu'il ne peut légalement délivrer cette autorisation.

S'agissant de l'atteinte aux chiroptères :

7. Il résulte de l'instruction que les quatre éoliennes projetées, d'une hauteur maximum de 180 m en bout de pales, sont disposées en ligne selon un axe est-ouest sur les communes de Magné et Champagné-Saint-Hilaire. Les principaux bourgs situés à proximité du projet sont ceux de Magné (900 m à l'est), Gençay (1,8 km au nord-est), Saint-Maurice-la-Clouère (2,6 km au nord-est), Marnay (3,2 km au nord) et Champagné-Saint-Hilaire (3,6 km au sud). Elles s'implantent dans un secteur principalement agricole, composé essentiellement de cultures céréalières, et à proximité de boisements. Il résulte de l'instruction, et notamment de l'avis de l'autorité environnementale, que les enjeux sont qualifiés de forts s'agissant de certains habitats naturels recensés dans la zone d'implantation du projet et en particulier les boisements, haies et bosquets, qui constituent des habitats de chasse et de repas pour de nombreuses espèces animales. S'agissant plus spécifiquement des chiroptères, le diagnostic, dont la pertinence n'est pas remise en cause, a permis de mettre en évidence la présence de 18 espèces. Le risque de collision est estimé fort pour trois espèces de chauves-souris (la pipistrelle commune, la noctule commune et la noctule de Leisler) au niveau de deux des quatre éoliennes projetées, E2 et E3, situées respectivement à 45 mètres et 51 mètres des haies les plus proches. L'autorité environnementale pointe l'insuffisance du plan de bridage proposé par la pétitionnaire, consistant en un arrêt de E2 et E3 entre le 1er août et le 31 octobre, 30 minutes avant le coucher du soleil jusqu'à 30 minutes après le lever du soleil quand la température est supérieure à 10°C. Elle reproche au projet de ne pas respecter des distances minimales d'implantation des aérogénérateurs par rapport aux haies et boisements malgré la présence sur le site de nombreuses espèces de chiroptères protégées. Dans sa réponse à cette autorité, la pétitionnaire précise la localisation des haies impactées et indique qu'il s'agit d'un type de haies (rectangulaires sans arbres et arbustives hautes) qui ne sont pas, pour les premières, très favorables aux chiroptères. Elle indique par ailleurs que si le projet entraine la coupe de 278 m linéaires de haies buissonnantes ou arbustives, la totalité des haies arrachées seront replantées, ce point faisant l'objet d'une mesure spécifique dans l'étude d'impact, bien qu'il s'agisse en réalité d'une mesure compensatoire et non de réduction comme présentée par la requérante. D'autres mesures d'évitement, de réduction et de compensation sont également prévues consistant notamment en l'espacement entre le sol et le champ de rotation des pales de 48,5 m, dans le suivi de la mortalité des populations de chiroptères et la tenue d'une étude comportementale spécifique sur les éoliennes E2 et E3, ou encore la restauration de 1 ha de zones humides par le biais d'une convention avec le conservatoire d'espaces naturels (CREN). S'agissant plus spécifiquement du plan de bridage proposé par la pétitionnaire, il résulte de l'instruction que la préfète pouvait, en augmentant la période et la durée du bridage, voire en l'étendant à l'ensemble des éoliennes projetées, édicter des prescriptions de nature à réduire de manière significative l'atteinte alléguée aux chiroptères. Dans ces conditions, la société EE Sud Vienne est fondée à soutenir que le motif de refus opposé par la préfète et tiré ce que le projet porterait atteinte à la faune et plus spécifiquement aux chiroptères est erroné.

S'agissant de l'atteinte aux paysages et au patrimoine bâti :

8. Pour rechercher l'existence d'une atteinte à un paysage de nature à fonder un refus d'autorisation ou les prescriptions spéciales accompagnant la délivrance de cette autorisation, il appartient au préfet d'apprécier, dans un premier temps, la qualité du site naturel sur lequel l'installation est projetée et d'évaluer, dans un second temps, l'impact que cette installation, compte tenu de sa nature et de ses effets, pourrait avoir sur le site. Pour l'application des dispositions citées au point 5, le juge des installations classées pour la protection de l'environnement apprécie le paysage et les atteintes qui peuvent lui être portées en prenant en considération des éléments présentant, le cas échéant, des dimensions historiques, mémorielles, culturelles et artistiques, y compris littéraires.

9. Il résulte de l'instruction que le projet s'implante à 1,2 km du bourg de Gençay, commune d'environ 1 808 habitants, dont la sensibilité est considérée comme forte par l'étude d'impact du fait de sa proximité au projet et des covisibilités existantes, notamment depuis la place haute du château. Le château de Gençay, situé au cœur de ce bourg sur un éperon rocheux, et protégé au titre des monuments historiques, est ainsi considéré comme présentant également une sensibilité forte au projet. Toutefois, l'étude d'impact conclut à un impact faible sur ce bâtiment dès lors que le projet serait quasiment invisible depuis ce château, " seuls quelques bouts de pale (pouvant) être très ponctuellement perceptibles au-dessus de la cime des arbres ". Au sud, se trouve le château de la Roche qui s'implante sur la commune de Magné, protégé également au titre des monuments historiques. Situé à 1,4 km de la zone d'implantation potentielle (ZIP), sa sensibilité au projet est considérée comme forte. Il résulte toutefois des photomontages que la visibilité des éoliennes depuis le château est très faible compte tenu de la topographie et de la présence de masques végétaux permettant de n'apercevoir qu'un bout de pale en cime des arbres. Si la préfète a pointé une covisibilité entre le projet et le château de la Roche ressortant du photomontage n°20 d'après une vue prise depuis un quartier résidentiel de Gençay, et une rupture d'échelle, " certaines éoliennes surplombant des bâtiments ", aucun élément de l'instruction ne permet de caractériser un tel surplomb tandis que la covisibilité apparaît, comme indiqué précédemment, faible et en tous les cas, pas de nature, compte tenu de la configuration du bâti et de la végétation, à porter atteinte à ce patrimoine. Par suite, la requérante est fondée à soutenir que le motif tiré de ce que le projet porterait atteinte au paysage et au patrimoine bâti et plus particulièrement au château de la Roche et au bourg de Gençay est erroné.

10. Il résulte de ce qui précède que les motifs opposés par la préfète de la Vienne et tirés de l'absence d'acceptation locale du projet et de ce que le projet porterait atteinte aux intérêts protégés par l'article L. 511-1 du code de l'environnement et plus spécifiquement aux paysages et au patrimoine bâti, et à la biodiversité et notamment aux chiroptères, ne peuvent légalement fonder le refus contesté. Par suite, la société requérante est fondée à demander l'annulation de l'arrêté du 27 décembre 2021.

Sur les conséquences de l'annulation de l'arrêté du 27 décembre 2021 :

11. Eu égard aux motifs retenus, et dès lors qu'il résulte de l'instruction que l'éventualité d'un risque suffisamment significatif notamment pour l'avifaune, justifiant une dérogation à l'interdiction des atteintes aux espèces protégées, ne peut être totalement écarté en l'état de l'instruction, le présent arrêt n'implique pas nécessairement la délivrance de l'autorisation sollicitée. Par suite, il y a lieu d'enjoindre au préfet de la Vienne de procéder au réexamen de la demande présentée par la société la société EE Sud Vienne et de prendre une nouvelle décision dans un délai de quatre mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la société EE Sud Vienne et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : L'arrêté du 27 décembre 2021 de la préfète de la Vienne est annulé.

Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Vienne de procéder à un nouvel examen de la demande présentée par la société EE Sud Vienne et de prendre une nouvelle décision dans un délai de quatre mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera une somme de 1 500 euros à la société EE Sud Vienne en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la société EE Sud Vienne est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société EE Sud Vienne, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et au préfet de la Vienne

Délibéré après l'audience du 21 mai 2024, à laquelle siégeaient :

Mme Elisabeth Jayat, présidente,

Mme Karine Butéri, présidente assesseure,

Mme Héloïse Pruche-Maurin, première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 juin 2024.

La rapporteure,

Héloïse Pruche-MaurinLa présidente,

Elisabeth Jayat

La greffière,

Virginie Santana

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 22BX00715


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 22BX00715
Date de la décision : 11/06/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme JAYAT
Rapporteur ?: Mme Héloïse PRUCHE-MAURIN
Rapporteur public ?: M. GUEGUEIN
Avocat(s) : SCP LACOURTE RAQUIN TATAR AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 16/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-06-11;22bx00715 ?
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