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23/05/2024 | FRANCE | N°22BX02315

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 1ère chambre, 23 mai 2024, 22BX02315


Vu la procédure suivante :



I - Par une requête, enregistrée le 24 août 2022 sous le n° 22BX02315, et deux mémoires enregistrés les 26 janvier et 9 février 2024, la société à responsabilité limitée (SARL) Lunabam, représentée par Me Créach, demande à la cour :



1°) d'annuler la décision par laquelle le maire de Saint-François a implicitement rejeté sa demande de permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale déposée le 26 août 2021 concernant l'extension de la surface de vente d'un supermarché " Carrefour

Contact " qu'elle exploite sur la commune de Saint-François, et la création d'un magasin " Déca...

Vu la procédure suivante :

I - Par une requête, enregistrée le 24 août 2022 sous le n° 22BX02315, et deux mémoires enregistrés les 26 janvier et 9 février 2024, la société à responsabilité limitée (SARL) Lunabam, représentée par Me Créach, demande à la cour :

1°) d'annuler la décision par laquelle le maire de Saint-François a implicitement rejeté sa demande de permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale déposée le 26 août 2021 concernant l'extension de la surface de vente d'un supermarché " Carrefour Contact " qu'elle exploite sur la commune de Saint-François, et la création d'un magasin " Décathlon " ;

2°) d'enjoindre à la Commission nationale d'aménagement commercial (CNAC) d'émettre un nouvel avis sur ce projet, dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

3°) d'enjoindre au maire de la commune de Saint-François de statuer à nouveau, dans un délai de deux mois suivant le nouvel avis de la CNAC, sur sa demande de permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale.

Elle soutient que :

- conformément aux dispositions du paragraphe h) de l'article R. 424-2 du code de l'urbanisme, l'absence de réponse dans le délai d'instruction a fait naître une décision implicite de rejet à sa demande de permis de construire le 26 juin 2022 ;

- l'avis de la CNAC du 24 février 2022 est illégal dès lors que le projet ne compromet pas les objectifs fixés par l'article L. 752-6 du code de commerce ; la position de la CNAC sur les effets du projet en matière d'aménagement du territoire résulte d'une erreur d'appréciation ; le motif opposé par la CNAC tiré de ce que le projet ne serait pas satisfaisant en matière de développement durable au regard de sa consommation d'espace perméable, de ses installations photovoltaïques et de son insertion architecturale et paysagère n'est pas fondé ;

- l'identification par la société Sodex Saint-François d'un supposé fractionnement d'un projet global initial refusé en 2014 résulte d'une appréciation erronée des faits de l'espèce, dès lors que l'extension du supermarché alimentaire et la création d'un magasin de vente d'articles de sports d'une surface de vente de 580 mètres carrés correspondent uniquement à un nouveau stade du développement du centre commercial, lequel a tenu compte des observations des commissions sur le projet initial ;

- la société Sodex Saint-François n'est pas recevable à solliciter une substitution de motifs, qui ne peut être demandée au juge que par l'auteur de la décision attaquée ; en tout état de cause la substitution de motifs sollicitée n'est pas fondée.

Par trois mémoires en défense enregistrés les 12 juillet 2023, 17 janvier et 16 février 2024, ce dernier mémoire n'ayant pas été communiqué, la société par actions simplifiée (SAS) Sodex Saint-François, représentée par Me Pech de Laclause, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la société Lunabam en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- la requête est irrecevable dans la mesure où aucune décision implicite de rejet n'était née le 26 juin 2022 ;

- les moyens soulevés à l'encontre de l'avis de la CNAC ne sont pas fondés ;

- l'avis défavorable de la CNAC aurait également pu être motivé au regard des effets néfastes du projet sur les flux de transport, en matière de protection des consommateurs, ainsi qu'en matière sociale ou des effets anticoncurrentiels du projet au regard de la puissance économique déjà détenue sur l'île de la Guadeloupe par l'entreprise sollicitant l'autorisation d'exploitation commerciale.

Par un mémoire en défense enregistré le 2 août 2023, la présidente de la Commission nationale d'aménagement commercial conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que :

- cette requête est devenue sans objet dès lors qu'une décision expresse de refus intervenue le 19 septembre 2022 s'est substituée à la décision implicite de rejet attaquée ;

- la société Lunabam a contrevenu à l'interdiction de fractionner le projet ;

- les moyens soulevés par la société Lunabam à l'encontre de son avis ne sont pas fondés ;

- à supposer que soit prononcée l'annulation requise, celle-ci ne peut conduire la cour à lui ordonner de délivrer l'autorisation sollicitée mais uniquement de procéder au réexamen de la demande de la société Lunabam.

Par un courrier, enregistré le 24 novembre 2023, la commune du François s'associe aux conclusions aux fins d'annulation et d'injonction présentées par la société Lunabam.

Par ordonnance du 2 février 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 19 février 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

II- Par une requête enregistrée le 14 novembre 2022 sous le n° 22BX02857 et des mémoires enregistrés le 26 janvier 2024 et le 9 février 2024, la société à responsabilité limitée (SARL) Lunabam, représentée par Me Créach, demande à la cour :

1°) d'annuler l'arrêté du 19 septembre 2022 par lequel le maire de Saint-François, au vu de l'avis défavorable de la Commission nationale d'aménagement commercial (CNAC), a refusé de lui délivrer le permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale concernant l'extension de la surface de vente d'un supermarché " Carrefour Contact " qu'elle exploite sur la commune de Saint-François, et la création d'un magasin " Décathlon " ;

2°) d'enjoindre à la CNAC d'émettre un nouvel avis sur ce projet, dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

3°) d'enjoindre au maire de la commune de Saint-François de statuer à nouveau, dans un délai de deux mois suivant le nouvel avis de la CNAC, sur sa demande de permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale.

Elle soutient que :

- l'avis de la CNAC du 24 février 2022 est illégal dès lors que le projet ne compromet pas les objectifs fixés par l'article L. 752-6 du code de commerce ; la position de la CNAC sur les effets du projet en matière d'aménagement du territoire résulte d'une erreur d'appréciation ; le motif opposé par la CNAC tiré de ce que le projet ne serait pas satisfaisant en matière de développement durable au regard de sa consommation d'espace perméable, de ses installations photovoltaïques et de son insertion architecturale et paysagère n'est pas fondé ;

- l'identification par la société Sodex Saint-François d'un supposé fractionnement d'un projet global initial refusé en 2014 résulte d'une appréciation erronée des faits de l'espèce, dès lors que l'extension du supermarché alimentaire et la création d'un magasin de vente d'articles de sports d'une surface de vente de 580 mètres carrés correspondent uniquement à un nouveau stade du développement du centre commercial, lequel a tenu compte des observations des commissions sur le projet initial ;

- l'avis défavorable du préfet de la région Guadeloupe du 13 septembre 2022 est illégal par voie de conséquence de l'illégalité de celui de la CNAC sur lequel il se fonde.

Par deux mémoires en défense enregistrés les 12 juillet 2023, 17 janvier 2024 et 16 février 2024, ce dernier mémoire n'ayant pas été communiqué, la société par actions simplifiée (SAS) Sodex Saint-François, représentée par Me Pech de Laclause, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la société Lunabam en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- la requête est irrecevable dès lors que l'arrêté du 19 septembre 2022 présente le caractère d'une décision purement confirmative de la décision implicite de rejet antérieure ; elle est donc insusceptible de recours contentieux ;

- le moyen tiré de l'illégalité de l'avis du préfet du 13 septembre 2022 est inopérant ;

- les moyens soulevés à l'encontre de l'avis de la CNAC ne sont pas fondés ;

- l'avis défavorable de la CNAC aurait également pu être motivé au regard des effets néfastes du projet sur les flux de transport, en matière de protection des consommateurs, ainsi qu'en matière sociale ou encore en considération de la puissance économique déjà détenue dans la zone par l'entreprise sollicitant l'autorisation d'exploitation commerciale.

Par un mémoire en défense enregistré le 2 août 2023, la présidente de la Commission nationale d'aménagement commercial conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que :

- le moyen tiré de l'illégalité de l'avis du préfet du 13 septembre 2022 est inopérant ;

- la Société Lunabam a contrevenu à l'interdiction de fractionner le projet ;

- les moyens soulevés par la société Lunabam à l'encontre de son avis ne sont pas fondés ;

- à supposer que soit prononcée l'annulation requise, celle-ci ne peut conduire la cour à lui ordonner de délivrer l'autorisation requise mais uniquement de procéder au réexamen de la demande.

Par un courrier, enregistré le 24 novembre 2023, la commune du François s'associe aux conclusions aux fins d'annulation et d'injonction présentées par la société Lunabam.

Par ordonnance du 2 février 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 19 février 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de commerce ;

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Edwige Michaud ;

- les conclusions de M. Michaël Kauffmann, rapporteur public ;

- les observations de Me Créach pour la société Lunabam et les observations de Me Dubouchet pour la société Sodex Saint-François.

Des notes en délibéré présentées pour la société Lunabam dans les requêtes enregistrées sous les n° 22BX02315 et 22BX02857 ont été enregistrées le 7 mai 2024.

Considérant ce qui suit :

1. La SARL Lunabam a déposé le 26 août 2021 en mairie de Saint-François (Guadeloupe) une demande de permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale en vue, d'une part, de l'extension de 521 mètres carrés de la surface de vente du supermarché à l'enseigne " Carrefour Contact " qu'elle exploite sur la commune, lieu-dit Pradel, et, d'autre part, de la création sur le même terrain d'assiette d'un magasin à l'enseigne " Décathlon " d'une surface de vente de 580 mètres carrés. La commission départementale d'aménagement commercial de la Guadeloupe a émis un avis favorable au projet dans sa séance du 22 octobre 2021. Saisie d'un recours formé contre cet avis par la société Sodex Saint-François, la Commission nationale d'aménagement commercial a émis un avis défavorable au projet le 24 février 2022. Par un arrêté du 19 septembre 2022, le maire de Saint-François a rejeté la demande de permis de construire sollicitée valant autorisation d'exploitation commerciale. Par une première requête n° 22BX02315, la société Lunabam demande à la cour d'annuler la décision implicite de rejet de sa demande de permis de construire, née selon elle le 26 juin 2022, du silence gardé par le maire de Saint-François sur sa demande. Par la seconde requête n° 22BX02857, la société Lunabam demande à la cour d'annuler l'arrêté du 19 septembre 2022.

Sur la jonction :

2. Les requêtes enregistrées sous les nos 22BX02315 et 22BX02857 concernent le même projet et les mêmes parties. Il y a lieu par suite de les joindre pour statuer par un seul arrêt.

Sur l'étendue du litige :

3. D'une part, aux termes de l'article L.751-1 du code de commerce : " Une commission départementale d'aménagement commercial statue sur les demandes d'autorisation qui lui sont présentées en vertu des dispositions des articles L. 752-1, (...). ". Aux termes de l'article L. 752-1 du code de commerce : " Sont soumis à une autorisation d'exploitation commerciale les projets ayant pour objet : 1° La création d'un magasin de commerce de détail d'une surface de vente supérieure à 1 000 mètres carrés, résultant soit d'une construction nouvelle, soit de la transformation d'un immeuble existant ; (...). ". Aux termes de l'article L. 752-4 du même code : " I. - Dans les communes de moins de 20 000 habitants et, pour les projets qui engendrent une artificialisation des sols au sens du V de l'article L. 752-6, dans toutes les communes, le maire ou le président de l'établissement public de coopération intercommunale compétent en matière d'urbanisme peut, lorsqu'il est saisi d'une demande de permis de construire un équipement commercial dont la surface est comprise entre 300 et 1 000 mètres carrés, proposer au conseil municipal ou à l'organe délibérant de cet établissement de saisir la commission départementale d'aménagement commercial afin qu'elle statue sur la conformité du projet aux critères énoncés au même article L. 752-6. (...) ". Aux termes de l'article L.752-17 du même code : " I. - Conformément à l'article L. 425-4 du code de l'urbanisme, le demandeur, le représentant de l'Etat dans le département, tout membre de la commission départementale d'aménagement commercial, tout professionnel dont l'activité, exercée dans les limites de la zone de chalandise définie pour chaque projet, est susceptible d'être affectée par le projet ou toute association les représentant peuvent, dans le délai d'un mois, introduire un recours devant la Commission nationale d'aménagement commercial contre l'avis de la commission départementale d'aménagement commercial. / La Commission nationale d'aménagement commercial émet un avis sur la conformité du projet aux critères énoncés à l'article L. 752-6 du présent code, qui se substitue à celui de la commission départementale. En l'absence d'avis exprès de la commission nationale dans le délai de quatre mois à compter de sa saisine, l'avis de la commission départementale d'aménagement commercial est réputé confirmé. / A peine d'irrecevabilité, la saisine de la commission nationale par les personnes mentionnées au premier alinéa du présent I est un préalable obligatoire au recours contentieux dirigé contre la décision de l'autorité administrative compétente pour délivrer le permis de construire. Le maire de la commune d'implantation du projet et le représentant de l'Etat dans le département ne sont pas tenus d'exercer ce recours préalable. (...). ".

4. D'autre part, aux termes de l'article R.423-23 du code de l'urbanisme : " Le délai d'instruction de droit commun est de : (...) ; c) Trois mois pour les autres demandes de permis de construire et pour les demandes de permis d'aménager. ". Aux termes de l'article R. 423-25 du même code : " Le délai d'instruction prévu par (...) le c de l'article R*423-23 est majoré de deux mois : (...) ; e) Lorsque le permis porte sur un projet soumis à autorisation d'exploitation commerciale au sens de l'article L. 752-1 du code de commerce. (...). ". Aux termes de l'article R. 424-1 du même code : " A défaut de notification d'une décision expresse dans le délai d'instruction déterminé comme il est dit à la section IV du chapitre III ci-dessus, le silence gardé par l'autorité compétente vaut, selon les cas : (...) ; b) Permis de construire, permis d'aménager ou permis de démolir tacite. (...). ". Aux termes de l'article R. 424-2 du même code : " Par exception au b de l'article R*424-1, le défaut de notification d'une décision expresse dans le délai d'instruction vaut décision implicite de rejet dans les cas suivants : (...) h) Lorsque le projet relève de l'article L. 425-4 ou a été soumis pour avis à la commission départementale d'aménagement commercial sur le fondement de l'article L. 752-4 du code de commerce et que la commission départementale d'aménagement commercial ou, le cas échéant, de la Commission nationale d'aménagement commercial a rendu un avis défavorable ; (...). ". Aux termes de l'article L. 425-4 du code de l'urbanisme : " Lorsque le projet est soumis à autorisation d'exploitation commerciale au sens de l'article L. 752-1 du code de commerce, le permis de construire tient lieu d'autorisation dès lors que la demande de permis a fait l'objet d'un avis favorable de la commission départementale d'aménagement commercial ou, le cas échéant, de la Commission nationale d'aménagement commercial. Une modification du projet qui revêt un caractère substantiel, au sens de l'article L. 752-15 du même code, mais n'a pas d'effet sur la conformité des travaux projetés par rapport aux dispositions législatives et réglementaires mentionnées à l'article L. 421-6 du présent code nécessite une nouvelle demande d'autorisation d'exploitation commerciale auprès de la commission départementale. / A peine d'irrecevabilité, la saisine de la commission nationale par les personnes mentionnées à l'article L. 752-17 du même code est un préalable obligatoire au recours contentieux dirigé contre la décision de l'autorité administrative compétente pour délivrer le permis de construire. ". Aux termes de l'article R. 423-36-1 du code de l'urbanisme : " Lorsqu'en application soit du I, soit du V de l'article L. 752-17 du code de commerce, la délivrance du permis est subordonnée à un avis favorable de la Commission nationale d'aménagement commercial, le délai d'instruction est prolongé de cinq mois. (...). ".

5. En application des dispositions combinées précitées du h) de l'article R. 424-2 du code de l'urbanisme et des articles R. 423-23, R. 423-25 et R. 423-36-1 du même code, une décision implicite de rejet est née du silence gardé par le maire de Saint-François pendant un délai de 10 mois, sur la demande de la société Lunabam déposée le 26 août 2021. Or, lorsqu'un requérant conteste, dans les délais de recours, une décision implicite de rejet et une décision expresse de rejet intervenue postérieurement, ses conclusions doivent être regardées comme dirigées uniquement contre la seconde décision, qui s'est substituée à la première. Il résulte de ce qui précède que l'arrêté du 19 septembre 2022 par lequel le maire de Saint-François a refusé de délivrer à la société Lunabam le permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale s'est substitué à la décision implicite de rejet née du silence gardé par l'administration. Par suite, les conclusions à fin d'annulation présentées par la société Lunabam doivent être regardées comme dirigées contre la seule décision expresse du 19 septembre 2022.

Sur les conclusions à fin d'annulation de l'arrêté du 19 septembre 2022 :

En ce qui concerne le bien-fondé des motifs de l'avis de la Commission nationale d'aménagement commercial du 24 février 2022 :

6. Aux termes de l'article L.750-1 du code de commerce : " Les implantations, extensions, transferts d'activités existantes et changements de secteur d'activité d'entreprises commerciales et artisanales doivent répondre aux exigences d'aménagement du territoire, de la protection de l'environnement et de la qualité de l'urbanisme. Ils doivent en particulier contribuer au maintien des activités dans les zones rurales et de montagne ainsi qu'au rééquilibrage des agglomérations par le développement des activités en centre-ville et dans les zones de dynamisation urbaine. / Dans le cadre d'une concurrence loyale, ils doivent également contribuer à la modernisation des équipements commerciaux, à leur adaptation à l'évolution des modes de consommation et des techniques de commercialisation, au confort d'achat du consommateur et à l'amélioration des conditions de travail des salariés. ". Aux termes de l'article L. 752-6 du même code : " (...) La commission départementale d'aménagement commercial prend en considération : 1° En matière d'aménagement du territoire : a) La localisation du projet et son intégration urbaine ; b) La consommation économe de l'espace, notamment en termes de stationnement ; c) L'effet sur l'animation de la vie urbaine, rurale et dans les zones de montagne et du littoral ; d) L'effet du projet sur les flux de transports et son accessibilité par les transports collectifs et les modes de déplacement les plus économes en émission de dioxyde de carbone ; e) La contribution du projet à la préservation ou à la revitalisation du tissu commercial du centre-ville de la commune d'implantation, des communes limitrophes et de l'établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre dont la commune d'implantation est membre ; f) Les coûts indirects supportés par la collectivité en matière notamment d'infrastructures et de transports ; 2° En matière de développement durable : a) La qualité environnementale du projet, notamment du point de vue de la performance énergétique et des émissions de gaz à effet de serre par anticipation du bilan prévu aux 1° et 2° du I de l'article L. 229-25 du code de l'environnement, du recours le plus large qui soit aux énergies renouvelables et à l'emploi de matériaux ou procédés éco-responsables, de la gestion des eaux pluviales, de l'imperméabilisation des sols et de la préservation de l'environnement ; b) L'insertion paysagère et architecturale du projet, notamment par l'utilisation de matériaux caractéristiques des filières de production locales ; c) Les nuisances de toute nature que le projet est susceptible de générer au détriment de son environnement proche. (...) ".

7. Il résulte des dispositions précitées que l'autorisation d'aménagement commercial ne peut être refusée que si, eu égard à ses effets, le projet contesté compromet la réalisation des objectifs énoncés par la loi. Il appartient aux commissions d'aménagement commercial, lorsqu'elles statuent sur les dossiers de demande d'autorisation, d'apprécier la conformité du projet à ces objectifs, au vu des critères d'évaluation mentionnés à l'article L. 752-6 du code de commerce.

8. Pour refuser d'autoriser l'exploitation du projet en litige, la Commission nationale d'aménagement commercial, à l'unanimité de ses membres, s'est fondée sur cinq motifs, tirés, en premier lieu, de ce que le projet ne contribue pas à la préservation du tissu commercial et ne s'articule pas avec le programme " Petites villes de demain " dont sont bénéficiaires les communes de Sainte-Anne et du Moule dans une zone de chalandise connaissant une baisse démographique, plus importante encore sur la commune de Saint-François, en deuxième lieu de ce que le projet conduit à une imperméabilisation des sols et à une réduction importante de la végétalisation du site dans la mesure où la surface cumulée des espaces en pleine terre ne représentera que 9,74 % du foncier, en troisième lieu, de ce que l'étalement du bâtiment et des aires de stationnement ne participe pas à une certaine compacité du projet, en quatrième lieu, de ce que le projet n'est pas vertueux en matière d'utilisation d'énergies renouvelables dès lors que seulement un quart de la surface du toit du bâtiment sera surmontée de modules photovoltaïques et enfin, de ce que le parti pris architectural du projet repose sur la construction d'un vaste bâtiment peu qualitatif avec des teintes rouge et blanche fortement visibles et que les aménagements prévus, notamment la végétalisation d'une partie de la façade, ne permettent pas d'atténuer le caractère massif et peu harmonieux du bâtiment.

9. Il ressort de l'étude d'impact que le terrain d'assiette du projet, d'une surface totale de 15 031 mètres carrés, est déjà largement artificialisé et présente un taux d'imperméabilisation de 78,5 %. Le projet de la société Lunabam d'extension du magasin alimentaire et de création d'un magasin spécialisé dans les articles de sport représente une surface de vente supplémentaire de 1 100 mètres carrés, de plain-pied, à laquelle s'ajoute la création de 40 places de stationnement en rez-de-chaussée. En outre, l'extension projetée aura pour effet de réduire de plus de moitié les espaces verts de pleine terre de l'ensemble commercial de 3 232 mètres carrés à 1 464 mètres carrés, ce qui représente moins de 10 % du terrain d'assiette du projet. La société Lunabam se prévaut des moyens mis en place afin d'améliorer la qualité environnementale de son projet, telles que la plantation de 31 nouveaux arbres sur l'aire de stationnement, la récupération des eaux pluviales par une cuve de 10 mètres cubes, et la réalisation de 79 places de stationnement sur 196 en matériau drainant sur une surface de 1 130 mètres carrés. Toutefois, ces seules mesures compensatoires sont en l'état insuffisantes, alors que le projet de la société Lunabam impliquera au total, en tenant compte des capacités d'infiltration supplémentaires créées par ces places de stationnement en revêtement perméable, une imperméabilisation du terrain d'assiette du projet de près de 82,5 %. Par ailleurs, si le dispositif de récupération des eaux envisagé par le projet prévoit la collecte des eaux pluviales, aucun mécanisme permettant leur infiltration ou l'amélioration de la perméabilité des sols n'est prévu. Ainsi, contrairement à ce que fait valoir la société Lunabam, le projet en cause induit une imperméabilisation très importante des sols sans compensation suffisante. Dès lors, c'est sans erreur d'appréciation que la Commission nationale d'aménagement commercial a émis un avis défavorable au projet en retenant le motif tiré de l'imperméabilisation des sols et de la réduction conséquente de la végétalisation du site, en méconnaissance de l'objectif de développement durable.

10. Il résulte de l'instruction que la Commission nationale aurait émis le même avis défavorable sur la demande d'autorisation en litige si elle s'était uniquement fondée sur ce motif, lequel permettait de justifier légalement le sens de cet avis ainsi qu'il a été dit au point précédent. Il s'ensuit que la société requérante n'est pas fondée à soutenir que l'avis rendu par cette commission le 24 février 2022 serait illégal.

En ce qui concerne le moyen tiré de l'illégalité de l'avis du préfet de la région Guadeloupe du 13 septembre 2022 :

11. Aux termes de l'article L. 425-4 du code de l'urbanisme : " Lorsque le projet est soumis à autorisation d'exploitation commerciale au sens de l'article L. 752-1 du code de commerce, le permis de construire tient lieu d'autorisation dès lors que la demande de permis a fait l'objet d'un avis favorable de la commission départementale d'aménagement commercial ou, le cas échéant, de la Commission nationale d'aménagement commercial (...) ".

12. Dès lors que la Commission nationale d'aménagement commercial avait émis un avis défavorable et légalement fondé au projet de la société Lunabam, le maire de Saint-François était tenu de refuser de lui délivrer le permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale qu'elle demandait. Par suite, et en tout état de cause, le moyen tiré, par la voie de l'exception, de l'illégalité de cet avis, invoqué à l'encontre de l'avis défavorable émis par le préfet de la Guadeloupe le 13 septembre 2022, lui-même visé par le maire de Saint-François dans l'arrêté attaqué ne peut qu'être écarté.

13. Il résulte de tout ce qui précède, que, sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée par la société Sodex Saint-François et la substitution de motif sollicitée par la CNAC, la société requérante n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêté du 19 septembre 2022 par lequel le maire de Saint-François, a refusé de lui délivrer le permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale. Sa requête doit donc être rejetée, en ce comprises, par voie de conséquence, les conclusions tendant au prononcé d'une injonction.

Sur les frais liés au litige :

14. Il y a lieu de mettre à la charge de la société Lunabam une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la société Sodex Saint-François et non compris dans les dépens.

DECIDE:

Article 1er : Les requêtes de la société Lunabam sont rejetées.

Article 2 : La société Lunabam versera une somme de 1 500 euros à la société Sodex Saint-François au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société à responsabilité limitée Lunabam, à la société par actions simplifiée Sodex Saint-François, à la Commission nationale d'aménagement commercial, à la commune de Saint-François, au président de la région Guadeloupe et à la communauté d'agglomération la Riviera du Levant.

Délibéré après l'audience du 2 mai 2024 à laquelle siégeaient :

M. Jean-Claude Pauziès, président,

Mme Christelle Brouard-Lucas, présidente-assesseure,

Mme Edwige Michaud, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 mai 2024.

La rapporteure,

Edwige MichaudLe président,

Jean-Claude Pauziès

La greffière,

Marion Azam Marche

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition certifiée conforme.

N° 22BX02315, 22BX02857 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 22BX02315
Date de la décision : 23/05/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. PAUZIÈS
Rapporteur ?: Mme Edwige MICHAUD
Rapporteur public ?: M. KAUFFMANN
Avocat(s) : SELARL LAZARE AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 02/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-05-23;22bx02315 ?
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