La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

21/05/2024 | FRANCE | N°22BX02662

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 3ème chambre, 21 mai 2024, 22BX02662


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de La Réunion d'annuler la délibération du conseil municipal de la commune de Saint-Denis du 26 avril 2019 portant attribution d'une subvention d'équipement à l'association culturelle et éducative comorienne de La Réunion au titre de la réalisation du Centre comorien de culture et de connaissances, d'annuler les mandats de paiement émis les 12 septembre 2016, 9 mai 2018, 7 novembre 2018 et 10 septembre 2019, et d'enjoindre à l

a commune de Saint-Denis d'émettre un titre de recettes en vue du remboursement de l'...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de La Réunion d'annuler la délibération du conseil municipal de la commune de Saint-Denis du 26 avril 2019 portant attribution d'une subvention d'équipement à l'association culturelle et éducative comorienne de La Réunion au titre de la réalisation du Centre comorien de culture et de connaissances, d'annuler les mandats de paiement émis les 12 septembre 2016, 9 mai 2018, 7 novembre 2018 et 10 septembre 2019, et d'enjoindre à la commune de Saint-Denis d'émettre un titre de recettes en vue du remboursement de l'intégralité des subventions versées.

Par un jugement n° 1901338 du 15 juillet 2022, le tribunal administratif de La Réunion a annulé la délibération du 26 avril 2019, a enjoint à la commune de Saint-Denis de réclamer à l'association bénéficiaire le remboursement de 200 000 euros si le conseil municipal n'avait pas délibéré de nouveau dans les trois mois dans des conditions régulières sur l'attribution de la subvention, et a rejeté le surplus des demandes de M. B....

Procédure devant la cour :

I. Par une requête enregistrée le 12 octobre 2022 sous le n° 22BX02662, complétée d'une pièce le 13 mars 2024, la commune de Saint-Denis, représentée par Me Armoudom, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de La Réunion du 15 juillet 2022 ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. B... devant le tribunal ;

3°) de mettre à la charge de M. B... une somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- il ressort d'un récépissé de déclaration de modification du 12 mars 2014 que la dénomination de l'association bénéficiaire de la subvention est " Association culturelle et éducative des comoriens de la Réunion " ; le terme " islamique " ne figure pas dans cette dénomination à la date de la délibération litigieuse ; à supposer que la dénomination ait été modifiée, cette modification aurait été temporaire et elle ne faisait pas disparaitre la personnalité juridique de l'association ; en outre, l'assemblée générale extraordinaire de l'association confirme sa dénomination en dépit des erreurs qui ont pu être commises dans le passé à cet égard ; la commune ne saurait être tenue pour responsable des éventuelles modifications décidées par membres de l'association dès lors qu'elle n'est pas à l'origine de celles-ci et n'en a pas été informée ;

- la délibération du 26 avril 2019 s'inscrit dans la continuité de la délibération initiale du 13 décembre 2014, et de celles complémentaires des 16 mars 2016 et 22 février 2018, de sorte que les conseillers municipaux sont informés depuis la délibération initiale du 13 décembre 2014 de l'objet de la subvention ;

- le conseil municipal, dès la délibération initiale du 13 décembre 2014, a décidé de subventionner un projet culturel, a précisé que les subventions ne doivent servir qu'à l'aspect culturel du projet, a rappelé clairement l'intérêt public local de ce projet et a assorti ces subventions de conventions permettant d'assurer le contrôle de leur affectation ;

- le rapport préalable à la délibération fait clairement état du fait qu'une partie du bâtiment sera destinée à une activité cultuelle ; les conseillers étaient donc suffisamment informés de la destination des travaux et des besoins de fonctionnement ;

- M. B... doit admettre que le bâtiment puisse avoir un style architectural se démarquant des standards de la culture occidentale ;

- la question de l'application de la loi du 9 décembre 1905 a été tranchée par le tribunal et par la cour administrative d'appel de Paris, et bénéficie de l'autorité de chose jugée.

Par un mémoire en défense et d'appel incident enregistré le 12 novembre 2022, M. A... B..., représenté par Me Avril, conclut au rejet de la requête et à la réformation du jugement en tant qu'il n'a pas annulé les mandats de paiement émis au bénéfice de l'association culturelle et éducative des comoriens de la Réunion ni enjoint au maire de Saint-Denis d'émettre un titre de recettes en remboursement de l'intégralité des subventions versées ; il demande qu'il soit enjoint au maire d'y procéder dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard ; il demande également qu'une copie de l'arrêt soit adressée au procureur de la République de Saint-Denis de la Réunion ; il demande enfin que soit mise à la charge de la commune de Saint-Denis une somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- les moyens de la requête ne sont pas fondés ;

- l'absence de rapport du commissaire aux comptes est un fait délictueux, réprimé par l'article 441-1 du code pénal ; le permis rectificatif constitue un faux en écritures publiques ; le tout constitue un détournement de fonds public au sens de l'article 432-15 du code pénal ;

- les premiers juges n'ont pas statué sur ces conclusions ;

- la délibération est en infraction avec la loi du 9 décembre 1905, l'immeuble ayant conservé au moins partiellement sa vocation religieuse ; il ne répond pas à un intérêt public local correspondant au développement touristique, à l'animation culturelle, à la formation ou à la protection de l'hygiène et de la salubrité publique ; la délibération en cause est donc une libéralité directe à la pratique d'un culte, qui est illégale ;

- la commune ne justifie pas du règlement de 100 000 euros au titre de la subvention de 2016 et de 80 000 euros au titre de la subvention de 2019 ; la commune ne prouve pas la régularité des versements car les mandats doivent être accompagnés des pièces justificatives exigées par l'annexe au décret n° 2016-33 du 29 janvier 2016 ; les attestations d'avancement de travaux ne peuvent en tenir lieu ; au demeurant les attestations des 19 et 31 octobre 2017 ne semblent pas avoir été utilisées puisqu'aucun mandat n'y est associé pour le solde de la subvention de 2016, aucune attestation n'est fournie pour la subvention de 2018 et l'attestation du nouvel architecte en date du 18 juillet 2019 n'est pas associée à l'acompte de 60 % correspondant au versement par mandate du 19 octobre 2020 ; les documents justificatifs produits ne comprennent pas de pièces financières et comptables.

Par un mémoire enregistré le 15 mars 2024, l'association culturelle et éducative comorienne de la Réunion, représentée par Me Ropars, conclut au non-lieu à statuer.

Elle fait valoir que le conseil municipal de Saint-Denis de la Réunion a adopté le 18 novembre 2022 une nouvelle délibération lui attribuant une subvention d'équipement, qui annule et remplace la délibération antérieure du 26 avril 2019 faisant l'objet du litige.

Par un mémoire enregistré le 29 mars 2024, la commune de Saint-Denis conclut à titre principal au non-lieu à statuer.

Elle fait valoir que le conseil municipal de Saint-Denis de la Réunion a adopté le 18 novembre 2022 une nouvelle délibération lui attribuant une subvention d'équipement, qui annule et remplace la délibération antérieure du 26 avril 2019 faisant l'objet du litige.

II. Par une requête enregistrée le 17 octobre 2022, l'association culturelle et éducative des comoriens de la Réunion (ACECR), représentée par Me Ropars, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de La Réunion du 15 juillet 2022 en tant qu'il a fait droit aux demandes de M. B... ;

2°) de mettre à la charge de M. B... une somme de 1 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'identité de la personne morale destinataire de la subvention est clairement identifiée ; le Centre comorien de culture et de connaissances est inclus dans un ensemble immobilier plus vaste qui comporte également un espace cultuel, exclu du bénéfice de la subvention ;

- les travaux concernés sont détaillés et justifiés dans les rapports de présentations des délibérations du 13 décembre 2014 et du 19 mars 2016, qui indiquaient de manière explicite que le futur centre accueillerait deux espaces distincts, l'un ayant une vocation cultuelle, l'autre une finalité culturelle, et que la subvention de 200 000 euros ne portait que sur le seul espace culturel du nouvel équipement ; la délibération du 26 avril 2019, qui se situe dans la continuité des deux précédentes délibérations, ne concerne que le second œuvre restant à réaliser dans l'espace culturel suite aux nouvelles orientations de l'association, qui a contractualisé avec un nouvel architecte, afin d'ajuster les coûts des travaux, arrêtés à 1 600 000 euros au lieu de 1 200 000 initialement prévu, se répartissant en 650 000 euros pour la mairie de Saint-Denis et 950 000 euros pour l'association ;

- dès lors, les conseillers municipaux disposaient des informations suffisantes leur permettant de se prononcer en toute connaissance de cause, conformément aux dispositions des articles L. 2121-12 et L. 2121-13 du code général des collectivités territoriales.

Par un mémoire en défense et d'appel incident enregistré le 16 novembre 2022, M. A... B..., représenté par Me Avril, conclut au rejet de la requête et à la réformation du jugement en tant qu'il n'a pas annulé les mandats de paiement émis au bénéfice de l'association culturelle et éducative des comoriens de la Réunion ni enjoint au maire de Saint-Denis d'émettre un titre de recettes en remboursement de l'intégralité des subventions versées ; il demande qu'il soit enjoint au maire d'y procéder dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard ; il demande également qu'une copie de l'arrêt soit adressée au procureur de la République de Saint-Denis de la Réunion ; il demande enfin que soit mise à la charge de la commune de Saint-Denis une somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- les moyens de la requête ne sont pas fondés ;

- la présentation faite par l'association dans sa requête ne correspond pas à celle qui a été faite aux élus ;

- les courriers de demande de subventions ne répondent pas aux exigences du décret n° 2016-1971 du 28 décembre 2016 ; il n'est pas justifié de la composition et du rôle exact du comité de pilotage qui a sollicité la troisième subvention, et de son lien avec l'association ;

- l'ACECR a perdu sa dénomination au profit de son nouveau titre d'association islamique culturelle et éducative de l'Océan indien, avec pour nouvel objet l'intégration, l'apprentissage des cultures régionales, la solidarité intercommunautaire et la promotion de la culture islamique ; pour obtenir la subvention, l'association devait produire la justification de la reprise de son ancien titre ; c'est abusivement que l'association continue à utiliser son ancienne dénomination ; l'ACECR n'est plus qu'une association de fait sans existence juridique ;

- l'absence de rapport du commissaire aux comptes est un fait délictueux, réprimé par l'article 441-1 du code pénal ; le permis rectificatif constitue un faux en écritures publiques ; le tout constitue un détournement de fonds public au sens de l'article 432-15 du code pénal ;

- les premiers juges n'ont pas statué sur ces conclusions ;

- la délibération est en infraction avec la loi du 9 décembre 1905, l'immeuble ayant au moins partiellement une vocation religieuse ; il ne répond pas à un intérêt public local correspondant au développement touristique, à l'animation culturelle, à la formation ou à la protection de l'hygiène et de la salubrité publique ; la délibération en cause est donc une libéralité directe à la pratique d'un culte, qui est illégale ;

- la commune ne justifie pas du règlement de 100 000 euros au titre de la subvention de 2016 et de 80 000 euros au titre de la subvention de 2019 ; la commune ne prouve pas la régularité de ces versements car ces mandats doivent être accompagnés des pièces justificatives exigées par l'annexe au décret n° 2016-33 du 29 janvier 2016 ; les attestations d'avancement de travaux ne peuvent en tenir lieu ; au demeurant les attestations des 19 et 31 octobre 2017 ne semblent pas avoir été utilisées puisqu'aucun mandat n'y est associé pour le solde de la subvention de 2016, aucune attestation n'est fournie pour la subvention de 2018 et l'attestation du nouvel architecte en date du 18 juillet 2019 n'est pas associée à l'acompte de 60 % correspondant au versement par mandate du 19 octobre 2020 ; les documents justificatifs produits ne comprennent pas de pièces financières et comptables.

Par un mémoire enregistré le 15 mars 2024, l'association culturelle et éducative comorienne de la Réunion déclare se désister de son recours.

Elle fait valoir que le conseil municipal de Saint-Denis de la Réunion a adopté le 18 novembre 2022 une nouvelle délibération lui attribuant une subvention d'équipement, qui annule et remplace la délibération antérieure du 26 avril 2019 faisant l'objet du litige.

La commune de Saint-Denis a présenté un mémoire le 12 avril 2024, qui n'a pas été communiqué.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l'Etat ;

- la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 ;

- le décret n° 2016-1971 du 28 décembre 2016 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Laurent Pouget ;

- et les conclusions de Mme Isabelle Le Bris, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. Par une délibération du 13 décembre 2014, le conseil municipal de la commune de Saint-Denis a décidé l'attribution d'une subvention d'équipement de 200 000 euros à l'association culturelle et éducative comorienne de La Réunion (ACECR) pour la réalisation de l'espace culturel du Centre comorien de culture et de connaissances (CCCC) dans le quartier du Bas de la Rivière, a approuvé la convention d'objectifs et de moyens afférente à cette subvention, a autorisé le maire à signer ladite convention et a autorisé le versement de la subvention. Par une délibération du 19 mars 2016, le conseil municipal a modifié les conditions de versement de la subvention prévue par la délibération du 13 décembre 2014. Par des délibérations des 23 février 2018 et 26 avril 2019, le conseil municipal a décidé de verser des subventions complémentaires pour la réalisation du CCCC, à hauteur de montants respectifs de 250 000 euros et 200 000 euros. Saisi par M. B..., contribuable local, le tribunal administratif de La Réunion, par un jugement du 15 juillet 2022, a annulé la délibération du 26 avril 2019 au motif d'un défaut d'information des élus et a enjoint à la commune de Saint-Denis de réclamer à l'association bénéficiaire le remboursement de la somme de 200 000 euros versée en application de cette délibération dans l'hypothèse où, dans le délai de trois mois à compter de la notification du jugement, le conseil municipal n'aurait pas délibéré à nouveau dans des conditions régulières sur l'attribution de la subvention. Le tribunal a rejeté le surplus des demandes de M. B.... La commune de Saint-Denis d'une part, sous le n° 22BX02662, l'ACECR d'autre part, sous le n° 22BX02691, relèvent appel de ce jugement en tant qu'il a fait partiellement droit aux demandes de M. B.... Ce dernier, par la voie de l'appel incident, demande l'annulation du jugement en tant qu'il n'a pas fait droit à ses demandes tendant à l'annulation de l'ensemble des mandats de paiement émis au bénéfice de l'ACECR et à ce qu'il soit enjoint à la commune d'émettre un titre de recettes en vue du remboursement de l'intégralité des subventions versées.

2. Les requêtes n° 22BX02662 et n° 22BX02691 présentent à juger des questions semblables et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour y statuer par un même arrêt.

Sur les conclusions d'appel principal :

3. Lorsque, après avoir pris une décision attribuant une subvention à une association, l'administration constate que sa décision est entachée d'une irrégularité de forme ou de procédure, elle dispose de la faculté de régulariser le versement de cette subvention. Compte-tenu de cette faculté, l'annulation, par une décision juridictionnelle, d'une décision par laquelle l'administration a attribué une subvention à une association, pour un motif d'irrégularité de forme ou de procédure, n'implique pas nécessairement que celle-ci soit immédiatement restituée à l'administration par l'association. L'administration peut ainsi, pour des motifs de sécurité juridique, régulariser le versement de la subvention annulée. La juridiction, saisie de conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint à l'administration de recouvrer la subvention attribuée sur le fondement d'une décision annulée pour un motif d'irrégularité de forme ou de procédure, doit alors subordonner la restitution de la somme réclamée à l'absence d'adoption par l'administration, dans le délai déterminé par sa décision, d'une nouvelle décision attribuant la subvention.

4. En l'espèce, saisi par M. B... de conclusions tendant à l'annulation de la délibération du 26 avril 2019 et à ce que la commune recouvre la subvention d'investissement de 200 000 euros accordée à l'ACECR par cette délibération, le tribunal, ayant annulé ladite délibération au seul motif d'une insuffisance d'information des élus, a fait application des principes cités au point 3 et a enjoint à la commune de Saint-Denis d'obtenir la restitution de cette subvention si, avant l'expiration d'un délai de trois mois à compter de la notification du jugement, le conseil municipal n'avait pas délibéré à nouveau régulièrement sur son attribution. Il est constant que le conseil municipal de Saint-Denis de la Réunion a procédé à cette régularisation au moyen d'une délibération du 18 novembre 2022.

5. D'une part, par un mémoire enregistré au greffe de la cour le 15 mars 2024, l'ACECR déclare se désister de sa requête enregistrée sous le n° 22BX02691, en conséquence de l'intervention de la délibération du 18 novembre 2022. Ce désistement est pur et simple et rien ne fait obstacle à ce qu'il en soit donné acte.

6. D'autre part, par un mémoire enregistré au greffe de la cour le 29 mars 2024, la commune de Saint-Denis conclut au non-lieu à statuer sur sa requête au motif que celle-ci a perdu son objet du fait de l'intervention de la délibération du 18 novembre 2022, qui s'est substituée à celle du 26 avril 2019 dont elle vise à régulariser le vice de procédure constaté par le tribunal et qui en constituait le seul motif d'annulation. Ce faisant, la commune de Saint-Denis doit être regardée comme se désistant de sa requête enregistrée sous le n° 22BX02662. Ce désistement est pur et simple et rien ne fait obstacle à ce qu'il en soit donné acte.

Sur les conclusions d'appel incident :

7. Après avoir donné acte du désistement des conclusions d'un appelant principal, une juridiction, saisie de conclusions d'appel incident, doit soit donner acte du désistement de l'appel incident lorsque l'appelant incident a accepté le désistement de l'appel principal, soit constater l'irrecevabilité de l'appel incident, en particulier s'il a été enregistré au greffe de la juridiction postérieurement à la date d'enregistrement du désistement de l'appel principal, soit statuer au fond sur les conclusions incidentes lorsqu'elles ne sont pas entachées d'irrecevabilité.

8. En l'occurrence, les désistements de la commune de Saint-Denis et de l'ACECR n'ont pas été acceptés par M. B..., dont les conclusions d'appel incident ne sont pas irrecevables. Il y a donc lieu d'y statuer au fond.

En ce qui concerne la régularité du jugement attaqué :

9. M. B... fait valoir que le tribunal n'a pas statué sur sa demande tendant à ce que le procureur de la République soit saisi d'un signalement pour faux et usage de faux en écritures publiques ainsi que pour détournement de fonds publics. Toutefois, en l'absence de disposition particulière, le tribunal n'était pas tenu, dans l'exercice de ses fonctions juridictionnelles, de faire application du second alinéa de l'article 40 du code de procédure pénale. Par conséquent il a pu, sans entacher le jugement d'irrégularité, s'abstenir de statuer sur cette demande.

En ce qui concerne la légalité de la délibération octroyant la subvention :

S'agissant de l'office du juge de l'excès de pouvoir :

10. D'une part, lorsque le juge de l'excès de pouvoir annule une décision administrative alors que plusieurs moyens sont de nature à justifier l'annulation, il lui revient, en principe, de choisir de fonder l'annulation sur le moyen qui lui paraît le mieux à même de régler le litige, au vu de l'ensemble des circonstances de l'affaire. Mais, lorsque le requérant choisit de présenter, outre des conclusions à fin d'annulation, des conclusions à fin d'injonction tendant à ce que le juge enjoigne à l'autorité administrative de prendre une décision dans un sens déterminé, il incombe au juge de l'excès de pouvoir d'examiner prioritairement les moyens qui seraient de nature, étant fondés, à justifier le prononcé de l'injonction demandée. Il en va également ainsi lorsque des conclusions à fin d'injonction sont présentées à titre principal sur le fondement de l'article L. 911-1 du code de justice administrative et à titre subsidiaire sur le fondement de l'article L. 911-2.

11. Dans le cas où il ne juge fondé aucun des moyens assortissant la demande principale du requérant mais retient un moyen assortissant sa demande subsidiaire, le juge de l'excès de pouvoir n'est tenu de se prononcer explicitement que sur le moyen qu'il retient pour annuler la décision attaquée. Statuant ainsi, son jugement écarte nécessairement les moyens qui assortissaient la demande principale.

12. Il ressort en l'espèce de la motivation du jugement attaqué que celui-ci annule " sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête " la délibération du 26 avril 2019 du conseil municipal de la commune de Saint-Denis accordant une subvention complémentaire à l'ACECR, en retenant un motif tiré du défaut d'information des conseillers municipaux. Eu égard à ce qui a été dit ci-dessus, en statuant ainsi et en prononçant une injonction visant prioritairement à la régularisation de la procédure d'octroi de la subvention, le tribunal a implicitement mais nécessairement écarté, après les avoir examinés, les autres moyens invoqués devant lui et susceptibles de justifier qu'une injonction d'émission d'un titre de recettes visant au remboursement de la subvention versée le 10 septembre 2019 sur le fondement de la délibération en cause soit prononcée à l'égard du maire de Saint-Denis, ainsi que le demandait M. B....

13. D'autre part, si le jugement est susceptible d'appel, le requérant est recevable à relever appel en tant que le jugement n'a pas fait droit à sa demande principale. Il en va de même de l'intimé dans le cadre de conclusions d'appel incident. Il appartient alors au juge d'appel, statuant dans le cadre de l'effet dévolutif, de se prononcer sur les moyens, soulevés devant lui, susceptibles de conduire à faire droit à la demande principale.

S'agissant des moyens d'appel incident de M. B... :

14. En premier lieu, aux termes de l'article 1er de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l'Etat : " La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l'intérêt de l'ordre public ". L'article 2 de cette loi dispose : " La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. En conséquence, à partir du 1er janvier qui suivra la promulgation de la présente loi, seront supprimées des budgets de l'Etat, des départements et des communes, toutes dépenses relatives à l'exercice des cultes. ". Enfin, aux termes du dernier alinéa de l'article 19 de cette même loi, les associations formées pour subvenir aux frais, à l'entretien et à l'exercice d'un culte en vertu du titre IV de cette loi " ne pourront, sous quelque forme que ce soit, recevoir des subventions de l'Etat, des départements et des communes. Ne sont pas considérées comme subventions les sommes allouées pour réparations aux édifices affectés au culte public, qu'ils soient ou non classés monuments historiques. ".

15. Il résulte des dispositions précitées que les collectivités territoriales ne peuvent accorder aucune subvention, à l'exception des concours pour des travaux de réparation d'édifices cultuels, aux associations cultuelles au sens du titre IV de cette loi. Il leur est également interdit d'apporter une aide quelconque à une manifestation qui participe de l'exercice d'un culte. Elles ne peuvent accorder une subvention à une association qui, sans constituer une association cultuelle au sens du titre IV de la même loi, a des activités cultuelles, qu'en vue de la réalisation d'un projet, d'une manifestation ou d'une activité qui ne présente pas un caractère cultuel et n'est pas destiné au culte et à la condition, en premier lieu, que ce projet, cette manifestation ou cette activité présente un intérêt public local et, en second lieu, que soit garanti, notamment par voie contractuelle, que la subvention est exclusivement affectée au financement de ce projet, de cette manifestation ou de cette activité et n'est pas utilisée pour financer les activités cultuelles de l'association.

16. En l'occurrence il ressort des pièces du dossier, notamment du rapport de présentation repris dans la délibération litigieuse, que la subvention d'équipement accordée à l'ACECR, qui s'inscrit dans la continuité d'aides financières antérieures accordées par la commune de Saint-Denis à compter de 2016 pour la réalisation de l'espace culturel du CCCC, vise à permettre à l'association bénéficiaire de boucler le financement de cet équipement destiné à promouvoir la culture comorienne, après la défection de certains donateurs et pour faire face à des surcoûts des travaux. Si M. B... fait valoir que l'ACECR, désignée comme bénéficiaire de la subvention, a changé de dénomination en septembre 2003 pour devenir l'Association Islamique, Culturelle et Educative de l'Océan Indien (AICEOI), cette modification, dont il ressort des pièces du dossier qu'elle n'est plus d'actualité, n'est en tout état de cause pas par elle-même de nature à exclure ladite association du bénéfice d'une subvention publique, laquelle est octroyée au regard de la nature du projet qu'elle a pour objet de financier. Au demeurant, il résulte des statuts de l'association mis en jour en septembre 2004 qu'elle a conservé comme objet statutaire, outre " la promotion de l'éducation et de la culture musulmane ", " l'intégration à la vie culturelle et à l'éducation dans la vie réunionnaise, les échanges culturels et éducatifs, l'apprentissage des langues régionales, la solidarité intracommunautaire ", ainsi que la réalisation et l'entretien d'un centre culturel. Il ressort à cet égard des pièces du dossier que l'immeuble de quatre étages abritant le CCCC comprendra un espace cultuel mais aussi un espace culturel, destiné à favoriser l'apprentissage civique, l'enseignement du français et du créole, le soutien scolaire, et l'organisation de conférences et débats. Il a été explicitement précisé dans le rapport de présentation initial au conseil municipal du 13 décembre 2014 que " le projet finalisé devra obligatoirement et clairement faire apparaître ces deux espaces et permettre leur fonctionnement autonome. La ville de Saint-Denis contribuera exclusivement au développement de l'espace à vocation culturelle ". Ces principes sont rappelés par la délibération du 18 novembre 2022, qui rappelle le plan de financement du projet et détaille les lots de second œuvre demeurant à achever en précisant le montant total de ces travaux, qui s'établit à 320 000 euros, ainsi que leur ventilation entre la part afférente à la partie cultuelle, soit 106 667 euros, et la part afférente à la partie culturelle du bâtiment, d'un montant de 213 333 euros, sur laquelle doit s'imputer la subvention d'équipement. Le principe selon lequel le financement est consacré exclusivement aux espaces culturels du bâtiment figure également dans le projet de convention d'objectifs et de moyens devant être conclu entre le maire de Saint-Denis et le président de l'ACECR, qui prévoit que l'association doit produire un compte-rendu financier attestant de la conformité des dépenses effectuées à l'objet de la subvention et qu'elle s'engage à mettre la commune en mesure de procéder à tout moment à tous les contrôles sur pièces et sur place qu'elle jugera nécessaire quant à l'utilisation de la subvention attribuée. Le versement de la subvention s'accompagne ainsi de clauses permettant de garantir qu'elle sera exclusivement affectée au financement de la réalisation des seuls espaces culturels de ce bâtiment et ne sera pas utilisée pour financer directement ou indirectement des activités cultuelles. Dans ces conditions, et quand bien même le bâtiment en construction comporte certains éléments architecturaux évoquant l'aspect des mosquées traditionnelles comoriennes, s'expliquant par sa destination mixte, l'octroi de la subvention litigieuse, qui répond aux besoins d'une partie des citoyens de Saint-Denis et à des considérations d'intérêt général, ne méconnait pas les dispositions précitées de l'article 2 de la loi du 9 décembre 1905.

17. En second lieu, la circonstance que M. B... ait été confronté à des réticences de la commune de Saint-Denis à lui communiquer les mandats des versements effectués au bénéfice de l'ACECR les 12 septembre 2016, 9 mai 2018, 7 novembre 2018 et 10 septembre 2019, d'ailleurs produits devant le tribunal et la cour par la commune, ainsi que les pièces justificatives annexés à ces mandats, ne saurait en soi révéler l'existence d'un détournement de pouvoir entachant la délibération du 18 novembre 2022.

18. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il y ait lieu de se prononcer sur les autres moyens soulevés par M. B..., lesquels sont insusceptibles de conduire à faire droit à sa demande tendant à ce qu'il soit enjoint à la commune de Saint-Denis d'émettre un titre de recettes afin de recouvrer les sommes versées sur son fondement, qu'il n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal n'a pas annulé la délibération litigieuse en retenant un motif susceptible de conduire à faire droit à cette demande ainsi qu'à celle tendant à l'annulation des mandats de paiement émis sur le fondement de la délibération litigieuse par voie de conséquence de son illégalité.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

19. Eu égard à ce qui précède, les conclusions de M. B... tendant à ce qu'il soit enjoint à la commune, sous astreinte, d'émettre un titre de recettes aux fins de remboursement des sommes versées à l'ACECR sur le fondement de la délibération litigieuse doivent être rejetées.

20. A défaut de toute argumentation de M. B... mettant en cause la légalité des délibérations du conseil municipal de Saint-Denis des 13 décembre 2014 et 23 février 2018 sur le fondement desquelles ont été émis les mandats de paiement des 12 septembre 2016, 9 mai 2018 et 7 novembre 2018, l'intéressé n'est en tout état de cause pas davantage fondé à demander à la cour d'enjoindre à la commune d'émettre des titres de recettes pour avoir remboursement des sommes correspondantes versées à l'ACECR.

Sur les conclusions tendant à l'annulation des mandats de paiement :

21. Si M. B... soutient que la commune ne justifie pas du règlement du solde des subventions accordées en 2016 et 2019 ni de l'existence, à l'appui des mandats de paiement édictés par le maire de Saint-Denis les 12 septembre 2016, 9 mai 2018, 7 novembre 2018 et 10 septembre 2019, des pièces justificatives dont la présentation est exigée par l'annexe du décret n° 2016-33 du 29 janvier 2016, il n'établit pas, par ses seules allégations, que les règlements en cause n'auraient pas été effectués, ni que les mandats auraient été édictés et exécutés sans avoir été accompagnés des pièces justificatives requises. Par suite les moyens ainsi soulevés ne peuvent qu'être écartés.

Sur les conclusions tendant à ce que la cour saisisse le procureur de la République sur le fondement des dispositions de l'article 40 du code de procédure pénale :

22. Le second alinéa de l'article 40 du code de procédure pénale dispose que : " Toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l'exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d'un crime ou d'un délit est tenu d'en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs ".

23. Si M. B... demande à la cour, comme il l'avait fait devant le tribunal administratif de La Réunion, de signaler au procureur de la République des agissements délictueux, notamment de faux en écritures publiques et de détournement de fonds publics commis tant par l'ACECR que la part les autorités communales de Saint-Denis, il n'apporte aucun commencement de preuve à l'appui de ses accusations. En tout état de cause, et en l'absence de dispositions particulières, la cour n'est pas tenue, dans l'exercice de ses fonctions juridictionnelles, de faire application du second alinéa de l'article 40 du code de procédure pénale. Les conclusions présentées en ce sens doivent, dès lors, être rejetées.

Sur les frais de l'instance :

24. La commune de Saint-Denis et l'ACECR n'étant pas parties perdantes dans les présentes instances, les conclusions présentées par M. B... sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.

DECIDE

Article 1er : Il est donné acte du désistement de la requête de l'ACECR.

Article 2 : Il est donné acte du désistement de la commune de Saint-Denis.

Article 3 : Les conclusions présentées devant la cour par M. B... sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Saint-Denis, à l'association culturelle et éducative comorienne de La Réunion, et à M. A... B....

Copies en seront adressées à l'association islamique, culturelle et éducative de l'Océan Indien et au préfet de La Réunion.

Délibéré après l'audience du 30 avril 2024 à laquelle siégeaient :

M. Laurent Pouget, président,

Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, présidente-assesseure,

M. Manuel Bourgeois, premier conseiller,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 mai 2024.

La présidente assesseure,

Marie-Pierre Beuve Dupuy

Le président rapporteur,

Laurent Pouget La greffière,

Chirine Michallet

La République mande et ordonne au préfet de La Réunion, en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N°s 22BX02662, 22BX02691


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 22BX02662
Date de la décision : 21/05/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. POUGET
Rapporteur ?: M. Laurent POUGET
Rapporteur public ?: Mme LE BRIS
Avocat(s) : ARMOUDOM;AVRIL;ARMOUDOM

Origine de la décision
Date de l'import : 02/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-05-21;22bx02662 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award