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21/05/2024 | FRANCE | N°18BX03930

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 3ème chambre, 21 mai 2024, 18BX03930


Vu la procédure suivante :



La société civile immobilière (SCI) de Provence a demandé au tribunal administratif de la Guyane d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite par laquelle le préfet de la Guyane a refusé de lui octroyer le concours de la force publique pour l'exécution de l'ordonnance du juge des référés du tribunal de grande instance de Cayenne du 29 février 2008 prononçant l'expulsion des occupants sans droits ni titres de l'îlet Portal, d'annuler la décision implicite par laquelle le préfet de la Guyane a refusé de faire usage de se

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Vu la procédure suivante :

La société civile immobilière (SCI) de Provence a demandé au tribunal administratif de la Guyane d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite par laquelle le préfet de la Guyane a refusé de lui octroyer le concours de la force publique pour l'exécution de l'ordonnance du juge des référés du tribunal de grande instance de Cayenne du 29 février 2008 prononçant l'expulsion des occupants sans droits ni titres de l'îlet Portal, d'annuler la décision implicite par laquelle le préfet de la Guyane a refusé de faire usage de ses pouvoirs en matière de police des étrangers en séjour irrégulier à l'égard des occupants de cette île et d'enjoindre au préfet de la Guyane d'assurer l'exécution du jugement d'expulsion et de faire usage de ses pouvoirs de police des étrangers, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard.

Par un jugement n° 1700825 du 11 janvier 2018, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de la Guyane a rejeté cette demande.

Par une requête enregistrée le 15 novembre 2018, la SCI de Provence a demandé à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 11 janvier 2018 de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de la Guyane ;

2°) d'annuler les décisions implicites par lesquelles le préfet de la Guyane a refusé de lui octroyer le concours de la force publique pour l'exécution de l'ordonnance du juge des référés du tribunal de grande instance de Cayenne du 29 février 2008 et a refusé de faire usage de ses pouvoirs en matière de police des étrangers en séjour irrégulier à l'égard des occupants de l'îlet Portal ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Guyane d'assurer l'exécution du jugement d'expulsion et de faire usage de ses pouvoirs de police des étrangers dans un délai d'un mois suivant la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 6 000 euros au titre de L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- ses conclusions dirigées contre le refus du préfet de faire usage de ses pouvoirs en matière de police des étrangers auraient dû être examinées par une formation collégiale du tribunal, après conclusions du rapporteur public ;

- le jugement attaqué est irrégulier faute de mentionner sa demande de médiation ;

- s'agissant du refus du préfet de faire usage de ses pouvoirs en matière de police des étrangers, le tribunal a estimé à tort qu'il avait épuisé sa compétence ; s'il est vrai que la police des étrangers n'est pas destinée à servir des intérêts particuliers, cette circonstance n'exclut nullement que les administrés puissent avoir un intérêt personnel à ce que soient assurés les impératifs d'ordre et de sécurité publics ; il s'est écoulé près de trois années entre sa première demande adressée au préfet le 31 octobre 2014 et sa demande du 24 avril 2017 ; cette seconde demande appelait donc un réexamen, notamment à l'aune des troubles sociaux qui ont agité la Guyane au début de l'année 2017 ;

- s'agissant du refus du préfet d'octroi de la force publique, le jugement n'est pas motivé ; ce refus est injustifié, le préfet ne démontrant pas même avoir accompli des diligences pour mettre fin à l'occupation illicite des lieux.

Par une ordonnance n° 18BX01057 du 23 avril 2018, prise sur le fondement des articles R. 351-2 et R. 811-1 du code de justice administrative, la présidente de la cour administrative d'appel de Bordeaux a transmis au Conseil d'Etat la requête présentée devant cette cour par la SCI de Provence.

Par une décision n° 420123 du 15 novembre 2018, le Conseil d'Etat a renvoyé à la cour administrative d'appel de Bordeaux les conclusions de la SCI de Provence dirigées contre le jugement du 11 janvier 2018 du tribunal administratif de la Guyane en tant qu'il rejette les conclusions dirigées contre la décision implicite par laquelle le préfet de la Guyane a refusé de faire usage de ses pouvoirs en matière de police des étrangers en séjour irrégulier à l'égard des occupants de l'Îlet Portal, ainsi que les conclusions à fin d'injonction liées.

Le 21 janvier 2020, la présidente de la cour a engagé une procédure de médiation en application des articles L.213-7 et suivants du code de justice administrative, dont le dossier a été clôturé le 11 mars 2024.

Par une ordonnance du 30 janvier 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 2 mars 2024.

Un mémoire a été présenté par le préfet de la Guyane le 28 mars 2024, postérieurement à la clôture de l'instruction.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy ;

- les conclusions de Mme Isabelle Le Bris, rapporteure publique ;

- et les observations de Me Martello, représentant la SCI de Provence.

Considérant ce qui suit :

1. La SCI de Provence a acquis le 2 mars 1978 l'îlet Portal situé sur le fleuve Maroni, à proximité de la commune de Saint-Laurent du Maroni, en Guyane. Par un courrier reçu le 31 octobre 2014, cette société a demandé au préfet de la Guyane de faire usage de ses pouvoirs en matière de police des étrangers afin de mettre un terme à l'occupation de l'îlet par des ressortissants étrangers en séjour irrégulier sur le territoire français. Par un jugement du 11 février 2016, le tribunal administratif de la Guyane a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision par laquelle le préfet de la Guyane a implicitement rejeté cette demande. Par un arrêt n° 16BX01283 du 12 juillet 2018, la cour a rejeté l'appel formé par la SCI de Provence contre ce jugement. Par une nouvelle demande du 10 avril 2017, la SCI de Provence a demandé au préfet de la Guyane, d'une part, de lui octroyer le concours de la force publique pour l'exécution de l'ordonnance du juge des référés du tribunal de grande instance de Cayenne du 29 février 2008 prononçant l'expulsion des occupants sans droits ni titres de l'îlet Portal, d'autre part, de faire usage de ses pouvoirs en matière de police des étrangers en séjour irrégulier à l'égard des occupants de cette île. La SCI de Provence relève appel du jugement du 11 janvier 2018 de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de la Guyane en tant qu'elle a rejeté ses conclusions dirigées contre le refus implicite du préfet de la Guyane de mettre en œuvre ses pouvoirs en matière de police des étrangers sur l'îlet Portal.

2. Aux termes de l'article R. 222-13 du code de justice administrative, dans sa version applicable à la date du jugement attaqué : " Le président du tribunal administratif ou le magistrat qu'il désigne à cette fin et ayant atteint au moins le grade de premier conseiller ou ayant une ancienneté minimale de deux ans statue en audience publique et après audition du rapporteur public, sous réserve de l'application de l'article R. 732-1-1 : 1° Sur les litiges relatifs aux prestations, allocations ou droits attribués au titre de l'aide ou de l'action sociale, du logement ou en faveur des travailleurs privés d'emploi, mentionnés à l'article R. 772-5 ; 2° Sur les litiges relatifs à la notation ou à l'évaluation professionnelle des fonctionnaires ou agents publics ainsi qu'aux sanctions disciplinaires prononcées à leur encontre qui ne requièrent pas l'intervention d'un organe disciplinaire collégial ; 3° Sur les litiges en matière de pensions ; 4° Sur les litiges en matière de consultation et de communication de documents administratifs ou d'archives publiques ; 5° Sur les litiges relatifs aux impôts locaux et à la contribution à l'audiovisuel public, à l'exception des litiges relatifs à la contribution économique territoriale ; 6° Sur les litiges relatifs aux refus de concours de la force publique pour exécuter une décision de justice ; 7° Sur les requêtes contestant les décisions prises en matière fiscale sur des demandes de remise gracieuse ; 8° Sur les litiges relatifs aux bâtiments menaçant ruine ou aux immeubles insalubres ; 9° Sur les litiges relatifs au permis de conduire ; 10° Sauf en matière de contrat de la commande publique sur toute action indemnitaire ne relevant pas des dispositions précédentes, lorsque le montant des indemnités demandées n'excède pas le montant déterminé par les articles R. 222-14 et R. 222-15 ".

3. La contestation du refus du préfet de faire usage de ses pouvoirs de police à l'égard des étrangers en situation irrégulière n'est pas au nombre des litiges pouvant être jugés par un magistrat statuant seul. Par suite, la demande de la SCI de Provence dirigée contre la décision du préfet de la Guyane refusant de mettre en œuvre des pouvoirs de police en matière de police des étrangers devait être jugée par le tribunal administratif statuant en formation collégiale. Il suit de là que le jugement du 11 janvier 2018 de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de la Guyane, en tant qu'il statue sur cette demande, a été rendu par une formation de jugement irrégulièrement composée. Dès lors, ce jugement doit être annulé en tant qu'il a rejeté cette demande.

4. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande de première instance de la SCI de Provence dirigée contre le refus implicite du préfet de la Guyane de mettre en œuvre ses pouvoirs de police en matière de police des étrangers sur l'îlet Portal.

5. Aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : 1° L'étranger, ne pouvant justifier être entré régulièrement sur le territoire français, s'y est maintenu sans être titulaire d'un titre de séjour en cours de validité ; 2° L'étranger, entré sur le territoire français sous couvert d'un visa désormais expiré ou, n'étant pas soumis à l'obligation du visa, entré en France plus de trois mois auparavant, s'est maintenu sur le territoire français sans être titulaire d'un titre de séjour ou, le cas échéant, sans demander le renouvellement du titre de séjour temporaire ou pluriannuel qui lui a été délivré ; 3° L'étranger s'est vu refuser la délivrance d'un titre de séjour, le renouvellement du titre de séjour, du document provisoire délivré à l'occasion d'une demande de titre de séjour ou de l'autorisation provisoire de séjour qui lui avait été délivré ou s'est vu retirer un de ces documents ; 4° La reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusé à l'étranger ou il ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application des articles L. 542-1 et L. 542-2, à moins qu'il ne soit titulaire de l'un des documents mentionnés au 3° ;5° Le comportement de l'étranger qui ne réside pas régulièrement en France depuis plus de trois mois constitue une menace pour l'ordre public ; 6° L'étranger qui ne réside pas régulièrement en France depuis plus de trois mois a méconnu les dispositions de l'article L. 5221-5 du code du travail. Lorsque, dans le cas prévu à l'article L. 431-2, un refus de séjour a été opposé à l'étranger, la décision portant obligation de quitter le territoire français peut être prise sur le fondement du seul 4° ". Aux termes de l'article L. 631-1 du même code : " L'autorité administrative peut décider d'expulser un étranger lorsque sa présence en France constitue une menace grave pour l'ordre public, sous réserve des conditions propres aux étrangers mentionnés aux articles L. 631-2 et L. 631-3 ". Il résulte de ces dispositions que si le préfet a notamment la faculté de prendre une mesure d'éloignement à l'encontre d'un ressortissant étranger qui ne serait pas entré régulièrement en France, s'y serait maintenu sans être en possession d'un titre de séjour ou se serait vu refuser un tel titre, ou de prononcer l'expulsion de cet étranger s'il constitue une menace grave pour l'ordre public, il n'est pas tenu de prendre de telles mesures et dispose au contraire d'un large pouvoir d'appréciation pour faire usage du pouvoir de police spéciale que le législateur lui a octroyé sur le fondement de ces dispositions.

6. Par ailleurs, l'effet utile de l'annulation pour excès de pouvoir du refus opposé par le préfet de la Guyane à la demande de SCI de Provence de faire usage de ses pouvoirs de police des étrangers à l'égard des occupants de l'îlet Portal réside dans l'obligation, que le juge peut prescrire d'office en vertu des dispositions de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, pour le préfet de prendre une telle mesure. Il s'ensuit que lorsqu'il est saisi de conclusions aux fins d'annulation d'un tel refus, le juge de l'excès de pouvoir est conduit à apprécier son bien-fondé au regard des règles applicables et des circonstances prévalant à la date de sa décision.

7. Il ressort des pièces du dossier, en particulier des écritures du préfet de la Guyane, qu'environ 500 personnes, de tous âges et nationalités, pour certaines en situation régulière sur le territoire français ou ayant acquis la nationalité française, sont installées de manière permanente sur l'îlet Portal sans disposer d'aucun droit ou titre les y autorisant. Ces personnes, dont une grande partie réside depuis plusieurs décennies sur l'île, y ont édifié des habitations durables, regroupées en hameaux. Toutefois, le pouvoir de police spéciale que le préfet tient des dispositions citées au point précédent n'a pas pour finalité de mettre un terme à l'occupation illicite d'un terrain privé. De plus, eu égard au nombre important de personnes concernées, à la taille de l'îlet et aux moyens que l'Etat devrait déployer, la mesure de police sollicitée par la société requérante, consistant en la mise à exécution de toutes les mesures d'éloignement qui pourraient être prises à l'encontre des ressortissants étrangers installés sur l'îlet Portal, pourrait engendrer d'importantes tensions de nature à troubler gravement l'ordre public. Dans ces conditions, le préfet de la Guyane, en estimant que l'atteinte portée aux intérêts dont il a la charge en matière de police des étrangers ne justifiait pas qu'il mette en œuvre ses prérogatives en vue de l'éloignement des intéressés, n'a pas entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation.

8. Il résulte de ce qui précède que la SCI de Provence n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision implicite du préfet de la Guyane de mettre en œuvre ses pouvoirs en matière de police des étrangers sur l'îlet Portal. Ses conclusions à fin d'injonction et celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, par suite, être accueillies.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1700825 du 11 janvier 2018 de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de la Guyane, en tant qu'il statue sur la demande de la SCI de Provence dirigée contre la décision implicite par laquelle le préfet de la Guyane a refusé de faire usage de ses pouvoirs en matière de police des étrangers en séjour irrégulier à l'égard des occupants de l'Îlet Portal, est annulé.

Article 2 : La demande présentée par la SCI de Provence devant le tribunal administratif de la Guyane tendant à l'annulation la décision implicite par laquelle le préfet de la Guyane a refusé de faire usage de ses pouvoirs en matière de police des étrangers en séjour irrégulier à l'égard des occupants de l'Îlet Portal, ensemble ses conclusions à fin d'injonction et présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société civile immobilière de Provence et au ministre de l'intérieur et des outre-mer. Copie en sera adressée au préfet de la Guyane.

Délibéré après l'audience du 30 avril 2024 à laquelle siégeaient :

M. Laurent Pouget, président,

Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, présidente-assesseure,

M. Manuel Bourgeois, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 mai 2024.

La rapporteure,

Marie-Pierre Beuve-Dupuy

Le président,

Laurent Pouget La greffière,

Chirine Michallet

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 18BX03930


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 18BX03930
Date de la décision : 21/05/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. POUGET
Rapporteur ?: Mme Marie-Pierre BEUVE-DUPUY
Rapporteur public ?: Mme LE BRIS
Avocat(s) : MAUDUIT LOPASSO GOIRAND & ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 02/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-05-21;18bx03930 ?
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