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07/05/2024 | FRANCE | N°23BX01898

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 1ère chambre, 07 mai 2024, 23BX01898


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe d'annuler l'arrêté du 8 février 2022 par lequel le préfet de la Guadeloupe a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination et l'a interdit de retour sur le territoire français pour une durée d'un an.



Par un jugement n° 2200297 du 20 juin 2023, le tribunal administratif de

la Guadeloupe a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour :



Par une requête et...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe d'annuler l'arrêté du 8 février 2022 par lequel le préfet de la Guadeloupe a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination et l'a interdit de retour sur le territoire français pour une durée d'un an.

Par un jugement n° 2200297 du 20 juin 2023, le tribunal administratif de la Guadeloupe a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 10 juillet 2023, le 20 décembre 2023 et le 22 mars 2024, M. B..., représenté par Me Elissalde, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de la Guadeloupe ;

2°) d'annuler l'arrêté du 8 février 2022 ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Guadeloupe de lui délivrer un titre de séjour ;

4°) de mettre à la charge de l'État une somme de 2 000 euros, à verser à son conseil, au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- l'arrêté méconnaît l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et la circulaire du 28 novembre 2012 compte tenu de sa situation professionnelle et de sa durée de séjour ;

- il méconnaît également les dispositions du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant au regard de sa vie privée et familiale ;

- l'arrêté et en particulier la mesure d'éloignement à destination de son pays d'origine, est entaché d'une erreur manifeste dans l'appréciation de sa situation personnelle compte tenu de la situation humanitaire et géopolitique en Haïti.

Par un mémoire en défense enregistré le 4 mars 2024, le préfet de la Guadeloupe conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- la requête est irrecevable faute de contenir l'exposé de moyens et conclusions ;

- les moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés.

M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 21 septembre 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention internationale des droits de l'enfant ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Le rapport de Mme Kolia Gallier a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., ressortissant haïtien né le 28 février 1985, indique être entré en France en 2013. Il a sollicité, auprès des services de la préfecture de la Guadeloupe, son admission au séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 421-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 8 février 2022, le préfet de la Guadeloupe a refusé de lui délivrer le titre de séjour sollicité, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination et l'a interdit de retour sur le territoire français pour une durée d'un an. M. B... relève appel du jugement du 20 juin 2023 par lequel le tribunal administratif de la Guadeloupe a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

2. Il ressort des termes de la décision attaquée que le préfet de la Guadeloupe, après avoir examiné la demande présentée par M. B... sur le fondement de l'article L. 421-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, a écarté la possibilité de lui délivrer une carte de séjour " à un autre titre ". Il doit être regardé, ce faisant, comme ayant examiné d'office la possibilité de délivrer à M. B... un titre de séjour sur un autre fondement que celui exposé dans sa demande, refus que l'intéressé peut utilement contester devant le juge.

3. Aux termes de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir peut se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié ", " travailleur temporaire " ou " vie privée et familiale ", sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. (...) ".

4. En présence d'une demande de régularisation présentée, sur le fondement de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, par un étranger qui ne serait pas en situation de polygamie et dont la présence en France ne présenterait pas une menace pour l'ordre public, il appartient à l'autorité administrative de vérifier, dans un premier temps, si l'admission exceptionnelle au séjour par la délivrance d'une carte portant la mention " vie privée et familiale " répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard de motifs exceptionnels, et à défaut, dans un second temps, s'il est fait état de motifs exceptionnels de nature à permettre la délivrance, dans ce cadre, d'une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " ou " travailleur temporaire ". Dans cette dernière hypothèse, un demandeur qui justifie d'une promesse d'embauche ou d'un contrat de travail ne saurait être regardé, par principe, comme attestant, par là-même, des " motifs exceptionnels " exigés par la loi. Il appartient à l'autorité administrative, sous le contrôle du juge, d'examiner, notamment, si cette promesse d'embauche ou ce contrat de travail, de même que tout élément de sa situation personnelle dont l'étranger ferait état à l'appui de sa demande, tel par exemple, l'ancienneté de son séjour en France, peuvent constituer, en l'espèce, des motifs exceptionnels d'admission au séjour. Il appartient seulement au juge administratif, saisi d'un moyen en ce sens, de vérifier que l'administration n'a pas commis d'erreur manifeste dans l'appréciation qu'elle a portée sur l'un ou l'autre de ces points.

5. D'une part, M. B..., qui soutient vivre en France depuis plus de dix ans sans toutefois produire de pièces permettant de l'établir, justifie être marié à une compatriote haïtienne, dont le préfet indique sans être contredit qu'elle est également en situation irrégulière sur le territoire national, depuis le 7 mai 2022, et que le couple a un enfant né en Guadeloupe le 5 mars 2020. Par ailleurs, si le requérant se prévaut de la situation de grande violence à Haïti et produit de nombreux documents et articles de presse d'ordre général relatifs à la situation de ce pays, notamment concernant les évènements qui s'y sont déroulés en 2019 et 2020 et les difficultés rencontrées par les haïtiens, il ne se prévaut d'aucun élément permettant de retenir qu'aurait existé, à la date de l'arrêté attaqué, un risque personnel pour lui ou les membres de sa famille en cas de retour dans son pays d'origine. La dégradation postérieure de la situation est seulement susceptible de faire obstacle à l'exécution de la mesure d'éloignement édictée à l'encontre de M. B... à destination de son pays d'origine mais ne peut être prise en compte pour apprécier la légalité du refus de séjour qui s'apprécie à la date de son édiction. Dans ces conditions, les éléments invoqués par le requérant ne sont pas de nature à caractériser des considérations humanitaires ou un motif exceptionnel justifiant la délivrance d'un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ".

6. D'autre part, le requérant soutient exercer une activité salariée de caissier en exécution d'un contrat à durée indéterminée conclu en 2013 et une activité non salariée de carreleur lui procurant une rémunération mensuelle brute de 1 225,90 euros. Toutefois, il se borne à produire le contrat de travail conclu en 2013, un formulaire URSSAF de déclaration préalable à l'embauche corroborant cette embauche et trois bulletins de salaire pour les mois de mars, avril et mai 2014. Ces seuls éléments, qui ne sont pas de nature à établir que M. B... exercerait une activité professionnelle continue depuis 2013 comme il le soutient, ne démontrent pas l'existence d'un motif exceptionnel justifiant son admission exceptionnelle au séjour en qualité de salarié. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 313-14, devenu L. 435-1, du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté.

7. M. B... ne peut utilement se prévaloir des orientations générales de la circulaire du 28 novembre 2012 relative aux conditions d'examen des demandes d'admission au séjour déposées par des ressortissants étrangers en situation irrégulière que le ministre de l'intérieur a pu adresser aux préfets pour les éclairer dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire d'appréciation dont ils disposent et qui ne comporte aucune appréciation du droit positif.

8. Si le requérant se prévaut de la méconnaissance par l'arrêté litigieux des dispositions du 6° de l'article L. 313-11, devenu L. 423-7, du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile il n'établit ni même n'allègue être père d'un enfant français. Le moyen ne peut, par suite, qu'être écarté.

9. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

10. Ainsi qu'il a été exposé au point 5 ci-dessus, M. B... ne justifie pas avoir séjourné en France de façon continue depuis 2013 et son épouse, également ressortissante haïtienne, est en situation irrégulière sur le territoire national. L'intéressé ne se prévaut par ailleurs, à l'exception de son fils né en 2022 qui a vocation à suivre ses parents, d'aucun autre lien privé ou familial susceptible de situer en France le centre de ses intérêts privés et familiaux. Dans ces conditions, le préfet n'a pas porté au droit de M. B... au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport au but en vue duquel le refus de séjour a été édicté et le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées doit être écarté.

11. Aux termes du premier paragraphe de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant du 26 janvier 1990 : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".

12. M. B... soutient que la mesure d'éloignement édictée à son encontre aura pour effet de le séparer de son enfant dont il n'envisage pas qu'il le suive à Haïti compte tenu de la situation humanitaire. Toutefois, ainsi qu'il a été indiqué au point 5 ci-dessus, les éléments invoqués par le requérant ne sont pas de nature à établir un risque personnel pour son fils ou pour lui dans son pays d'origine à la date de la décision attaquée. Le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations précitées doit ainsi être écarté.

13. Pour les mêmes motifs, le moyen tiré de l'erreur manifeste qu'aurait commis le préfet de la Guadeloupe dans l'appréciation de sa situation personnelle doit être écarté. La situation actuelle en Haïti est en revanche de nature à faire obstacle à l'exécution de la décision fixant cet État comme pays de renvoi.

14. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée en défense, que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Guadeloupe a rejeté sa demande. Sa requête doit, par suite, être rejetée en toutes ses conclusions.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet de la Guadeloupe.

Délibéré après l'audience du 11 avril 2024 à laquelle siégeaient :

Mme Christelle Brouard-Lucas, présidente,

Mme Edwige Michaud, première conseillère,

Mme Kolia Gallier, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 mai 2024.

La rapporteure,

Kolia GallierLa présidente,

Christelle Brouard-Lucas

La greffière,

Marion Azam Marche

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 23BX01898 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 23BX01898
Date de la décision : 07/05/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BROUARD-LUCAS
Rapporteur ?: Mme Kolia GALLIER
Rapporteur public ?: M. ROUSSEL CERA
Avocat(s) : ELISSALDE

Origine de la décision
Date de l'import : 19/05/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-05-07;23bx01898 ?
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