Vu la procédure suivante :
Procédure antérieure :
M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler l'arrêté du 19 octobre 2022 par lequel la préfète des Deux-Sèvres a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de renvoi et l'a interdit de retour sur le territoire français pour une durée d'un an.
Par un jugement n° 2203018 du 28 mars 2023, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 7 juillet 2023, M. C..., représenté par Me Bonneau, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 28 mars 2023 du tribunal administratif de Poitiers ;
2°) d'annuler l'arrêté du 19 octobre 2022 de la préfète des Deux-Sèvres ;
3°) d'enjoindre à la préfète de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de quinze jours sous astreinte de 150 euros par jour de retard ou, à défaut, de réexaminer sa situation dans un délai d'un mois et, dans l'attente, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans un délai de quarante-huit heures sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'État le versement d'une somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
Sur la décision portant refus de délivrer un titre de séjour :
- elle est entachée d'une insuffisance de motivation qui révèle un défaut d'examen de sa situation personnelle ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que les dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et est entachée d'une erreur d'appréciation ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
Sur les décisions lui faisant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de renvoi :
- elles sont entachées d'une insuffisance de motivation qui révèle un défaut d'examen de sa situation personnelle ;
Sur la décision portant interdiction de retour :
- elle est entachée d'une insuffisance de motivation au regard des dispositions de l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qui révèle en outre un défaut d'examen de sa situation personnelle ;
- elle est entachée d'une erreur de droit en ce que la préfète s'est fondée sur les dispositions de l'article L. 612-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors que sa situation relève de l'article L. 612-7 du même code.
La requête a été communiquée à la préfète des Deux-Sèvres qui n'a pas produit de mémoire en défense dans la présente instance.
M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision n° 2023/006522 du bureau d'aide juridictionnelle du tribunal judiciaire de Bordeaux du 8 juin 2023.
Par une ordonnance du 18 janvier 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 4 mars 2024.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. A... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. C..., ressortissant arménien, déclare être entré en France le 8 décembre 2016. Sa demande d'asile a été rejetée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 25 juillet 2017, confirmée par une décision de la Cour nationale du droit d'asile du 11 décembre 2017. Par un arrêté du 27 octobre 2020, contre lequel il a présenté un recours rejeté par un jugement du 1er décembre 2020 du tribunal administratif de Poitiers et par une ordonnance de la cour du 15 décembre 2021, le préfet des Deux-Sèvres a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. Le 7 février 2022, l'intéressé a sollicité la délivrance d'un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ". Par un arrêté du 19 octobre 2022, la préfète des Deux-Sèvres a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de renvoi et l'a interdit de retour sur le territoire français pour une durée d'un an. M. C... relève appel du jugement du 28 mars 2023 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 19 octobre 2022.
Sur le moyen commun aux décisions portant refus de délivrer un titre de séjour, obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de renvoi :
2. L'intéressé se borne à reprendre en appel, sans invoquer d'éléments de fait ou de droit nouveaux par rapport à l'argumentation développée en première instance et sans critiquer utilement la réponse qui a été apportée par le tribunal administratif sur ce point, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de ces décisions et du défaut d'examen de sa situation personnelle. Il y a lieu d'écarter ces moyens par adoption des motifs pertinents retenus par les premiers juges.
Sur la décision portant refus de délivrer un titre de séjour :
3. En premier lieu, aux termes de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui n'entre pas dans les catégories prévues aux articles L. 423-1, L. 423-7, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21 et L. 423-22 ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, et qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1 (...) ". Et aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...) 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure (...) nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre (...) ".
4. Il ressort des pièces du dossier que l'intéressé est célibataire et sans charge de famille. S'il fait valoir qu'il vivait en France depuis six ans à la date de la décision en litige, qu'il a suivi des cours de français et qu'il est impliqué en tant que bénévole dans plusieurs associations, ces seuls éléments ne traduisent pas l'intensité et l'ancienneté des liens personnels qu'il aurait noués en France. En outre, il n'a jamais séjourné sur le territoire français en situation régulière en dehors du temps nécessaire à l'examen de sa demande d'asile, et il a fait l'objet, le 27 octobre 2020, d'une décision lui faisant obligation de quitter le territoire français qu'il n'a pas exécutée. S'il soutient que sa situation irrégulière en France ne peut lui être reprochée après l'édiction de la décision du 27 octobre 2020 dès lors qu'il l'a contestée devant les juridictions administratives et qu'il a déposé une nouvelle demande dès que les décisions juridictionnelles ont été rendues, il n'établit ni même n'allègue avoir obtenu une suspension de l'exécution de cette décision. Enfin, l'intéressé produit une demande d'autorisation de travail non datée ainsi qu'une promesse d'embauche pour un emploi de maçon à compter du 1er mars 2022. Ces éléments ne suffisent toutefois pas à eux seuls à justifier de la réalité de l'insertion professionnelle du requérant, dès lors que l'intéressé ne justifie d'aucun emploi depuis son arrivée en France. Dans ces conditions, les moyens tirés de la méconnaissance de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et des stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que de l'erreur d'appréciation doivent être écartés.
5. En second lieu, aux termes de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir peut se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié ", " travailleur temporaire " ou " vie privée et familiale " sans que lui soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1 (...) ".
6. Au vu de la situation de M. C... rappelée au point 4, la préfète des Deux-Sèvres n'a pas entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation en estimant que l'intéressé ne justifiait pas d'un motif exceptionnel ou d'une circonstance humanitaire au sens des dispositions de l'article L. 435-1 précité.
Sur la décision portant interdiction de retour sur le territoire :
7. En premier lieu, aux termes de l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. (...) ".
8. Il ressort des termes mêmes de ces dispositions que l'autorité compétente doit, pour décider de prononcer à l'encontre de l'étranger soumis à l'obligation de quitter le territoire français une interdiction de retour et en fixer la durée, tenir compte, dans le respect des principes constitutionnels, des principes généraux du droit et des règles résultant des engagements internationaux de la France, des quatre critères qu'elles énumèrent, sans pouvoir se limiter à ne prendre en compte que l'un ou plusieurs d'entre eux. La décision d'interdiction de retour doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement, de sorte que son destinataire puisse à sa seule lecture en connaître les motifs. Si cette motivation doit attester de la prise en compte par l'autorité compétente, au vu de la situation de l'intéressé, de l'ensemble des critères prévus par la loi, aucune règle n'impose que le principe et la durée de l'interdiction de retour fassent l'objet de motivations distinctes, ni que soit indiquée l'importance accordée à chaque critère.
9. Il incombe ainsi à l'autorité compétente qui prend une décision d'interdiction de retour d'indiquer dans quel cas susceptible de justifier une telle mesure se trouve l'étranger. Elle doit par ailleurs faire état des éléments de la situation de l'intéressé au vu desquels elle a arrêté, dans son principe et dans sa durée, sa décision, eu égard notamment à la durée de la présence de l'étranger sur le territoire français, à la nature et à l'ancienneté de ses liens avec la France et, le cas échéant, aux précédentes mesures d'éloignement dont il a fait l'objet. Elle doit aussi, si elle estime que figure au nombre des motifs qui justifie sa décision une menace pour l'ordre public, indiquer les raisons pour lesquelles la présence de l'intéressé sur le territoire français doit, selon elle, être regardée comme une telle menace. En revanche, si, après prise en compte de ce critère, elle ne retient pas cette circonstance au nombre des motifs de sa décision, elle n'est pas tenue, à peine d'irrégularité, de le préciser expressément.
10. Il ressort des termes de la décision contestée que la préfète des Deux-Sèvres a pris en compte la durée de présence sur le territoire de M. C..., dès lors que cet arrêté mentionne la date à laquelle il a déclaré être entré en France, le 8 décembre 2016, ainsi que la mesure d'éloignement dont il a fait l'objet le 27 octobre 2020 et qu'il n'a pas exécutée. En outre, la décision indique qu'il est célibataire et sans charge de famille. Si la préfète n'invoque pas de menace pour l'ordre public, elle a ainsi décidé de ne pas retenir cette circonstance dans le cadre de l'analyse de la situation du requérant et n'avait pas à le préciser expressément. La motivation retenue atteste de la prise en compte de l'ensemble des critères prévus par les dispositions citées au point 7. Par suite, la préfète des Deux-Sèvres n'a pas entaché sa décision d'insuffisance de motivation et il ne ressort ni de cette motivation ni d'aucune pièce du dossier que la préfète n'aurait pas procédé à un examen particulier de la situation personnelle de M. C....
11. En second lieu, aux termes de l'article L. 612-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque l'étranger s'est maintenu irrégulièrement sur le territoire au-delà du délai de départ volontaire, l'autorité administrative édicte une interdiction de retour. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. (...) ". Aux termes de l'article L. 612-8 du même code : " Lorsque l'étranger n'est pas dans une situation mentionnée aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative peut assortir la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. (...) ".
12. M. C... fait valoir que sa situation relève de l'article L. 612-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et non de l'article L. 612-8 du même code sur laquelle est fondée la décision en litige. Toutefois, les dispositions de l'article L. 612-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile s'appliquent aux situations dans lesquelles une décision d'interdiction de retour sur le territoire français est prise postérieurement à une décision d'obligation de quitter le territoire français. En l'espèce, postérieurement à la première obligation de quitter le territoire français qui lui a été notifiée le 27 octobre 2020, M. C... a présenté une demande de titre de séjour et était autorisé, dans le cadre de l'instruction de cette demande, à séjourner sur le territoire. Le préfet ne pouvait ainsi se fonder sur l'absence d'exécution de cette première obligation de quitter le territoire pour prendre une interdiction de retour sur le territoire sur le fondement de l'article L. 612-7. Il en résulte que la situation de l'intéressé, qui a fait l'objet d'une nouvelle obligation de quitter le territoire et d'une interdiction de retour sur le territoire prises simultanément le 19 octobre 2022, entrait bien dans le champ des dispositions de l'article L. 612-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par ailleurs, la décision en cause ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de M. C..., compte tenu des éléments de fait rappelés au point 4. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision portant interdiction de retour serait entachée d'une erreur de droit doit être écarté.
13. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 19 octobre 2022 de la préfète des Deux-Sèvres. Par suite, ses conclusions à fin d'injonction et d'astreinte et celles présentées sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent être écartées.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Une copie en sera adressée pour information à la préfète des Deux-Sèvres.
Délibéré après l'audience du 9 avril 2024 à laquelle siégeaient :
Mme Elisabeth Jayat, présidente,
M. Sébastien Ellie, premier conseiller,
Mme Héloïse Pruche-Maurin, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 mai 2024.
Le rapporteur,
Sébastien A...La présidente,
Elisabeth Jayat
La greffière,
Virginie Santana
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 23BX01895