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02/05/2024 | FRANCE | N°22BX00711

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 2ème chambre, 02 mai 2024, 22BX00711


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... D... et Mme C... A... ont demandé au tribunal administratif de Pau de condamner le département des Hautes-Pyrénées à leur verser la somme

de 34 601,53 euros en réparation des préjudices que leur a causé la chute d'un bloc de pierre sur leur véhicule alors qu'ils circulaient sur la route départementale n° 921,

le 25 janvier 2017.



Par un jugement n° 1901655 du 15 décembre 2021, le tribunal administratif de Pau a rejeté leur dema

nde, et partagé les dépens entre le département des Hautes-Pyrénées et les requérants.



Procédure devan...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... D... et Mme C... A... ont demandé au tribunal administratif de Pau de condamner le département des Hautes-Pyrénées à leur verser la somme

de 34 601,53 euros en réparation des préjudices que leur a causé la chute d'un bloc de pierre sur leur véhicule alors qu'ils circulaient sur la route départementale n° 921,

le 25 janvier 2017.

Par un jugement n° 1901655 du 15 décembre 2021, le tribunal administratif de Pau a rejeté leur demande, et partagé les dépens entre le département des Hautes-Pyrénées et les requérants.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 25 février 2022, M. B... D... et

Mme C... A..., représentés par Me Macera, demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Pau du 15 décembre 2021 ;

2°) de condamner le département des Hautes-Pyrénées à leur verser la somme

de 36 201,53 euros ;

3°) de mettre à la charge du département des Hautes-Pyrénées la somme

de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les dépens.

Ils soutiennent que :

- la réalité des préjudices physiques et psychologiques qu'ils ont subis est établie par les pièces médicales et notamment le rapport d'expertise ; ils ont également subi un préjudice matériel du fait de la destruction de leur véhicule et de leur matériel de sports d'hiver, ainsi qu'un préjudice financier résultant du paiement de deux rapports d'expertise et, pour Mme A..., du non-remboursement d'indemnités journalières et d'un mois de carence dans le paiement des indemnités de retour à l'emploi par Pôle Emploi ;

- ces préjudices ont pour cause directe la chute d'un rocher alors qu'ils circulaient sur la voie départementale reliant Luz -Saint-Sauveur et Villelongue ;

- la responsabilité du département doit être engagée sur le fondement du risque compte tenu du caractère exceptionnellement dangereux de cette voie, que met en évidence la fréquence d'accidents du même type ; des glissements de plaques se sont ainsi produits

en février 2015 ; le caractère exceptionnellement dangereux est également démontré par les importants travaux de sécurisation réalisés en 2016 puis en octobre 2021 et par la reconnaissance par la préfecture de la fréquence des chutes de pierre, notamment en période hivernale ;

- le département ne démontre pas avoir assuré un entretien normal de la voie et de ses abords, ni avoir mis en place des ouvrages suffisants pour prévenir les accidents ; la seule présence de panneaux de signalisation est insuffisante, alors que s'ils préviennent du danger, ils ne sont d'aucune utilité pour l'éviter ; le rapport de visite de l'Office national des forêts a été réalisé après l'accident ; quant aux fiches de patrouille, elles portent uniquement sur l'état de la route, et celle du jour de l'accident est vierge de toute information ; il est contradictoire de considérer que les chutes de pierre n'étaient pas imprévisibles et d'évaluer comme suffisantes les quelques actions réalisées par le département pour justifier de l'entretien normal qui lui incombe ;

- les préjudices physiques et moraux de Mme A... s'élèvent à 19 601,25 euros et ceux de M. D... à 9 142,50 euros ;

- leurs préjudices financiers comprennent le coût de l'expertise médicale (1 600 euros), le coût de l'expertise du véhicule (297 euros), l'absence de versement des indemnités journalières relatives à l'arrêt de travail de Mme A... du 26 janvier

au 10 février 2017 (228,15 euros) et le mois de carence dans le versement de l'allocation de retour à l'emploi (912,90 euros) ;

- les préjudices matériels correspondent à 3 840 euros pour le véhicule

et 579,73 euros pour le matériel de sports d'hiver.

Par un mémoire en défense enregistré le 15 juin 2022, le département des

Hautes-Pyrénées, représenté par la SELURL Phelip, conclut au rejet de la requête, et demande la réformation du jugement en tant qu'il a mis la moitié des frais d'expertise à sa charge, et la mise à la charge solidaire des requérants de la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :

- la survenue, à la supposer établie, de fréquentes chutes de pierre ne suffit pas à caractériser une dangerosité exceptionnelle justifiant un régime dérogatoire de responsabilité sans faute ; l'exposition au risque sur la voie concernée par l'accident n'est pas exceptionnelle puisqu'elle correspond à celui existant sur toute route de montagne bordée de parois rocheuses ; la réalisation de travaux de protection en 2016 ne saurait conduire à la reconnaissance d'un caractère exceptionnellement dangereux de la voie ;

- aucun défaut d'entretien de la voie ne peut lui être reproché ; la surveillance régulière des falaises et la signalisation appropriée du risque encouru sont la preuve de l'entretien normal de l'ouvrage ; onze panneaux de signalisation du danger sont positionnés sur la portion de route où s'est produit l'accident ; le lieu de l'accident ne présentait pas un risque spécifique de chute de pierre autre que celui auquel est exposé toute route de montagne ; l'évènement constitue un phénomène ponctuel résultant de l'érosion régressive qui a provoqué le décrochage d'un bloc erratique situé à une trentaine de mètres en amont de la route ; cette chute a été favorisée par les importantes précipitations au début du mois de janvier et une longue période de gel puis de dégel ; les tournées journalières de surveillance n'ont détecté aucun signe permettant d'anticiper le risque de chute du rocher ;

- l'indemnisation du déficit fonctionnel temporaire de Mme A..., qui a été minime, ne saurait excéder 400 euros, et celle des souffrances endurées 2 000 euros dès lors notamment que l'accident n'est pas à l'origine de l'état anxieux et des troubles de sommeil de la requérante ; la somme demandée au titre du déficit fonctionnel permanent peut être admise ; le traumatisme résultant de l'accident étant particulièrement limité, le préjudice moral ne peut excéder 1 000 euros ;

- M. D... n'a subi aucun déficit fonctionnel temporaire et le préjudice moral n'est pas caractérisé ; les souffrances endurées sont presque inexistantes et ne sauraient donner lieu au versement d'une somme excédant 300 euros ;

- faute d'apporter la preuve que leur assurance n'a pas pris en charge les conséquences matérielles de l'accident, leur demande de réparation doit être rejetée ; l'indemnité demandée pour le véhicule n'est pas justifiée puisque la valeur de l'épave n'a pas été indiquée dans l'expertise ; il n'est pas établi que leur matériel de sport ait été endommagé dans l'accident et, en tout état de cause, que le matériel racheté après l'accident était d'une qualité comparable à celui d'origine ;

- rien ne démontre que le coût des expertises n'a pas été pris en charge par les assureurs ; la situation de Mme A... par rapport à Pôle emploi est sans lien avec l'accident.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Olivier Cotte,

- les conclusions de Mme Charlotte Isoard, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. D..., Mme A..., sa compagne, et un ami rentraient,

le 25 janvier 2017, d'un séjour à la station de ski de Barèges et circulaient sur la route départementale n° 921 dans le sens Luz-Saint-Sauveur - Villelongue, lorsqu'un bloc rocheux s'est détaché de la paroi surplombant la voie et s'est écrasé sur l'arrière de leur véhicule. Mme A..., qui était installée sur le siège arrière, a été conduite au service des urgences du centre hospitalier de Lourdes, où ont été constatés un traumatisme crânien et cervical, une dermabrasion au niveau basithoracique droit et une anxiété majeure.

2. M. D... et Mme A... ont saisi le juge des référés du tribunal administratif de Pau afin que soit ordonnée une expertise médicale pour évaluer leurs préjudices. A la suite du dépôt du rapport le 21 décembre 2018, ils ont demandé réparation de leur dommage au département des Hautes-Pyrénées. Par un jugement du 15 décembre 2021 dont les intéressés relèvent appel, le tribunal administratif de Pau a rejeté leur demande et a partagé les dépens entre eux et le département des Hautes-Pyrénées.

3. Il appartient à l'usager, victime d'un dommage survenu sur une voie publique, de rapporter la preuve du lien de cause à effet entre l'ouvrage public et le dommage dont il se plaint. Une collectivité publique peut en principe s'exonérer de la responsabilité qu'elle encourt à l'égard des usagers d'un ouvrage public si elle apporte la preuve que ledit ouvrage a été normalement aménagé et entretenu ou que le dommage est imputable à la faute de la victime ou à un cas de force majeure. Sa responsabilité ne peut être engagée à l'égard des usagers, même en l'absence de tout défaut d'aménagement ou d'entretien normal, que lorsque l'ouvrage, en raison de la gravité exceptionnelle des risques auxquels sont exposés les usagers du fait de sa conception même, doit être regardé comme présentant par lui-même le caractère d'un ouvrage exceptionnellement dangereux.

4. Il résulte de l'instruction que le dommage subi par M. D... et Mme A... a été causé par la chute d'un rocher qui s'est détaché de la paroi surplombant la route départementale, du fait d'une déstabilisation d'un bloc erratique granitique par érosion régressive de ses appuis. D'une part, le seul fait qu'un important éboulement a eu lieu en février 2015 alors que l'ensemble de la chaîne pyrénéenne était placé en alerte pour un risque avalanche maximal, ou l'affirmation d'un intervenant sur un réseau social selon laquelle un accident mortel aurait déjà eu lieu " il y a une soixantaine d'années environ " ne permettent pas de caractériser un risque continu et avec un degré de gravité élevé, de nature à conférer à cette voie un caractère d'exceptionnelle dangerosité. De même, la réalisation, avant comme après l'accident, de travaux de sécurisation de la voie, avec des consolidations et des purges de la paroi rocheuse, ne permet pas de considérer que cette voie serait exposée à un risque supérieur à celui que comporte toute route de montagne, devant conduire à engager la responsabilité du département envers les usagers en l'absence d'un vice de conception, d'un défaut d'aménagement ou d'un défaut d'entretien normal. D'autre part, il n'est pas contesté que le danger est signalé par la présence de onze panneaux implantés dans la zone de l'accident, et il résulte de l'instruction qu'une surveillance journalière de l'état de la route est assurée par les agents du département et que des aménagements ont été réalisés à au moins deux endroits pour éviter les chutes de pierres sur la route. Dans ces conditions, le département des Hautes-Pyrénées justifie de l'entretien normal de la voie. Il s'ensuit que M. D... et Mme A... ne sont pas fondés à rechercher la responsabilité du département, que ce soit sur le terrain du risque ou du défaut d'entretien normal.

5. Il résulte de ce qui précède que M. D... et Mme A... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Pau a rejeté leur demande.

Sur les frais liés au litige :

6. En premier lieu, aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat. / Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties. (...) ".

7. Les premiers juges ont partagé la charge des dépens, correspondant à l'expertise ordonnée par le juge des référés, dont les frais ont été liquidés à hauteur de 1 600 euros, entre M. D... et Mme A... d'une part et le département des Hautes-Pyrénées d'autre part, à hauteur de 800 euros chacun. Il n'y a pas lieu de modifier cette répartition des dépens. Par suite, les conclusions des parties tendant à la réformation du jugement sur ce point doivent être rejetées.

8. En second lieu, les dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du département des

Hautes-Pyrénées, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que M. D... et Mme A... demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de ces derniers la somme que le département des Hautes-Pyrénées demande au même titre.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. D... et Mme A... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par le département des Hautes-Pyrénées sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... D..., à Mme C... A... et au département des Hautes-Pyrénées. Copie en sera adressée à la caisse primaire d'assurance maladie des Pyrénées-Atlantiques.

Délibéré après l'audience du 9 avril 2024 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, présidente,

Mme Anne Meyer, présidente assesseure,

M. Olivier Cotte, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 2 mai 2024.

Le rapporteur,

Olivier Cotte

La présidente,

Catherine Girault

Le greffier,

Fabrice Benoit

La République mande et ordonne au préfet des Hautes-Pyrénées en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22BX00711


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22BX00711
Date de la décision : 02/05/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: M. Olivier COTTE
Rapporteur public ?: Mme ISOARD
Avocat(s) : PHELIP & ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 12/05/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-05-02;22bx00711 ?
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