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18/04/2024 | FRANCE | N°23BX02521

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 1ère chambre, 18 avril 2024, 23BX02521


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 17 juillet 2023 par lequel le préfet de la Gironde a prononcé son expulsion du territoire français.



Par une ordonnance n°2304798 du 7 septembre 2023 enregistrée sous le n°2301539 auprès du tribunal administratif de Limoges, le tribunal administratif de Bordeaux a renvoyé le dossier de la requête de M. A... au tribunal administratif de Limoges.



Par un jug

ement n°2301493 et 2301539 du 11 septembre 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administrat...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 17 juillet 2023 par lequel le préfet de la Gironde a prononcé son expulsion du territoire français.

Par une ordonnance n°2304798 du 7 septembre 2023 enregistrée sous le n°2301539 auprès du tribunal administratif de Limoges, le tribunal administratif de Bordeaux a renvoyé le dossier de la requête de M. A... au tribunal administratif de Limoges.

Par un jugement n°2301493 et 2301539 du 11 septembre 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Limoges a rejeté ces demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 2 octobre 2023, M. B... A..., représenté par Me Cesso, demande à la cour :

1°) de lui accorder le bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire ;

2°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Limoges du 11 septembre 2023 ;

3°) d'annuler l'arrêté du 17 juillet 2023 par lequel le préfet de la Gironde a prononcé son expulsion du territoire français ainsi que celui du même jour fixant le pays de destination ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à Me Cesso sur le fondement des dispositions combinées de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridictionnelle et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et à défaut d'attribution de l'aide juridictionnelle, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement est irrégulier dès lors que le tribunal a statué avant l'expiration du délai de régularisation imparti par le greffe du tribunal pour produire la décision attaquée ; la décision du tribunal a été prise le 11 septembre 2023, soit moins de 15 jours après la demande de régularisation du greffe du tribunal du 30 août 2023 ;

- si la cour annule le jugement pour irrégularité, elle se trouvera saisie des moyens de légalité externe et interne soulevés dans son mémoire déposé le 14 septembre 2023 ; ces moyens sont recevables dès lors qu'ils ont été soulevés dans le délai de recours contentieux et le délai de régularisation ;

En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :

- le signataire de l'acte est incompétent ;

- la compétence pour fixer le pays de destination appartenait au préfet de département en application de l'article R. 613-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- il encourt des risques en cas de retour en Turquie en raison de son origine kurde.

En ce qui concerne l'expulsion du territoire français :

- le préfet de la Gironde n'était pas territorialement compétent pour prendre la décision attaquée en application de l'article R. 632-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : la décision attaquée aurait dû être prise par le préfet de la Corrèze dès lors qu'il est actuellement domicilié à Uzerche, en Corrèze, depuis plusieurs mois ;

- de ce fait, la commission départementale d'expulsion de la Gironde n'était pas compétente pour émettre un avis ;

- l'administration devra justifier que la procédure des articles L. 632-1 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile a été respectée et notamment qu'il a été informé avant d'être convoqué devant la commission départementale d'expulsion ;

- il ne représente pas une menace pour l'ordre public ;

- la décision d'expulsion du territoire français porte une atteinte excessive au droit au respect de sa vie familiale établie en France, droit protégé par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle porte atteinte à l'intérêt supérieur de son enfant mineur garanti par l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- compte tenu de l'ancienneté de son séjour en France, de sa situation familiale et de son intégration, la décision attaquée est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.

Par un mémoire en défense, enregistré le 9 février 2024, le préfet de la Gironde conclut au rejet de la requête.

Il soutient qu'il confirme les termes de son mémoire transmis en première instance dans cette affaire.

M. A... n'a pas été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 15 février 2024 en raison de la caducité de sa demande d'aide juridictionnelle.

Par une lettre du 22 mars 2024, les parties ont été informées en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrégularité de la composition de la formation de jugement qui a statué sur ses demandes.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Edwige Michaud,

- et les conclusions de M. Roussel Cera, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., de nationalité turque, est entré irrégulièrement en France en 2008. Il a obtenu un premier titre de séjour en 2014 et depuis cette date, il séjourne régulièrement sur le territoire français. Le 17 juillet 2023, le préfet de la Gironde a pris à son encontre des arrêtés d'expulsion du territoire français et fixant le pays de destination. M. A... a saisi le tribunal administratif de Bordeaux et celui de Limoges de deux requêtes distinctes, enregistrées les 29 août 2023 et 31 août 2023, tendant à l'annulation de l'arrêté du 17 juillet 2023 prononçant son expulsion. M. A... relève appel du jugement du 11 septembre 2023 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Limoges a rejeté ces deux demandes.

Sur les conclusions tendant à l'admission provisoire au bénéfice de l'aide juridictionnelle :

2. Par une décision du 15 février 2024, postérieure à l'enregistrement de la requête, le bureau d'aide juridictionnelle a constaté la caducité de la demande d'aide juridictionnelle présentée par M. A... le 9 octobre 2023. Il s'ensuit que les conclusions du requérant tendant à son admission provisoire au bénéfice de l'aide juridictionnelle sont devenues sans objet. Il n'y a, dès lors, plus lieu d'y statuer.

Sur la régularité du jugement :

3. Aux termes de l'article L. 3 du code de justice administrative : " Les jugements sont rendus en formation collégiale, sauf s'il en est autrement disposé par la loi ". Aux termes de l'article R.732-1 du code de justice administrative : " Après le rapport qui est fait sur chaque affaire par un membre de la formation de jugement ou par le magistrat mentionné à l'article R. 222-13, le rapporteur public prononce ses conclusions lorsque le présent code l'impose. (...). Lorsque le rapporteur public ne prononce pas de conclusions, notamment en application de l'article R. 732-1-1, le président donne la parole aux parties après le rapport. (...). ". L'irrégularité de la composition d'une formation de jugement est un moyen d'ordre public qui peut être invoqué à toute étape de la procédure et doit être relevé d'office par le juge.

4. Aux termes de l'article L. 776-1 du code de justice administrative : " Les modalités selon lesquelles le tribunal administratif examine les recours en annulation formés contre les obligations de quitter le territoire français, les décisions relatives au séjour qu'elles accompagnent, les interdictions de retour sur le territoire français et les interdictions de circulation sur le territoire français obéissent, sous réserve des articles L. 651-3 à L. 651-6, L. 652-3, L. 653-3, L. 761-3, L. 761-5, L. 761-9, L. 762-3 et L. 763-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, aux règles définies aux articles L. 614-2 à L. 614-19 du même code. ". Aux termes de l'article R. 776-1 du même code : " Sont présentées, instruites et jugées selon les dispositions du chapitre IV du titre I du livre VI du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'article L. 732-8 du même code, ainsi que celles du présent code, sous réserve des dispositions du présent chapitre, les requêtes dirigées contre : 1° Les décisions portant obligation de quitter le territoire français, prévues aux articles L. 241-1 et L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ainsi que les décisions relatives au séjour notifiées avec les décisions portant obligation de quitter le territoire français ; 2° Les décisions relatives au délai de départ volontaire prévues aux articles L. 251-3 et L. 612-1 du même code ; 3° Les interdictions de retour sur le territoire français prévues aux articles L. 612-6 à L. 612-8 du même code et les interdictions de circulation sur le territoire français prévues à l'article L. 241-4 dudit code ; 4° Les décisions fixant le pays de renvoi prévues à l'article L. 721-4 du même code ; 5° Les décisions d'assignation à résidence prévues aux articles L. 731-1, L. 751-2, L. 752-1 et L. 753-1 du même code. / Sont instruites et jugées dans les mêmes conditions les conclusions tendant à l'annulation d'une autre décision d'éloignement prévue au livre VI du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, à l'exception des décisions d'expulsions, présentées en cas de placement en rétention administration, en cas de détention ou dans le cadre d'une requête dirigée contre la décision d'assignation à résidence prise au titre de cette mesure. / Sont instruites et jugées dans les mêmes conditions les conclusions présentées dans le cadre des requêtes dirigées contre les décisions portant obligation de quitter le territoire français mentionnées au 1° du présent article, sur le fondement de l'article L. 752-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, tendant à la suspension de l'exécution de ces décisions d'éloignement. ". Aux termes de l'article R. 776-15 du même code : " Les jugements sont rendus, sans conclusions du rapporteur public, par le président du tribunal administratif ou le magistrat qu'il désigne à cet effet. (...). ". Aux termes de l'article R. 777-1 du même code : " Sont présentés, instruits et jugés selon les dispositions des articles L. 352-4 à L. 352-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et celles du présent code, sous réserve des dispositions du présent chapitre, les recours en annulation formés contre les décisions de refus d'entrée sur le territoire français au titre de l'asile et, le cas échéant, contre les décisions de transfert prononcées à la frontière. ".

5. Le jugement attaqué a été rendu par un magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Limoges, statuant seul et en l'absence de rapporteur public, sur le fondement des dispositions précitées des articles L. 776-1, R. 776-1, R. 776-15 et R. 777-1 du code de justice administrative. Or, aucune de ces dispositions ne prévoit que les recours contre les expulsions du territoire français puissent être jugés par une formation de jugement autre qu'une formation collégiale. Par suite, la composition de la formation de jugement du tribunal administratif de Limoges en date du 11 septembre 2023 était irrégulière.

6. En second lieu, aux termes de l'article R.612-1 du code de justice administrative : " Lorsque des conclusions sont entachées d'une irrecevabilité susceptible d'être couverte après l'expiration du délai de recours, la juridiction ne peut les rejeter en relevant d'office cette irrecevabilité qu'après avoir invité leur auteur à les régulariser. / Toutefois, la juridiction d'appel ou de cassation peut rejeter de telles conclusions sans demande de régularisation préalable pour les cas d'irrecevabilité tirés de la méconnaissance d'une obligation mentionnée dans la notification de la décision attaquée conformément à l'article R. 751-5. / La demande de régularisation mentionne que, à défaut de régularisation, les conclusions pourront être rejetées comme irrecevables dès l'expiration du délai imparti qui, sauf urgence, ne peut être inférieur à quinze jours. La demande de régularisation tient lieu de l'information prévue à l'article R. 611-7. ".

7. Le tribunal administratif de Limoges a rejeté comme irrecevables les demandes présentées par M. A... tendant à l'annulation de l'arrêté du 17 juillet 2023 prononçant son expulsion du territoire français au motif qu'il n'avait pas produit cet acte malgré une demande de régularisation. Il ressort du dossier de première instance que dans la requête n°2301493, le greffe du tribunal administratif de Limoges a par un courrier du 30 août 2023 demandé à M. A... de régulariser sa requête par la production de la décision attaquée dans un délai de 15 jours. Toutefois, le tribunal administratif de Limoges a rendu son jugement avant l'expiration de ce délai. En outre, la requête n°2301539 ne comporte pas de demande de régularisation, seul l'historique mentionnant une demande de régularisation en date du 8 septembre 2023. Dans ces conditions, M. A... est fondé à soutenir que le jugement est entaché d'une irrégularité pour avoir été rendu avant l'expiration du délai de régularisation de 15 jours imparti par le greffe et prévu par les dispositions précitées. Par suite, c'est à tort que le tribunal administratif de Limoges a rejeté comme irrecevable les demandes dont il était saisi.

8. Il résulte de ce qui précède que le jugement attaqué est irrégulier et doit par suite être annulé. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de renvoyer l'affaire devant le tribunal administratif de Limoges pour qu'il statue à nouveau sur la demande de M. A....

DECIDE :

Article 1er : Il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions de la requête tendant à l'admission de M. A... au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Limoges du 11 septembre 2023 est annulé.

Article 3 : M. A... est renvoyé devant le tribunal administratif de Limoges pour qu'il soit statué sur sa demande.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet de la Gironde.

Délibéré après l'audience du 28 mars 2024 à laquelle siégeaient :

Mme Christelle Brouard, présidente,

Mme Edwige Michaud, première conseillère,

Mme Kolia Gallier, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 avril 2024.

La rapporteure,

Edwige MichaudLa présidente,

Christelle Brouard-Lucas

La greffière,

Marion Azam Marche

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

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N° 23BX02521


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 23BX02521
Date de la décision : 18/04/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BROUARD-LUCAS
Rapporteur ?: Mme Edwige MICHAUD
Rapporteur public ?: M. ROUSSEL CERA
Avocat(s) : CESSO

Origine de la décision
Date de l'import : 05/05/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-04-18;23bx02521 ?
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