Vu la procédure suivante :
Procédure antérieure :
Mme F... B... et M. D... E... ont demandé au tribunal administratif de Pau d'annuler les arrêtés du 17 janvier 2023 par lesquels le préfet des Hautes-Pyrénées leur a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.
Par un jugement n° 2300326, 2300327 du 18 avril 2023, la présidente du tribunal administratif de Pau a rejeté leurs demandes.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 6 juillet 2023, Mme B... et M. E..., représentés par Me Pather, demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 18 avril 2023 du tribunal administratif de Pau ;
2°) d'annuler les arrêtés du 17 janvier 2023 du préfet des Hautes-Pyrénées ;
3°) d'enjoindre au préfet de leur délivrer une autorisation provisoire de séjour dans un délai d'une semaine ;
4°) de mettre à la charge de l'État le versement à son conseil d'une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Ils soutiennent que :
Sur la régularité du jugement :
- le jugement du tribunal administratif de Pau est irrégulier en qu'il n'a pas annulé les arrêtés en litige alors que deux arrêtés précédents, datés du 6 octobre 2022, pris à l'encontre des intéressés et portant sur la même situation ont été annulés par ce même tribunal ;
Sur les décisions portant obligation de quitter le territoire français :
- elles sont entachées d'une insuffisance de motivation qui révèle un défaut d'examen réel et sérieux de leur situation personnelle ;
- elles méconnaissent l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant dès lors qu'à la date des arrêtés en litige, la Cour nationale du droit d'asile n'avait pas encore statué sur la demande d'asile présentée au nom de leur enfant ;
- elles emportent des conséquences manifestement disproportionnées sur leur situation personnelle ;
Sur les décisions fixant le pays de renvoi :
- elles sont privées de base légale en raison de l'illégalité des décisions leur faisant obligation de quitter le territoire français ;
- elles méconnaissent les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elles méconnaissent l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant.
La requête a été communiquée au préfet des Hautes-Pyrénées qui n'a pas produit de mémoire en défense dans la présente instance.
Par une ordonnance du 11 décembre 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 5 février 2024.
Mme B... et M. E... ont obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par des décisions n° 2023/008330 du 27 juillet et n° 2023/006355 du 8 juin 2023 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Bordeaux.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. C... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B... et M. E..., ressortissants ivoiriens, déclarent être entrés en France le 18 avril 2021. Leurs demandes d'asile ont été rejetées par des décisions de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) du 22 septembre 2021, confirmées par des décisions de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) du 25 avril 2022. Par des arrêtés du 6 octobre 2022, le préfet des Hautes-Pyrénées leur a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. Par un jugement du 28 décembre 2022, le tribunal administratif de Pau a annulé les arrêtés du 6 octobre 2022 au motif que la demande d'asile présentée au nom de leur fille mineure était en cours d'instruction. Par une décision du 30 novembre 2022, l'OFPRA a rejeté la demande d'asile présentée au nom de leur enfant. Par deux nouveaux arrêtés du 17 janvier 2023, le préfet des Hautes-Pyrénées leur a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. Les intéressés relèvent appel du jugement du 18 avril 2023 par lequel la présidente du tribunal administratif de Pau a rejeté leurs demandes tendant à l'annulation des arrêtés du 17 janvier 2023.
Sur la légalité des arrêtés du 17 janvier 2023 :
3. D'une part, aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : / (...) 4° La reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusé à l'étranger ou il ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application des articles L. 542-1 et L. 542-2, (...) ; ". A... termes de l'article L. 521-3 du même code : " Lorsque la demande d'asile est présentée par un étranger qui se trouve en France accompagné de ses enfants mineurs, elle est regardée comme présentée en son nom et en celui de ses enfants ". A... termes de l'article L. 531-41 dudit code : " Constitue une demande de réexamen une demande d'asile présentée après qu'une décision définitive a été prise sur une demande antérieure (...) ". A... termes de l'article L. 541-1 de ce code : " Le demandeur d'asile dont l'examen de la demande relève de la compétence de la France et qui a introduit sa demande auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides bénéficie du droit de se maintenir sur le territoire français. A... termes de l'article L. 542-1 du même code : " En l'absence de recours contre la décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides dans le délai prévu à l'article L. 532-1, le droit de se maintenir sur le territoire français prend fin à la notification de cette décision. / Lorsqu'un recours contre la décision de rejet de l'office a été formé dans le délai prévu à l'article L. 532-1, le droit du demandeur de se maintenir sur le territoire français prend fin à la date de la lecture en audience publique de la décision de la Cour nationale du droit d'asile ou, s'il est statué par ordonnance, à la date de la notification de celle-ci. ".
4. Il résulte de ces dispositions qu'il appartient à l'étranger présent sur le territoire français et souhaitant demander l'asile de présenter une demande en son nom et, le cas échéant, en celui de ses enfants mineurs qui l'accompagnent. En cas de naissance ou d'entrée en France d'un enfant mineur postérieurement à l'enregistrement de sa demande, l'étranger est tenu, en application de l'article L 521-13 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, tant que l'OFPRA ou, en cas de recours, la CNDA, ne s'est pas prononcé, d'en informer cette autorité administrative ou cette juridiction. La décision rendue par l'Office ou par la CNDA est réputée l'être à l'égard du demandeur et de ses enfants mineurs. Ces dispositions ne font pas obstacle à ce que les parents d'un enfant né après l'enregistrement de leur demande d'asile présentent, postérieurement au rejet définitif de leur propre demande, une demande au nom de leur enfant. En ce cas, la demande ainsi présentée au nom du mineur doit alors être regardée comme une demande de réexamen au sens de l'article L. 531-41 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, laquelle ouvre droit au maintien sur le territoire français jusqu'à ce qu'il y soit statué.
5. D'autre part, aux termes de l'article L. 532-1 du même code : " A peine d'irrecevabilité, [les recours formés contre décisions de l'OFPRA] doivent être exercés dans le délai d'un mois à compter de la notification de la décision de l'office ". A... termes de l'article 9-4 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique : " Devant la Cour nationale du droit d'asile, le bénéfice de l'aide juridictionnelle est de plein droit, sauf si le recours est manifestement irrecevable. L'aide juridictionnelle est sollicitée dans un délai de quinze jours à compter de la notification de la décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides. Lorsqu'une demande d'aide juridictionnelle est adressée au bureau d'aide juridictionnelle de la cour, le délai prévu au premier alinéa de l'article L. 731-2 [repris à l'article L. 532-1] du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile est suspendu et un nouveau délai court, pour la durée restante, à compter de la notification de la décision relative à l'admission au bénéfice de l'aide juridictionnelle ".
6. Par ailleurs, aux termes de l'article 3-1 de la Convention internationale des droits de l'enfant du 26 janvier 1990 : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces stipulations, qui peuvent être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir, que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant. Elles sont applicables non seulement aux décisions qui ont pour objet de régler la situation personnelle d'enfants mineurs mais aussi à celles qui ont pour effet d'affecter, de manière suffisamment directe et certaine, leur situation.
7. Par une demande déposée au guichet unique de la préfecture des Hautes-Pyrénées le 21 juin 2022, Mme B... et M. E... ont sollicité l'asile au nom de leur fille mineure née le 1er février 2022. Cette demande présente, en application des dispositions précitées de l'article L. 531-41 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le caractère d'une demande de réexamen de la demande d'asile et non d'une demande initiale. Cette demande a été rejetée par une décision de l'OFPRA du 30 novembre 2022, notifiée le 19 décembre 2022. Il ressort en outre des pièces du dossier qu'une demande d'aide juridictionnelle auprès du bureau d'aide juridictionnelle de la CNDA a été déposée le 21 décembre 2022. Cette demande d'aide juridictionnelle, présentée dans le délai de quinze jours suivant la notification de la décision de l'OFPRA du 30 novembre 2022, a eu pour effet de suspendre le délai de recours contentieux devant la CNDA. Après une admission au bénéfice de l'aide juridictionnelle par une décision du 14 février 2023, un recours contre la décision de l'OFPRA a été enregistré le 1er mars 2023, soit dans le délai d'un mois suivant la décision du bureau d'aide juridictionnelle. Il ne ressort par ailleurs d'aucune pièce du dossier que la demande d'asile des intéressés au nom de leur fille relèverait de l'une des hypothèses, énumérées à l'article L. 542-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans lesquelles le droit de se maintenir sur le territoire français prend fin dès la décision de l'OFPRA. Il s'ensuit qu'au 17 janvier 2023, date de l'édiction des arrêtés en litige, Mme B... et M. E..., en qualité de représentants légaux de leur fille mineure, bénéficiaient du droit de se maintenir sur le territoire français en sa compagnie jusqu'à ce que la CNDA ait statué sur sa demande d'asile. Dans ces conditions, les intéressés sont fondés à soutenir qu'en prenant à leur encontre une obligation de quitter le territoire, laquelle n'entre en l'espèce dans aucune des hypothèses prévues par l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, a porté atteinte à l'intérêt supérieur de leur enfant tel qu'il est garanti par les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant. La décision portant obligation de quitter le territoire français doit ainsi être annulée de même que celle fixant le pays de renvoi, par voie de conséquence de l'annulation de l'obligation de quitter le territoire.
8. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme B... et M. E... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la présidente du tribunal administratif de Pau a rejeté leurs demandes.
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
9. A... termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. / La juridiction peut également prescrire d'office cette mesure. "
10. Dans la mesure où la CNDA a rejeté, par un arrêt n° 23008809 du 14 juin 2023 devenu définitif, la demande d'asile présentée au nom de l'enfant de Mme B... et de M. E..., les conclusions des requérants présentées à fin d'injonction ne peuvent qu'être rejetées dès lors qu'ils ne disposent plus, à la date du présent arrêt, du droit de se maintenir sur le territoire français sur le fondement de l'article L. 531-41 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Sur les frais exposés à l'occasion du litige :
11. Mme B... et M. E... ont obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, leur conseil peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances
de l'espèce, de mettre à la charge de l'État une somme globale de 1 500 euros à verser
à Me Pather.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Pau n° 2300326, 2300327 du 18 avril 2023
et les arrêtés du 17 janvier 2023 du préfet des Hautes-Pyrénées sont annulés.
Article 2 : L'État versera à Me Pather une somme globale de 1 500 euros au titre
des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de
la loi du 10 juillet 1991.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme F... B... et M. D... E... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Une copie en sera adressée pour information au préfet des Hautes-Pyrénées.
Délibéré après l'audience du 26 mars 2024 à laquelle siégeaient :
Mme Elisabeth Jayat, présidente,
M. Sébastien Ellie, premier conseiller,
Mme Héloïse Pruche-Maurin, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 avril 2024.
Le rapporteur,
Sébastien C...La présidente,
Elisabeth Jayat
La greffière,
Virginie Santana
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 23BX01870