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11/04/2024 | FRANCE | N°22BX00466

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 1ère chambre, 11 avril 2024, 22BX00466


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe d'ordonner à la rectrice de l'académie de la Guadeloupe de procéder à sa titularisation après la reconstitution de sa carrière depuis 1985, ainsi que la condamnation de l'Etat à indemniser ses préjudices résultant des fautes commises dans la gestion de sa carrière.



Par un jugement n° 1901417 du 19 novembre 2021, le tribunal administratif de la Guadeloupe a rejeté ses demandes.



Procédure devant la cour :



Par une requête, enregistrée le 10 février 2022, un mémoire...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe d'ordonner à la rectrice de l'académie de la Guadeloupe de procéder à sa titularisation après la reconstitution de sa carrière depuis 1985, ainsi que la condamnation de l'Etat à indemniser ses préjudices résultant des fautes commises dans la gestion de sa carrière.

Par un jugement n° 1901417 du 19 novembre 2021, le tribunal administratif de la Guadeloupe a rejeté ses demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 10 février 2022, un mémoire de régularisation enregistré le 10 avril 2023 et un mémoire enregistré le 4 mars 2024, Mme B..., représentée par Me Mongie, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 19 novembre 2021 ;

2°) d'enjoindre à la rectrice de l'académie de la Guadeloupe de procéder à sa

titularisation ;

3°) d'enjoindre à la rectrice de l'académie de la Guadeloupe de procéder à sa reconstitution de carrière ;

4°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 1 579 247,48 euros en réparation des préjudices subis dans la gestion de sa situation ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- le jugement est irrégulier dès lors que le recteur est réputé avoir acquiescé aux faits ;

- en application de l'article 2223 du code civil, le tribunal ne pouvait relever d'office le moyen tiré de la prescription de sa demande de titularisation du 18 décembre 1990 ;

- le tribunal a méconnu le principe du contradictoire prévu par l'article R. 611-1-14 du code de justice administrative en prenant en compte les observations et pièces produites par le rectorat le jour de l'audience ;

- en application de l'article R. 612-1 du code de justice administrative, le tribunal ne pouvait lui opposer l'absence de réclamation préalable sans l'avoir préalablement mis à même de régulariser cette irrecevabilité et lui accorder un délai de 15 jours ;

- les ordonnances du 31 juillet 2017 du tribunal administratif de la Guadeloupe et du 5 juin 2018 de la cour administrative d'appel de Bordeaux citées dans le jugement n'ont pas été versées aux débats ; le jugement inhérent aux deux ordonnances concernant la déqualification de son contrat n'a été rendu que le 19 novembre 2021 et était donc encore contestable ;

- s'agissant de l'autorité de la chose jugée, le tribunal ne pouvait mettre sur le même plan la procédure du jugement du 18 décembre 2014 et l'action introduite devant le tribunal administratif en 2007 ;

- son recrutement en contrats à durée déterminée successifs la maintenait dans une situation de précarité alors que ces contrats avaient pour objet de faire face à l'activité permanente de l'administration ; elle aurait donc dû être titularisée et ses contrats requalifiés ; elle a été confrontée à une promesse déguisée du recteur ;

- elle a adressé une demande préalable au recteur dont elle justifie de la réception, sa demande indemnitaire était donc recevable.

Par un mémoire en défense enregistré le 17 février 2024, et un mémoire non communiqué enregistré le 26 février 2024, le recteur conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- l'acquiescement aux faits ne pouvait être retenu dès lors que sa représentante a présenté des observations lors de l'audience publique du 5 novembre 2021 ;

- la demande indemnitaire de 2019 ne peut être accueillie en raison de l'autorité de la chose jugée qui s'attache au rejet pour irrecevabilité passé en force de choses jugées de demandes indemnitaires ayant le même objet et fondées sur la même cause ;

- les conclusions d'injonction présentées devant le tribunal administratif à titre principal étaient irrecevables ;

- dès lors que la requérante n'apporte pas la preuve de la réception de sa demande d'origine en 2007 par l'administration, sa demande est irrecevable ;

- les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 17 mars 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la directive 1999/70/CE du Conseil du 28 juin 1999 ;

- le code civil ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

- la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 ;

- la loi n° 2005-843 du 26 juillet 2005 ;

- le décret n° 62-379 du 3 avril 1962 ;

- le décret n° 73-833 du 10 août 1973 ;

- le décret n°86-83 du 17 janvier 1986 relatif aux dispositions générales applicables aux agents non titulaires de l'Etat pris pour l'application de l'article 7 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Christelle Brouard-Lucas,

- les conclusions de M. Romain Roussel Cera, rapporteur public,

Considérant ce qui suit :

1. Mme B... a exercé en qualité de maitresse auxiliaire dans le ressort de l'académie de la Guadeloupe à partir du 10 janvier 1985. Elle était affectée en dernier lieu sur un poste de remplacement pour l'année scolaire 2006-2007 et a été licenciée pour insuffisance professionnelle à compter du 1er juin 2007 par un arrêté du 30 avril 2007. Elle a demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe d'ordonner à la rectrice de l'académie de la Guadeloupe de procéder à sa titularisation et la reconstitution de sa carrière depuis 1985 ainsi que de condamner l'Etat à indemniser les préjudices résultant de son licenciement et les préjudices résultant de son maintien illégal dans la précarité. Elle relève appel du jugement du 19 novembre 2021 par lequel le tribunal administratif de la Guadeloupe a rejeté ses demandes.

Sur la régularité du jugement :

2. En premier lieu, le moyen tiré de ce jugement est irrégulier " dès lors que le recteur est réputé avoir acquiescé aux faits " n'est pas assorti de précisions suffisantes pour permettre à la cour d'en apprécier le bien-fondé. Au demeurant, l'acquiescement aux faits du recteur était sans incidence sur les moyens retenus par les premiers juges, qui avaient été soulevés d'office au vu des pièces du dossier pour rejeter les demandes de Mme B... comme irrecevables.

3. En deuxième lieu, contrairement à ce que soutient la requérante, les premiers juges n'ont pas retenu que sa demande de titularisation était frappée de prescription. Par suite, le moyen tiré de ce que le jugement serait irrégulier dès lors que le tribunal a soulevé d'office le moyen tiré de la prescription de sa demande de titularisation du 18 décembre 1990 en méconnaissance des dispositions de l'article 2223 du code civil doit être écarté, ces dispositions n'ayant au demeurant pas vocation à s'appliquer en l'espèce.

4. En quatrième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que le recteur aurait produit des pièces lors de l'audience ni que le tribunal se serait fondé sur les observations présentées lors de cette audience et non communiquées à Mme B.... Par suite, le moyen tiré de ce que le jugement a été rendu en méconnaissance du principe du contradictoire prévu par l'article R. 611-1-14 du code de justice administrative doit être écarté.

5. En cinquième lieu, aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative : " (...) Lorsque la requête tend au paiement d'une somme d'argent, elle n'est recevable qu'après l'intervention de la décision prise par l'administration sur une demande préalablement formée devant elle. (...) " . Selon l'article R. 421-2 de ce code : " Sauf disposition législative ou réglementaire contraire, dans les cas où le silence gardé par l'autorité administrative sur une demande vaut décision de rejet, l'intéressé dispose, pour former un recours, d'un délai de deux mois à compter de la date à laquelle est née une décision implicite de rejet. Toutefois, lorsqu'une décision explicite de rejet intervient avant l'expiration de cette période, elle fait à nouveau courir le délai de recours. / La date du dépôt de la demande à l'administration, constatée par tous moyens, doit être établie à l'appui de la requête. (...) ". Aux termes de l'article R. 612-1du même code : " Lorsque des conclusions sont entachées d'une irrecevabilité susceptible d'être couverte après l'expiration du délai de recours, la juridiction ne peut les rejeter en relevant d'office cette irrecevabilité qu'après avoir invité leur auteur à les régulariser. (...) La demande de régularisation mentionne que, à défaut de régularisation, les conclusions pourront être rejetées comme irrecevables dès l'expiration du délai imparti qui, sauf urgence, ne peut être inférieur à quinze jours. La demande de régularisation tient lieu de l'information prévue à l'article R. 611-7. " Enfin, aux termes de l'article R. 611-7 de ce code : " Lorsque la décision lui paraît susceptible d'être fondée sur un moyen relevé d'office, le président de la formation de jugement ou, au Conseil d'Etat, la sous-section chargée de l'instruction en informe les parties avant la séance de jugement et fixe le délai dans lequel elles peuvent, sans qu'y fasse obstacle la clôture éventuelle de l'instruction, présenter leurs observations sur le moyen communiqué " ;

6. Il résulte de ces dispositions qu'une requête est irrecevable et doit être rejetée comme telle lorsque son auteur n'a pas, en dépit d'une invitation à régulariser, produit la preuve du dépôt d'une demande préalable à l'administration. L'invitation à régulariser doit impartir au requérant un délai pour verser ces éléments au dossier, en précisant qu'à défaut, sa requête pourra être rejetée comme irrecevable dès l'expiration de ce délai. Une lettre informant les parties, en application de l'article R. 611-7 du même code, que la décision est susceptible d'être fondée sur un moyen relevé d'office et tiré de l'absence de production d'une telle preuve, sans mentionner la possibilité de régulariser la requête ni fixer un délai à cette fin, ne saurait tenir lieu d'une telle invitation.

7. Pour rejeter comme irrecevable les demandes de Mme B... tendant à obtenir l'indemnisation des préjudices nés de son maintien illégal dans une situation de précarité, le tribunal administratif de la Guadeloupe a retenu que la requérante ne justifiait de la réception de la demande préalable dont elle se prévalait par l'administration. Toutefois, si le tribunal administratif a informé les parties, le 26 octobre 2021, que le jugement était susceptible d'être fondé sur un moyen d'ordre public tiré de l'absence de preuve du dépôt de cette demande, il n'a pas invité Mme B... à régulariser sa requête. Le tribunal a donc méconnu les dispositions combinées des articles R. 421-1 et R. 612-1 précités du code de justice administrative. Par suite, et, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre moyen d'irrégularité, le jugement doit être annulé, pour ce motif, en tant qu'il a statué sur les conclusions à obtenir l'indemnisation des préjudices nés du maintien illégal de la requérante dans une situation de précarité.

8. Il y a lieu pour la cour de se prononcer immédiatement sur ces conclusions par la voie de l'évocation et de statuer par l'effet dévolutif de l'appel sur les autres conclusions présentées par Mme B... devant le tribunal administratif de la Guadeloupe.

Sur les demandes tendant à obtenir la réparation des préjudices résultant du licenciement prononcé le 30 avril 2007 :

9. En se bornant à soutenir que, " s'agissant de l'autorité de la chose jugée, le tribunal ne pouvait mettre sur le même plan la procédure du jugement du 18 décembre 2014 et l'action introduite devant le tribunal administratif en 2007 ", Mme B... ne conteste pas utilement l'autorité de la chose jugée qui lui a été opposée par le tribunal pour rejeter ses demandes tendant à obtenir la réparation des préjudices résultant du licenciement prononcé le 30 avril 2007, fondée sur la circonstance que par un jugement du tribunal administratif de la Guadeloupe en date du 18 décembre 2014 et deux arrêts de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 7 mars 2017 portant le n°15BX00760 et du 6 juillet 2021 portant le n° 20BX00878, il a été statué définitivement sur la cause et les conséquences du licenciement de Mme B... prononcé le 30 avril 2007.

Sur les demandes tendant à ce qu'il soit enjoint au recteur de procéder à sa titularisation après la reconstitution de sa carrière depuis 1985 :

10. Mme B... n'articule aucun moyen à l'encontre du jugement attaqué en tant qu'il a rejeté comme irrecevables ses conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint au recteur de procéder à sa titularisation après la reconstitution de sa carrière depuis 1985.

11. Il résulte de ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Guadeloupe a rejeté ses conclusions tendant à obtenir la réparation des préjudices résultant du licenciement prononcé le 30 avril 2007 et qu'il soit enjoint au recteur de procéder à sa titularisation après la reconstitution de sa carrière depuis 1985.

Sur les conclusions tendant à obtenir la réparation des préjudices résultant de son maintien illégal dans une situation de précarité :

En ce qui concerne la recevabilité de la demande :

12. Au soutien de la présente requête, Mme B... se prévaut d'une demande indemnitaire en date du 21 octobre 2019 adressée au rectorat de la Guadeloupe tendant à l'indemnisation du préjudice résultant de " la relation contractuelle illégale " qui avait conduit à son maintien durant pendant près de trente ans dans la précarité et verse pour la première fois en appel l'accusé de réception de ce courrier par les services du rectorat le 6 novembre 2019. La fin de non-recevoir soulevée par le recteur tirée de l'absence de réclamation préalable doit donc être écartée.

En ce qui concerne la responsabilité :

13. En premier lieu il résulte de l'instruction que le jugement du tribunal administratif de la Guadeloupe n°1100225 du 18 décembre 2014 a rejeté les conclusions de Mme B... tendant à obtenir une indemnisation au titre de la requalification de son contrat de travail et de sa reconstitution de carrière sans examiner le bien-fondé de ses prétentions, au motif que la demande préalable adressée au recteur le 21 mars 2011 ne comportant pas de demande à ce titre, sa demande présentée devant le tribunal administratif était irrecevable. Il n'a pas été fait appel de ce jugement par Mme B.... Sa demande tendant aux mêmes fins a été rejetée par une ordonnance n°1500227 du 31 juillet 2017 du tribunal administratif de la Guadeloupe comme irrecevable faute de justifier de l'existence d'une demande préalable, irrecevabilité également retenue par la cour administrative de Bordeaux sur appel de Mme B... dans son arrêt n°17BX03238 du 5 juin 2018. Enfin, une nouvelle demande ayant le même objet a également été rejetée par une ordonnance n°1900701 du 11 juillet 2019 du président du tribunal administratif de la Guadeloupe comme irrecevable faute de réclamation préalable, et il a été donné acte du désistement de Mme B... de son appel par un arrêt n°19BX03760 de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 14 janvier 2020. Ainsi, contrairement à ce que soutient le recteur, dès lors que ces décisions ne se sont pas prononcées sur le bien-fondé de la demande de Mme B..., elles ne sauraient être regardées comme faisant obstacle, pour un motif tiré de l'autorité de la chose jugée, à ce que qu'elle puisse présenter une nouvelle demande ayant le même objet.

14. En deuxième lieu, aux termes de l'article 73 de la de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat : " Les agents non titulaires qui occupent un emploi présentant les caractéristiques définies à l'article 3 du titre Ier du statut général ont vocation à être titularisés, sur leur demande, dans des emplois de même nature qui sont vacants ou qui seront créés par les lois de finances, sous réserve : 1° Soit d'être en fonctions à la date de publication de la loi n° 83-481 du 11 juin 1983, (...) ". Aux termes de l'article 74 de cette loi : " Ont également vocation à être titularisés, sur leur demande, dans les conditions fixées à l'article précédent : 1° Les personnels civils de coopération culturelle, scientifique et technique en fonction auprès d'Etats étrangers ou de l'organisme auprès duquel ils sont placés, (...) 2° Les personnels civils des établissements et organismes de diffusion culturelle ou d'enseignement situés à l'étranger considérés comme des services déconcentrés du ministère des relations extérieures (...) Les enseignants non titulaires chargés de fonctions dans des établissements d'enseignement supérieur au titre de la loi n° 72-659 du 13 juillet 1972 précitée, qui ont exercé leurs fonctions pendant deux ans à temps plein dans l'enseignement supérieur (...) ". Aux termes de l'article 76 de cette même loi : " Les agents non titulaires qui occupent, à temps partiel, un emploi présentant les caractéristiques définies à l'article 3 du titre Ier du statut général ont vocation à être titularisés, s'ils remplissent les conditions prévues à l'article 73 (...) ".

15. Il ne résulte pas de l'instruction que Mme B... était en fonction à la date de publication de la loi n° 83-481 du 11 juin 1983, dès lors le moyen tiré de ce qu'elle aurait dû être titularisée en application des dispositions transitoires prévues aux articles 73, 74 et 76 de la loi du 11 janvier 1984 ne peut qu'être écarté. De ce fait elle ne peut davantage se prévaloir des dispositions des deuxième et troisième alinéas de l'article 8 du décret du 17 janvier 1986, qui prévoient que les agents recrutés avant le 14 juin 1983 qui n'ont pas été titularisés en application de ces dispositions et dont le contrat a été renouvelé au moins une fois, sont réputés être employés pour une durée indéterminée.

16. En troisième lieu, il résulte de l'instruction que Mme B... ne remplit pas les conditions de l'article 34 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations qui concerne les agents qui occupent soit des fonctions du niveau de la catégorie C concourant à l'entretien ou au gardiennage de services administratifs ou au fonctionnement de services administratifs de restauration, des hôtels de représentation du Gouvernement dans les régions et les départements, des hôtels de commandement ou des services d'approvisionnement relevant du ministère de la défense. Par suite, le moyen tiré de ce qu'elle aurait dû bénéficier d'un contrat à durée indéterminée en application de ces dispositions doit être écarté.

17. En quatrième lieu, il ne résulte pas de l'instruction que la situation de Mme B... relevait des dispositions du décret n° 73-833 du 10 août 1973, qui ont vocation à s'appliquer aux personnels enseignants spéciaux de l'ex-département de la Seine et aux maitres auxiliaires de l'Etat non titulaires ayant dispensé à l'étranger un enseignant du second degré.

18. En cinquième lieu, aux termes de l'article 13 de la loi du 26 juillet 2005 portant diverses mesures de transposition du droit communautaire à la fonction publique : " I. - Lorsque l'agent, recruté sur un emploi permanent, est en fonction à la date de publication de la présente loi ou bénéficie, à cette date, d'un congé, en application des dispositions du décret mentionné à l'article 7 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat, le renouvellement de son contrat est soumis aux conditions prévues aux quatrième, cinquième et sixième alinéas de l'article 4 de la même loi./Lorsque, à la date de publication de la présente loi, l'agent est en fonction depuis six ans au moins, de manière continue, son contrat ne peut, à son terme, être reconduit que par décision expresse et pour une durée indéterminée. II. - Le contrat est, à la date de publication de la présente loi, transformé en contrat à durée indéterminée, si l'agent satisfait, le 1er juin 2004 ou au plus tard au terme de son contrat en cours, aux conditions suivantes :1° Etre âgé d'au moins cinquante ans ;2° Etre en fonction ou bénéficier d'un congé en application des dispositions du décret mentionné à l'article 7 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 précitée ;3° Justifier d'une durée de services effectifs au moins égale à six ans au cours des huit dernières années ;4° Occuper un emploi en application de l'article 4 ou du premier alinéa de l'article 6 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 précitée, dans les services de l'Etat ou de ses établissements publics administratifs. "

19. D'une part, il résulte de l'instruction que la situation de Mme B... ne rentrait pas dans les conditions prévues au II de cet article. D'autre part, en l'absence de tout élément sur sa situation entre juin 1998 et le 1er septembre 2001, Mme B... n'établit pas qu'elle était en fonction depuis six ans au moins de manière continue sur un emploi permanent à la date de publication de la loi du 26 juillet 2005. Enfin, il résulte de l'instruction qu'elle était affectée au titre de l'année 2002-2003 sur un poste de remplacement d'un professeur absent dans la matière lettres-histoire, ainsi, si elle a occupé des postes permanents dans la matière anglais à partir de l'année scolaire 2003, elle n'avait pas atteint la durée de six ans prévue à l'article 4 de la loi du 11 janvier 1984 lors du dernier renouvellement de son contrat. Au demeurant, il résulte de l'instruction qu'elle s'est vue proposer le 27 octobre 2006 un contrat à durée indéterminée en qualité de maîtresse-auxiliaire qu'elle a signé. Si la requérante soutient que ce contrat serait un faux antidaté, elle ne l'établit pas alors qu'elle produit à la fois ce contrat signé par ses soins et le bordereau d'envoi de ce contrat, la seule circonstance que ce bordereau est daté du 29 mai 2007 n'étant pas de nature à justifier d'une quelconque fraude. Par suite, le moyen tiré de ce que le rectorat aurait commis une faute en ne lui proposant pas un contrat à durée indéterminée en application de ces dispositions doit être écarté.

20. En sixième lieu, aux termes de l'article 1er du décret du 3 avril 1962 fixant les dispositions applicables aux maîtres auxiliaires des écoles normales primaires, des lycées classiques, modernes et techniques et des collèges d'enseignement technique et aux maîtres d'éducation physique relevant du haut-commissariat à la jeunesse et aux sports dans sa version applicable jusqu'au 1er janvier 2020 : " Les dispositions du présent décret sont applicables à tous les maîtres auxiliaires en fonctions dans les établissements des enseignements classiques, modernes, techniques et professionnels, dans les écoles normales primaires, dans les centres nationaux du 1er degré et dans les établissements d'enseignement et services relevant du haut-commissariat à la jeunesse et aux sports./Entrent dans la catégorie des maîtres auxiliaires et sont soumis à l'ensemble des dispositions applicables à ce personnel tous les maîtres chargés par les recteurs, et à titre essentiellement précaire, soit : D'assurer l'intérim d'un emploi vacant de professeur titulaire ; D'assurer la suppléance d'un professeur en congé de maladie ou de maternité ; De donner pendant tout ou partie de l'année scolaire un enseignement constituant un service incomplet ; Ou d'assurer un service complet d'enseignement constitué par un groupement d'heures supplémentaires. "

21. Aux termes de l'article 1er de la directive 1999/70/CE du Conseil du 28 juin 1999 concernant l'accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée : " La présente directive vise à mettre en œuvre l'accord cadre sur le travail à durée déterminée, figurant en annexe, conclu le 18 mars 1999 entre les organisations interprofessionnelles à vocation générale (CES, UNICE, CEEP) ". Aux termes de l'article 2 de cette directive : " Les États membres mettent en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la présente directive au plus tard le 10 juillet 2001 ou s'assurent, au plus tard à cette date, que les partenaires sociaux ont mis en place les dispositions nécessaires par voie d'accord, les États membres devant prendre toute disposition nécessaire leur permettant d'être à tout moment en mesure de garantir les résultats imposés par la présente directive. (...) ". En vertu des stipulations de la clause 5 de l'accord-cadre annexé à la directive, relative aux mesures visant à prévenir l'utilisation abusive des contrats à durée déterminée : " 1. Afin de prévenir les abus résultant de l'utilisation de contrats ou de relations de travail à durée déterminée successifs, les États membres, après consultation des partenaires sociaux, conformément à la législation, aux conventions collectives et pratiques nationales, et/ou les partenaires sociaux, quand il n'existe pas des mesures légales équivalentes visant à prévenir les abus, introduisent d'une manière qui tienne compte des besoins de secteurs spécifiques et/ou de catégories de travailleurs, l'une ou plusieurs des mesures suivantes : a) des raisons objectives justifiant le renouvellement de tels contrats ou relations de travail ; b) la durée maximale totale de contrats ou relations de travail à durée déterminée successifs ; c) le nombre de renouvellements de tels contrats ou relations de travail. 2. Les États membres, après consultation des partenaires sociaux et/ou les partenaires sociaux, lorsque c'est approprié, déterminent sous quelles conditions les contrats ou relations de travail à durée déterminée : a) sont considérés comme "successifs" ; b) sont réputés conclus pour une durée indéterminée ".

22. Il résulte des dispositions de cette directive, telles qu'elles ont été interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne, qu'elles imposent aux États membres d'introduire de façon effective et contraignante dans leur ordre juridique interne, s'il ne le prévoit pas déjà, l'une au moins des mesures énoncées aux a) à c) du paragraphe 1 de la clause 5, afin d'éviter qu'un employeur ne recoure de façon abusive au renouvellement de contrats à durée déterminée. Lorsque l'État membre décide de prévenir les renouvellements abusifs en recourant uniquement aux raisons objectives prévues au a), ces raisons doivent tenir à des circonstances précises et concrètes de nature à justifier l'utilisation de contrats de travail à durée déterminée successifs. Il ressort également de l'interprétation de la directive retenue par la Cour de justice de l'Union européenne que le renouvellement de contrats à durée déterminée afin de pourvoir au remplacement temporaire d'agents indisponibles répond, en principe, à une raison objective au sens de la clause citée ci-dessus, y compris lorsque l'employeur est conduit à procéder à des remplacements temporaires de manière récurrente, voire permanente, alors même que les besoins en personnel de remplacement pourraient être couverts par le recrutement d'agents sous contrats à durée indéterminée. Dès lors que l'ordre juridique interne d'un État membre comporte, dans le secteur considéré, d'autres mesures effectives pour éviter et, le cas échéant, sanctionner l'utilisation abusive de contrats de travail à durée déterminée successifs au sens du point 1 de la clause 5 de l'accord, la directive ne fait pas obstacle à l'application d'une règle de droit national interdisant, pour certains agents publics, de transformer en un contrat de travail à durée indéterminée une succession de contrats de travail à durée déterminée qui, ayant eu pour objet de couvrir des besoins permanents et durables de l'employeur, doivent être regardés comme abusifs.

23. Si les dispositions de l'article 1er du décret du 3 avril 1962 permettaient à l'Etat de recourir à des contrats à durée déterminée pour faire face à des besoins temporaires dans les établissements d'enseignement, elles ne font pas obstacle à ce qu'en cas de renouvellement abusif de tels contrats à durée déterminée, l'agent concerné puisse se voir reconnaître un droit à l'indemnisation du préjudice éventuellement subi lors de l'interruption de la relation d'emploi, évalué en fonction des avantages financiers auxquels il aurait pu prétendre en cas de licenciement s'il avait été employé dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée. Il incombe au juge, pour apprécier si le recours à des contrats à durée déterminée successifs présente un caractère abusif, de prendre en compte l'ensemble des circonstances de fait qui lui sont soumises, notamment la nature des fonctions exercées, le type d'organisme employeur ainsi que le nombre et la durée cumulée des contrats en cause.

24. Il résulte de l'instruction que Mme B... a été recrutée de manière quasiment continue de septembre 1985 au 1er juin 2007, date de son licenciement, le recteur ne contestant pas qu'elle a bénéficié de contrats pendant les périodes pour lesquelles elle ne produit pas de justificatifs entre 1998 et 2001 et pour l'année scolaire 2004-2005. Si ces fonctions ont pour une partie d'entre elles porté sur des remplacements d'agents absents, elles ont aussi porté sur des postes temporairement vacants, parfois plusieurs années de suite dans le même établissement et pour les dernières années sur des postes de remplaçants de zone, et elles ont donné lieu à plus de 18 arrêtés de recrutement. Dans ces conditions, l'Etat doit être regardé comme ayant eu recours de façon abusive à une succession de contrats à durée déterminée et commis une faute de nature à engager sa responsabilité.

En ce qui concerne le préjudice :

25. En premier lieu Mme B... demande l'indemnisation d'un préjudice de perte de chance de choisir une autre carrière dans laquelle elle aurait pu bénéficier de la sécurité de l'emploi et d'une évolution professionnelle. Toutefois, ainsi qu'il a été dit aux points 14 à 19, il ne résulte pas de l'instruction qu'elle aurait pu bénéficier d'une titularisation ou d'un contrat à durée indéterminé avant celui qui lui a été proposé en 2006. Par ailleurs, alors que tous les arrêtés de recrutement font état du caractère précaire de ses affectations et qu'il ne résulte pas de l'instruction que l'administration lui aurait fait des promesses d'évolution vers un statut pérenne, le lien de causalité entre la perte de chance invoquée et la faute retenue fondée sur le recours abusif à des contrats à durée déterminée n'est pas établi. Par suite, ses demandes à ce titre ne peuvent être accueillies.

26. En deuxième lieu, le préjudice tiré de la durée excessive de la procédure ne résulte pas de la faute de l'administration mais des propres agissements de Mme B... dans le cadre des contentieux qu'elle a engagés et notamment de l'absence de justification de l'existence d'une demande préalable.

27. En troisième lieu dès lors qu'il ne résulte pas de l'instruction que les textes invoqués par Mme B... lui ouvraient droit à titularisation ou à la conclusion d'un contrat à durée indéterminée, ses demandes tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser les sommes correspondantes à la requalification de ses contrats avec des rappels de salaires ainsi qu'une indemnité de reconstitution de carrière ne peuvent qu'être rejetées.

28. En quatrième lieu, Mme B... ne précise pas la nature du préjudice financier en lien avec la précarité de sa situation dont elle demande la réparation à hauteur de 70 000 euros. En outre ainsi qu'il a été dit, le préjudice indemnisable dans le cadre du recours abusif à des contrats à durée déterminée doit être évalué en fonction des avantages financiers auxquels l'intéressée aurait pu prétendre en cas de licenciement si elle avait été employée dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée. Or il résulte de l'instruction que Mme B... a déjà été indemnisée par l'Etat dans ce cadre par le versement d'une indemnité de licenciement en exécution des arrêts de la cour administrative d'appel de Bordeaux n°15BX00760 du 7 mars 2017 et n°20BX00878 du 6 juillet 2021.

29. En cinquième lieu, il sera fait une juste appréciation du préjudice moral subi par Mme B..., du fait de la précarité dans laquelle elle a été illégalement maintenue pendant une période de 22 ans en le fixant à la somme de 5 000 euros.

30. Il résulte de ce qui précède que Mme B... est seulement fondée à obtenir la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 5 000 euros.

Sur les frais de l'instance :

31. Mme B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son conseil peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État une somme de 1 500 euros à verser à Me Mongie.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1901417 du 19 novembre 2021 du tribunal administratif de la Guadeloupe est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions de la demande de Mme B... tendant à obtenir l'indemnisation des préjudices nés de son maintien illégal dans une situation de précarité.

Article 2 : L'Etat versera une somme de 5 000 euros à Mme B....

Article 3 : L'État versera à Me Mongie une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme B... et le surplus de sa demande devant le tribunal administratif de la Guadeloupe sont rejetés.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B..., à la ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse et à Me Amélie Mongie.

Copie en sera adressée à la rectrice de la Guadeloupe.

Délibéré après l'audience du 14 mars 2024, à laquelle siégeaient :

M. Jean-Claude Pauziès, président,

Mme Christelle Brouard-Lucas, présidente-assesseure,

Mme Kolia Gallier, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 11 avril 2024.

La rapporteure,

Christelle Brouard-LucasLe président,

Jean-Claude Pauziès

La greffière,

Stéphanie Larrue

La République mande et ordonne à la ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 22BX00466 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 22BX00466
Date de la décision : 11/04/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. PAUZIÈS
Rapporteur ?: Mme Christelle BROUARD-LUCAS
Rapporteur public ?: M. ROUSSEL CERA
Avocat(s) : RONCIN

Origine de la décision
Date de l'import : 21/04/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-04-11;22bx00466 ?
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