Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La SCI Levo a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 24 février 2022 par lequel le maire de la commune de Pessac a opposé un sursis à statuer à sa demande permis de construire une résidence de 12 logements sur un terrain situé 7 avenue du Bourgailh à Pessac.
Par un jugement n° 2202264 du 22 mars 2023, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 19 mai 2023 et le 19 février 2024, la SCI Levo représentée par Me Achou-Lepage, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 22 mars 2023 du tribunal administratif de Bordeaux ;
2°) d'annuler l'arrêté du 24 février 2022 du maire de Pessac ;
3°) d'enjoindre à la commune de Pessac de procéder au réexamen de sa demande dans un délai d'un mois ;
4°) de mettre à la charge de la commune de Pessac une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement est irrégulier en l'absence de réponse au moyen tiré de l'illégalité du motif fondé sur l'alinéa 1 de l'article L. 424-1 du code de l'urbanisme ;
- il conviendra de confirmer les motifs retenus par les premiers juges pour censurer le motif tiré du 3° de l'article L. 424-1 du code de l'urbanisme ;
- la décision est insuffisamment motivée en d'absence de la date de la déclaration d'utilité publique et de sa publication ;
- elle est infondée dès lors que la commune ne justifie pas que son projet est de nature à compromettre l'opération d'aménagement dénommé " carrefour de l'Alouette " prévu sur le site du projet alors que celui-ci n'impactera pas l'étroite bande du terrain d'assiette concernée par l'opération d'aménagement.
Par des mémoires en défense enregistrés le 12 octobre 2023 et le 8 février 2024, et un mémoire non communiqué, enregistré le 23 février 2024, la commune de Pessac, représentée par Me Sagalovitsch, conclut au rejet de la requête et demande qu'une somme de 4 000 euros soit mise à la charge de la SCI Levo au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Christelle Brouard-Lucas,
- les conclusions de M. Romain Roussel Cera, rapporteur public,
- les observations de Me Me Caparros, représentant la SCI Levo et de Me Schvartz, représentant la commune de Pessac.
Considérant ce qui suit :
1. La SCI Levo a déposé le 3 décembre 2021 un permis de construire pour la réalisation d'une résidence de 12 logements sur un terrain situé 7 avenue du Bourgailh à Pessac, sur les parcelles cadastrées 318 BY 150, 318 BY 455, 318 BY 627, 318 BY 628, 318 BY 630. Par un arrêté du 24 février 2022, le maire de la commune de Pessac a opposé à la société Levo un sursis à statuer. La SCI Levo fait appel du jugement du 22 mars 2023 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Il ressort des pièces du dossier que dans son mémoire en réplique enregistré le 25 août 2022 devant le tribunal, la SCI Levo faisait valoir qu'en l'absence de mention de la date de la déclaration d'utilité publique et de justification de sa publication dans la décision en litige, le sursis ne pouvait être regardé comme régulièrement fondé sur l'alinéa 1 de l'article L. 424-1 du code de l'urbanisme. Il résulte de l'examen du jugement attaqué que le tribunal a estimé qu'en dehors du défaut de motivation, la société requérante ne soulevait aucun grief à l'encontre du premier motif du sursis à statuer, tiré en application du 1° de l'article L. 424-1 du code de l'urbanisme de ce que le projet se situe dans le champ d'une opération d'utilité publique. Or, contrairement à ce que soutient la commune de Pessac, ce moyen tel qu'il était soulevé, à distance du moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la décision attaquée en l'absence de mention de la date de publication de l'arrêté portant déclaration d'utilité publique, ne pouvait être regardé comme la redite du moyen de défaut de motivation. Ainsi, le tribunal administratif n'a pas visé le moyen ainsi présenté et n'y a pas répondu. Son jugement est dès lors entaché d'irrégularité et doit et doit, par suite, être annulé.
3. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur les demandes présentées par la SCI Levo devant le tribunal administratif de Bordeaux.
Sur la légalité de l'arrêté du 24 février 2022 :
4. D'une part, aux termes de l'article L. 423-3 du code de l'urbanisme : " Lorsque la décision rejette la demande ou s'oppose à la déclaration préalable, elle doit être motivée. / Cette motivation doit indiquer l'intégralité des motifs justifiant la décision de rejet ou d'opposition, notamment l'ensemble des absences de conformité des travaux aux dispositions législatives et réglementaires mentionnées à l'article L. 421-6. / Il en est de même lorsqu'elle est assortie de prescriptions, oppose un sursis à statuer ou comporte une dérogation ou une adaptation mineure aux règles d'urbanisme applicables. La motivation n'est pas nécessaire lorsque la dérogation est accordée en application des 1° à 6° de l'article L. 152-6. ".
5. D'autre part, aux termes de l'article L. 424-1 du code de l'urbanisme : " (...) Il peut également être sursis à statuer : / 1° Dès la date d'ouverture de l'enquête préalable à la déclaration d'utilité publique d'une opération, sur les demandes d'autorisation concernant des travaux, constructions ou installations à réaliser sur des terrains devant être compris dans cette opération ; (...) / 3° Lorsque des travaux, constructions ou installations sont susceptibles de compromettre ou de rendre plus onéreuse la réalisation d'une opération d'aménagement, dès lors que le projet d'aménagement a été pris en considération par la commune ou l'établissement public de coopération intercommunale compétent et que les terrains affectés par ce projet ont été délimités. (...) / Le sursis à statuer ne peut être prononcé que si la décision de prise en considération prévue aux 2° et 3° du présent article et à l'article L. 102-13 a été publiée avant le dépôt de la demande d'autorisation. La décision de prise en considération cesse de produire effet si, dans un délai de dix ans à compter de son entrée en vigueur, l'exécution des travaux publics ou la réalisation de l'opération d'aménagement n'a pas été engagée. (...) ".
6. En l'espèce, l'arrêté du 24 février 2022 vise d'abord les articles du code de l'urbanisme dont il fait application , notamment l'article L. 424-1 de ce code, la délibération du conseil de Bordeaux Métropole du 12 février 2016 portant création de l'opération d'intérêt métropolitain " Campus Vallée Créative " et la délibération du 28 janvier 2022 instaurant l'opération d'aménagement Bordeaux Inno campus extra rocade ainsi qu'un périmètre resserré d'action foncière sur le site de projet " carrefour de l'Alouette " sur lequel porte une déclaration d'utilité publique. La décision rappelle ensuite les possibilités de sursis ouvertes par le 1° et le 3° de l'article L. 424-1 puis précise les caractéristiques du projet en cause, qui consiste en la construction d'une résidence de 12 logements en R+2 et en attique. Elle ajoute que le projet viendra se positionner en partie sur une emprise réservée dans le cadre de l'opération d'aménagement Bordeaux Inno Campus Extra Rocade pour accueillir un équipement public secondaire permettant de desservir les nouvelles opérations de logements sans impacter la circulation sur le site du carrefour de l'Alouette et que ces travaux et constructions sont susceptibles de compromettre ou de rendre plus onéreuse la réalisation de cette opération d'aménagement. Cette motivation permettait à la société requérante de comprendre que le sursis était fondé sur les circonstances, d'une part, que le projet objet de la demande d'autorisation est situé sur un terrain inclus dans une procédure de déclaration d'utilité publique et, d'autre part, de ce qu'il est susceptible de compromettre ou de rendre plus onéreuse la réalisation de l'opération d'aménagement Bordeaux Inno Campus. Contrairement à ce que soutient la requérante, la circonstance que cette décision ne détaille pas précisément en quoi cette opération sera rendue plus difficile ou plus onéreuse n'est pas de nature à la faire regarder comme insuffisamment motivée. Il en est de même de l'absence de mention de la date de l'arrêté portant déclaration d'utilité publique qui ne fait pas parties des conditions prévues au 1° de l'article L. 424-1 du code de l'urbanisme. Par suite le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de l'arrêté attaqué doit être écarté.
En ce qui concerne le motif tiré du 1° de l'article L. 424-1 :
7. Il ressort des pièces du dossier que par arrêté du 4 mai 2021, la préfète de la Gironde a décidé l'ouverture d'une enquête préalable à une déclaration d'utilité publique à compter du 31 mai 2021 dans le cadre de l'opération Bordeaux Inno Campus Extra Rocade dans le périmètre de laquelle se situe le terrain d'assiette du projet. Ainsi, dès lors que les dispositions précitées du 1° de l'article L. 424-1 permettent de prononcer un sursis à statuer dès la date d'ouverture de l'enquête préalable à la déclaration d'utilité publique d'une opération, la requérante ne saurait utilement soutenir que cet arrêté a été pris en méconnaissance de ces dispositions en l'absence de mention de la date de l'arrêté portant déclaration d'utilité publique sur cette zone, lequel n'est intervenu que le 22 juin 2022 à l'issue de la procédure d'enquête. De même, le moyen tiré de ce que la commune ne justifie pas de ce que le projet est susceptible de compromettre ou de rendre plus onéreuse la réalisation de cette déclaration d'utilité publique est inopérant dès lors que le 1° de l'article L. 424-1 ne prévoit pas une telle condition.
En ce qui concerne le motif tiré du 3° de l'article L. 424-1 :
8. En premier lieu, aux termes de l'article R. 424-24 du même code : " La décision de prise en considération de la mise à l'étude d'un projet de travaux publics ou d'une opération d'aménagement est affichée pendant un mois en mairie ou au siège de l'établissement public compétent en matière de plan local d'urbanisme et, dans ce cas, dans les mairies des communes membres concernées. / Mention de cet affichage est insérée en caractères apparents dans un journal diffusé dans le département. (...) / La décision de prise en considération produit ses effets juridiques dès l'exécution de l'ensemble des formalités prévues aux premier et deuxième alinéas ci-dessus, la date à prendre en compte pour l'affichage étant celle du premier jour où il est effectué. ".
9. Il ressort des pièces du dossier que la délibération du conseil de Bordeaux Métropole du 12 février 2016 n°2016-77 prévoit dans son article 1er la création de l'opération d'intérêt métropolitain (OIM) appelée provisoirement Campus-Vallée-Créative désignée par l'acronyme " OIMcvc " et dans son article 2 d'instaurer un périmètre de prise en considération de l'OIM Campus-Vallée-Créative en application des dispositions de l'article L 111-10 du code de l'urbanisme, dont les dispositions sont désormais reprises au 3° de l'article L. 424-1 du code de l'urbanisme. Ainsi, cette délibération constitue la décision de prise en considération du projet de l'opération d'aménagement de Bordeaux Inno Campus Extra Rocade prévue par l'article L. 424-1 du code de l'urbanisme. Toutefois, en l'absence de preuve des formalités d'affichage prévues à l'article R. 424-24 du code de l'urbanisme avant la date de dépôt du dossier de demande de la SCI Levo, malgré une mesure d'instruction en ce sens, le sursis à statuer ne pouvait régulièrement être fondé sur cette décision de prise en considération. En revanche, contrairement à ce que soutient la société requérante, ces dispositions n'imposent pas que le report de la délibération de prise en considération dans les documents d'urbanisme soit intervenu et ait été publié avant le dépôt de la demande de permis de construire.
10. En deuxième lieu, lorsque l'autorité compétente fait usage des dispositions mentionnées au point 4, de l'article L. 424-1 du code de l'urbanisme, le tracé du périmètre qu'elle arrête doit être opéré, notamment sur des plans, de façon à indiquer avec suffisamment de précision à l'autorité compétente pour délivrer les autorisations d'urbanisme celles des parcelles qui sont concernées par sa décision. Tel est le cas lorsque ce tracé peut être reporté sans difficulté sur une carte du parcellaire existant.
11. Il ressort des pièces du dossier que la délibération du 12 février 2016 par laquelle le conseil de Bordeaux Métropole a pris en considération l'opération d'aménagement Bordeaux Inno Campus Extra Rocade définit le périmètre de cette opération et comporte un plan annexé dont le tracé, clairement discernable et facilement repérable sur la carte où il figure, peut être reporté sans difficulté sur une carte du parcellaire existant. Le moyen tiré de ce que le plan annexé à la décision de prise en considération du projet d'aménagement est imprécis doit donc être écarté.
12. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier, et notamment de l'enquête publique et des délibérations du conseil de Bordeaux Métropole du 12 février 2016 et du 28 janvier 2022, que les parcelles objet du permis de construire se situent dans le périmètre de l'opération d'aménagement Bordeaux Inno Campus Extra Rocade, laquelle prévoit un emplacement réservé assis sur la partie Ouest du terrain d'assiette pour la réalisation d'une voie secondaire dite Alouette permettant de relier l'avenue Beutre à l'avenue du Bourgailh pour desservir les nouvelles opérations de logement et la Villa Thomasson sans impacter la circulation sur le carrefour de l'Alouette, qui sera à double sens et offrira du stationnement longitudinal, la circulation sera réglementée grâce à une zone 30. Dès lors que les plans de mise en œuvre de cet emplacement réservé sont sans ambiguïté et que la voie Alouette est bien implantée en fond de la parcelle d'assiette en litige, la circonstance que la décision fasse également référence au maillage interne destiné aux circulations VL et modes doux (piétons et cyclables) qui a vocation à se connecter au nord de la voie Alouette n'est pas de nature à faire regarder cette décision comme entachée d'erreur de fait.
13. En quatrième lieu, il ressort des pièces du dossier que le projet litigieux prévoit de maintenir cette portion de terrain en espace de pleine terre, de conserver certains arbres existants et d'en planter deux nouveaux, tandis que d'autres arbres sont en revanche supprimés. La commune, qui se prévaut de la seule présence de cet aménagement végétal, ne justifie pas en quoi il serait susceptible de compromettre ou de rendre plus onéreuse la réalisation de l'opération d'aménagement, qui prévoit au même endroit la création d'une voie de circulation. Par suite, la société requérante est fondée à soutenir que la décision est entachée d'une erreur d'appréciation sur ce point.
14. Il résulte de ce qui a été dit aux points 9 et 13 que le motif de la décision attaquée tenant à ce que le projet est susceptible de compromettre ou de rendre plus onéreuse la réalisation d'une opération d'aménagement, en méconnaissance du 3° de l'article L. 421-1 du code de l'urbanisme, ne peut légalement fonder cette décision. En l'absence de preuve de la publication de la délibération de prise en considération, la demande de substitution de motif tirée de ce que le projet ne comporte pas de logement locatif social alors que l'opération d'aménagement prévoit la mise en place d'un secteur de mixité sociale dans lequel se trouve le terrain d'assiette du projet n'est pas susceptible de régulariser la décision sur ce point et ne peut donc être accueillie.
15. Toutefois, ainsi qu'il a été dit le premier motif du sursis à statuer tiré, en application du 1° de l'article L. 421-1 du code de l'urbanisme, de ce que le projet se situe dans le champ d'une opération d'utilité publique était de nature à justifier à lui seul cette décision. Par suite, dès lors qu'il ressort des pièces du dossier que le maire de Pessac aurait pris la même décision s'il s'était fondé uniquement sur ce motif, les conclusions à fin d'annulation de la SCI Levo ne peuvent qu'être rejetées ainsi que, par voie de conséquence ses conclusions à fin d'injonction.
Sur les frais de l'instance :
16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Pessac, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que la SCI Levo demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. En revanche il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la SCI Levo une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la commune de Pessac et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Bordeaux n° 2202264 du 22 mars 2023 est annulé.
Article 2 : La demande de la SCI Levo devant le tribunal administratif de Bordeaux est rejetée.
Article 3 : La SCI Levo versera une somme de 1 500 euros à la commune de Pessac au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la SCI Levo et à la commune de Pessac.
Délibéré après l'audience du 29 février 2024, à laquelle siégeaient :
M. Jean-Claude Pauziès, président,
Mme Christelle Brouard-Lucas, présidente-assesseure,
Mme Edwige Michaud, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 21 mars 2024.
La rapporteure,
Christelle Brouard-LucasLe président,
Jean-Claude Pauziès
La greffière,
Marion Azam Marche
La République mande et ordonne au préfet de la Gironde en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 23BX01357 2