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21/03/2024 | FRANCE | N°22BX01630

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 1ère chambre, 21 mars 2024, 22BX01630


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société Grand Cassiet Terre et Watts a demandé au tribunal administratif de Bordeaux, par deux requêtes distinctes, d'annuler les arrêtés du 20 janvier 2020 par lesquels la préfète de la Gironde a, d'une part, refusé de lui délivrer un permis de construire un parc de panneaux photovoltaïques avec création de bâtiments techniques et d'un poste de livraison sur les parcelles cadastrées section C n° 335 à 337, 347 à 351, 359 à 363, 366, 367, 777, 779 et 1192, située

s au lieu-dit Grand Cassiet à Lucmau et, d'autre part, refusé de lui délivrer une autorisatio...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Grand Cassiet Terre et Watts a demandé au tribunal administratif de Bordeaux, par deux requêtes distinctes, d'annuler les arrêtés du 20 janvier 2020 par lesquels la préfète de la Gironde a, d'une part, refusé de lui délivrer un permis de construire un parc de panneaux photovoltaïques avec création de bâtiments techniques et d'un poste de livraison sur les parcelles cadastrées section C n° 335 à 337, 347 à 351, 359 à 363, 366, 367, 777, 779 et 1192, situées au lieu-dit Grand Cassiet à Lucmau et, d'autre part, refusé de lui délivrer une autorisation de défricher une surface de 36,4422 hectares de bois pour le même terrain.

Par un jugement nos 2001422 et 2001423 du 14 avril 2022, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté ses demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 15 juin 2022 et le 22 décembre 2022, la société Grand Cassiet, représentée par Me Versini-Campinchi, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux ;

2°) d'annuler les arrêtés de la préfète de la Gironde du 20 janvier 2020 portant refus d'autorisation de défrichement et rejet de sa demande de permis de construire ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Gironde de lui délivrer l'autorisation de défrichement ainsi que le permis de construire sollicités, dans un délai de deux mois à compter de l'arrêt à intervenir et sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'État une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement est insuffisamment motivé quant au risque d'incendie qu'il retient ;

- le refus d'autorisation de défrichement est entaché d'un défaut de motivation faute de permettre la compréhension de ses motifs et de comporter en annexe l'avis du parc naturel régional des Landes de Gascogne ;

- cette décision est entachée d'une erreur d'appréciation au regard des dispositions du 9° de l'article L. 341-5 du code forestier ;

- elle est entachée d'une erreur de droit en tant qu'elle tient compte de l'opération projetée sur le terrain à défricher ;

- le refus de permis de construire fondé sur le refus d'autorisation de défrichement est dépourvu de base légale compte tenu de l'illégalité de cette décision ;

- cette décision est également entachée d'un défaut de motivation.

Par un mémoire en défense enregistré le 29 novembre 2022, le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense enregistré le 2 décembre 2022, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés et renvoie aux écritures produites par la préfète de la Gironde devant les premiers juges.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code forestier ;

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Kolia Gallier,

- les conclusions de M. Romain Roussel Cera, rapporteur public,

- et les observations de Me Versini-Campinchi, représentant la société Grand Cassiet.

Considérant ce qui suit :

1. Dans le cadre d'un projet de construction d'une centrale photovoltaïque au sol, la SAS Grand Cassiet a demandé à la préfète de la Gironde, le 3 décembre 2018, l'autorisation de défricher les parcelles cadastrées section C n° 335 à 337, 347 à 351, 359 à 363, 366, 367, 777, 779 et 1192 sur le territoire de la commune de Lucmau, soit une surface de 36 hectares 44 ares 22 centiares de bois, et le 5 décembre 2018, la délivrance d'un permis de construire. Par deux arrêtés du 20 janvier 2020, la préfète de la Gironde a refusé de faire droit à ces demandes. La SAS Grand Cassiet a demandé l'annulation de ces décisions au tribunal administratif de Bordeaux. Elle relève appel du jugement du 14 avril 2022 par lequel le tribunal a rejeté ses demandes.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. Aux termes de l'article L. 341-5 du code forestier : " L'autorisation de défrichement peut être refusée lorsque la conservation des bois et forêts ou des massifs qu'ils complètent, ou le maintien de la destination forestière des sols, est reconnu nécessaire à une ou plusieurs des fonctions suivantes : (...) / 9° A la protection des personnes et des biens et de l'ensemble forestier dans le ressort duquel ils sont situés contre les risques naturels, notamment les incendies et les avalanches. ".

3. Il ressort des pièces du dossier que le terrain d'assiette du projet est situé au sein du massif des Landes de Gascogne, massif le plus important d'Europe avec une surface de plus d'un million d'hectares et composé majoritairement de pins maritimes, arbres résineux extrêmement inflammables. Ce secteur est classé en " niveau 4 fort " de sensibilité au feu par le plan interdépartemental de protection de la forêt contre les incendies applicable sur le territoire des départements de la Gironde, des Landes et du Lot-et-Garonne et l'étude d'impact du projet relève un niveau d'enjeu fort s'agissant du risque d'incendie pour l'aire d'étude immédiate du terrain concerné. Il ressort également des pièces du dossier que le projet de centrale photovoltaïque, qui pouvait être pris en considération par l'administration pour apprécier la réponse à apporter à la demande d'autorisation de défrichement sollicitée par la société pétitionnaire, entraine un risque spécifique d'incendie. A cet égard, l'étude d'impact et les études de risque produites au dossier soulignent, il est vrai, que plusieurs sources de démarrage de feu sur le site sont possibles, principalement liées aux unités de transformation de l'électricité, soit les postes de livraison et les transformateurs. Toutefois, la société pétitionnaire a intégré à son projet l'ensemble des recommandations faites par le service départemental d'incendie et de secours et par l'association régionale de défense des forêts contre l'incendie, notamment la création d'une zone débroussaillée de cinquante mètres de profondeur en périphérie de l'installation, deux bandes de roulement de cinq mètres de largeur de part et d'autre de la clôture, la bande extérieure étant reliée aux voies d'accès existantes du massif forestier, trois citernes de 120 m3 qui seront aménagées sur le parc, une à proximité de l'entrée de chaque zone, des dispositifs d'isolement des éléments de production d'électricité et de protection mécanique du réseau électrique ainsi que la définition d'un plan d'organisation interne des secours. Il ressort des pièces du dossier, notamment de l'analyse figurant dans l'étude d'impact, que l'ensemble de ces mesures permet de porter le niveau d'impact résiduel du projet sur le risque incendie à un niveau faible. En outre, si le projet comporte des sources possibles de démarrage de feu, les éléments au dossier convergent pour retenir que de tels feux sont peu violents, les matériaux présents sur une centrale photovoltaïque étant faiblement combustibles, et qu'ils présentent un risque faible de propagation au milieu extérieur au vu de l'ensemble des mesures de prévention et d'éloignement du massif forestier observées. Le ministre, en se bornant à produire quelques articles de journaux faisant état de départs d'incendie sur des parcs photovoltaïques dont aucun ne s'est propagé à l'environnement des sites, ne se prévaut pas d'élément permettant de caractériser un risque pour la protection des personnes, des biens ou de l'ensemble forestier au sens des dispositions précitées. Par suite, la société Grand Cassiet est fondée à soutenir que le refus d'autorisation de défrichement qui lui a été opposé est entaché d'une erreur d'appréciation au regard des dispositions de l'article L. 341-5 du code forestier.

4. Pour les mêmes motifs, l'arrêté de refus de permis de construire du 20 janvier 2020, uniquement fondé sur le refus d'autorisation de défrichement opposé le même jour, ne peut qu'être annulé. Pour l'application de l'article L. 600-4-1 du code de l'urbanisme, aucun des autres moyens soulevés n'est susceptible de fonder, en l'état du dossier, l'annulation de la décision de refus de permis de construire.

5. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la régularité du jugement ni d'examiner les autres moyens de la requête dirigés contre le refus d'autorisation de défrichement, que la société Grand Cassiet est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

6. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. (...)". Lorsque le juge annule un refus d'autorisation ou une opposition à une déclaration après avoir censuré l'ensemble des motifs que l'autorité compétente a énoncés dans sa décision conformément aux prescriptions de l'article L. 424-3 du code de l'urbanisme ainsi que, le cas échéant, les motifs qu'elle a pu invoquer en cours d'instance, il doit, s'il est saisi de conclusions à fin d'injonction, ordonner à l'autorité compétente de délivrer l'autorisation ou de prendre une décision de non-opposition. Il n'en va autrement que s'il résulte de l'instruction soit que les dispositions en vigueur à la date de la décision annulée, qui eu égard aux dispositions de l'article L. 600-2 du code de l'urbanisme demeurent applicables à la demande, interdisent de l'accueillir pour un motif que l'administration n'a pas relevé, ou que, par suite d'un changement de circonstances, la situation de fait existant à la date du jugement y fait obstacle.

7. Le présent arrêt implique, eu égard à ses motifs, qu'il soit enjoint au préfet de la Gironde de délivrer à la SAS Grand Cassiet l'autorisation de défrichement sollicitée et il y a lieu, en application des principes rappelés ci-dessus, d'enjoindre également au préfet de lui délivrer le permis de construire demandé dans un délai de quatre mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu en revanche, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à la SAS Grand Cassiet au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 14 avril 2022 et les arrêtés de la préfète de la Gironde du 20 janvier 2020 sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Gironde de délivrer à la SAS Grand Cassiet l'autorisation de défrichement et le permis de construire sollicités dans un délai de quatre mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à la SAS Grand Cassiet la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS Grand Cassiet, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire et au préfet de la Gironde.

Copie en sera adressée au maire de Lucmau.

Délibéré après l'audience du 29 février 2024 à laquelle siégeaient :

M. Jean-Claude Pauziès, président,

Mme Christelle Brouard-Lucas, présidente-assesseure,

Mme Kolia Gallier, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 mars 2024.

La rapporteure,

Kolia GallierLe président,

Jean-Claude Pauziès

La greffière,

Marion Azam Marche

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire en ce qui les concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 22BX01630 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 22BX01630
Date de la décision : 21/03/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. PAUZIÈS
Rapporteur ?: Mme Kolia GALLIER
Rapporteur public ?: M. ROUSSEL CERA
Avocat(s) : CABINET LPA-CGR AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 31/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-03-21;22bx01630 ?
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