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05/03/2024 | FRANCE | N°23BX02625

France | France, Cour administrative d'appel, 4ème chambre, 05 mars 2024, 23BX02625


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Limoges d'annuler l'arrêté du 26 avril 2023 par lequel la préfète de la Haute-Vienne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il est susceptible d'être éloigné.



Par un jugement n° 2301117 du 19 septembre 2023, le tribunal administratif de Limoges a annulé cet arrêté et a enjo

int à la préfète de la Haute-Vienne de délivrer à M. A... un titre de séjour portant la mention " v...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Limoges d'annuler l'arrêté du 26 avril 2023 par lequel la préfète de la Haute-Vienne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il est susceptible d'être éloigné.

Par un jugement n° 2301117 du 19 septembre 2023, le tribunal administratif de Limoges a annulé cet arrêté et a enjoint à la préfète de la Haute-Vienne de délivrer à M. A... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 20 octobre 2023, le préfet de la Haute-Vienne demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2301117 du tribunal administratif de Limoges du 19 septembre 2023 ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Limoges.

Il soutient que :

- contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, la décision portant refus de délivrance d'un titre de séjour ne méconnaît pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- les autres moyens soulevés par M. A... devant le tribunal administratif de Limoges ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 20 novembre 2023, M. A..., représenté par Me Marty, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 1 800 euros soit versée à son conseil, en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique. Il soutient que les moyens soulevés par le préfet de la Haute-Vienne ne sont pas fondés.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 23 novembre 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Michaël Kauffmann a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ressortissant malien se disant né le 27 septembre 2004, est entré sur le territoire français, selon ses déclarations, le 25 janvier 2021. Le 6 septembre 2022, l'intéressé a sollicité la délivrance d'un titre de séjour. Par un arrêté du 26 avril 2023, la préfète de la Haute-Vienne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il est susceptible d'être éloigné. Par un jugement du 19 septembre 2023, le tribunal administratif de Limoges a annulé cet arrêté et a enjoint à la préfète de délivrer à M. A... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement. Le préfet de la Haute-Vienne relève appel de ce jugement.

Sur le moyen d'annulation retenu par les premiers juges :

2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...) 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".

3. Il ressort des pièces du dossier que M. A... est entré en France en janvier 2021 et a été hébergé par une famille d'accueil à la suite du rejet de sa demande de prise en charge par les services de l'aide sociale à l'enfance pour absence de preuve de sa minorité, confirmé, en dernier lieu, par un arrêt de la chambre spéciale des mineurs de la cour d'appel de Limoges du 14 avril 2022. Si le requérant s'est impliqué dans sa scolarité et les formations qu'il a suivies en vue de l'obtention d'un CAP " Menuiserie " et fait preuve d'un comportement volontaire et sérieux dans le cadre de son contrat d'apprentissage au sein de l'entreprise " Menuiserie Uscain ", il n'est présent en France que depuis un peu plus de deux ans à la date de l'arrêté attaqué et ne dispose, à cette date, ni d'un logement personnel ni de ressources pérennes. Si le requérant se prévaut des liens qu'il a noués avec les personnes qui l'ont hébergé et celles rencontrées lors de sa scolarité au lycée du Mas Jambost, il n'invoque aucun lien familial en France et il ne ressort pas des pièces du dossier, à supposer même, ainsi qu'il le soutient sans toutefois l'établir, que ses parents seraient décédés alors qu'il était un jeune enfant, qu'il serait isolé dans son pays d'origine, où il a vécu la majeure partie de sa vie, où résident encore son oncle et ses cousins, et où il a incontestablement tissé des liens. Enfin, si M. A... se prévaut d'une lettre de soutien du maire de la commune de Saint-Brice-sur-Vienne du 15 mai 2023, soit postérieure à la date de l'arrêté contesté, qui insiste sur les difficultés qui sont rencontrées par les professionnels à trouver des personnes souhaitant travailler dans le domaine de la menuiserie, cette circonstance est insuffisante pour établir son intégration sur le territoire. Dans ces conditions, eu égard à la durée et aux conditions du séjour en France de l'intéressé et en dépit des efforts d'insertion dont il a fait preuve, la préfète de la Haute-Vienne n'a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels la décision lui refusant le séjour a été prise et n'a ainsi pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il s'ensuit que le préfet de la Haute-Vienne est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Limoges a, pour ce motif, annulé l'arrêté du 26 avril 2023.

4. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A... en première instance et devant la cour.

Sur les autres moyens invoqués par M. A... :

En ce qui concerne le refus de délivrance d'un titre de séjour :

5. En premier lieu, aux termes de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui n'entre pas dans les catégories prévues aux articles L. 423-1, L. 423-7, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21 et L. 423-22 ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, et qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / Les liens mentionnés au premier alinéa sont appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'étranger, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine. / L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République. ".

6. Pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 3, M. A... n'est pas fondé à soutenir que la décision lui refusant le séjour méconnaît les dispositions précitées de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et se trouve entachée d'erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle.

7. En second lieu, aux termes de l'article L. 422-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui établit qu'il suit un enseignement en France ou qu'il y fait des études et qui justifie disposer de moyens d'existence suffisants se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " étudiant " d'une durée inférieure ou égale à un an. (...) ". Aux termes de l'article L. 412-1 du même code : " Sous réserve des engagements internationaux de la France et des exceptions prévues aux articles L. 412-2 et L. 412-3, la première délivrance d'une carte de séjour temporaire ou d'une carte de séjour pluriannuelle est subordonnée à la production par l'étranger du visa de long séjour mentionné aux 1° ou 2° de l'article L. 411-1. ".

8. Il résulte des termes de l'arrêté contesté du 26 avril 2023 que la préfète, après avoir constaté que M. A... ne justifiait pas être entré sur le territoire français sous couvert d'un visa de long séjour et ne remplissait pas, ainsi, les conditions prévues par les dispositions précitées de l'article L. 422-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, a estimé qu'aucune circonstance particulière ne justifiait qu'elle fasse usage de son pouvoir discrétionnaire de régularisation. Contrairement à ce que soutient l'intimé, les circonstances évoquées au point 3, tenant notamment au caractère sérieux de sa scolarité et à la satisfaction de son employeur au cours de son apprentissage, ne constituent pas des motifs exceptionnels de nature à justifier la délivrance à l'intéressé d'un titre de séjour portant la mention " étudiant ", alors même qu'il n'en remplit pas les conditions. Par suite, M. A... n'est pas fondé à soutenir que la préfète a commis une erreur manifeste d'appréciation, au regard de sa situation, en ne procédant pas à une régularisation exceptionnelle de son séjour.

En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :

9. En premier lieu, ainsi qu'il été précédemment exposé, la décision portant refus de délivrance d'un titre de séjour n'est pas entachée d'illégalité. Dès lors, le moyen invoqué par la voie de l'exception, par M. A..., de son illégalité ne peut qu'être écarté.

10. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : / (...) / 3° L'étranger s'est vu refuser la délivrance d'un titre de séjour (...) ". M. A... s'étant vu refuser son admission au séjour, il se trouvait ainsi dans le cas où, en application du 3° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la préfète de la Haute-Vienne pouvait l'obliger à quitter le territoire français. Il ne ressort ni de la rédaction de l'arrêté ni des pièces du dossier que la préfète se serait crue tenue de prendre une telle décision et qu'elle se serait abstenue d'user de son pouvoir d'appréciation. Par suite, le moyen tiré de l'erreur de droit doit être écarté.

11. En troisième lieu, en application de l'article L. 612-1 code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le délai de trente jours accordé à un étranger pour exécuter une obligation de quitter le territoire constitue le délai de droit commun le plus long susceptible d'être accordé. Dans ces conditions, la fixation à trente jours du délai de départ volontaire accordé à M. A... n'avait pas à faire l'objet d'une motivation spécifique, distincte de celle du principe même de ladite obligation, dès lors notamment qu'il ne ressort pas des pièces du dossier qu'il aurait expressément demandé à la préfète de la Haute-Vienne à bénéficier d'une prolongation de ce délai, ni qu'il aurait été empêché de former une telle demande. Par suite, l'intimé n'est pas fondé à soutenir que la décision de la préfète de lui accorder un tel délai serait entachée d'un défaut d'examen de sa situation particulière.

12. En dernier lieu, pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 3, M. A... n'est pas fondé à soutenir que la décision l'obligeant à quitter le territoire français méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle.

En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :

13. En premier lieu, ainsi qu'il été précédemment exposé, la décision portant refus de délivrance d'un titre de séjour n'est pas entachée d'illégalité. Dès lors, le moyen invoqué par la voie de l'exception, par M. A..., de son illégalité ne peut qu'être écarté.

14. En second lieu, pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 3, M. A... n'est pas fondé à soutenir que la décision fixant le pays de destination méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle.

15. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Haute-Vienne est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Limoges a annulé l'arrêté du 26 avril 2023 et lui a enjoint de délivrer à M. A... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement. Dès lors, ce jugement doit, dans cette mesure, être annulé et les conclusions de première instance de M. A..., y compris celles à fin d'injonction, doivent être rejetées.

16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la somme que le conseil de M. A... demande sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 soit mise à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

DECIDE :

Article 1er : Les articles 1er et 2 du jugement n° 2301117 du 19 septembre 2023 du tribunal administratif de Limoges sont annulés.

Article 2 : Les conclusions à fin d'annulation et celles à fin d'injonction présentées par M. A... devant le tribunal administratif de Limoges ainsi que le surplus de ses conclusions devant la cour sont rejetés.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à M. B... A....

Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Vienne.

Délibéré après l'audience du 13 février 2024 à laquelle siégeaient :

Mme Evelyne Balzamo, présidente,

Mme Bénédicte Martin, présidente-assesseure,

M. Michaël Kauffmann, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 mars 2024.

Le rapporteur,

Michaël Kauffmann La présidente,

Evelyne BalzamoLe greffier,

Christophe Pelletier

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaire de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N° 23BX02625

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 23BX02625
Date de la décision : 05/03/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BALZAMO
Rapporteur ?: M. Michaël KAUFFMANN
Rapporteur public ?: Mme GAY
Avocat(s) : MARTY

Origine de la décision
Date de l'import : 10/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-03-05;23bx02625 ?
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