Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société à responsabilité limitée L'Ile a demandé au tribunal administratif de la Martinique de condamner l'Etat à lui verser une somme de 1 467 708 euros en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait des fautes commises par l'administration fiscale dans l'instruction de la demande d'agrément présentée sur le fondement des articles 199 undecies B et 217 undecies du code général des impôts, concernant l'hôtel qu'elle exploite en Polynésie française, et dans les conditions mises à cet agrément.
Par un jugement n° 1700366 du 11 avril 2019, le tribunal administratif de la Martinique a fait droit à sa demande.
Procédure initiale devant la cour :
I°. Par une requête, enregistrée sous le n° 19BX02497 le 12 juin 2019, et un mémoire, enregistré le 3 février 2020, le ministre de l'action et des comptes publics demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de la Martinique du 11 avril 2019 ;
2°) de rejeter l'ensemble des conclusions de la société L'Ile.
Il soutient que :
- les conclusions incidentes de la société intimée, qui concernent un nouveau chef de préjudice et tendent à l'octroi d'une indemnité supplémentaire de 300 000 euros, nouvelles en appel, ne sont pas recevables ;
- le jugement attaqué est irrégulier en ce qu'il n'a pas statué sur la fin de non-recevoir opposée à la demande de la société L'Ile, fondée sur l'exception de recours parallèle, le montant de l'indemnité sollicitée par cette dernière correspondant à celui de l'avantage fiscal prévu par les dispositions de l'article 199 undecies B du code général des impôts ;
- en effet, la société, qui ne se prévaut d'aucun préjudice distinct de l'avantage fiscal précité, n'est pas recevable à mettre en cause la responsabilité de l'État ;
- en plafonnant, à l'article 5 de la décision du 31 mars 2014, à 445 000 euros par clé, soit 2 670 000 euros au total, le montant de la base éligible à la réduction d'impôt du projet de l'intimée, l'État n'a commis aucune faute ;
- de même, aucune faute n'a été commise en sollicitant, à l'article 12 de la décision du 31 mars 2014, la production avant le 30 juin 2015 des documents nécessaires à la vérification de l'éligibilité du projet à l'avantage fiscal sollicité ; de plus, l'administration avait proposé de reporter ce délai au 31 décembre 2016, mais cette proposition est restée sans suite en raison du maintien du désaccord de la société avec le plafonnement prévu à l'article 5 ;
- en outre, il n'existe aucun préjudice indemnisable, la société, en réalisant les travaux et en se désistant de son recours à l'encontre de la décision du 31 mars 2014, devant être regardée comme ayant renoncé au bénéfice de l'agrément, plusieurs demandes de compléments de renseignements ayant dû être effectuées ;
- aucune faute n'a été commise en raison du temps qui a été nécessaire à l'instruction de la demande d'agrément ;
- enfin et en tout état de cause, la base éligible à la réduction d'impôt devait être plafonnée à 445 000 euros par clé, ce qui aboutissait à un avantage fiscal maximal de 825 030 euros et il n'est apporté aucun élément de nature à justifier de l'existence et de l'ampleur d'une perte d'exploitation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 23 octobre 2019, la société L'Ile conclut au rejet de la requête, à la condamnation de l'État à lui verser la somme de 1 467 708 euros assortie des intérêts au taux légal et des intérêts des intérêts, la somme de 300 000 euros en réparation du préjudice subi du fait de la perte d'exploitation de l'hôtel Vahiné Island et à ce que soit mis à la charge de l'État le paiement d'une somme de 5 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- contrairement à ce que soutient le ministre, le jugement a correctement analysé la fin de non-recevoir opposée par l'administration et y a expressément répondu ;
- s'étant désistée de son recours pour excès de pouvoir dirigé à l'encontre de la décision du 31 mars 2014, la fin de non-recevoir tirée de l'exception de recours parallèle ne pouvait plus être opposée ;
- de plus et contrairement à ce que soutient le ministre en appel, il n'existe aucun texte ni aucun principe interdisant de contester une décision administrative dont l'illégalité constitue une faute qui a créé un préjudice ;
- en l'occurrence, le recours exercé à l'encontre de la décision précitée est devenu sans objet concret pour elle eu égard à l'expiration des délais pour réaliser l'opération et à la modification des dispositions de l'article 199 undecies B du code général des impôts ; par conséquent, seule la voie indemnitaire pouvait être suivie et lorsqu'elle a été engagée, la décision concernée n'était pas devenue définitive ; en tout état de cause, l'administration n'ayant pas répondu à la demande préalable du 24 février 2016, la juridiction administrative a été saisie d'une décision implicite de rejet ;
- la décision concernée ne peut être regardée comme ayant un objet purement pécuniaire et son annulation ne pouvait conduire qu'à une nouvelle instruction ; le seul recours effectif dont elle disposait était le recours indemnitaire en raison de la faute commise par l'administration ;
- cette faute est constituée par le fait que l'administration l'a illégalement privée de son droit à bénéficier d'un avantage prévu par la loi alors qu'elle remplissait les conditions requises ; cette privation résulte à la fois de la longueur des délais d'instruction de sa demande, de l'illégalité des articles 5 et 12 de la décision en cause et du refus de l'administration de modifier cette décision ;
- son préjudice est constitué par la perte de l'avantage fiscal auquel elle avait droit ainsi que par les pertes d'exploitation subies.
II°. Par une requête, enregistrée sous le n° 19BX02741 le 28 juin 2020, le ministre de l'action et des comptes publics demande à la cour de prononcer le sursis à exécution du jugement n° 1700366 du 11 avril 2019 du tribunal administratif de la Martinique.
Il soutient que les conditions prévues par l'article R. 811-16 du code de justice administrative sont remplies, eu égard aux disponibilités très faibles de l'intimée par rapport à son endettement, qui sont de nature à établir l'existence d'un risque certain d'irrécouvrabilité de la somme au paiement de laquelle l'État a été condamné par les premiers juges.
Par un mémoire en défense, enregistré le 23 octobre 2019, la société L'Ile conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de l'État le paiement d'une somme de 5 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que sa solidité financière est exceptionnelle, son endettement étant constitué exclusivement d'avances de son associé majoritaire et des résultats d'exploitation positifs étant réalisés chaque année, sans parler de l'importance de ses actifs immobilisés.
Par un arrêt n° 19BX02497, 19BX02741 du 9 juillet 2020, la cour a, sur appel du ministre de l'action et des comptes publics, annulé le jugement du 11 avril 2019, rejeté la demande indemnitaire présentée par la société L'Ile devant le tribunal ainsi que ses conclusions indemnitaires d'appel et constaté qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 19BX02741 tendant au sursis à exécution du jugement.
Par une décision n° 445213 du 23 juin 2022, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, saisi d'un pourvoi présenté par la société L'Ile, a annulé l'article 2 de cet arrêt en tant qu'il rejette la demande de première instance de la société et a renvoyé l'affaire, dans cette mesure, à la cour administrative d'appel de Bordeaux.
Procédure devant la cour après renvoi du Conseil d'Etat :
Par un mémoire enregistré le 11 janvier 2023, la société L'Ile, représentée par Me Quinquis, conclut aux mêmes fins que dans ses précédentes écritures, en portant à 10 000 euros la somme demandée au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient les mêmes moyens que dans ses précédentes écritures.
Par un mémoire enregistré le 24 mars 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet des conclusions indemnitaires de la société L'Ile et de ses conclusions d'appel.
Il reprend les moyens soulevés dans ses précédentes écritures et soutient en outre que :
- la société ne peut demander à la cour de statuer à nouveau sur ses conclusions tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser une indemnité de 300 000 euros relative à une perte d'exploitation de l'hôtel dès lors que le Conseil d'Etat n'a pas remis en cause le rejet de ces conclusions par l'arrêt de la cour du 9 juillet 2020 ; en tout état de cause, ces conclusions devraient être rejetées comme irrecevables dès lors qu'elles sont nouvelles en appel et ne se rattachent pas à un élément de préjudice apparu postérieurement au jugement du tribunal.
Par une ordonnance du 24 mars 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 28 avril 2023 à 12h00.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Elisabeth Jayat,
- les conclusions de M. Stéphane Gueguein, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. La société L'Ile, qui exploite un hôtel en Polynésie française, a donné mandat à la société Alcyom afin que celle-ci élabore une solution de financement en vue de la réalisation de travaux d'agrandissement de cet hôtel, ouvrant droit pour les investisseurs potentiels au bénéfice de la réduction d'impôt prévue par l'article 199 undecies B du code général des impôts. Par une décision du ministre chargé du budget du 31 mars 2014, l'agrément mentionné au II de cet article et au III de l'article 217 undecies du code général des impôts, après avoir été sollicité par la société Alcyom, a été délivré à la société Vahine Island 2013, société de portage, qui devait acquérir les biens produits et les louer à la société L'Ile en vue de leur exploitation. Cette décision plafonnant la base de l'investissement éligible à la réduction d'impôt à 2 670 000 euros et imposant la production de documents relatifs à la construction et à l'exploitation de l'hôtel agrandi avant le 20 juin 2015, la société L'Ile et les sociétés Vahine Island 2013 et Vahine Island 2014 ont saisi le tribunal administratif de Paris d'une demande tendant à l'annulation partielle de cet agrément, avant de se désister de leur recours qui avait été transmis au tribunal administratif de la Martinique. Parallèlement, la société L'Ile a saisi le tribunal administratif de la Polynésie française d'une demande tendant à ce que l'Etat soit condamné à lui verser une somme de 1 467 708 euros en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait des fautes commises par les services fiscaux dans l'instruction de la demande d'agrément et dans les conditions mises à l'agrément dans la décision du 31 mars 2014. Par un jugement du 11 avril 2019, le tribunal administratif de la Martinique, auquel cette demande avait été transmise, a condamné l'Etat à verser à la société L'Ile une indemnité d'un montant égal à celui qu'elle sollicitait. Par un arrêt du 9 juillet 2020, la cour, sur appel du ministre de l'action et des comptes publics, a annulé le jugement du 11 avril 2019, a rejeté la demande de la société L'Ile présentée devant le tribunal ainsi que ses conclusions d'appel et a constaté qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur les conclusions de la société tendant au sursis à exécution du jugement du 11 avril 2019.
Sur l'étendue du litige :
2. L'article 1er de l'arrêt de la cour du 9 juillet 2020 prononce l'annulation du jugement du 11 avril 2019, le jugement ayant été jugé irrégulier pour avoir fait droit aux conclusions indemnitaires de la société L'Ile sans avoir statué sur l'une des fins de non-recevoir opposées par l'Etat en défense. Par l'article 2 de son arrêt du 9 juillet 2020, la cour a également rejeté la demande de première instance de la société L'Ile, ainsi que les conclusions d'appel de la société qui avait demandé, nouvellement en appel, l'indemnisation d'un préjudice estimé à 300 000 euros en réparation de pertes d'exploitation de son hôtel. Par sa décision du 23 juin 2022, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a annulé l'article 2 de l'arrêt de la cour seulement en tant qu'il rejette la demande de la société L'Ile présentée devant le tribunal administratif et a renvoyé l'affaire devant la cour dans cette seule mesure. Dans ces conditions, l'arrêt de la cour ayant déjà statué sur les conclusions de la société L'Ile tendant à l'indemnisation d'un préjudice estimé à 300 000 euros pour pertes d'exploitation et étant devenu irrévocable sur ce point, la société requérante n'est pas recevable à réitérer ces conclusions après renvoi de l'affaire devant la cour, ainsi que le soutient le ministre en défense.
Sur les conclusions restant en litige :
En ce qui concerne les fins de non-recevoir opposées à la demande de première instance :
3. En premier lieu, il résulte de l'instruction que la société L'Ile a introduit un recours en annulation, enregistré le 18 septembre 2014 au greffe du tribunal administratif de Paris, contre les articles 5 et 12 de la décision du 31 mars 2014 octroyant l'agrément à la société Vahine Island 2013. Il n'est pas contesté que ce recours a été présenté dans le délai de recours contentieux par la société qui avait auparavant saisi l'administration d'un recours gracieux. Si la société L'Ile s'est désistée de ce recours contentieux le 11 juillet 2017, alors qu'il avait été transmis au tribunal administratif de la Martinique, ce dont il lui a été donné acte par ordonnance n° 1600133 du président du tribunal administratif de la Martinique du 22 septembre 2017, la décision du 31 mars 2014, qui ne peut être regardée, au surplus, comme ayant un objet purement pécuniaire vis-à-vis de la société L'Ile, n'était pas devenue définitive le 10 juin 2016, date à laquelle la société a présenté sa demande indemnitaire devant le tribunal administratif de la Polynésie française. Par suite, la fin de non-recevoir opposée par le ministre, tirée de l'irrecevabilité d'un recours indemnitaire présenté contre une décision à objet purement pécuniaire devenue définitive, doit être écartée.
4. En second lieu, il ressort des dispositions de l'article 199 undecies B du code général des impôts que la réduction d'impôt qu'elles prévoient est instituée en faveur des seuls contribuables qui réalisent un investissement productif neuf outre-mer, à l'exclusion, le cas échéant, de l'entreprise locataire chargée de l'exploiter, laquelle ne bénéficie qu'indirectement de cette réduction d'impôt sous la forme d'une diminution du loyer et du prix de cession du bien que sont tenus de consentir les investisseurs. Par suite, la demande indemnitaire de la société L'Ile n'a pas le même objet qu'une demande tendant à l'octroi de l'avantage fiscal prévu par l'article 199 undecies B du code général des impôts, dès lors que l'action engagée par l'entreprise ayant la disposition du bien produit tend, non à l'octroi d'une indemnité équivalant à une réduction d'impôt, mais à la réparation d'un préjudice distinct, de caractère économique et financier, tenant à l'absence de rétrocession, pour assurer le financement des travaux, d'une fraction de la réduction d'impôt dont aurait bénéficié l'investisseur si l'agrément sollicité lui avait été délivré conformément à la loi. Ainsi, la fin de non-recevoir tirée de ce que l'action indemnitaire de la société L'Ile a le même objet qu'une demande tendant à l'octroi de l'avantage fiscale prévu par l'article 199 undecies B du code général des impôts doit être écartée.
En ce qui concerne la responsabilité de l'Etat :
5. Aux termes de l'article 199 undecies B du code général des impôts, dans sa rédaction applicable à la date de la décision d'agrément en litige : " I - Les contribuables domiciliés en France au sens de l'article 4 B peuvent bénéficier d'une réduction d'impôt sur le revenu à raison des investissements productifs neufs qu'ils réalisent dans les départements d'outre-mer, à Saint-Pierre-et-Miquelon, en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française, à Saint-Martin, à Saint-Barthélémy, dans les îles Wallis-et-Futuna et les Terres australes et antarctiques françaises, dans le cadre d'une entreprise exerçant une activité agricole ou une activité industrielle, commerciale ou artisanale. (...) La réduction d'impôt prévue au premier alinéa s'applique également aux travaux de rénovation et de réhabilitation d'hôtel, de résidence de tourisme et de village de vacances classés. (...) II - 1. Les investissements mentionnés au I et dont le montant total par programme et par exercice est supérieur à 1 000 000 € ne peuvent ouvrir droit à réduction que s'ils ont reçu un agrément préalable du ministre chargé du budget dans les conditions prévues au III de l'article 217 undecies. (...) 2. Pour ouvrir droit à réduction et par dérogation aux dispositions du 1, les investissements mentionnés au I doivent avoir reçu l'agrément préalable du ministre chargé du budget dans les conditions prévues au III de l'article 217 undecies lorsqu'ils sont réalisés dans les secteurs des transports, de la navigation de plaisance, de l'agriculture, de la pêche maritime et de l'aquaculture, de l'industrie charbonnière et de la sidérurgie, de la construction navale, des fibres synthétiques, de l'industrie automobile ou concernant la rénovation et la réhabilitation d'hôtel, de résidence de tourisme et de village de vacances classés ". Aux termes du III de l'article 217 undecies du même code, dans sa rédaction applicable à la date de la décision d'agrément en litige : " 1. Pour ouvrir droit à réduction, les investissements mentionnés au I réalisés dans les secteurs des transports, de la navigation de plaisance, de l'agriculture, de la pêche maritime et de l'aquaculture, de l'industrie charbonnière et de la sidérurgie, de la construction navale, des fibres synthétiques, de l'industrie automobile ou concernant la rénovation et la réhabilitation d'hôtel, de résidence de tourisme et de village de vacances classés (...) doivent avoir reçu l'agrément préalable du ministre chargé du budget, après avis du ministre chargé de l'outre-mer (...) L'agrément est délivré lorsque l'investissement : a) présente un intérêt économique pour le département dans lequel il est réalisé ; il ne doit pas porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation ou constituer une menace contre l'ordre public ou laisser présumer l'existence de blanchiment d'argent ; b) poursuit comme l'un de ses buts principaux la création ou le maintien d'emplois dans ce département ; c) s'intègre dans la politique d'aménagement du territoire, de l'environnement et de développement durable ; d) garantit la protection des investisseurs et des tiers. L'octroi de l'agrément est subordonné au respect par les bénéficiaires directs ou indirects de leurs obligations fiscales et sociales et à l'engagement pris par ces mêmes bénéficiaires que puissent être vérifiées sur place les modalités de réalisation et d'exploitation de l'investissement aidé. 2. L'agrément est tacite à défaut de réponse de l'administration dans un délai de trois mois à compter de la réception de la demande d'agrément (...) Le délai mentionné au premier alinéa peut être interrompu par une demande de l'administration fiscale de compléments d'informations ". Ces dispositions instituent, au profit des sociétés qui remplissent les conditions qu'elles fixent, un droit au bénéfice de l'agrément qu'elles prévoient. Elles ne permettent au ministre chargé du budget ni de refuser l'agrément prévu au III, ni de limiter le montant des investissements productifs pour lesquels il est délivré en se fondant sur d'autres conditions que celles qui sont prévues par la loi.
6. Il résulte de l'instruction que la société Alcyom a sollicité l'agrément, pour le compte de la société de portage Vahine Island 2013, le 4 octobre 2012, que l'administration a demandé des compléments d'informations les 28 décembre 2012, 1er août 2013 et 28 novembre 2013, auxquelles le demandeur a répondu les 24 mai 2013, 18 octobre 2013 et 24 décembre 2013 et que le demandeur a ensuite spontanément adressé de nouvelles pièces les 18 février, 19 et 26 mars 2014. Il ne résulte d'aucun élément de l'instruction que les demandes de l'administration auraient été injustifiées, répétitives ou abusives au regard de l'objet et du montant de l'investissement au titre duquel était demandé l'agrément. En outre, en tardant à répondre à ces demandes, la société Alcyom a concouru à l'allongement du délai d'instruction de la demande d'agrément. Dans ces conditions, le délai d'instruction de la demande d'agrément a été valablement interrompu par les demandes de compléments d'information de l'administration, conformément aux dispositions précitées et le délai de 18 mois qui s'est écoulé entre la présentation de la demande et l'intervention de la décision du 31 mars 2014 ne peut être regardé comme présentant un caractère fautif de la part des services de l'Etat.
7. En revanche, s'agissant des conditions mises à l'agrément dans la décision du 31 mars 2014, l'article 5 de cette décision plafonne la base éligible à la réduction d'impôt à 2 670 000 euros pour une base en principe éligible de 4 749 863 euros. Si le ministre fait valoir que ce plafonnement correspond au coût moyen des investissements du même type en Polynésie française et qu'il vise à prévenir des abus dans le secteur de l'hôtellerie et notamment des surfacturations destinées à détourner l'argent public, l'administration fiscale ne produit aucun élément permettant d'estimer qu'en l'espèce, l'investissement projeté aurait présenté un risque avéré de surfacturations ou autre abus traduisant la méconnaissance de l'une des conditions auxquelles est subordonné l'agrément en application des articles 199 undecies B et 217 undecies du code général des impôts. Si la société Alcyom ne s'est pas opposée à ce plafonnement, dont elle connaissait le principe depuis 1996, et a accepté de revoir en conséquence le plan de financement de l'opération et le montant de sa demande, il résulte de l'instruction et notamment des échanges entre elle et l'administration que le plafonnement lui a été présenté comme une condition de l'obtention de l'agrément et, de plus, l'administration, saisie par recours administratif, a refusé de faire droit à la demande de modification de l'article 5 de la décision du 31 mars 2014. Dans ces conditions, la limitation du montant éligible de l'investissement objet de l'agrément, qui est fondée sur d'autres conditions que celles qui sont prévues par la loi, présente un caractère fautif et est de nature à engager la responsabilité de l'Etat.
8. Par ailleurs, l'article 12 de la décision d'agrément du 31 mars 2014 subordonne l'agrément à la production par le demandeur, avant le 30 juin 2015, de la déclaration d'achèvement des travaux de l'hôtel, des factures justifiant le coût définitif des travaux, de l'arrêté de classement de l'hôtel en hôtel 5 étoiles, des comptes d'exploitation de la société L'Ile aux termes de la première année d'exploitation et des justificatifs des emplois créés. Il appartient à l'administration, lorsqu'elle instruit une demande d'agrément présentée au titre de l'article 199 undecies B, de s'assurer que l'investissement en cause entre bien dans le champ d'application de la réduction d'impôt tel que défini par l'article 199 undecies B et est susceptible d'en remplir, notamment, les conditions de fond fixées au I de cet article, relatives notamment à la nature, à la localisation et à la réalisation des investissements éligibles, puis, le cas échéant, de vérifier si les conditions de délivrance de l'agrément au regard des conditions fixées par l'article 217 undecies sont remplies. Au surplus, et comme le soutient le ministre, il lui appartient de fixer les conditions de l'agrément dont le non-respect entrainera, le cas échéant, le retrait de l'agrément et la déchéance des avantages fiscaux qui y sont attachés, conformément à l'article 1649 nonies A du code général des impôts. A ce titre, l'administration était fondée à fixer une date limite pour l'achèvement de l'opération. Il ne résulte par ailleurs pas de l'instruction que, lors de l'intervention de la décision du 31 mars 2014, l'administration ait disposé d'éléments faisant apparaître la date du 30 juin 2015 comme irréaliste au regard du calendrier de réalisation de l'opération tel qu'il apparaissait dans la demande présentée par la société Alcyom, qui faisait état d'une livraison des biens au mois de décembre 2014. Il résulte toutefois en l'espèce de l'instruction que par courrier du 5 mai 2014, la société L'Ile a demandé la modification de ces conditions, que l'administration lui a proposé, par courriel du 20 juin 2014, de modifier l'article 12 de la décision d'agrément pour reporter la date de production des justificatifs au 31 décembre 2016 et pour prévoir qu'en cas de difficultés administratives pour l'obtention du certificat de conformité des travaux et de l'arrêté de classement hôtelier, la société Vahine Island 2013 devrait se rapprocher du bureau des agréments et rescrits. La société a donné son accord à cette modification le 26 juin 2014. La société ayant toutefois indiqué, par un courriel du 7 juillet 2014, ne pas renoncer à contester le plafonnement de la base éligible à l'avantage fiscal, comme le service l'avait demandé, la modification envisagée de l'article 12 n'est pas intervenue. L'administration, qui avait admis que la date du 31 décembre 2016 était plus conforme au calendrier prévisible de réalisation de l'opération, n'invoque, pour justifier du refus de modifier en ce sens l'article 12 de la décision du 31 mars 2014, aucun autre motif que la persistance de la société à contester le plafonnement prévu à l'article 5 de la décision lequel, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, ne se rattache pas à l'application des dispositions légales applicables. Dans ces conditions, le refus de modifier l'article 12 de la décision du 31 mars 2014, qui ne repose sur aucun motif de nature à le justifier, est fautif et de nature à engager la responsabilité de l'administration.
En ce qui concerne la réparation :
9. Il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que la société Vahine Island 2013 avait droit à l'agrément sollicité, sans qu'il puisse être subordonné à l'achèvement des travaux dans le délai exigé par l'administration, pour une base de 4 749 863 euros, correspondant au montant total de l'investissement, après soustraction des coûts du projet ne se rattachant pas directement à l'hébergement touristique, notamment ceux liés à la construction des structures d'hébergement du personnel et les frais d'acte. Il résulte de l'instruction, et notamment du constat d'huissier du 2 juin 2017 et des justificatifs bancaires produits par la société L'Ile, que celle-ci a procédé aux travaux d'agrandissement de l'hôtel en les finançant intégralement, sans bénéficier de la rétrocession d'une partie de l'avantage fiscal sollicité par la société de portage, dès lors que la société Vahine Island 2013 a été dans l'impossibilité de produire les justificatifs demandés au 30 juin 2015 et, ainsi, de bénéficier effectivement de l'agrément lui ayant été octroyé le 31 mars 2014. Ainsi, la société L'Ile est en droit d'obtenir la condamnation de l'Etat à l'indemniser du préjudice direct et certain résultant pour elle de la perte de la rétrocession de la partie de l'avantage fiscal attaché à l'agrément qui devait lui revenir.
10. Si l'agrément a été délivré à la société Vahine Island 2013, il résulte de l'instruction, et notamment de l'article 6-1 du contrat conclu le 11 juillet 2012 entre la société L'Ile et la société Alcyom, que l'avantage fiscal obtenu devait être immédiatement rétrocédé à la société L'Ile, à hauteur de 30,90 % de la base éligible à la réduction d'impôt, soit 1 467 708 euros.
11. Le désistement de la société de son recours en excès de pouvoir dirigé contre la décision du 31 mars 2014 et la réalisation du projet malgré ce désistement ne peuvent être regardés comme traduisant un renoncement de sa part au bénéfice des avantages attachés à l'agrément. Par ailleurs, il ne résulte pas de l'instruction que la société L'Ile, qui a été contrainte de revoir les conditions de réalisation et de financement de son projet du fait de l'impossibilité de bénéficier du dispositif, aurait été dans l'incapacité de respecter la date d'achèvement du projet du 31 décembre 2016 si l'agrément de l'opération avait été conditionné à cette date. Ainsi, le préjudice résultant de la perte de l'avantage escompté trouve sa cause directe dans le plafonnement illégal de cet avantage et dans le maintien injustifié des conditions mises à l'agrément prévues par l'article 12 de la décision du 31 mars 2014.
12. Il résulte de tout ce qui précède que la société L'Ile est fondée à demander la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 1 467 708 euros. La société est également fondée à demander que cette somme porte intérêts au taux légal à compter du 14 mars 2016, date de réception par l'administration de sa demande préalable indemnitaire du 24 février 2016. La capitalisation des intérêts a été demandée pour la première fois par la société L'Ile dans son mémoire en défense présenté en appel, enregistré le 23 octobre 2019. Les intérêts échus seront capitalisés à cette date et à chaque échéance annuelle ultérieure.
Sur les frais liés au litige :
13. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des frais d'instance exposés par la société requérante et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : L'Etat est condamné à verser à la société L'Ile la somme de 1 467 708 euros en indemnisation du préjudice résultant de la perte des avantages liés à l'agrément fiscal relatif aux travaux concernant l'hôtel qu'elle exploite en Polynésie française.
Article 2 : Cette somme portera intérêts à compter du 14 mars 2016. Les intérêts échus seront capitalisés au 23 octobre 2019 puis à chaque échéance annuelle ultérieure pour porter eux-mêmes intérêts.
Article 3 : L'Etat versera à la société L'Ile la somme de 1 500 euros en application de l'article L 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et à la société L'Ile.
Délibéré après l'audience du 6 février 2024 à laquelle siégeaient :
Mme Elisabeth Jayat, présidente,
M. Sébastien Ellie, premier conseiller,
Mme Héloïse Pruche-Maurin, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 mars 2024.
Le premier assesseur,
Sébastien EllieLa présidente-rapporteure
Elisabeth Jayat
La greffière,
Virginie Santana
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 22BX01701