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29/02/2024 | FRANCE | N°22BX00453

France | France, Cour administrative d'appel, 2ème chambre, 29 février 2024, 22BX00453


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme D... H... et M. E... C..., agissant en leurs noms propres et en qualité de représentants légaux de leurs enfants mineurs F... et G..., ont demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner le centre hospitalier universitaire (CHU)

de Bordeaux à leur verser des provisions de 16 000 euros au bénéfice de F...,

de 8 000 euros au bénéfice de G..., de 34 700,31 euros au titre des préjudices

de Mme H... et de 30 000 euros au titre des préjudices

de M. C..., avec intérêts au taux légal à compter du 1er août 2019.



Dans la même instance, l...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... H... et M. E... C..., agissant en leurs noms propres et en qualité de représentants légaux de leurs enfants mineurs F... et G..., ont demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner le centre hospitalier universitaire (CHU)

de Bordeaux à leur verser des provisions de 16 000 euros au bénéfice de F...,

de 8 000 euros au bénéfice de G..., de 34 700,31 euros au titre des préjudices

de Mme H... et de 30 000 euros au titre des préjudices de M. C..., avec intérêts au taux légal à compter du 1er août 2019.

Dans la même instance, la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de la Gironde a demandé au tribunal de condamner le CHU de Bordeaux à lui verser une somme de 21 808,75 au titre de ses débours provisoires.

Par un jugement n° 1903868 du 16 novembre 2021, le tribunal a condamné le CHU de Bordeaux à verser des provisions de 6 400 euros au titre des préjudices de F...,

de 1 000 euros au titre du préjudice moral de G..., de 2 405 euros au titre des frais divers et des frais de déplacement, de 2 877,75 euros au titre des préjudices de Mme H...

et de 1 000 euros au titre du préjudice moral de M. C..., avec intérêts à compter

du 1er août 2019, et à verser une somme de 10 904,37 euros à la CPAM de la Gironde.

Procédure devant la cour :

Par une requête sommaire enregistrée le 10 février 2022 et des mémoires enregistrés

les 31 mars 2022, 8 juin 2022, 22 septembre 2022 et 16 mai 2023, le CHU de Bordeaux, représenté par la SELARL Le Prado, Gilbert, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter les demandes présentées devant le tribunal par Mme H... et autres et par la CPAM de la Gironde.

Il soutient que :

- le jugement est insuffisamment motivé au regard des moyens dont le tribunal était saisi ;

- le déclenchement de l'accouchement était médicalement justifié par le ptyalisme important de Mme H..., ainsi que par la suspicion d'une macrosomie fœtale, et au demeurant, il est sans lien avec les complications ; la présence d'un seul gynécologue obstétricien était conforme aux dispositions de l'article D. 6124-44 du code de la santé publique, et la maternité du CHU dispose en outre d'un autre gynécologue obstétricien d'astreinte, en mesure d'être présent en 30 minutes ; c'est ainsi à tort que le tribunal a retenu une faute à raison d'un nombre insuffisant de personnel ;

- à supposer qu'un retard de 10 minutes puisse être retenu dans l'appel de l'obstétricien par la sage-femme, ce délai n'a pas eu d'incidence sur l'heure d'extraction de l'enfant car le médecin était momentanément indisponible en raison d'une urgence vitale, ce qui ne saurait engager la responsabilité de l'hôpital dès lors que les médecins étaient en nombre suffisant au regard de la règlementation ;

- à titre subsidiaire, alors que seul un retard de 10 minutes pourrait être regardé comme fautif, la perte de chance ne peut qu'être infime et ne saurait être fixée à 50 % ;

- à titre très subsidiaire, la somme allouée au titre du déficit fonctionnel temporaire sur la base de 21 euros par jour de déficit total est excessive ;

- l'appel incident de la CPAM de la Gironde ne peut qu'être rejeté dès lors qu'il conteste le principe même de sa responsabilité ; à titre subsidiaire, la caisse, qui se prévaut d'une créance de 21 808,75 euros, n'est pas fondée à soutenir que la somme de 10 904,37 euros qui lui a été allouée après application du taux de perte de chance de 50 % serait insuffisante.

Par un mémoire enregistré le 17 mars 2022, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), représenté par la SELARL Birot, Ravaut et Associés, conclut à sa mise hors de cause.

Il fait valoir que :

- la responsabilité pour faute du CHU de Bordeaux est engagée à raison du double retard retenu par la seconde expertise ;

- au demeurant, les seuils de gravité permettant une indemnisation au titre de la solidarité nationale ne sont pas atteints.

Par des mémoires en défense enregistrés les 26 avril 2022, 13 septembre 2022

et 9 mai 2023, Mme H... et M. C..., agissant en leurs noms propres et en qualité

de représentants légaux de leurs enfants mineurs F... et G..., représentés par

la SELARL Coubris, Courtois et Associés, concluent au rejet de la requête et, par la voie de l'appel incident, demandent à la cour d'évaluer les provisions, avant application d'un taux de perte de chance devant être porté à 75 %, à 16 000 euros au titre des préjudices de

F..., 15 000 euros au titre du préjudice moral de chacun des parents, 4 000 euros au titre

du préjudice moral de G..., 15 000 euros pour M. C... et 18 090,24 euros pour

Mme H... au titre de leurs préjudices patrimoniaux, outre 1 610,07 euros de frais

de déplacement, et d'assortir les condamnations des intérêts au taux légal à compter de la saisine du tribunal. Ils demandent en outre qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge

du CHU de Bordeaux au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils font valoir que :

- les seconds experts ont estimé que le déclenchement de l'accouchement était de convenance, de sorte que la disponibilité de l'obstétricien s'imposait ; alors que l'accouchement a été fixé sur une période où il était de garde, il appartenait à l'obstétricien d'en décaler la date ou de solliciter l'obstétricien d'astreinte, d'autant plus que la parturiente avait un antécédent d'accouchement difficile ;

- la sage-femme n'a appelé le médecin qu'à 0 h 10, alors que le rythme cardiaque fœtal était pathologique depuis plus d'une heure et qu'une aggravation à 23 h 50 justifiait l'appel de l'obstétricien à 0 h 00 ; le retard de 10 minutes retenu par les experts n'est pas contestable ;

- ils maintiennent qu'une expression abdominale a été pratiquée à deux reprises, et cette pratique prohibée a causé un préjudice moral à Mme H... ;

- malgré l'antécédent d'accouchement difficile par spatules et l'aggravation du rythme cardiaque fœtal, l'obstétricien a tenté une extraction instrumentale qu'il a confiée à une interne alors que l'engagement était peu favorable ; ainsi, le retard à l'extraction n'est pas seulement imputable au mode d'organisation du service comme l'ont retenu les experts, mais aussi à une faute médicale, et la perte de temps a été de 49 minutes ;

- selon le professeur A..., l'asphyxie progressive du fœtus est imputable à une faute de la sage-femme qui a augmenté la dose de Syntocinon(r) en méconnaissance des recommandations ; les experts ont évalué à 50 % la perte de chance d'échapper aux séquelles hypoxiques sans tenir compte de cette faute, de sorte qu'il a lieu de fixer la perte de chance

à 75 % ;

- les préjudices de F... peuvent être évalués à 4 233 euros au titre des périodes de déficit fonctionnel retenues par les experts, à 10 000 euros pour les souffrances endurées de 3 sur 7 et à 1 500 euros pour le préjudice esthétique temporaire caractérisé par les cathéters lors de l'hospitalisation en service de néonatologie, ce qui justifie une provision de 16 000 euros avant application du taux de perte de chance ;

- les provisions allouées aux parents au titre de leur préjudice moral sont dérisoires au regard de l'angoisse ressentie pour la vie et le développement de leur enfant, et du syndrome post-traumatique présenté par Mme H... ; elles doivent être évaluées sur la base

de 15 000 euros pour chacun avant application du taux de perte de chance ;

- les sommes de 1 600 euros au titre des frais de médecin conseil et de 1 610,07 euros au titre des frais de déplacement retenues par le tribunal ne sont pas contestées ; il conviendra d'appliquer à la seconde un taux de perte de chance de 75 % ;

- les pertes de prime d'intéressement et de prime de participation de Mme H... du fait de ses absences dans le cadre du suivi de F... se sont élevées à 420,74 euros

en 2017 et 1 334,77 euros en 2018, et il convient en outre de tenir compte d'une incidence professionnelle à hauteur de 15 000 euros pour chacun des parents ; compte tenu des difficultés d'apprentissage de F..., Mme H... a sollicité un congé de présence parentale à compter du 1er décembre 2022, ce qui aura un impact sur sa carrière professionnelle ;

- le préjudice moral de G... doit être indemnisé à titre provisionnel à hauteur

de 4 000 euros.

Par un mémoire enregistré le 18 juillet 2022, la CPAM de la Gironde, représentée par l'AARPI CB2P Avocats, conclut au rejet de la requête et demande à la cour, par la voie

de l'appel incident, de porter à 21 808,75 euros la somme que le CHU de Bordeaux a été condamné à lui verser. Elle demande en outre que soient mises à la charge du CHU les sommes de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de 13 euros au titre du droit de plaidoirie.

Elle fait valoir que :

- c'est à bon droit que le tribunal a retenu la responsabilité pour faute du CHU

de Bordeaux ;

- elle est fondée à demander une provision de 21 808,75 euros correspondant

à ses débours provisoires au 28 avril 2020.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme B...,

- les conclusions de Mme Isoard, rapporteure publique,

- et les observations de Me Susperregui, représentant Mme H... et M. C....

Considérant ce qui suit :

1. Le 27 avril 2016 à 9 h, Mme H... a été admise au CHU de Bordeaux

à 37 semaines d'aménorrhée pour le déclenchement de son accouchement en raison d'un ptyalisme invalidant. Le travail a commencé vers 21 h, et la dose de Syntocinon(r) administrée par perfusion à partir de 19 h 40 a été progressivement augmentée afin d'accélérer le rythme des contractions. Le rythme cardiaque fœtal a présenté des ralentissements à 80 battements par minute (bpm) à partir de 22 h 55, puis des ralentissements profonds et répétés à 60 bpm partir

de 23 h 50. A 0 h 10, la sage-femme a appelé l'obstétricien de garde et l'interne. Une extraction par voie basse à l'aide de spatules, puis une rotation par ventouse de l'enfant qui se présentait en position occipito-sacrée ont été tentées, sans succès. Il a alors été décidé de réaliser une césarienne, mais cette intervention a été retardée par une indisponibilité temporaire de l'obstétricien, appelé pour une urgence extrême auprès d'une autre parturiente. L'enfant F... C..., né à 0 h 59 avec un score d'Apgar de 3 sur 10 et une bosse séro-sanguine importante, a présenté une encéphalopathie néonatale de grade II (modérée) en lien avec une asphyxie intra-partum. Il a été pris en charge dans le service de réanimation néonatale du CHU de Bordeaux, où son évolution a été favorable après une défaillance multi-viscérale modérée. Il est sorti de l'hôpital le 26 mai 2016, et les examens ultérieurs sont apparus rassurants. Si un retard de développement psychomoteur a pu être noté, notamment en ce qui concerne l'acquisition de la marche à l'âge de 22 mois, ainsi que des difficultés d'organisation, de concentration et de motricité fine ayant nécessité un soutien lorsqu'il a été scolarisé au cours préparatoire, son évolution a été considérée comme normale pour son âge.

2. Mme H... et son conjoint, M. C..., ont saisi la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (CCI), laquelle a ordonné une première expertise dont le rapport, déposé le 26 décembre 2017, a qualifié le délai de réalisation de la césarienne en urgence d'un peu long, sans toutefois retenir aucune faute. Mme H... et M. C... ont produit un avis médical circonstancié critiquant notamment l'accroissement des doses de Syntocinon(r) " à l'origine de l'asphyxie périnatale progressive ", ainsi que la tentative de faire naître l'enfant par voie basse alors qu'un risque majeur d'acidose aurait nécessité une césarienne en urgence dès 0 h. Par un avis du 21 mars 2018, la CCI a décidé de procéder à une nouvelle expertise, et un autre collège d'experts a été désigné. Le rapport déposé le 12 novembre 2018 a conclu que les retards dans l'appel de l'obstétricien et dans la réalisation de l'extraction, d'une durée cumulée de plus

de 30 minutes, présentaient un caractère fautif, et étaient à l'origine pour l'enfant d'une perte de chance de l'ordre de 50 % d'échapper à l'asphyxie intra-partum.

3. La CCI ayant rendu un avis d'incompétence en l'état au motif que les seuils de gravité prévus à l'article D. 1142-1 du code de la santé publique n'étaient pas atteints, Mme H... et M. C..., agissant en leurs noms propres et en qualité de représentants légaux de leurs enfants mineurs F... et G..., ont demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner le CHU de Bordeaux à verser des provisions de 16 000 euros au bénéfice de F..., de 8 000 euros au bénéfice de G..., de 34 700,31 euros au titre des préjudices de Mme H... et de 30 000 euros au titre des préjudices de M. C..., avec intérêts au taux légal à compter du 1er août 2019. La CPAM de la Gironde est intervenue

dans l'instance et a demandé le remboursement de ses débours provisoires à hauteur de 21 808,75 euros. Par un jugement du 16 novembre 2021, le tribunal a condamné le CHU

de Bordeaux, sur la base d'une part de responsabilité de 50 %, à verser des provisions

de 6 400 euros au titre des préjudices de F..., de 1 000 euros au titre du préjudice moral de G..., de 2 405 euros au titre des frais divers et des frais de déplacement, de 2 877,75 euros au titre des préjudices de Mme H... et de 1 000 euros au titre du préjudice moral

de M. C..., avec intérêts à compter du 1er août 2019, et enfin à verser une somme

de 10 904,37 euros à la CPAM de la Gironde. Le CHU relève appel de ce jugement en contestant sa responsabilité. Par leur appel incident, Mme H... et M. C... sollicitent le rehaussement des provisions allouées par le tribunal. La CPAM de la Gironde demande que la condamnation prononcée à son profit soit portée à 21 808,75 euros.

Sur la régularité du jugement :

4. Le moyen tiré de ce que le jugement serait insuffisamment motivé au regard

des moyens dont le tribunal était saisi, invoqué dans la requête sommaire du CHU de Bordeaux et non repris ultérieurement, n'est pas assorti des précisions permettant d'en apprécier le

bien-fondé.

Sur la responsabilité du CHU de Bordeaux :

5. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. / (...). "

6. Les seconds experts ont relevé que le monitoring, pathologique à partir de 23 h avec un rythme moyen à 150 bpm et des décélérations à 80 bpm à chaque contraction, ne justifiait pas une césarienne immédiate, mais une surveillance étroite et une extraction d'urgence en cas d'aggravation, et qu'à 23 h 50, le rythme cardiaque fœtal était tachycarde à 175 bpm avec des décélérations profondes à 60 bpm. Ils ont estimé que l'appel de l'obstétricien par la sage-femme 20 minutes après l'apparition de cette aggravation était tardif d'au moins 10 minutes. Devant l'échec de la tentative d'extraction par voie basse, parfaitement justifiée selon les experts, l'obstétricien a décidé de réaliser une césarienne en urgence, mais en a été empêché par une urgence extrême sur une autre parturiente qui l'a rendu indisponible durant 20 à 25 minutes, tandis que l'interne, non habilitée à débuter l'intervention, a seulement pu installer

Mme H... au bloc opératoire dans l'attente du retour du médecin senior, lequel est alors parvenu à réaliser l'extraction en 9 minutes. Les experts ont ainsi retenu un retard de plus

de 30 minutes dans l'extraction fœtale, dont 10 imputables à la sage-femme et plus de 20 à l'absence de l'obstétricien.

7. Le CHU de Bordeaux fait valoir que le premier retard n'a pas eu d'incidence car la naissance a été retardée par l'indisponibilité de l'obstétricien, dont il conteste le caractère fautif au regard de l'organisation du service. Toutefois, il est constant que la maternité de niveau III du CHU de Bordeaux, qui a vocation à prendre en charge des grossesses et des accouchements à risques, réalise près de 5 000 accouchements par an avec un seul obstétricien et deux internes sur place en permanence, un second obstétricien d'astreinte pouvant être présent en 30 minutes. Les experts ont qualifié ce mode d'organisation de dangereux et irréaliste en relevant que le délai d'intervention de 30 minutes du médecin d'astreinte était trop long, que la structure justifierait la présence de deux obstétriciens et d'un troisième d'astreinte pouvant être opérationnel en moins de 20 minutes, et que cette insuffisance manifeste de l'équipe médicale obstétricale faisait courir un risque grave et injustifié aux parturientes. Le CHU de Bordeaux, qui ne conteste pas la

faute imputable à la sage-femme, ne peut se prévaloir du respect des dispositions de

l'article D. 6124-44 du code de la santé publique imposant seulement la présence permanente d'un gynécologue-obstétricien pour les unités réalisant plus de 1 500 naissances par an pour contester le caractère fautif de l'organisation du service dans sa maternité de niveau III

réalisant 5 000 naissances par an, dont les experts ont estimé qu'elle n'aurait jamais dû être validée par les autorités de tutelle. Par suite, il n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal a retenu sa responsabilité pour faute à raison d'un retard de plus de 30 minutes dans l'extraction de l'enfant.

8. Par leur appel incident, Mme H... et M. C... font valoir que les experts ont fixé le taux de perte de chance à 50 % sans tenir compte de ce que l'asphyxie progressive du fœtus était imputable, selon l'avis médical du professeur A... qu'ils avaient produit, à une méconnaissance par la sage-femme des recommandations relatives à l'administration du Syntocinon(r). Dans son avis du 21 mars 2018, la CCI leur a demandé de rappeler et de détailler les doses et leur accroissement, d'indiquer qui avait pris l'initiative d'augmenter la dose alors que les contractions utérines avaient atteint le nombre de 8 par 10 minutes, et de préciser si la limite physiologique du nombre de contractions par 10 minutes avait été respectée. Les experts, qui ont conclu que la cause de l'hypoxie pendant l'accouchement était inconnue, se sont bornés à affirmer, sans détailler les doses administrées ni donner leur avis sur le respect des bonnes pratiques, qu'un épisode d'hypercinésie utérine apparu pendant le travail s'était résolu, et que la posologie du Syntocinon(r) " n'intervenait pas dans la discussion ". Toutefois, l'avis du professeur A... fait apparaître que les contractions utérines, qui étaient de 5 par 10 minutes entre 18 h 57 et 20 h 15, avaient atteint 8 par 10 minutes de 20 h 15 à 22 h 30, soit durant 1 h 15 au cours de laquelle les premiers ralentissements du rythme cardiaque fœtal ont été enregistrés. Si le rythme des contractions a diminué à 6 en 10 minutes de 22 h 30 à 22 h 55, la limite physiologique serait de 5 par 10 minutes selon le professeur A..., et à partir de 23 h, la posologie du Syntocinon(r) a été augmentée pour la troisième fois, alors que le rythme des contractions est devenu impossible à déterminer. Dans ces circonstances, l'expertise ne permet pas à la cour d'exclure l'existence d'un lien entre l'asphyxie intra-partum, qui a conduit à des lésions anoxo-ischémiques constatées à l'IRM, et une hyperactivité utérine imputable au Syntocinon(r) qui serait de nature à faire obstacle à ce que le placenta apporte suffisamment d'oxygène au fœtus. Par suite, il y a lieu d'ordonner une expertise aux fins et dans les conditions prévues par le dispositif du présent arrêt.

DÉCIDE :

Article 1er : Avant de statuer sur l'appel du CHU de Bordeaux et l'appel incident de Mme H... et M. C..., il sera procédé à une expertise médicale contradictoire en présence de Mme H... et M. C..., du CHU de Bordeaux, de la CPAM de la Gironde et de l'ONIAM.

Article 2 : L'expert aura pour mission de :

1°) prendre connaissance du dossier médical de l'accouchement de Mme H..., du rapport de l'expertise des docteurs Finkelstein et Furioli organisée par la CCI, et de l'avis du professeur A... ;

2°) en s'appuyant sur la littérature dont les références seront précisées, présenter l'état des connaissances sur les risques d'asphyxie encourus par le fœtus lors de l'accouchement au regard du rythme des contractions utérines, notamment en ce qui concerne la limite physiologique

de 5 contractions par 10 minutes mentionnée par le professeur A... ;

3°) présenter l'état des bonnes pratiques concernant l'usage du Syntocinon(r) ; dire si elles ont été respectées ou méconnues lors de la pose initiale de la perfusion à 18 h et lors de chacune des trois augmentations de dose à 18 h 57, 19 h 40 et 23 h ;

4°) donner son avis sur l'existence d'un lien entre le Syntocinon(r) et la survenue progressive

de l'asphyxie intra-partum ;

5°) donner son avis sur le moment auquel une césarienne était nécessaire ;

6°) évaluer la perte de chance d'échapper à l'asphyxie intra-partum compte tenu des manquements éventuellement retenus ;

7°) apporter à la cour tout autre élément d'information qu'il estimera utile.

Article 3 : Pour l'accomplissement de sa mission, l'expert pourra se faire remettre, en application de l'article R. 621-7-1 du code de justice administrative, tous documents utiles, et notamment tous ceux relatifs aux examens et soins pratiqués sur l'intéressée.

Article 4 : L'expert sera désigné par le président de la cour. Après avoir prêté serment,

il accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2

à R. 621-14 du code de justice administrative.

Article 5 : Conformément aux dispositions du premier alinéa de l'article R. 621-9 du code

de justice administrative, l'expert déposera son rapport sous forme dématérialisée dans le délai fixé par le président de la cour dans la décision le désignant. Il en notifiera une copie à chacune des parties intéressées. Avec l'accord de ces dernières, cette notification pourra s'opérer sous forme électronique.

Article 6 : Tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par

le présent arrêt sont réservés jusqu'en fin d'instance.

Article 7 : Le présent arrêt sera notifié au centre hospitalier universitaire de Bordeaux, à Mme H... et M. C..., à la caisse primaire d'assurance maladie de la Gironde et à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales. Une copie en sera adressée à l'agence régionale de santé Nouvelle Aquitaine.

Délibéré après l'audience du 6 février 2024 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, présidente,

Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,

M. Olivier Cotte, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 février 2024.

La rapporteure,

Anne B...

La présidente,

Catherine GiraultLa greffière,

Virginie Guillout

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités en ce qui la concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22BX00453


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22BX00453
Date de la décision : 29/02/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: Mme Anne MEYER
Rapporteur public ?: Mme ISOARD
Avocat(s) : SARL LE PRADO - GILBERT

Origine de la décision
Date de l'import : 10/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-02-29;22bx00453 ?
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