Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme E... A... et M. C... A... agissant en leur nom ainsi qu'en qualité de représentants légaux de leurs deux enfants mineurs, F... et D... A... ainsi que M. G... A... ont demandé au tribunal administratif de la Martinique de condamner solidairement l'État, la commune de Fort-de-France, la commune de Schoelcher et la collectivité territoriale de Martinique à verser une indemnité de 15 970 euros à M. et Mme A... et une indemnité de 7 160 euros à M. G... A..., assorties des intérêts au taux légal et de la capitalisation des intérêts à compter du 7 mai 2020, en réparation du préjudice qu'ils estiment avoir subi à la suite du mouvement de blocage des établissements scolaires qui a affecté le collège Terreville à Schoelcher entre le 20 janvier et le 12 mars 2020 et le lycée Bellevue à Fort-de-France du 15 décembre 2019 au 9 mars 2020.
Par un jugement n° 2000519 du 15 novembre 2021, le tribunal administratif de la Martinique a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 17 janvier 2022, Mme E... A... et M. C... A... agissant en leur nom ainsi qu'en qualité de représentants légaux de leurs deux enfants mineurs, F... et D... A..., ainsi que M. G... A..., représentés par Me Soudan, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 15 novembre 2021 ;
2°) de condamner l'État à verser une indemnité de 15 970 euros à M. et Mme A... et une indemnité de 7 160 euros à M. G... A..., assorties des intérêts au taux légal et de la capitalisation des intérêts à compter du 7 mai 2020 ;
3°) à titre subsidiaire de condamner solidairement l'État, la commune de Fort-de-France, la commune de Schoelcher et la collectivité territoriale de Martinique à leur verser les mêmes sommes ;
4°) de mettre à la charge de l'État, et subsidiairement à la charge solidaire de l'État, la commune de Fort-de-France, la commune de Schoelcher et la collectivité territoriale de Martinique, une somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens.
Ils soutiennent que :
- leur requête est recevable dès lors que le pli du rejet de leur réclamation préalable a été présenté et retourné au rectorat le 25 juin 2020 sans qu'ils en aient eu connaissance ;
- le collège Terreville à Schoelcher où est scolarisée leur fille D... a fait l'objet d'un blocage entre le 20 janvier et le 12 mars 2020 et le lycée Bellevue à Fort-de-France où étaient scolarisés F... et G... a été bloqué entre le 15 décembre 2019 et le 9 mars 2020, empêchant la tenue des cours et l'accueil des élèves ;
- le rectorat n'a engagé aucune action sérieuse pour mettre fin à ces blocages, les discussions dont il se prévaut sont tardives et il n'a pas usé de son pouvoir hiérarchique ni pris de sanction à l'encontre des chefs d'établissement, ce qui constitue une faute de nature à engager sa responsabilité ; les établissements qui ont été bloqués en métropole dans le cadre des manifestations contre la réforme des retraites ont fait l'objet d'interventions des forces de l'ordre et les établissements privés ont pu maintenir leur activité ; le rectorat ne justifie pas du nombre de grévistes et de l'impossibilité d'assurer des enseignements de substitution ;
- cette situation constitue une entrave à la liberté d'aller et de venir ;
- elle méconnaît les articles 28 et 29 de la Convention internationale des droits de l'enfant ainsi que le droit à l'éducation reconnu par le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ; elle méconnaît le principe d'égalité de l'accès à l'éducation ; elle méconnaît les articles L. 111-1 et L. 111-2 du code de l'éducation et le principe de continuité du service public de l'éducation ;
- il n'existe aucune circonstance exonératoire ;
- du fait de l'absence de scolarisation de leurs enfants durant plusieurs semaines, les consorts A... ont subi un préjudice moral, matériel, financier et de jouissance ; cette situation entraîne un retard dans les apprentissage et la préparation du brevet des collèges, soit 14 130 euros au titre des heures de cours perdues, 5 000 euros au titre du préjudice moral de G... A..., et 3 000 euros pour celui F... et 1 000 euros pour celui de D... ;
- à titre subsidiaire, il recherche la responsabilité de l'État pris dans la personne du préfet, de la commune et de la collectivité territoriale de la Martinique qui n'ont pris aucune mesures pour rétablir l'accès aux établissements.
Par un courrier du 3 février 2022, le ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports s'est déclaré incompétent pour défendre dans cette affaire.
Par un mémoire en défense enregistré le 10 février 2022, la commune de Schoelcher, représentée par Me Gil-Fourrier, conclut au rejet de la requête et demande qu'une somme de 3 500 euros soit mise à la charge B... et Mme A... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les conclusions à son encontre sont irrecevables en l'absence de demande préalable ;
- M. et Mme A... n'ont pas qualité ni intérêt pour agir au nom de leur fils F... A... désormais majeur ;
- les conclusions au nom des enfants n'ont pas été précédées d'une demande préalable et elles sont tardives ;
- les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense enregistré le 20 avril 2022, la collectivité territoriale de Martinique, représentée par Me Celenice, conclut au rejet de la requête et demande qu'une somme de 4 000 euros soit mise à la charge des M. et Mme A... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les conclusions à son encontre sont irrecevables faute de réclamation préalable
- à titre subsidiaire, les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense enregistré le 24 avril 2022, la commune de Fort de France, représentée par Me Nicolas, conclut au rejet de la requête et demande qu'une somme de 6 000 euros soit mise à la charge B... et Mme A... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense enregistré le 4 octobre 2023, la rectrice de l'académie de Martinique conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que :
- la demande de première instance est tardive ;
- les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant signée à New York le 26 janvier 1990 ;
- le code de l'éducation ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Christelle Brouard-Lucas,
- les conclusions B... Romain Roussel Cera, rapporteur public,
- et les observations de Me Brunet, représentant la commune de Schoelcher.
Considérant ce qui suit :
1. Mme E... A... et M. C... A... agissant en leur nom ainsi qu'en qualité de représentants légaux de leurs deux enfants mineurs, F... et D... A... ainsi que M. G... A... ont demandé au tribunal administratif de la Martinique de condamner l'Éat à verser une somme de 15 970 euros à M. et Mme A... et une somme de 7 160 euros à M. G... A... au titre des préjudices qu'ils estiment avoir subis à la suite du blocage du collège Terreville à Schoelcher et du lycée Bellevue à Fort-de-France, intervenu dans le cadre de la mobilisation autour du projet de loi instituant un système universel de retraite, entre décembre et mars 2020. Ils font appel du jugement du 15 novembre 2021 par lequel le tribunal a rejeté cette demande, ainsi que celle subsidiaire tendant à la condamnation solidaire de l'État, de la commune de Fort-de-France, de la commune de Schoelcher et de la collectivité territoriale de Martinique à leur verser les mêmes sommes.
Sur la responsabilité de l'Etat :
2. Il incombe à l'autorité administrative de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la continuité du service public, notamment en cas d'interruption due à la grève des agents de ce service. Dans le cas d'un mouvement de grève illicite, les manquements disciplinaires ainsi commis par chacun des agents participant au mouvement n'ont pas de lien direct avec le préjudice subi par les usagers du service. Ceux-ci peuvent seulement se prévaloir, soit de la faute commise par l'Etat en ne prenant pas les dispositions nécessaires pour assurer le fonctionnement normal du service, soit de l'atteinte au principe d'égalité devant les charges publiques résultant du préjudice anormal qu'ils auraient éprouvés de ce fait.
3. Il résulte de l'instruction que dans le cadre d'un mouvement de mobilisation d'ampleur nationale autour du projet de loi instituant un système universel de retraite, le service public de l'enseignement secondaire de la Martinique a subi d'importantes perturbations durant la période comprise entre le mois de décembre 2019 et le mois de mars 2020, l'accès à la quasi-totalité des collèges et lycées publics de la Martinique ayant été entravé à l'aide de cadenas et de palettes de bois par des agents grévistes, des représentants des fédérations de parents d'élèves et des personnes extérieures à la communauté scolaire, empêchant la tenue des enseignements durant plus de trois mois pour les établissements les plus touchés. Ces blocages se sont accompagnés d'un mouvement de grève des enseignants ainsi que de protestations contre la réforme du baccalauréat et de revendications locales concernant notamment des suppressions de postes prévues dans l'enseignement secondaire. Dans ce cadre, l'accès au collège Terreville à Schoelcher où était scolarisée la fille B... et Mme A... a été bloqué du 20 janvier au 12 mars 2020 et le lycée Bellevue à Fort-de-France, où étaient scolarisés leurs fils, a été bloqué du 15 décembre 2019 au 9 mars 2020.
4. En premier lieu, les requérants, qui se prévalent de la méconnaissance du droit à l'éducation reconnu par le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, du principe d'égalité de l'accès à l'éducation, du principe de continuité du service public de l'éducation et des articles L. 111-1 et L. 111-2 du code de l'éducation, mettent en cause l'inaction et les carences de l'Etat en l'absence de mesures pour faire cesser les blocages, à travers des procédures de référé ou l'intervention des forces de l'ordre ou un meilleur suivi des agents grévistes. Il résulte toutefois de l'instruction que les chefs d'établissement et les services du rectorat ont été confrontés à un mouvement de contestation qui touchait pratiquement l'ensemble des établissements du secondaire de la Martinique et dont les enjeux dépassaient le cadre local et les agents relevant du ministère de l'éducation nationale. Il résulte également de l'instruction que le rectorat et le ministère se sont efforcés, en lien avec les chefs d'établissement, de maintenir le dialogue avec les agents grévistes et les fédérations de parents d'élèves et de trouver des solutions de nature à permettre la réouverture des établissements, en accédant notamment à un certain nombre de revendications locales qui relevaient de leur domaine de compétence. Dans ce cadre de tensions généralisées, et alors que des rencontres avec les syndicats ont été organisées notamment le 21 janvier 2020 et que des inspecteurs généraux de l'éducation nationale ont été missionnés par le ministre début février, la réaction des services de l'État ne peut être regardée comme tardive. En outre, les seules affirmations du requérant ne sont pas de nature à établir qu'il était facilement possible de libérer les accès ou de reprendre les enseignements lorsque les accès ont été ponctuellement dégagés par des parents d'élèves. De même, en raison de la nature multiforme de ce mouvement, il ne résulte pas de l'instruction qu'un meilleur suivi des agents grévistes aurait permis le retour à une situation normale. Dans ce contexte, l'absence de recours à des mesures coercitives pour faire cesser les blocages ne peut être considérée comme une carence systématique constitutive d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'État, le requérant ne pouvant à cet égard utilement se prévaloir de l'intervention des forces de l'ordre en métropole dans des situations qui n'étaient pas comparables.
5. En deuxième lieu, et quand bien même tous les enseignants n'auraient pas été grévistes, il ne résulte pas de l'instruction que les services de l'éducation nationale disposaient à cette date de moyens notamment numériques lui permettant de mettre en place de façon rapide des modes d'enseignement alternatifs en distanciel. À cet égard le requérant ne saurait utilement se prévaloir des solutions mises en place en urgence au niveau national quelques semaines plus tard dans le cadre de la crise sanitaire du Covid-19. Dans ce contexte, l'absence de solution alternative d'enseignement ne peut être regardée comme fautive.
6. En troisième lieu, ainsi que l'ont relevé les premiers juges, il résulte des principes rappelés au point 2 que les manquements disciplinaires collectivement commis par les agents grévistes n'ont pas de lien direct avec le préjudice subi par les usagers du service public. Dès lors, les consorts A... ne peuvent se prévaloir, pour engager la responsabilité de l'État, de l'illégalité des actes d'entrave qui auraient été commis par les agents grévistes de l'éducation nationale à l'occasion du blocage du collège Terreville à Schoelcher et du lycée Bellevue à Fort-de-France.
7. Enfin, et en tout état de cause, d'une part cette situation ne peut être regardée comme une atteinte à la liberté d'aller et venir et d'autre part, les requérants ne sauraient se prévaloir d'une atteinte portée au droit des enfants à suivre une scolarité normale, protégés par les articles 28 et 29 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant, dès lors que les stipulations de ces articles qui créent des obligations entre États sans ouvrir de droit aux intéressés, ne peuvent utilement être invoquées à l'appui d'un recours en responsabilité.
Sur la responsabilité de la collectivité territoriale de Martinique :
8. Si les locaux des établissements d'enseignement secondaire sont la propriété de la collectivité territoriale de Martinique, qui est responsable des conditions d'accueil et du fonctionnement matériel des établissements en application de l'article L. 213-2 du code de l'éducation, ces locaux sont mis à la disposition de l'État pour assurer le service public de l'enseignement. Dans ce cadre, la gestion des accès et l'organisation des enseignements, qui se rattachent aux missions d'encadrement et de surveillance des élèves, relèvent, en application de l'article L. 421-3 du code de l'éducation, de la responsabilité du chef d'établissement, au nom de l'État. Dès lors, la seule circonstance invoquée par les requérants de ce que la collectivité territoriale de La Martinique est propriétaire des locaux des établissements concernés n'est pas de nature à engager sa responsabilité du fait de l'interdiction de l'accès à leurs locaux.
Sur la responsabilité des communes de Fort-de-France et de Schoelcher :
9. L'article L. 2212-1 du code général des collectivités territoriales dispose : " La police municipale a pour objet d'assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques. Elle comprend notamment : / 1° Tout ce qui intéresse la sûreté et la commodité du passage dans les rues, quais, places et voies publiques (...) ".
10. En se bornant à se prévaloir de ces dispositions, les consorts A..., qui ne soutiennent pas que les dispositifs utilisés par les manifestants pour entraver l'accès aux établissements d'enseignement se trouvaient sur le domaine public communal et obstruaient la voie publique ou les trottoirs, n'apportent aucun élément de nature à démontrer que le blocage du collège Terreville à Schoelcher et du lycée Bellevue à Fort-de-France aurait porté atteinte à la sûreté ou à la commodité de passage dans les rues quais, places et voies publiques, ni généré un risque quelconque pour la sécurité des personnes ou des biens, notamment en terme d'accidents. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que la responsabilité des communes de Fort-de-France et de Schoelcher devrait être engagée à raison d'une carence fautive dans la mise en œuvre des pouvoirs généraux de police municipale de leur maire doit être écarté.
Sur la responsabilité sans faute de l'État :
11. Alors que les blocages ont concerné la quasi-totalité des établissements secondaires de Martinique et que les seules affirmations du requérant ne sont pas de nature à établir un exercice illégal du droit de grève par les personnels de l'éducation nationale, les calculs des requérants fondés sur l'application aux nombres heures de cours non assurés d'un tarif de cours particuliers et l'invocation générale du préjudice moral subi du fait de la rupture des enseignements ne sont pas de nature à établir l'existence d'un préjudice anormal et spécial, alors en outre qu'il ne résulte pas de l'instruction que leurs enfants auraient rencontré par la suite des difficultés scolaires particulière du fait de cette situation.
12. Il résulte de tout ce qui précède que les consorts A... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Martinique a rejeté leurs demandes. Par suite, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les fins de non-recevoir soulevées par la commune de Fort-de-France et la collectivité territoriale de Martinique, leur requête doit être rejetée.
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de l'État, de la commune de Fort-de-France et de la collectivité territoriale de Martinique, qui ne sont pas les parties perdantes dans la présente instance, la somme que demandent les consorts A... au titre des frais non compris dans les dépens qu'il a exposés. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge B... et Mme A... une somme de 800 euros chacune, à verser à la commune de Fort-de-France et de la collectivité territoriale de Martinique, sur ce même fondement.
DECIDE :
Article 1er : La requête des consorts A... est rejetée.
Article 2 : M. et Mme A... verseront à la commune de Fort de France, à la commune de Schoelcher et à la collectivité territoriale de Martinique une somme de 800 euros, chacune, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... A..., à M. C... A..., à M. G... A... et à M. F... A..., à la ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse, à la commune de Fort-de-France, à la commune de Schoelcher et à la collectivité territoriale de Martinique.
Copie en sera adressée à la rectrice de l'académie de la Martinique.
Délibéré après l'audience du 8 février 2024, à laquelle siégeaient :
M. Jean-Claude Pauziès, président,
Mme Christelle Brouard-Lucas, présidente-assesseure,
Mme Kolia Gallier, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 29 février 2024.
La rapporteure,
Christelle Brouard-LucasLe président,
Jean-Claude Pauziès
La greffière,
Marion Azam Marche
La République mande et ordonne à la ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse en ce qui la concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 22BX00198 2