Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... D... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 9 novembre 2022 par lequel la préfète de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination, et d'enjoindre à la préfète de lui délivrer le titre de séjour sollicité.
Par un jugement n° 2301096 du 11 mai 2023, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 11 août 2023, et des pièces enregistrées le 3 octobre 2023, Mme D..., représentée par Me Hugon, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 11 mai 2023 du tribunal administratif de Bordeaux ;
2°) d'annuler l'arrêté du 9 novembre 2022 par lequel la préfète de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Gironde de lui délivrer un titre de séjour dans un délai de quinze jours à compter de la date de notification de l'arrêt à intervenir, ou à défaut de procéder au réexamen de sa demande et de lui délivrer dans l'attente une autorisation provisoire de séjour, et d'assortir cette injonction d'une astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 800 euros en application des dispositions combinées de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 20 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
Sur la régularité du jugement :
- le tribunal a omis de répondre au moyen tiré de l'erreur de droit au regard des dispositions des articles L. 423-7 et L. 423-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne la décision portant refus de titre de séjour :
- elle méconnait les articles L. 423-7 et L. 423-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle méconnait l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :
- elle est privée de base légale en ce qu'elle est fondée sur une décision de refus de titre de séjour illégale ;
En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :
- elle est privée de base légale en ce qu'elle est fondée sur une décision portant obligation de quitter le territoire français illégale ;
- elle méconnait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle méconnait l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 14 novembre 2023, le préfet de la Gironde conclut au rejet de la requête. Il fait valoir que les moyens invoqués par Mme D... ne sont pas fondés.
Mme D... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 27 juillet 2023.
Par une ordonnance du 3 novembre 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 3 janvier 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Pauline Reynaud a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme D..., ressortissante marocaine née le 26 octobre 1981, déclare être entrée en France le 3 mars 2016. Suite à la naissance de son enfant le 30 mars 2017, issu de sa relation avec M. C..., ressortissant français, Mme D... s'est vue délivrer un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 423-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, régulièrement renouvelé jusqu'au 12 juin 2020. L'intéressée a sollicité le 13 octobre 2020 le renouvellement de son titre de séjour. Par un arrêté du 9 novembre 2022, la préfète de la Gironde a refusé de faire droit à sa demande, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Mme D... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler cet arrêté. Mme D... relève appel du jugement n° 2301096 du 11 mai 2023 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.
2. Aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. ". Il résulte de ces stipulations que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur de l'enfant dans toutes les décisions le concernant.
3. Aux termes de l'article L. 423-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France et qui établit contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil, depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. ". Aux termes de l'article L. 423-8 du même code : " Pour la délivrance de la carte de séjour prévue à l'article L. 423-7, lorsque la filiation est établie à l'égard d'un parent en application de l'article 316 du code civil, le demandeur, s'il n'est pas l'auteur de la reconnaissance de paternité ou de maternité, doit justifier que celui-ci contribue effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant, dans les conditions prévues à l'article 371-2 du code civil, ou produire une décision de justice relative à la contribution à l'éducation et à l'entretien de l'enfant. / Lorsque le lien de filiation est établi mais que la preuve de la contribution n'est pas rapportée ou qu'aucune décision de justice n'est intervenue, le droit au séjour du demandeur s'apprécie au regard du respect de sa vie privée et familiale et au regard de l'intérêt supérieur de l'enfant. ".
4. Il ressort des pièces du dossier que Mme D... est mère d'un enfant français, B..., né le 30 mars 2017 de son union avec M. C..., ressortissant de nationalité française qui l'a reconnu par déclaration conjointe du 3 avril 2017. Mme D... ne conteste pas que M. C... ne contribue pas effectivement à l'entretien et à l'éducation de cet enfant dans les conditions prévues à l'article 371-2 du code civil mais soutient toutefois que M. C... est atteint d'une néoplasie pulmonaire métastasée, l'empêchant d'exercer une activité professionnelle et de contribuer à l'entretien de son enfant, et produit à cet égard un certificat médical du médecin généraliste de M. C... établi le 25 novembre 2022 indiquant que celui-ci n'est pas en état de s'occuper de son fils. Dès lors, en application des dispositions précitées du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le droit au séjour de Mme D... doit s'apprécier au regard du respect de sa vie privée et familiale et au regard de l'intérêt supérieur de l'enfant. A cet égard, il ressort des pièces du dossier que Mme D..., entrée en France en 2016 selon ses déclarations, y vit avec son fils B... depuis la naissance de celui-ci en mars 2017 et s'est vue délivrer à ce titre un titre de séjour en qualité de parent d'enfant français, le 1er février 2018, régulièrement renouvelé jusqu'au 12 juin 2020. Si Mme D... est séparée du père de son enfant depuis 2019, il ressort toutefois des pièces du dossier que M. C... a maintenu son droit de visite sur son fils, lequel ne connaît que la France, et qui y a nécessairement noué des attaches personnelles fortes. Par suite, dans les circonstances particulières de l'espèce, la décision attaquée porte atteinte à l'intérêt supérieur de l'enfant de Mme D.... Par suite, en prenant la décision attaquée, la préfète de la Gironde a méconnu les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant, ainsi que les dispositions précitées des articles L. 423-7 et L. 423-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
5. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme D... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 9 novembre 2022. Dès lors ce jugement doit être annulé ainsi que la décision du 9 novembre 2022 portant refus de titre de séjour ainsi que, par voie de conséquence, l'obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et la décision fixant le pays de destination.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
6. Eu égard au motif d'annulation retenu, en l'absence de changement dans les circonstances de droit ou de fait intervenu depuis l'édiction de l'arrêté contesté, l'exécution du présent arrêt implique nécessairement la délivrance à Mme D... d'un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ". Il y a donc lieu d'enjoindre au préfet de la Gironde, sur le fondement de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, de lui délivrer un tel titre dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés à l'instance :
7. Mme D... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Hugon, avocate de Mme D..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Hugon de la somme de 1 000 euros.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2301096 du tribunal administratif de Bordeaux du 11 mai 2023 et l'arrêté du 9 novembre 2022 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Gironde de délivrer à Mme D... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai d'un mois à compter de la date de notification de l'arrêt à intervenir.
Article 3 : L'Etat versera à Me Hugon, avocate de Mme D..., une somme de 1 000 euros au titre des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve qu'elle renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... D..., à Me Lucile Hugon et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée au préfet de la Gironde.
Délibéré après l'audience du 30 janvier 2024 à laquelle siégeaient :
Mme Evelyne Balzamo, présidente,
Mme Bénédicte Martin, présidente-assesseure,
Mme Pauline Reynaud, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 février 2024.
La rapporteure,
Pauline Reynaud La présidente,
Evelyne Balzamo
Le greffier,
Christophe Pelletier La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
2
N° 23BX02267