Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme D... B... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler la décision du 25 janvier 2023 par laquelle la préfète de la Gironde a refusé de lui délivrer un document de circulation pour étranger mineur en faveur de sa fille, l'enfant A... C....
Par un jugement n° 2300733 du 14 juin 2023, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 13 juillet 2023, Mme B..., représentée par Me Lassort, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2300733 du tribunal administratif de Bordeaux du 14 juin 2023 ;
2°) d'annuler la décision du 25 janvier 2023 de la préfète de la Gironde ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Gironde de lui délivrer le document de circulation sollicité ou, à titre subsidiaire, de procéder au réexamen de sa demande dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard passé ce délai ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 200 euros en application des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'article 7 ter de l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 en matière de séjour et de travail ne régit pas la situation des enfants mineurs tunisiens entrés régulièrement en France dont le ou les parents se sont vu délivrer un titre de séjour sur le territoire français mais qui ne sont pas entrés en France au titre du regroupement familial ; dès lors, en l'espèce, la préfète a entaché sa décision d'erreur de droit en ne faisant pas application des dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, notamment de l'article L. 414-4 de ce code ;
- la décision est entachée d'erreur de droit et d'erreur d'appréciation au regard des dispositions des articles L. 414-4, L. 414-7, L. 414-8 et R. 414-2 du même code ;
- eu égard à la situation personnelle et familiale de l'enfant, la décision porte atteinte à son intérêt supérieur, constitue une ingérence manifestement disproportionnée dans sa vie privée et familiale et porte atteinte à son droit à la libre circulation, en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de celles de l'article 2 du protocole additionnel n° 4 à la même convention et de celles de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ; elle est également entachée d'erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle et celle de sa fille ;
- la décision, prise sur le fondement de l'article 7 ter de l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988, méconnaît les stipulations de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en raison d'une discrimination liée à la nationalité de sa fille ; le droit au respect de la vie privée et familiale de son enfant et son droit à la libre circulation sont affectés par cette discrimination.
Par un mémoire en défense, enregistré le 10 novembre 2023, le préfet de la Gironde conclut au rejet de la requête en faisant valoir que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.
Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle par une décision du 24 août 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son protocole additionnel n° 4 ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant signée à New-York le 26 janvier 1990 ;
- l'accord du 17 mars 1988 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Tunisie en matière de séjour et de travail ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Michaël Kauffmann,
- et les observations de Me Lassort, représentant Mme B....
Considérant ce qui suit :
1. Mme D... B..., ressortissante tunisienne titulaire d'une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " en cours de validité, a sollicité le 16 avril 2022, la délivrance d'un document de circulation pour étranger mineur au profit de sa fille, l'enfant A... C..., née le 10 septembre 2013. Elle relève appel du jugement du 14 juin 2023 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 25 janvier 2023 par laquelle la préfète de la Gironde a refusé de lui délivrer le document sollicité, au motif que l'enfant n'est pas entré en France par la procédure du regroupement familial.
2. En premier lieu et d'une part, aux termes de l'article de l'article L. 110-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui définit le champ d'application de ce code : " Le présent code régit, sous réserve du droit de l'Union européenne et des conventions internationales, l'entrée, le séjour et l'éloignement des étrangers en France ainsi que l'exercice du droit d'asile. " Par ailleurs, aux termes de l'article 11 de l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 en matière de séjour et de travail : " Les dispositions du présent accord ne font pas obstacle à l'application de la législation des deux Etats sur le séjour des étrangers sur tous les points non traités par l'accord. / Chaque Etat délivre notamment aux ressortissants de l'autre Etat tous titres de séjour autres que ceux visés au présent accord, dans les conditions prévues par sa législation. ". Aux termes de l'article 7 ter du même accord : " (...) Les ressortissants tunisiens mineurs de dix-huit ans qui remplissent les conditions prévues à l'article 7 bis, ou qui sont mentionnés au e ou au f de l'article 10, ainsi que les mineurs entrés en France pour y poursuivre des études sous couvert d'un visa de séjour d'une durée supérieure à trois mois reçoivent, sur leur demande, un document de circulation. (...) ". Aux termes de l'article 7 bis du même accord : " Sans préjudice des dispositions de l'article 7, le ressortissant tunisien mineur ou dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, et dont l'un des parents au moins est titulaire d'un titre de séjour valable un an, obtient de plein droit un titre de séjour valable un an, s'il a été autorisé à séjourner en France au titre du regroupement familial. (...) ". Enfin, aux termes de l'article 10 du même accord : " 1. Un titre de séjour d'une durée de dix ans, ouvrant droit à l'exercice d'une activité professionnelle, est délivré de plein droit, sous réserve de la régularité du séjour sur le territoire français : / (...) / e) Au conjoint et aux enfants tunisiens mineurs, ou dans l'année qui suit leur dix-huitième anniversaire, d'un ressortissant tunisien titulaire d'un titre de séjour d'une durée de dix ans, qui ont été autorisés à séjourner en France au titre du regroupement familial ; / f) Au ressortissant tunisien qui est en situation régulière depuis plus de dix ans, sauf s'il a été pendant toute cette période titulaire d'une carte de séjour temporaire portant la mention " étudiant " ; (...) ".
3. D'autre part, aux termes de l'article L. 414-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Un document de circulation pour étranger mineur est délivré à l'étranger mineur résidant en France : / 1° Dont au moins l'un des parents est titulaire d'une carte de séjour temporaire, d'une carte de séjour pluriannuelle ou d'une carte de résident ; (...) ". Aux termes de l'article R. 414-2 du même code : " L'étranger qui sollicite le document de circulation pour étranger mineur prévu à l'article L. 414-4 présente à l'appui de sa demande les pièces justificatives dont la liste est fixée par arrêté annexé au présent code. ". Aux termes de l'article L. 414-7 du même code : " Dans le cas prévu au 1° de l'article L. 414-4, et lorsqu'au moins l'un des parents du mineur est titulaire d'une carte de séjour ne figurant pas à l'article L. 414-8, le document de circulation pour étranger mineur a une durée de validité de cinq ans. / Il peut avoir une durée inférieure à cinq ans, sans pouvoir être inférieure à un an, dans les conditions suivantes : / 1° Lorsque l'un des parents est titulaire d'une carte de séjour mentionnée à l'article L. 414-8, le document arrive à expiration à la même date que la carte de séjour du parent ; / 2° Lorsque les deux parents sont titulaires d'une carte de séjour mentionnée à l'article L. 414-8, le document arrive à expiration à la même date que la carte de séjour du parent dont l'expiration est la plus lointaine. ". Enfin, aux termes de l'article L. 414-8 du même code : " Les cartes de séjour mentionnées à l'article L. 414-7 sont les suivantes : / (...) / 9° La carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " prévue aux articles L. 425-1 ou L. 425-9 ; (...) ".
4. Il résulte de la combinaison des dispositions et stipulations citées au point 2 que la délivrance des documents de circulation pour enfant mineur aux ressortissants tunisiens, qui est entièrement régie par les stipulations de l'article 7 ter de l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 en matière de séjour et de travail, ne relève dès lors pas des dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et notamment de celles de l'article L. 414-4 de ce code. Par suite, Mme B... qui ne conteste pas qu'ainsi que l'a relevé la préfète, sa fille ne satisfait pas aux conditions prévues par les stipulations précitées de l'article 7 ter pour se voir délivrer un document de circulation, n'est pas fondée à soutenir que la décision attaquée est entachée d'erreur de droit dès lors que la préfète aurait dû examiner sa demande au regard des dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. L'appelante ne peut par ailleurs utilement soutenir que cette décision est entachée d'erreur de droit et d'erreur de fait au regard des dispositions précitées des articles L. 414-4, L. 414-7, L. 414-8 et R. 414-2 du même code.
5. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...) 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ". Aux termes de l'article 2 du protocole additionnel n° 4 à la même convention : " 1. Quiconque se trouve régulièrement sur le territoire d'un État a le droit d'y circuler librement et d'y choisir librement sa résidence. / 2. Toute personne est libre de quitter n'importe quel pays, y compris le sien. (....) ". Par ailleurs, il appartient à l'autorité administrative, saisie d'une demande de délivrance d'un document de circulation au bénéfice d'un étranger mineur qui n'appartient pas à l'une des catégories mentionnées par l'article 7 ter de l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 en matière de séjour et de travail, de s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, qu'un refus de délivrance d'un tel document ne méconnaît pas les stipulations de l'article 3-1 de la convention relative aux droits de l'enfant selon lesquelles : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. ". L'intérêt supérieur d'un étranger mineur qui ne remplit pas les conditions conventionnelles pour bénéficier d'un document de circulation, lequel ne constitue pas un titre de séjour mais est destiné à faciliter le retour sur le territoire national après un déplacement hors de France, s'apprécie au regard de son intérêt à se rendre hors de France et à pouvoir y revenir sans être soumis à l'obligation de présenter un visa.
6. Il ressort des pièces du dossier que l'enfant A... C... réside en France avec ses parents, M. C... et Mme B..., ainsi qu'avec son frère. La requérante ne justifie d'aucune circonstance particulière qui rendrait nécessaires des voyages réguliers, avec sa fille, entre la France et la Tunisie. Par ailleurs, l'absence de délivrance d'un document de circulation ne fait pas obstacle à ce que l'enfant puisse effectuer des voyages en obtenant un visa et il ne ressort pas des pièces du dossier que la procédure de délivrance d'un visa de retour en France par les autorités consulaires françaises en Tunisie se heurterait à des difficultés sérieuses pour les enfants mineurs de parents résidant régulièrement sur le territoire ou, qu'en cas de refus, Mme B... serait privée de la possibilité d'utilement contester la légalité de ce refus. De même la décision en litige, qui n'implique par elle-même aucune dislocation de la cellule familiale, n'empêche pas la jeune A... C... de poursuivre sa scolarité en France. Dans ces conditions, et alors même que l'absence de délivrance d'un document de circulation à leur fille compliquerait les éventuels déplacements de M. C... et Mme B... en Tunisie, la décision attaquée ne constitue pas une atteinte à l'intérêt supérieur de leur enfant, une ingérence manifestement disproportionnée dans sa vie privée et familiale et une atteinte à son droit à la libre circulation, et n'a ainsi méconnu ni les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et celles de l'article 2 du protocole additionnel n° 4 à la même convention, ni celles de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant. Pour les mêmes motifs, la préfète n'a pas plus entaché cette décision d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de la requérante ou de sa fille.
7. En dernier lieu, aux termes de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur (...) l'origine nationale ou sociale (...) la naissance ou toute autre situation. ". Il résulte des termes mêmes de cet article que le principe de non-discrimination qu'il édicte ne concerne que la jouissance des droits et libertés reconnus par la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et par les protocoles additionnels à celle-ci. Dès lors, il appartient à toute personne qui se prévaut de la violation de ce principe d'invoquer devant le juge le droit ou la liberté dont la jouissance est affectée par la discrimination alléguée.
8. Mme B... soutient que la décision contestée, prise sur le fondement des stipulations précitées de l'article 7 ter de l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 en matière de séjour et de travail, méconnaît les stipulations de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en raison d'une discrimination liée à la nationalité de sa fille, résultant de ce que, à la différence des dispositions précitées de l'article L. 414-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, les stipulations de l'article 7 ter ne prévoient pas la délivrance d'un document de circulation à l'étranger mineur dont l'un au moins l'un des parents est titulaire d'un titre de séjour mais qui n'est pas entré en France au titre du regroupement familial. Toutefois, si la requérante invoque le droit au respect de la vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le droit à la libre circulation garanti par l'article 2 du protocole additionnel n° 4 à la même convention, la décision en litige n'a ni pour objet et ne saurait avoir pour effet de porter atteinte à l'exercice effectif de ces droits, dont il a été explicité au point 6 qu'ils n'ont, en l'espèce, pas été méconnus. Par suite, le moyen doit être écarté.
9. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande. Les conclusions à fin d'injonction et celles présentées au titre des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique doivent être rejetées par voie de conséquence.
DECIDE :
Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée au préfet de la Gironde.
Délibéré après l'audience du 30 janvier 2024 à laquelle siégeaient :
Mme Evelyne Balzamo, présidente,
Mme Bénédicte Martin, présidente-assesseure,
M. Michaël Kauffmann, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 février 2024.
Le rapporteur,
Michaël Kauffmann La présidente,
Evelyne BalzamoLe greffier,
Christophe Pelletier
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N° 23BX019732