Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 29 juillet 2022 par lequel la préfète de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour.
Par un jugement n°2302269 du 15 septembre 2023, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé l'arrêté du 29 juillet 2022 et enjoint au préfet de réexaminer la situation de M. A....
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 10 octobre 2023, le préfet de la Gironde demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 15 septembre 2023 du tribunal administratif de Bordeaux ;
2°) de rejeter la demande de M. A....
Il soutient que :
- si le tribunal a considéré qu'il ne pouvait pas prendre en compte les mises en cause révélées par le fichier de traitement des antécédents judiciaires en l'absence de saisine préalable des services compétents pour complément d'information, ces éléments n'ont été pris en considération qu'au surplus de la condamnation de l'intéressé à 2 mois de prison avec sursis le 5 juin 2019 et il aurait pris la même décision s'il ne s'était fondé que sur cette condamnation.
Par un mémoire en défense enregistré le 20 décembre 2023, M. A..., représenté par Me Missiaen, demande à la cour :
1°) de rejeter la requête ;
2°) en conséquence, d'annuler l'arrêté de la préfète de la Gironde du 29 juillet 2022 ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Gironde de lui délivrer un certificat de résidence algérien sur le fondement des dispositions de l'article 6-2 de la convention franco-algérienne ;
4°) de lui attribuer le bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire ;
5°) de condamner l'État au paiement d'une somme de 1 500 euros sur les fondements combinés de l'article L761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridictionnelle.
Il soutient que le moyen soulevé en appel par le préfet n'est pas fondé et reprend ses moyens de premières instance tirés de ce que cette décision est entachée d'erreur d'appréciation s'agissant de l'existence d'une menace à l'ordre public, et qu'elle a été prise en méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 3-1de la convention internationale des droits de l'enfant.
M. A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 15 février 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la Convention internationale des droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de procédure pénale ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Christelle Brouard-Lucas a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... A..., ressortissant algérien né le 28 février 1978, s'est marié le 14 août 2017 à une ressortissante de nationalité française, mère de trois enfants nés d'une précédente union. Il est entré régulièrement en France le 3 décembre 2017 muni d'un visa C " famille de français ". Il s'est vu délivrer un certificat de résidence algérien valable du 6 février 2018 au 5 février 2019. Le 19 juillet 2019 et le 26 janvier 2021, la préfète de la Gironde a refusé de délivrer à M. A... un certificat de résidence algérien valable dix ans en raison de son comportement au regard de l'ordre public mais lui a néanmoins accordé un certificat de résidence algérien d'un an en qualité de conjoint de Français, sur le fondement du 2° de l'article 6 de l'accord franco-algérien, valable du 27 juin 2019 au 26 juin 2020, puis renouvelé du 1er février 2021 au 31 janvier 2022, et dont M. A... a sollicité le renouvellement le 20 décembre 2021. A la suite de l'avis défavorable rendu le 6 juillet 2022 par la commission du titre de séjour, la préfète de la Gironde a, par un arrêté du 29 juillet 2022, rejeté cette demande au motif que la présence de M. A... constitue une menace grave et actuelle pour l'ordre public. Sur demande de M. A..., le tribunal administratif de Bordeaux a, par un jugement du 15 septembre 2023, dont le préfet de la Gironde relève appel, annulé cet arrêté et enjoint le réexamen de la situation de l'intéressé. M. A... doit être regardé comme demandant, par la voie de l'appel incident qu'il soit enjoint au préfet de la Gironde de lui délivrer la carte de résident sollicitée.
Sur les conclusions tendant au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire :
2. M. A... été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 1er février 2024. Par suite, ses conclusions tendant à obtenir l'aide juridictionnelle à titre provisoire sont devenues sans objet. Il n'y a pas lieu d'y statuer.
Sur l'appel principal :
3. Le préfet de la Gironde ne conteste pas le motif retenu par le tribunal administratif tiré de ce qu'il ne pouvait se fonder sur les mentions figurant dans le traitement des antécédents judiciaire en l'absence de la saisine préalable, pour complément d'information, des services de la police nationale ou des unités de la gendarmerie nationale compétents et, aux fins de demandes d'informations sur les suites judiciaires, du procureur de la République, imposée par les dispositions de l'article R. 40-29 du code de procédure pénale, dès lors que cette saisine constitue une garantie pour toute personne dont les données à caractère personnel sont contenues dans les fichiers en cause. Il fait cependant valoir qu'il ne s'est fondé sur ces mentions qu'à titre superfétatoire dès lors qu'il aurait pris la même décision s'il ne s'était fondé que sur la condamnation de l'intéressé à deux mois de prison avec sursis le 5 juin 2019 par le tribunal correctionnel de Bordeaux, pour violence suivie d'incapacité n'excédant pas huit jours sur un mineur de quinze ans, violence sans incapacité sur un mineur de quinze ans par un ascendant ou une personne ayant autorité sur la victime, violence suivie d'incapacité n'excédant pas huit jours en présence d'un mineur par une personne étant ou ayant été conjoint, concubin ou partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité, faits commis le 2 avril 2019.
4. Si l'arrêté en litige, après avoir rappelé de manière détaillé les motifs de la condamnation du 5 juin 2019 et l'avis défavorable de la commission du titre de séjour, ajoute que " de plus " il est défavorablement connu du fichier de traitement des antécédents judiciaires avant de préciser les motifs de ces mentions, il conclut " qu'au regard des éléments précités notamment aux vu de sa condamnation du 30 mars 2022 (sic) la présence de M. B... A... constitue une menace grave et actuelle pour l'ordre public ". Il ressort ainsi de ces mentions que le préfet s'est fondé à la fois sur la condamnation de 2019, pour laquelle il mentionne également par erreur une date du 30 mars 2022, correspondant à la date de l'extrait du bulletin n°2 du casier judiciaire de l'intéressé, et sur les autres éléments figurant dans le fichier du traitement des antécédents judiciaires survenus en 2021 et 2022. Il ressort également des pièces du dossier que M. A... s'est vu délivrer deux certificats de résidence postérieurement à la condamnation du 5 juin 2019, le 19 juillet 2019 et le 26 janvier 2021, l'administration ayant uniquement refusé, du fait de cette condamnation, de lui délivrer un certificat de résidence algérien de 10 ans. En outre, dans son mémoire en défense de première instance, le préfet se fondait sur " l'ensemble de ses antécédents " pour expliquer que cette condamnation et ces signalements caractérisaient une attitude récente et récurrente qui justifiait son refus en raison de la menace à l'ordre public et de l'absence de volonté d'intégration qu'ils révélaient. Ainsi, il ne résulte pas de l'instruction que le préfet aurait pris la même décision s'il ne s'était fondé que sur la condamnation du 5 juin 2019.
5. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Gironde n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort, que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé son arrêté du 29 juillet 2022 portant refus de titre de séjour à M. A....
Sur l'appel incident :
6. Lorsque le juge de l'excès de pouvoir annule une décision administrative alors que plusieurs moyens sont de nature à justifier l'annulation, il lui revient, en principe, de choisir de fonder l'annulation sur le moyen qui lui paraît le mieux à même de régler le litige, au vu de l'ensemble des circonstances de l'affaire. Mais, lorsque le requérant choisit de présenter, outre des conclusions à fin d'annulation, des conclusions à fin d'injonction tendant à ce que le juge enjoigne à l'autorité administrative de prendre une décision dans un sens déterminé, il incombe au juge de l'excès de pouvoir d'examiner prioritairement les moyens qui seraient de nature, étant fondés, à justifier le prononcé de l'injonction demandée. Il en va également ainsi lorsque des conclusions à fin d'injonction sont présentées à titre principal sur le fondement de l'article L. 911-1 du code de justice administrative et à titre subsidiaire sur le fondement de l'article L. 911-2 du même code.
7. Dans le cas où il ne juge fondé aucun des moyens assortissant la demande principale du requérant mais retient un moyen assortissant sa demande subsidiaire, le juge de l'excès de pouvoir n'est tenu de se prononcer explicitement que sur le moyen qu'il retient pour annuler la décision attaquée : statuant ainsi, son jugement écarte nécessairement les moyens qui assortissaient la demande principale. Si le jugement est susceptible d'appel, le requérant est recevable à relever appel en tant que le jugement n'a pas fait droit à sa demande principale. Il appartient alors au juge d'appel, statuant dans le cadre de l'effet dévolutif, de se prononcer sur les moyens, soulevés devant lui, susceptibles de conduire à faire droit à la demande principale.
8. M. A... qui avait demandé au tribunal d'enjoindre au préfet de la Gironde de lui délivrer une carte de résident, doit être regardé, en demandant en appel la délivrance de ce titre de séjour, comme contestant le jugement en tant que le tribunal s'est borné à enjoindre au préfet de réexaminer sa demande de titre de séjour.
9. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ". Aux termes de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " 1. Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale (...). ".
10. Il ressort des pièces du dossier, ainsi qu'il a été dit au point 3, que M. A... a été condamné à deux mois de prison avec sursis le 5 juin 2019 par le tribunal correctionnel de Bordeaux pour des faits commis le 2 avril 2019. Il ressort également des pièces du dossier que M. A... a été relaxé par un jugement du tribunal correctionnel de Bordeaux en date du 6 octobre 2022 des faits qui avaient conduit à la garde à vue du 8 avril 2022 dans le cadre d'une procédure pour violences conjugales à l'encontre de son épouse et que du fait de cette relaxe son inscription au fichier des personnes recherchées dans le cadre du contrôle judiciaire instauré à la suite de cette garde à vue du 8 avril 2022 a perdu son objet. Par ailleurs, M. A... conteste la réalité des faits de menaces de mort réitérés qui auraient été commis en juin 2021 et ne sont d'ailleurs pas repris par le préfet dans le cadre de la décision qu'il a prise le 25 mai 2023 sur une nouvelle demande de M. A.... Enfin, M. A... conteste la réalité des faits de délits de fuite après accident par conducteur de véhicule terrestre commis du 4 avril 2021 au 24 janvier 2022 pour lesquels le préfet n'apporte aucun élément complémentaire.
11. Il ressort également des termes de la décision attaquée que la préfète de la Gironde ne contestait pas que M. A... participait à l'entretien et à l'éducation de son enfant français né le 8 octobre 2018. S'il ressort des pièces du dossier et notamment des attestations de Mme A... que M. A... ne justifie pas de la poursuite de la vie commune après le conflit conjugal qui a conduit à sa garde à vue du 8 avril 2022, il doit être présumé avoir contribué à l'entretien et l'éducation de son enfant durant la vie commune jusqu'à cette date. Les pièces du dossier, notamment les attestations établies par son épouse, par le médecin de l'enfant et par l'école qu'il fréquente confirment son implication auprès de son enfant, même après la séparation. En outre, M. A..., qui réside de manière régulière en France depuis décembre 2019, a travaillé depuis son arrivé en France en tant qu'intérimaire. Dans ce contexte, alors que sa condamnation de 2019, pour regrettable qu'elle soit est restée isolée, que son droit au séjour a été renouvelé deux fois par le préfet postérieurement à cette condamnation et eu égard aux liens unissant M. A... à son enfant, la préfète, en refusant de lui délivrer à le titre de séjour qu'il sollicitait, au motif que son comportement constituait une menace à l'ordre public, a porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte excédant ce qui est nécessaire à la défense de l'ordre public et a, par suite, méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 3-1 de la convention relative aux droits de l'enfant.
12. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de l'appel incident, que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux n'a pas fait droit à ses conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint au préfet de la Gironde de lui délivrer un titre de séjour.
13. Par suite, il y a lieu d'enjoindre au préfet de la Gironde de délivrer un certificat de résidence algérien d'un an à M. A..., dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les frais liés au litige :
14. M. A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 200 euros à Me Missiaen dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DECIDE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de M. A... tendant au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire.
Article 2 : La requête du préfet de la Gironde est rejetée.
Article 3 : Il est enjoint au préfet de la Gironde de délivrer un certificat de résidence algérien d'un an à M. A..., dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : Les articles 2 et 3 du jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 15 septembre 2023 sont annulés.
Article 5 : L'État versera à Me Missiaen une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer, à M. B... A..., à Me Missiaen et au préfet de la Gironde.
Délibéré après l'audience du 25 janvier 2024, à laquelle siégeaient :
M. Jean-Claude Pauziès, président,
Mme Christelle Brouard-Lucas, présidente-assesseure,
Mme Kolia Gallier, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 15 février 2024.
La rapporteure,
Christelle Brouard-LucasLe président,
Jean-Claude Pauziès
La greffière,
Stéphanie Larrue
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 23BX02550 2