Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... D... et sa mère, Mme C... B..., ont demandé au tribunal administratif de Pau de mettre à la charge de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) les sommes de 1 507 990,36 euros à verser au premier dénommé en réparation des préjudices subis des suites de l'infection contractée lors de sa prise en charge par le centre hospitalier de Pau et de 14 825,91 euros au profit de la seconde dénommée au titre de ses préjudices patrimoniaux.
Par un jugement n° 1901502 du 2 décembre 2021, le tribunal administratif de Pau a rejeté leurs demandes.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 13 janvier, 11 février 2022 et 20 octobre 2023, M. D... et Mme B..., représentés par la SELARL Courtois et avocats, demandent à la cour, dans le dernier état de leurs écritures :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Pau du 2 décembre 2021 ;
2°) de mettre à la charge de l'ONIAM des indemnités de 1 758 043,05 euros, sous déduction des sommes versées par l'assureur du responsable de l'accident, pour M. D... et de 14 825,91 euros pour Mme B..., et de réserver l'indemnisation des dépenses de santé futures, des frais de logement adapté et des frais de véhicule adapté ;
3°) de mettre à la charge de l'ONIAM la somme de 1 500 euros à verser à chacun des requérants sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- l'infection que M. D... a contractée a un caractère nosocomial, dès lors qu'il n'est pas établi qu'il était porteur d'une infection avant son entrée au centre hospitalier de Pau, que les premiers symptômes sont apparus au cours de son hospitalisation et que le germe a été identifié ; l'ONIAM n'apporte aucune élément pour démontrer qu'il aurait été porteur d'une telle infection auparavant ; ce n'est que onze jours après l'accident et l'intervention initiale que le diagnostic d'infection a été posé ; le fait qu'il ait été victime d'une fracture ouverte du tibia et que l'infection soit d'origine externe ne suffit pas à écarter le caractère nosocomial ; en outre, il ne peut s'agir d'une cause étrangère faute d'imprévisibilité et d'irrésistibilité de l'infection ;
- le fait que la responsabilité du tiers à l'origine de l'accident soit engagée ne fait pas obstacle à la réparation des préjudices par la solidarité nationale, d'autant que l'assureur du responsable de l'accident ne l'a indemnisé qu'à hauteur d'un tiers ;
- les préjudices doivent être évalués sur la base du rapport d'expertise du
3 novembre 2016, avec une consolidation fixée au 31 décembre 2015, et en appliquant le barème de la Gazette du Palais 2022 ;
- les dépenses de santé, constituées par des frais pharmaceutiques et d'achat d'un neurostimulateur, correspondent à 5 617,71 euros ;
- le coût du besoin d'assistance par une tierce personne avant la consolidation peut être évalué sur la base d'une heure par jour à hauteur de 20 euros et d'une année de 413 jours, soit un montant de 27 877,69 euros ;
- les frais divers, comprenant l'accès au téléphone et à la télévision pendant ses hospitalisations, les frais d'hébergement et de transport restés à sa charge et les frais pour obtenir son dossier médical complet s'élèvent à 1 003,39 euros ;
- le déficit fonctionnel temporaire, calculé sur une base de 30 euros par jour d'incapacité totale, peut être indemnisé par le versement d'une somme de 26 317,50 euros ;
- la somme de 15 000 euros pourra lui être allouée pour la réparation de son préjudice esthétique temporaire qui a duré cinq ans ;
- les souffrances tant physiques que morales peuvent donner lieu à une indemnité de 30 000 euros ;
- du fait de l'impossibilité de travailler, la perte de gains professionnels, calculée sur la base du SMIC, s'élève à 107 307,36 euros pour la période avant consolidation ;
- eu égard à l'amputation de sa jambe gauche, les experts ont évalué son déficit fonctionnel permanent à 30 % ; il est sollicité une indemnité de 102 000 euros à ce titre ;
- le préjudice esthétique permanent, évalué à 3 sur 7, peut être évalué à 40 000 euros ;
- une indemnité de 40 000 euros peut être envisagée pour le préjudice d'agrément résultant de l'impossibilité de s'adonner aux nombreux sports qu'il pratiquait auparavant ;
- la perte de gains professionnels pour la période après consolidation correspond à un montant de 107 289,24 euros jusqu'en 2021 et à une somme capitalisée, sur la base d'un taux de 58,706 pour un homme âgé de 35 ans, de 1 055 630,16 euros pour la période postérieure ;
- l'incidence professionnelle tenant à l'impossibilité d'avoir pu trouver un travail et de réaliser certaines tâches, peut être évaluée à 100 000 euros ;
- les préjudices sexuel et d'établissement peuvent, chacun, être réparés par le versement d'une somme de 50 000 euros ;
- les frais de logement et de véhicule adaptés doivent être réservés, ainsi que les frais de santé futurs ;
- Mme B... a parcouru un total de 25 492 kilomètres pour rendre visite à son fils lors de ses hospitalisations, ce qui représente une dépense de 13 842,16 euros ;
- elle a également supporté des frais d'hébergement pour un montant de 983,75 euros.
Par un mémoire en défense enregistré le 27 janvier 2022, l'ONIAM, représenté par la SELARL Birot, Ravaut et associés, conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que :
- l'infection dont a été victime M. D... est la conséquence de sa fracture ouverte de stade III, consécutive à l'accident, et ne présente pas de caractère nosocomial, faute de lien de causalité entre l'acte de soins et l'infection ; le risque infectieux important du fait de l'aspect cutané initial a été signalé dès le compte-rendu opératoire du 20 août 2009 et a été confirmé par les experts, chirurgien orthopédique pour l'un et infectiologue pour l'autre, donc bien placés pour apprécier la nature et l'origine de l'infection ; aucune pièce ne vient contredire la position des experts ;
- à supposer que l'infection soit regardée comme nosocomiale, l'ONIAM doit être mis hors de cause du fait de la présence d'un tiers responsable fautif et de son assureur ; l'ONIAM n'a pas vocation à intervenir lorsqu'il existe une prise en charge dans le cadre d'un système de responsabilité ; l'intervention de la solidarité nationale ne saurait se substituer au régime assurantiel, ni profiter à l'assureur en charge d'une telle réparation ; la transaction conclue avec l'assureur du tiers responsable, dont la copie ne fait pas apparaître les montants alloués, établit que M. D... a été indemnisé des conséquences de l'infection, notamment pour le déficit fonctionnel permanent et les souffrances endurées.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Olivier Cotte,
- les conclusions de Mme Charlotte Isoard, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. D..., alors âgé de 22 ans, a été victime, le 20 août 2009, d'un accident, alors qu'il circulait à moto, qui lui a occasionné une fracture ouverte du tiers moyen tiers inférieur de la jambe gauche et une fracture du péroné avec lésion de syndesmose et luxation péronéo-tibiale inférieure. Il a été transporté au centre hospitalier de Pau pour être opéré le jour même, pour une ostéosynthèse avec fixateur externe. Malgré une antibiothérapie, des signes d'infection locale ont été constatés, ce qui a conduit à le transférer, le 31 août, au centre hospitalier universitaire de Bordeaux. Il y a subi une nouvelle intervention pour parage de la plaie en raison de l'apparition d'une nécrose cutanée de la face interne du quart distal de la jambe. Les prélèvements opératoires ont révélé, le 15 septembre, la présence de deux germes, Enterobacter cloacae et Enterococcus, conduisant à la mise en place d'une nouvelle antibiothérapie. Plusieurs reprises chirurgicales ont eu lieu jusqu'au 23 décembre 2009, date de sa sortie du CHU. En janvier 2010, une nécrose du lambeau a justifié une nouvelle intervention pour parage et remobilisation du lambeau le 22 février 2010. Avant cette intervention, devant une évolution infectiologique, orthopédique et de couverture plastique préoccupante, M. D... a été informé d'un risque d'amputation. Le fixateur externe a été retiré le 24 octobre 2010. Dans les années qui ont suivi, l'intéressé a subi de nombreuses hospitalisations avec interventions chirurgicales et, à chaque fois, a été constatée la présence d'infections des plaies nécessitant un ajustement régulier du traitement antibiotique. Le 3 juillet 2015, il a été amputé de la jambe gauche au CHU de Toulouse, avec une évolution satisfaisante depuis lors.
2. M. D... a saisi, le 26 février 2016, la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales d'une demande d'indemnisation. Au vu des conclusions d'un rapport d'expertise déposé le 14 décembre 2016, elle a rejeté la demande de l'intéressé. M. D... et sa mère, Mme B..., ont alors saisi le tribunal administratif de Pau afin d'obtenir l'engagement de la solidarité nationale pour l'indemnisation de l'ensemble des préjudices subis. Par un jugement du 2 décembre 2021 dont ils relèvent appel, le tribunal a rejeté leurs demandes.
3. Aux termes de l'article L. 1142-1-1 du code de la santé publique : " (...) ouvrent droit à réparation au titre de la solidarité nationale : 1° Les dommages résultant d'infections nosocomiales dans les établissements, services ou organismes mentionnés au premier alinéa du I de l'article L. 1142-1 correspondant à un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à 25 % déterminé par référence au barème mentionné au II du même article (...) ". Doit être regardée comme présentant un caractère nosocomial au sens de ces dispositions, une infection survenant au cours ou au décours de la prise en charge d'un patient et qui n'était ni présente, ni en incubation au début de celle-ci, sauf s'il est établi qu'elle a une autre origine que la prise en charge.
4. Il résulte de l'instruction qu'à la suite de l'accident de la circulation qui lui a occasionné une fracture ouverte du tiers moyen tiers inférieur de la jambe gauche avec une plaie d'une dizaine de centimètres en regard du foyer de fracture et une deuxième plaie en regard de la cheville avec fracture du péroné, lésion de syndesmose et luxation péronéo-tibiale inférieure, M. D... a subi une intervention chirurgicale au centre hospitalier de Pau pour lavage et parage des plaies, puis installation d'un fixateur externe. Des signes d'infection locale, apparus dès les premiers jours suivant l'admission dans cet établissement, ont conduit à son transfert au CHU de Bordeaux où, à l'occasion d'une nouvelle opération chirurgicale, des prélèvements biologiques ont été réalisés. La présence de deux germes, enterobacter cloacae et enterococcus, a été mise en évidence. Malgré la mise en place d'un traitement antibiotique, diverses bactéries ont été retrouvées au niveau des plaies au cours de l'année 2010, puis en 2012 et en dernier lieu en avril 2015, ce qui a justifié la décision d'amputation, intervenue le 3 juillet 2015. Il résulte du rapport d'expertise établi par un collège d'experts, composé d'un chirurgien orthopédiste et d'un infectiologue, que la complication infectieuse résulte de l'importance des dégâts initiaux cutanés, de l'écrasement des parties molles, de la taille des plaies cutanées en regard des foyers de fractures, conduisant à une absence de possibilité de recouvrement avec exposition osseuse. Les experts en concluent qu'il ne s'agit pas d'une infection liée aux soins, mais de la conséquence de l'accident ayant provoqué une fracture de stade III, correspondant à une lésion avec perte de substance cutanée ou musculoaponévrotique non refermable sans tension, avec fort risque de nécrose. Ce risque avait d'ailleurs été relevé dès le compte-rendu opératoire du 20 août 2009. Si les experts ont relevé qu'il ne pouvait être démontré que toutes les bactéries étaient présentes par contamination de la plaie lors de l'accident, ils ont considéré que " l'exposition osseuse secondaire à la nécrose cutanée rendait obligatoire l'acquisition de nouveaux contaminants bactériens ". Dans ces conditions, alors qu'aucun élément au dossier ne vient remettre en cause les conclusions de cette expertise, l'infection contractée par M. D... et ayant conduit à son amputation n'a pas pour origine la prise en charge hospitalière et ne peut être regardée comme présentant un caractère nosocomial.
5. Il résulte de ce qui précède que M. D... et Mme B... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Pau a rejeté leurs demandes.
Sur les frais liés au litige :
6. Les dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'ONIAM, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que les requérants demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. D... et Mme B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... D..., à Mme C... B..., à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, à la caisse primaire d'assurance maladie des Pyrénées Atlantiques et à la Mutuelle Mutami.
Délibéré après l'audience du 23 janvier 2024 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, présidente,
Mme Anne Meyer, présidente assesseure,
M. Olivier Cotte, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 15 février 2024.
Le rapporteur,
Olivier Cotte
La présidente,
Catherine Girault
La greffière,
Virginie Guillout
La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22BX00122