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01/02/2024 | FRANCE | N°22BX01561

France | France, Cour administrative d'appel, 1ère chambre, 01 février 2024, 22BX01561


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



L'association pour la sauvegarde du patrimoine martiniquais a demandé au tribunal administratif de la Martinique d'annuler la décision du 21 janvier 2021 par laquelle le président de la communauté d'agglomération de l'espace sud Martinique a rejeté sa demande d'abrogation du schéma de cohérence territoriale de l'espace sud Martinique.



Par un jugement n° 2100118 du 7 avril 2022, le tribunal administratif de la Martinique a annulé la décision du 21 janvi

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'association pour la sauvegarde du patrimoine martiniquais a demandé au tribunal administratif de la Martinique d'annuler la décision du 21 janvier 2021 par laquelle le président de la communauté d'agglomération de l'espace sud Martinique a rejeté sa demande d'abrogation du schéma de cohérence territoriale de l'espace sud Martinique.

Par un jugement n° 2100118 du 7 avril 2022, le tribunal administratif de la Martinique a annulé la décision du 21 janvier 2021 en tant qu'elle refuse d'abroger les dispositions du schéma de cohérence territoriale relatives aux grands projets d'équipements et de services de la zone d'activités de Céron et du golf de Grand Fond ainsi que celles de l'orientation n° 10 du document d'orientation et d'objectifs autorisant, hors de la commune de Saint-Esprit, les constructions et installations s'inscrivant dans le cadre d'un projet agritouristique en zone de moindre enjeu agricole.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 7 juin 2022, le 19 décembre 2022, le 28 février 2023 et le 5 janvier 2024, la communauté d'agglomération de l'espace sud Martinique, représentée par Me Destarac, demande à la cour :

1°) d'annuler les articles 1, 2 et 4 du jugement du 7 avril 2022 ;

2°) de rejeter la demande correspondante présentée par l'association pour la sauvegarde du patrimoine martiniquais devant le tribunal ;

3°) de rejeter les conclusions d'appel de l'association pour la sauvegarde du patrimoine martiniquais ;

4°) de mettre à la charge de l'association pour la sauvegarde du patrimoine martiniquais une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué est insuffisamment motivé en droit en ce qu'il cite et fait application de l'article L. 121-8 du code de l'urbanisme dans une version qui n'était pas applicable au schéma de cohérence territoriale de la communauté d'agglomération de l'espace sud Martinique ;

- il est également entaché d'un défaut de motivation en ce qu'il ne s'est pas prononcé sur la possibilité de qualifier les deux grands projets d'équipements et de services de la zone d'activités de Céron et du golf de Grand Fond de " hameaux nouveaux " au sens de l'article L. 121-8 du code de l'urbanisme dans sa version antérieure à la loi Elan ;

- le jugement attaqué est également insuffisamment motivé en ce qu'il a estimé que les deux grands projets d'équipements et de services de la zone d'activités de Céron et du golf de Grand Fond étaient incompatibles avec la loi littoral, sans rechercher si une telle incompatibilité était établie à l'échelle du territoire de la communauté d'agglomération de l'espace sud Martinique et sans tenir compte de l'ensemble des orientations et prescriptions du schéma de cohérence territoriale ;

- la demande présentée par l'association pour la sauvegarde du patrimoine martiniquais tendant à l'annulation d'une décision implicite de rejet d'un recours gracieux présenté le 6 novembre 2020 est irrecevable, une telle décision ne pouvant être regardée que comme inexistante en l'absence de preuve du dépôt du recours gracieux ; les conclusions présentées à fin d'annulation de la décision expresse de rejet du 21 janvier 2021 qui ont été substituées aux conclusions initiales ont été présentées par l'association plus de deux mois après l'introduction de sa demande et sont donc irrecevables ;

- en toute hypothèse, les conclusions de l'association tendant à l'abrogation de l'avant dernier alinéa de l'orientation n° 10 du document d'orientations et d'objectifs du schéma de cohérence territoriale étaient irrecevables dès lors que l'association n'a pas présenté de demander d'abrogation sur ce point précis ;

- c'est à tort que les premiers juges ont retenu que deux grands projets d'équipements et de services de la zone d'activités de Céron et du golf de Grand Fond étaient incompatibles avec l'article L. 121-8 du code de l'urbanisme ; le rapport de compatibilité, plus lâche que celui de conformité, doit s'apprécier à l'échelle du territoire et au regard de l'ensemble des orientations et prescriptions du schéma de cohérence territoriale ; à cet égard, l'orientation n° 12 du document d'orientations et d'objectifs prévoit que les grands projets d'équipements et de services de la zone d'activités identifiés par le schéma de cohérence territoriale ne sont mis en œuvre qu'à la condition de respecter les trois conditions énoncées par l'orientation n° 3, au nombre desquelles figure une localisation en continuité des bourgs et quartiers existants et à proximité des services urbains ; dans ces conditions, le schéma de cohérence territoriale, qui n'a pour objet ni de planifier la réalisation de grands projets d'équipements et de services ni d'exonérer de futurs projets du respect de la loi littoral, ne peut être regardé comme planifiant la création de projets qui ne seraient pas implantés en continuité avec les agglomérations et villages existants, comme l'a retenu le tribunal ;

- s'agissant du projet de zone d'activités de Céron à Sainte-Luce, il doit être appréhendé au vu du grand projet d'équipements et de services voisin de la potentielle zone d'activités économiques relatif à un aménagement pour la mise en valeur de la distillerie des Trois-Rivières qui aura pour effet d'étendre l'urbanisation vers la zone d'activités économiques ;

- s'agissant du projet de golf à Grand Fond sur le territoire de la commune du Marin, ni sa superficie ni sa situation précise ne sont prévus par le schéma de cohérence territoriale dont ce n'est pas l'objet de sorte qu'il ne peut être jugé, comme l'ont retenu les premiers juges, que le terrain d'assiette du projet ne s'inscrirait pas en continuité de l'urbanisation existante ; dans ces conditions, il ne peut non plus être retenu des distances précises entre le projet et les zones urbanisées les plus proches ;

- le schéma de cohérence territoriale litigieux précise les modalités d'application des dispositions relatives à la loi littoral en tenant compte des particularités locales, notamment le caractère très exigu du territoire et son exposition à l'ensemble des risques naturels, comme le prévoit l'article L. 121-3 du code de l'urbanisme dans sa version modifiée par la loi Elan ;

- à supposer que les deux grands projets d'équipements et de services de la zone d'activités de Céron et du golf de Grand Fond soient regardés comme ne s'inscrivant pas en continuité d'agglomération ou de villages existants, ils pourraient être qualifiés de " hameaux nouveaux " au sens de l'article L. 121-8 du code de l'urbanisme dans sa version antérieure à la loi Elan ;

- c'est également à tort que les premiers juges ont retenu que le dernier alinéa de l'orientation n° 10 du document d'orientations et d'objectifs était incompatible avec les articles L. 121-8 et L. 121-10 du code de l'urbanisme dès lors qu'il appartiendra aux plans locaux d'urbanisme de localiser les projets agritouristiques dans le respect de la loi littoral et l'adaptation des bâtiments et aménagements légers n'est autorisée qu'à condition de ne pas remettre en cause la vocation agricole, pastorale ou forestière principale de l'exploitation dont ils dépendent ; en outre, il n'est pas démontré que les projets agrotouristiques ne seraient pas nécessaires à l'activité agricole et le schéma de cohérence territoriale n'a pas vocation à interdire les activités agrotouristiques dans les zones de moindre enjeu agricole ; enfin, si l'orientation prévoit de privilégier l'aménagement de constructions existantes dans une limite de 150 m2, elle n'a pas pour objet de créer au profit des autorisations d'urbanisme une dérogation à l'article L. 121-8 du code de l'urbanisme et au principe de l'extension de l'urbanisation en continuité des agglomérations, des villages ou de constructibilité dans les espaces déjà urbanisés ;

- sont irrecevables les conclusions présentées pour la première fois en appel par l'association pour la sauvegarde du patrimoine martiniquais tendant à ce qu'il soit enjoint au président de la communauté d'agglomération de l'espace sud Martinique de convoquer le conseil communautaire pour procéder à l'abrogation partielle du schéma de cohérence territoriale en tant qu'il définit le grand projet d'équipements et de services de la zone d'activité de Maupéou et en tant qu'il prévoit la construction d'une boutique et d'un espace de dégustation pour le grand projet d'équipements et de services de la distillerie de Trois-Rivières ; de telles conclusions portent en outre sur un litige distinct de la requête de la communauté d'agglomération de l'espace sud Martinique ; elles sont en toute hypothèse mal fondées, le secteur du grand projet d'équipement et de services de la zone d'activités économiques de Maupéou, de même que le celui de la distillerie de Trois-Rivières, se trouvant en continuité de l'urbanisation existante.

Par un mémoire en défense enregistré le 26 décembre 2022, l'association pour la sauvegarde du patrimoine martiniquais, représentée par Me Monotuka, conclut :

1°) au rejet de la requête ;

2°) à ce qu'il soit enjoint au président de la communauté d'agglomération de l'espace sud Martinique de convoquer le conseil communautaire afin de procéder à l'abrogation partielle du schéma de cohérence territoriale en tant, d'une part, qu'il définit le grand projet d'équipements et de services de la zone d'activités de Maupeou et, d'autre part, qu'il prévoit la construction d'une boutique/espace de dégustation pour le grand projet d'équipements et de service de la zone d'activités de Trois-Rivières ;

3°) de mettre à la charge de la communauté d'agglomération de l'espace sud Martinique une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les moyens soulevés par la communauté d'agglomération de l'espace sud Martinique ne sont pas fondés ;

- le grand projet d'équipements et de services de Maupeou n'est pas caractérisé par une densité significative de construction et ne constitue pas un espace urbanisé au sens de l'article L. 121-8 du code de l'urbanisme, ce qui justifie l'abrogation du schéma de cohérence territoriale sur ce point ;

- le grand projet d'équipements et de services de Trois-Rivières est incompatible avec l'article L. 121-8 du code de l'urbanisme et le schéma de cohérence territoriale doit être abrogé sur ce point.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Kolia Gallier,

- les conclusions de M. Romain Roussel Cera, rapporteur public,

- et les observations de Me Gonnet, représentant la communauté d'agglomération de l'espace sud Martinique.

Considérant ce qui suit :

1. Par une délibération du 25 septembre 2018, le conseil communautaire de la communauté d'agglomération de l'espace sud Martinique a approuvé le schéma de cohérence territoriale de l'espace sud Martinique. L'association pour la sauvegarde du patrimoine martiniquais a demandé au tribunal administratif de la Martinique l'annulation de cette délibération, demande qui a été rejetée par un jugement n° 1900248 du 6 février 2020. Elle a ensuite saisi le tribunal d'une demande tendant à l'annulation du refus de la communauté d'agglomération de l'espace sud Martinique d'abroger ce schéma de cohérence territoriale. Par un jugement du 7 avril 2022 le tribunal administratif de la Martinique a annulé la décision de la communauté d'agglomération de l'espace sud Martinique du 21 janvier 2021 en tant qu'elle refuse d'abroger les dispositions relatives aux grands projets d'équipements et de services de la zone d'activités de Céron et du golf de Grand Fond, ainsi que celles de l'orientation n° 10 du document d'orientation et d'objectifs autorisant, hors de la commune de Saint-Esprit, les constructions et installations s'inscrivant dans le cadre d'un projet agritouristique en zone de moindre enjeu agricole. La communauté d'agglomération de l'espace sud Martinique relève appel de ce jugement en tant qu'il a partiellement fait droit à la demande de l'association pour la sauvegarde du patrimoine martiniquais qui doit être regardée, quant à elle, comme demandant l'annulation du jugement en tant qu'il a rejeté sa demande s'agissant de la création du parc d'activités économiques de Maupéou et l'aménagement pour la mise en valeur de la distillerie des Trois-Rivières.

Sur l'appel principal de la communauté d'agglomération de l'espace sud Martinique :

En ce qui concerne la régularité du jugement :

2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ". Le juge doit ainsi se prononcer, par une motivation suffisante au regard de la teneur de l'argumentation qui lui est soumise, sur tous les moyens expressément soulevés par les parties, à l'exception de ceux qui, quel que soit leur bien-fondé, seraient insusceptibles de conduire à l'adoption d'une solution différente de celle qu'il retient.

3. En premier lieu, la communauté d'agglomération de l'espace sud Martinique soutient que le jugement du tribunal administratif de la Martinique est insuffisamment motivé en tant, premièrement, qu'il fait application d'une version de l'article L. 121-8 du code de l'urbanisme postérieure à celle en vigueur à la date d'adoption du schéma de cohérence territoriale litigieux, deuxièmement, qu'il ne se prononce pas sur la possibilité de qualifier les deux grands projets d'équipements et de services de la zone d'activités de Céron et du golf de Grand Fond de " hameaux nouveaux " au sens de la version de ce texte alors en vigueur et, troisièmement, qu'il juge les deux projets incompatibles avec la loi littoral sans rechercher si cette incompatibilité est établie à l'échelle de l'ensemble du territoire ni tenir compte de l'ensemble des orientations et prescriptions du schéma de cohérence territoriale. Ce faisant, la communauté d'agglomération de l'espace sud Martinique critique le bien-fondé du jugement et non sa régularité. Il résulte par ailleurs des termes du jugement attaqué que les premiers juges, qui n'étaient pas tenus de se prononcer sur tous les arguments présentés par les parties, ont répondu de manière suffisamment circonstanciée à l'ensemble des moyens invoqués devant eux.

4. En second lieu, hormis le cas où le juge de première instance a méconnu les règles de compétence, de forme ou de procédure qui s'imposaient à lui et a ainsi entaché son jugement d'une irrégularité, il appartient au juge d'appel, non d'apprécier le bien-fondé des motifs par lesquels le juge de première instance s'est prononcé sur les moyens qui lui étaient soumis, mais de se prononcer directement sur les moyens dirigés contre la décision administrative contestée dont il est saisi dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel. La communauté d'agglomération de l'espace sud Martinique ne peut donc utilement se prévaloir des erreurs de droit, d'appréciation ou de qualification juridique qu'auraient commis les juges de première instance pour demander l'annulation du jugement attaqué.

En ce qui concerne le bien-fondé du jugement :

S'agissant de la recevabilité de la demande :

5. Aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée. (...) ". L'article R. 421-2 du même code dispose : " Sauf disposition législative ou réglementaire contraire, dans les cas où le silence gardé par l'autorité administrative sur une demande vaut décision de rejet, l'intéressé dispose, pour former un recours, d'un délai de deux mois à compter de la date à laquelle est née une décision implicite de rejet. Toutefois, lorsqu'une décision explicite de rejet intervient avant l'expiration de cette période, elle fait à nouveau courir le délai de recours. / La date du dépôt de la demande à l'administration, constatée par tous moyens, doit être établie à l'appui de la requête. " Aux termes de l'article R. 421-5 du code de justice administrative : " Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision. " Aux termes de l'article L. 231-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Par dérogation à l'article L. 231-1, le silence gardé par l'administration pendant deux mois vaut décision de rejet : / 1° Lorsque la demande ne tend pas à l'adoption d'une décision présentant le caractère d'une décision individuelle ; (...) ".

6. En premier lieu, il ressort des termes des demandes d'abrogation formées les 6 et 17 novembre 2020 par l'association pour la sauvegarde du patrimoine martiniquais que celle-ci sollicitait de la communauté d'agglomération de l'espace sud Martinique l'abrogation totale du schéma de cohérence territoriale de l'espace sud Martinique. Par suite, la communauté d'agglomération de l'espace sud Martinique n'est pas fondée à soutenir que le contentieux n'aurait pas été lié s'agissant de l'orientation n° 10 du document d'orientations et d'objectifs du schéma de cohérence territoriale.

7. En second lieu, il ressort des pièces du dossier que l'association pour la sauvegarde du patrimoine martiniquais a formé deux demandes d'abrogation au contenu identique auprès de la communauté d'agglomération de l'espace sud Martinique tendant à l'abrogation du schéma de cohérence territoriale de l'espace sud Martinique, la première datée du 6 et la seconde du 17 novembre 2020. Il est vrai que l'association pour la sauvegarde du patrimoine martiniquais ne justifie pas de la réception par la communauté d'agglomération de l'espace sud Martinique de son premier recours et que, dans ces conditions, la décision implicite de rejet contre laquelle elle a présenté les conclusions de sa requête introductive d'instance le 6 mars 2021 ne peuvent qu'être regardées comme dirigées contre une décision inexistante. Toutefois, la communauté d'agglomération de l'espace sud Martinique a expressément rejeté la seconde demande de l'association par une décision du 21 janvier 2021, régulièrement notifiée le 27 janvier 2021, mais ne faisant pas mention des voies et délais de recours. Dans ces conditions, le délai de recours contentieux de deux mois n'a pas commencé à courir et les conclusions à fin d'annulation de cette décision du 21 janvier 2021 présentées par l'association pour la sauvegarde du patrimoine martiniquais dans un mémoire enregistré le 16 août 2021, qui avaient un lien suffisant avec les conclusions précédentes pour pouvoir être présentées dans le cadre d'une même demande, étaient recevables. La fin de non-recevoir opposée par la communauté d'agglomération de l'espace sud Martinique doit ainsi être écartée.

S'agissant des moyens retenus par le tribunal :

8. Pour annuler partiellement la décision du président de la communauté d'agglomération de l'Espace Sud Martinique, le tribunal administratif de la Martinique a retenu, d'une part, que les grands projets d'équipements et de services de la zone d'activités de Céron et du golf de Grand Fond n'étaient pas compatibles avec l'exigence de continuité fixée par les dispositions de l'article L. 121-8 du code de l'urbanisme, reprises par le schéma d'aménagement régional de la Martinique, et, d'autre part, que les dispositions de l'orientation n° 10 du document d'orientation et d'objectifs, en tant qu'elles autorisent, dans les zones non urbanisées de moindre enjeu agricole, les constructions et installations à vocation agritouristique, sauf en ce qui concerne le territoire de la commune de Saint-Esprit, étaient incompatibles avec l'article L. 121-8 du code de l'urbanisme.

9. Aux termes de l'article L. 243-2 du code des relations entre le public et l'administration : " L'administration est tenue d'abroger expressément un acte réglementaire illégal ou dépourvu d'objet, que cette situation existe depuis son édiction ou qu'elle résulte de circonstances de droit ou de fait postérieures, sauf à ce que l'illégalité ait cessé. (...) ". L'effet utile de l'annulation pour excès de pouvoir du refus d'abroger un acte réglementaire illégal réside dans l'obligation, que le juge peut prescrire d'office en vertu des dispositions de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, pour l'autorité compétente, de procéder à l'abrogation de cet acte afin que cessent les atteintes illégales que son maintien en vigueur porte à l'ordre juridique. Il s'ensuit que, lorsqu'il est saisi de conclusions aux fins d'annulation du refus d'abroger un acte réglementaire, le juge de l'excès de pouvoir est conduit à apprécier la légalité de l'acte réglementaire dont l'abrogation a été demandée au regard des règles applicables à la date de sa décision.

10. Aux termes de l'article L. 131-1 du code de l'urbanisme : " Les schémas de cohérence territoriale prévus à l'article L. 141-1 sont compatibles avec : / 1° Les dispositions particulières au littoral et aux zones de montagne prévues aux chapitres Ier et II du titre II ; (...) / 4° Les schémas d'aménagement régional de la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, Mayotte et La Réunion prévus à l'article L. 4433-7 du code général des collectivités territoriales ; (...) ".

11. Aux termes de l'article L. 121-8 du code de l'urbanisme, applicable en Martinique conformément à l'article L. 121-38 du même code, dans sa version en vigueur à la date du présent arrêt : " L'extension de l'urbanisation se réalise en continuité avec les agglomérations et villages existants. (...) ". Il résulte de ces dispositions que les constructions peuvent être autorisées dans les communes littorales en continuité avec les agglomérations et villages existants, c'est-à-dire avec les zones déjà urbanisées caractérisées par un nombre et une densité significatifs de constructions. En revanche, aucune construction ne peut être autorisée, même en continuité avec d'autres, dans les zones d'urbanisation diffuse éloignées de ces agglomérations et villages.

12. Le point E.1.1 du chapitre II du schéma d'aménagement régional de la Martinique prévoit : " La majorité des communes se situant sur le littoral, les orientations en matière d'aménagement et les prescriptions qui en découlent, telles que définies dans le SMVM, s'appliquent. (articles L. 146-4-1, L. 156-2 du code de l'urbanisme) / L'ouverture des zones d'urbanisation, en continuité de l'existant ou en hameaux nouveaux, sera soumise à la prise en compte des risques naturels, et devra être accompagnée par la mise en place des équipements adéquats (...)".

13. L'orientation n° 12 du document d'orientations et d'objectifs du schéma de cohérence territoriale de l'espace sud Martinique prévoit de " mettre en œuvre les grands projets d'équipements et de services " au nombre desquels figurent la création d'une zone d'activité économiques à Céron sur le territoire de la commune de Sainte-Luce et la création du golf de Grand Fond sur le territoire de la commune du Marin, projets détaillés en annexe du rapport de présentation. Cette orientation indique que les grands projets d'équipements et de services sont mis en œuvre pour autant qu'un certain nombre de conditions soient concomitamment réunies, notamment le respect " de la triple conditionnalité énoncée à l'orientation O3 ". L'orientation n° 3 précise, quant à elle, qu'" au sein des espaces d'urbanisation prioritaire, les développements urbains sont mis en œuvre prioritairement en respectant la triple conditionnalité : de proximité, d'accessibilité et d'opportunité, telle qu'elle est définie, supra, dans l'argumentaire A.2 de l'orientation ". Enfin, l'argumentaire de cette orientation indique " La triple conditionnalité est définie comme suit : / Condition de proximité : localisation en continuité des bourgs et quartiers existants et à proximité des services urbains (...) ". Au vu de ces dispositions du schéma de cohérence territoriale qui conditionnent la réalisation des grands projets d'équipements et de services au respect d'un principe de continuité de l'urbanisation, les dispositions de ce schéma, à l'échelle du territoire qu'il couvre, prévoyant la création d'une zone d'activités économiques à Céron sur le territoire de la commune de Sainte-Luce et l'implantation du golf de Grand Fond sur le territoire de la commune du Marin ne sont pas incompatibles avec l'article L. 121-8 du code de l'urbanisme, reprises par le schéma d'aménagement régional de la Martinique. La communauté d'agglomération de l'espace sud Martinique est ainsi fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont accueilli ce moyen.

14. Aux termes de l'article L. 121-10 du code de l'urbanisme, dans sa version applicable à la date du présent arrêt : " Par dérogation à l'article L. 121-8, les constructions ou installations nécessaires aux activités agricoles ou forestières ou aux cultures marines peuvent être autorisées avec l'accord de l'autorité administrative compétente de l'Etat, après avis de la commission départementale de la nature, des paysages et des sites et de la commission départementale de la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers. / Ces opérations ne peuvent être autorisées qu'en dehors des espaces proches du rivage, à l'exception des constructions ou installations nécessaires aux cultures marines. / L'accord de l'autorité administrative est refusé si les constructions ou installations sont de nature à porter atteinte à l'environnement ou aux paysages. / Le changement de destination de ces constructions ou installations est interdit. ".

15. L'orientation n° 10 du document d'orientations et d'objectifs du schéma de cohérence territoriale de l'espace sud Martinique, après avoir posé le principe selon lequel " les espaces agricoles ne sont pas ouverts à l'urbanisation ", indique à son avant dernier alinéa que " En zone de moindre enjeu agricole (terres à faible potentialité agricole de classe 4, 5 et 6 telles que définies au SAR), sont autorisées les constructions et installations nécessaires à des équipements collectifs ou à des services publics et les constructions à caractère fonctionnel nécessaires aux exploitations agricoles, ainsi que celles s'inscrivant dans le cadre d'un projet agritouristique. Pour ces dernières, la superficie construite ne devra excéder 150 m² maximum de surface de plancher par exploitation ; en privilégiant l'aménagement de constructions existantes. " Toutefois, les constructions et installations s'inscrivant dans le cadre d'un projet agritouristique et qui ne répondraient pas, par ailleurs, à la qualification de construction à caractère fonctionnel nécessaires aux exploitations agricoles au sens du schéma de cohérence territoriale, ne peuvent être regardées comme des constructions ou installations nécessaires aux activités agricoles au sens de l'article L. 121-10 du code de l'urbanisme. Ainsi, sauf en ce qui concerne la commune de Saint-Esprit qui n'est pas une commune soumise à la loi littoral, l'avant-dernier alinéa de l'orientation n° 10 du document d'orientations et d'objectifs du schéma de cohérence territoriale de l'espace sud Martinique est incompatible avec les articles L. 121-8 et L. 121-10 du code de l'urbanisme en tant qu'il permet, dans les zones de moindre enjeu agricole, la construction de constructions et installations s'inscrivant dans le cadre d'un projet agritouristique. C'est ainsi à bon droit que les premiers juges ont accueilli ce moyen.

16. Enfin, si la communauté d'agglomération de l'espace sud Martinique demande à la cour d'annuler l'article 4 du jugement attaqué par lequel le tribunal administratif de la Martinique a rejeté ses conclusions tendant à ce qu'il fasse usage des pouvoirs que lui confère l'article L. 600-9 du code de l'urbanisme et celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, elle n'expose toutefois aucun moyen au soutien de ces conclusions qui ne peuvent, par suite, qu'être rejetées.

17. Il résulte de ce qui précède que la communauté d'agglomération de l'espace sud Martinique est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Martinique a annulé la décision du 21 janvier 2021 en tant qu'elle refuse d'abroger les dispositions relatives aux grands projets d'équipements et de services de la zone d'activités de Céron et du golf de Grand Fond et qu'il enjoint au président de la communauté d'agglomération de l'espace sud Martinique de convoquer le conseil communautaire afin de procéder à l'abrogation partielle du schéma de cohérence territoriale en tant qu'il définit les grands projets d'équipements et de services de la zone d'activités de Céron et du golf de Grand Fond.

Sur l'appel incident présenté par l'association pour la sauvegarde du patrimoine martiniquais :

18. À supposer que l'association pour la sauvegarde du patrimoine martiniquais soit regardée comme demandant l'annulation de la décision du 21 janvier 2021 en tant qu'elle refuse l'abrogation des grands projets d'équipements et de services de Maupéou et de Trois-Rivières, de telles conclusions ne peuvent qu'être rejetées, sans qu'il soit besoin d'examiner les fins de non-recevoir opposées par la communauté d'agglomération de l'espace sud Martinique, pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 13 ci-dessus.

Sur les frais liés au litige :

19. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de laisser à la charge de chacune des parties les frais exposés pour la présente instance et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de la Martinique est annulé en tant qu'il annule la décision du 21 janvier 2021 en tant qu'elle refuse d'abroger les dispositions relatives aux grands projets d'équipements et de services de la zone d'activités de Céron et du golf de Grand Fond et en tant qu'il enjoint au président de la communauté d'agglomération de l'espace sud Martinique de convoquer le conseil communautaire afin de procéder à l'abrogation partielle du schéma de cohérence territoriale en tant qu'il définit les grands projets d'équipements et de services de la zone d'activités de Céron et du golf de Grand Fond.

Article 2 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à l'association pour la sauvegarde du patrimoine martiniquais et à la communauté d'agglomération de l'Espace Sud Martinique.

Délibéré après l'audience du 11 janvier 2024 à laquelle siégeaient :

M. Jean-Claude Pauziès, président,

Mme Christelle Brouard-Lucas, présidente-assesseure,

Mme Kolia Gallier, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 1er février 2024.

La rapporteure,

Kolia GallierLe président,

Jean-Claude Pauziès

La greffière,

Marion Azam Marche

La République mande et ordonne au préfet de la Martinique en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 22BX01561 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 22BX01561
Date de la décision : 01/02/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. PAUZIÈS
Rapporteur ?: Mme Kolia GALLIER
Rapporteur public ?: M. ROUSSEL CERA
Avocat(s) : SELARL CLOIX & MENDES-GIL

Origine de la décision
Date de l'import : 11/02/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-02-01;22bx01561 ?
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