Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D... A... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 28 juillet 2022 par lequel la préfète de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, et a fixé le pays de destination.
Par un jugement n° 2202200 du 2 février 2023, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 26 juin 2023, M. A..., représenté par Me Reix, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2202200 du tribunal administratif de Bordeaux du 2 février 2023 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 28 juillet 2022 de la préfète de la Gironde ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Gironde de lui délivrer une carte de séjour l'autorisant à travailler dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, ou, à défaut, de réexaminer sa situation, dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte, et de lui attribuer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros hors taxe, soit 1 800 euros toutes taxes comprises, au titre des articles 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridictionnelle et L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
Sur la légalité de la décision de refus de titre de séjour :
- elle est insuffisamment motivée dès lors qu'elle ne comporte aucun élément concernant son parcours professionnel et ne vise pas les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ;
- elle est entachée d'un défaut d'examen particulier de sa situation personnelle ;
- elle méconnaît les stipulations des articles 6-5 de l'accord franco-algérien et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
Sur la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- elle est illégale du fait de l'illégalité de la décision de refus de séjour sur laquelle elle se fonde ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;
En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :
- elle est illégale du fait de l'illégalité de la décision d'obligation de quitter le territoire français.
Par un mémoire en défense enregistré le 18 septembre 2023, le préfet de la Gironde conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision n°2023/003465 du 13 avril 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme F... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., de nationalité algérienne, est entré en France en mars 2018, selon ses déclarations. Le 23 avril 2021, il a sollicité la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des stipulations des articles 6-5 et 6-2 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968, au titre de sa vie privée et familiale en France et en tant que conjoint d'une ressortissante française. Par un arrêté du 28 juillet 2022, la préfète de la Gironde a refusé cette délivrance et a assorti ce refus d'une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et d'une décision fixant le pays de renvoi. M. A... relève appel du jugement du 2 février 2023 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande d'annulation de cet arrêté préfectoral.
Sur la légalité de l'arrêté du 28 juillet 2022 :
2. Aux termes de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié : " Le certificat de résidence d'un an portant la mention " vie privée et familiale " est délivré de plein droit : (...) 5) au ressortissant algérien, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus ". Et aux termes des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
3. Il ressort des pièces du dossier, et notamment des justificatifs qu'il produit, que M. A... est présent sur le territoire français depuis octobre 2018, soit depuis quatre ans à la date de l'arrêté contesté. Initialement hébergé chez sa sœur, en situation régulière en France, il s'est marié le 29 août 2020 avec Mme B... C..., ressortissante française, mère de trois enfants nés d'un précédent mariage en 1999, 2000 et 2013, qu'il dit avoir rencontrée en 2018. Il ressort des pièces du dossier que le couple partage, a minima depuis leur mariage, soit depuis deux années à la date de la décision contestée, un domicile commun au 13 rue des Pêcheurs à Floirac et que la résidence du dernier fils de Mme C... épouse A..., E..., âgé 9 ans à la date du refus de séjour en litige, a été fixée par jugement du juge aux affaires familiales du 10 mars 2022 au domicile de sa mère et de son beau-père, tandis que le droit d'accueil de son père, dont la part contributive pour l'entretien et éducation de l'enfant a été fixée par ce même jugement à 200 euros par mois, a été suspendu compte tenu du désintérêt de ce dernier envers son enfant. Il ressort par ailleurs des différentes attestations émises par la caisse d'allocations familiales (CAF) que Mme C... épouse A... et son fils E... bénéficient respectivement d'une allocation pour adulte et enfant handicapés, leur taux d'incapacité ayant été fixé entre 50% et moins de 80%, la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées (CDAPH) ayant retenu la présence de difficultés entrainant une gêne notable dans la vie sociale de la mère comme de l'enfant nécessitant pour l'enfant un accompagnement par un établissement ou service médico-social et le recours à un dispositif de scolarisation adapté, et entrainant pour la mère une restriction substantielle et durable pour l'accès à l'emploi liée à sa situation de handicap. Ainsi, et bien que ces attestations indiquent également que leur autonomie pour les actes élémentaires de la vie quotidienne est conservée, il ressort des pièces du dossier que M. A..., qui, comme en attestent les nombreux témoignages produits, a pris la place du père au sein du foyer, est un élément essentiel dans l'organisation de la vie familiale, notamment dans le cadre des suivis de rendez-vous relatifs à la prise en charge pluridisciplinaire des difficultés de l'enfant. En outre, et alors qu'il résulte de ce qui précède qu'un retour à l'emploi de son épouse apparaît impossible, rendant la situation financière familiale précaire, les promesses d'embauche en contrat à durée indéterminée en qualité d'aide boulanger que le requérant produit, dont la dernière est datée du 16 mars 2023, attestent de sa capacité à travailler rapidement pour subvenir aux besoins du foyer. Dans ces conditions, et quand bien même M. A... conserve encore des attaches dans son pays d'origine dans lequel résident ses parents et une partie de sa fratrie et qu'il puisse bénéficier de la procédure de regroupement familial, il résulte de ce qui précède, que compte tenu des circonstances particulières de l'espèce et notamment de la situation de handicap de sa femme et de son beau-fils et de la durée de la vie commune avec son épouse et de sa présence en France, la décision attaquée porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale. Par suite, M. A... est fondé à soutenir que l'arrêté attaqué méconnaît les stipulations des articles 6-5 de l'accord franco-algérien et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
4. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que la décision du 28 juillet 2022 par laquelle la préfète de la Gironde a refusé à M. A... la délivrance d'un titre de séjour doit être annulée ainsi que, par voie de conséquence, les décisions portant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de renvoi.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
5. Eu égard au motif d'annulation retenu, le présent arrêt implique nécessairement que le préfet de la Gironde délivre un titre de séjour à M. A.... Il y a lieu, en application de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, de lui enjoindre la délivrance d'un certificat de résidence d'un an portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
6. M. A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros à verser à Me Reix.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 2 février 2023 est annulé.
Article 2 : L'arrêté de la préfète de la Gironde du 28 juillet 2022 est annulé.
Article 3 : Il est enjoint au préfet de la Gironde de délivrer à M. A... un certificat de résidence d'un an portant la mention " vie privée et familiale ", dans le délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à Me Reix la somme de 1 200 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de M. A... est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... A..., au préfet de la Gironde et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré après l'audience du 12 décembre 2023 à laquelle siégeaient :
Mme Elisabeth Jayat, présidente de chambre,
M. Sébastien Ellie, premier conseiller,
Mme Héloïse Pruche-Maurin, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 janvier 2024.
La rapporteure,
Héloïse F...
La présidente,
Elisabeth Jayat
La greffière,
Virginie Santana
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 23BX01764